Qui a écrit le Pentateuque ou comment cacher la vérité sur la complexité de la BibleUne étude de
Charles ChassonPour un fondamentaliste comme le sont les Témoins de Jéhovah, la Bible est une. Son auteur est Dieu, qui a utilisé comme secrétaire une quarantaine d'écrivains. Quand la Bible déclare qu'un livre a été écrit par une personne, elle ne peut se tromper. Ainsi Jésus a identifié l'auteur du Pentateuque à Moïse, en conformité avec les croyances de ses contemporains. Dès lors, pour un fondamentaliste biblique, il n'est plus possible d'attribuer une autre source au Pentateuque. Jésus a validé la tradition de son époque dans la Bible, donc cette tradition était vraie.
Voici ce que peut produire l'autorité théologique des Témoins de Jéhovah appelée par eux
Collège Central, et ce en rapport avec le problème complexe de la paternité des écrits du Pentateuque. Cet article intitulé
« Qui a écrit le Pentateuque ? » est paru dans leur revue
"Réveillez-vous !" datée du 22 avril 2004.
Il est intéressant à plus d'un titre.
Nous allons voir comment la Société Watchtower entend présenter à ses lecteurs souvent acquis à sa cause, un point de vue adverse à sa théologie. On pourra ensuite étudier comment elle répond à la théorie présentée, et avec quelles références.
Tout d'abord, abordons rapidement une question, à savoir comment la Watchtower présente son point de vue dans cet article.
Elle déclare au début :
« La tradition attribue à Moise les cinq premiers livres de la Bible, ou Pentateuque. »
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Notez ici un point important, car d'habitude pour les Témoins de Jéhovah, ce n'est pas la tradition mais la Bible qui fait autorité. Pour les Témoins de Jéhovah, la tradition est un terme souvent péjoratif, vécu comme contraire aux écritures, les hommes ayant préféré leurs traditions à l'enseignement biblique. Ainsi Jésus critiquait les pharisiens de son époque pour « leurs traditions », de même les Témoins de Jéhovah critiquent les autres religions chrétiennes pour « leurs traditions contraires aux Saintes Ecritures » telle que la Trinité, l'immortalité de l'âme.
En dehors des écrits du Nouveau Testament qui reprennent sans les changer les traditions de l'époque, nulle part la Bible n'identifie l'auteur des cinq premiers livres de la Bible. Certes ces cinq livres et particulièrement les quatre derniers décrivent la vie du peuple d'Israël sous la conduite de Moïse, mais il n'est pas dit expressément que c'est Moïse qui les a écrits ou en tout cas qui les a compilés sous la forme que nous connaissons.
Ici la société Watchtower reconnaît sans s'y attarder qu'en dehors de la tradition juive reprise par Jésus, elle n'a aucune preuve pour attribuer la paternité du Pentateuque à Moïse.
L'auteur de la Société Watchtower fait néanmoins une concession :
« Moise a peut-être puisé ses renseignements dans des sources historiques plus anciennes. »
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Notez bien le « peut-être » . En effet même pour la chronologie jéhoviste de la Bible, Moïse a vécu près de 2500 années après le premier homme Adam dont il est censé avoir écrit l'histoire dans le livre de la Genèse. Il faut bien qu'il ait basé son récit sur quelque chose de solide pour rapporter des évènements si éloignés de son temps. Dès lors, par cette phrase qui semble anodine, la Société Watchtower évoque, sans l'aborder de front, une des critiques à sa théorie.
http://www.aggelia.be/balle.gif1. Comment la société Watchtower présente la théorie des documentsNous lisons la suite de l'article :
« Toutefois, de nombreux critiques pensent qu'il n'est en rien l'auteur du Pentateuque. " II est plus clair que le jour [...] que ce n'est point Moïse qui a écrit le Pentateuque ", affirmait au XVIIe siècle le philosophe Spinoza. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le bibliste allemand Julius Wellhausen rendit populaire la théorie " documentaire ", selon laquelle les livres de Moïse auraient été un amalgame des oeuvres de plusieurs auteurs ou équipes d'auteurs. »
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Notez ici le résumé de la théorie. Il n'est rapporté ici que les affirmations de Spinoza et à aucun moment
les raisons qui ont amené Spinoza à ne plus croire que Moïse était l'auteur du Pentateuque. De la manière dont est présentée l'affaire, il semble que Spinoza ait eu juste envie de douter de l'autorite de Moïse.
Nous sommes dès lors obligés de combler le manque de l'article de
"Réveillez-vous !".Qu'est ce qui a pu faire douter Spinoza et bien d'autres avant ou après lui ?
Nous venons déjà de voir que Moïse a rapporté des évènements qui sont censés avoir eu lieu 2500 années avant lui, voici un point qui a fait douté Spinoza. Comment Moïse pouvait-il être au courant de ces faits ? Les Témoins de Jéhovah pensent donc que Moïse a pu utiliser des rouleaux postérieurs à lui. Ce qui est intéressant avec ce point de vue, c'est qu'en fait la théorie documentaire ne fait qu'élargir cette idée à tout le Pentateuque et pas seulement à la Genèse, dès lors comment les Témoins de Jéhovah peuvent-ils tracer une frontière entre ce qui est vraiment de la main de Moïse, de ce qui n'est qu'un écrit compilé ?
Le fait que le Deutéronome décrive la mort de Moïse au chapitre 34 est aussi éclairant. Moïse ne pouvait pas rapporter sa propre mort. Les Témoins de Jéhovah pour résoudre ce problème suivent l'avis du Talmud qui pense que Josué aurait écrit ce chapitre.
Les Témoins de Jéhovah sont donc prêts à accepter que le livre de la Genèse ne soit qu'une compilation faite par Moïse et que la fin ne vienne pas de Moïse. Reste à comprendre pour quelles raisons ne veulent-ils pas que le reste subisse le même traitement en dehors de l'avis de Jésus qu'ils citent régulièrement.
Car le point important est là. En plein coeur du Pentateuque, et pas seulement au début ou à la fin, on trouve aussi des traces de compilation du texte par d'autres auteurs que Moïse. Un exemple parmi d'autres qui nous vient du rabbin Abraham Ibn Ezra, l'inspirateur de Spinoza et que je tire de l'excellent livre de Jean Louis Ska intitulé
Introduction à la lecture du Pentateuque> (p. 149)
: « Le livre du Deutéronome abonde en difficultés. Quand il est dit en Deutéronome 1,1: 'Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël,
de l'autre côté du Jourdain', l'auteur de ces paroles doit se trouver dans la terre promise, c'est à dire l'actuelle Cisjordanie. Or, Moïse est toujours resté en Transjordanie. »
On peut ajouter aussi que Moïse parle ici de lui à la troisième personne au lieu d'utiliser comme d'autres prophètes dans la Bible le « Je » . Les Témoins de Jéhovah prétendent qu'il parlerait ainsi en raison de sa grande humilité, néanmoins on se rend compte ici que son humilité l'a poussé même à se délocaliser en terre promise, endroit où selon la Bible Dieu ne lui a pas permis de mettre les pieds durant toute sa vie !
Ceci n'est qu'un exemple pour illustrer les raisons qui ont poussés certains biblistes à la suite de Spinoza, à proposer l'idée de plusieurs sources ayant servi à la composition du Pentateuque.
Pour illustrer plus précisément les nombreux problèmes rencontrés dans le texte du Pentateuque, citons trois versions
différentes de la même loi, la loi sur les esclaves.
Je vais vous citer les trois passages du Pentateuque concernant cette loi, il va falloir prendre le temps de lire ces trois passages, de les comparer
par vous-même dans un premier temps, pour voir si vous en apercevez vous-même les différences. Ensuite, vous pourrez lire les questions qui vous orienteront clairement vers les différences entre ces versions.
Citons d'abord les trois passages tirés de la Bible Segond :
Exode 21:2-112 Si tu achètes un esclave hébreu, il servira six années; mais la septième, il sortira libre, sans rien payer.
3 S'il est entré seul, il sortira seul; s'il avait une femme, sa femme sortira avec lui.
4 Si c'est son maître qui lui a donné une femme, et qu'il en ait eu des fils ou des filles, la femme et ses enfants seront à son maître, et il sortira seul.
5 Si l'esclave dit: J'aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas sortir libre,
6 alors son maître le conduira devant Dieu, et le fera approcher de la porte ou du poteau, et son maître lui percera l'oreille avec un poinçon, et l'esclave sera pour toujours à son service.
7 Si un homme vend sa fille pour être esclave, elle ne sortira point comme sortent les esclaves.
8 Si elle déplaît à son maître, qui s'était proposé de la prendre pour femme, il facilitera son rachat; mais il n'aura pas le pouvoir de la vendre à des étrangers, après lui avoir été infidèle.
9 S'il la destine à son fils, il agira envers elle selon le droit des filles.
10 S'il prend une autre femme, il ne retranchera rien pour la première à la nourriture, au vêtement, et au droit conjugal.
11 Et s'il ne fait pas pour elle ces trois choses, elle pourra sortir sans rien payer, sans donner de l'argent.
Deutéronome 15:12-1812 Si l'un de tes frères hébreux, homme ou femme, se vend à toi, il te servira six années; mais la septième année, tu le renverras libre de chez toi.
13 Et lorsque tu le renverras libre de chez toi, tu ne le renverras point à vide ;
14 tu lui feras des présents de ton menu bétail, de ton aire, de ton pressoir, de ce que tu auras par la bénédiction de l'Éternel, ton Dieu.
15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte, et que l'Éternel, ton Dieu, t'a racheté; c'est pourquoi je te donne aujourd'hui ce commandement.
16 Si ton esclave te dit : Je ne veux pas sortir de chez toi, -parce qu'il t'aime, toi et ta maison, et qu'il se trouve bien chez toi,
17 alors tu prendras un poinçon et tu lui perceras l'oreille contre la porte, et il sera pour toujours ton esclave. Tu feras de même pour ta servante.
18 Tu ne trouveras point dur de le renvoyer libre de chez toi, car il t'a servi six ans, ce qui vaut le double du salaire d'un mercenaire; et l'Éternel, ton Dieu, te bénira dans tout ce que tu feras.
Lévitique 25:39-4639 Si ton frère devient pauvre près de toi, et qu'il se vende à toi, tu ne lui imposeras point le travail d'un esclave.
40 Il sera chez toi comme un mercenaire, comme celui qui y demeure; il sera à ton service jusqu'à l'année du jubilé.
41 Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères.
42 Car ce sont mes serviteurs, que j'ai fait sortir du pays d'Égypte; ils ne seront point vendus comme on vend des esclaves.
43 Tu ne domineras point sur lui avec dureté, et tu craindras ton Dieu.
44 C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave et ta servante qui t'appartiendront, c'est d'elles que vous achèterez l'esclave et la servante.
45 Vous pourrez aussi en acheter des enfants des étrangers qui demeureront chez toi, et de leurs familles qu'ils engendreront dans votre pays; et ils seront votre propriété.
46 Vous les laisserez en héritage à vos enfants après vous, comme une propriété; vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à l'égard de vos frères, les enfants d'Israël, aucun de vous ne dominera avec dureté sur son frère. »
J'espère que vous avez joué le jeu. Il serait dommage de passer à côté de ce cas d'espèce. Imaginez-vous maintenant être un Israélite souhaitant posséder des esclaves et voulant se renseigner dans la loi de Moïse des modalités de cette possession d'esclave. Maintenant voici les questions toujours extraites de l'excellent livre de Jean-Louis Ska (page 69) :
«Quelle loi s'impose en matière d'esclavage ? Ainsi, faut-il libérer l'esclave après six ans (Deutéronome, Exode) ou bien quand on célèbre l'année jubilaire (Lévitique) ? Après six ans, faut-il libérer seulement l'esclave (Exode) ou bien aussi la servante (Deutéronome) ? Est-il licite d'acquérir un esclave hébreu (Exode, Deutéronome) ou est-ce interdit (Lévitique) ? »
Eh oui, ces textes ne sont pas en accord sur le moment de la libération de l'esclave, sur la possibilité de libération des femmes esclaves et sur le fait de prendre un Israélite ou pas comme esclave. Rien que çà.
C'est avec cette exemple en tête que vous comprendrez pourquoi « Wellhausen a échafaudé sa théorie » dont l'article de la Watchtower se contente de donner un résumé :
« Wellhausen affirmait qu'un de ces auteurs employait invariablement le nom personnel de Dieu, Jéhovah ; il l'a donc surnommé J. Un autre, surnommé E, parlait de Dieu comme d' " Élohim ". Un autre encore, P, aurait écrit les règles de la prêtrise dans le Lévitique, et un dernier, appelé D, aurait écrit le Deutéronome. Bien que de nombreux spécialistes aient adhéré à cette théorie pendant des décennies, Joseph Blenkinsopp, dans un livre intitulé Le Pentateuque (angl.), parle de l'hypothèse de Wellhausen comme d'une théorie " en crise ". »
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Si vous ne connaissez pas la théorie documentaire, comme sûrement la majorité des Témoins de Jéhovah qui ont lu cet article, vous ne pouvez pas noter en quoi cette présentation anodine présente encore un danger. L'auteur de la Watchtower tente d'isoler la théorie de Wellhausen du mouvement de pensée qui en a donné naissance. Un siècle
avant Wellhausen, il y avait déjà pas moins de
trois théories en présence :
- La théorie des documents qui stipule que le Pentateuque actuel a été composé à partir de plusieurs documents parallèles, complets et indépendants. (Théorie que Wellhausen approfondira mais dont il n'a pas la paternité !!)
- La théorie des fragments qui stipule qu'à l'origine existait une foultitude de textes séparés et incomplets qui ont été réunis par la suite pour faire un tout cohérent bien après la mort de Moïse.
- La théorie des compléments qui pense qu'il faille partir d'un document de base sur lequel on a greffé au fur et à mesure du temps d'autres textes. (Voir Introduction à la lecture du Pentateuque de Jean-Louis Ska pages 148-150)
Ainsi toujours Jean-Louis Ska dans son livre, présente la théorie de Wellhausen comme la théorie documentaire
classique (P.155), celle qui a fait autorité jusque dans les années 1970.(P.182), ce qui ne veut pas dire que pendant tout ce temps, il n'y ait pas eu d'autres idées et théories sur le Pentateuque. D'ailleurs le premier à avoir vraiment évoqué la séparation des sources en Elohiste et Yahviste c'est Jean Astruc, un Français, qui en 1753 publia son livre anonymement.
Pour conclure ce développement, j'aimerais encore citer Jean-Louis Ska (P.80) : « On caricature facilement une certaine analyse qui réussit à distinguer diverses sources et rédactions jusqu'au sein d'un seul verset. Il semble que les seuls outils de l'exégète soient les 'ciseaux et la colle'. Ce n'est pas tout à fait exact. Avant d'affronter les diverses théories sur la composition du Pentateuque, il faut se rendre compte qu'il existe de réels problèmes que nul lecteur sérieux ne peut ignorer. D'ailleurs, aucun exégète quelque peu attentif ne nie la présence de doublets, tensions et contradictions dans le Pentateuque.
S'il y a désaccord, c'est uniquement sur la manière d'expliquer ces phénomènes » (La mise en caractères gras n'existe pas dans le texte original).
Ainsi la présentation de la théorie des documents faite par la Société Watchtower est lacunaire, ni elle n'explique pourquoi les exégètes en sont arrivés là, ni elle n'explique vraiment la diversité des théories en présence. On peut se douter des raisons qui l'ont poussée à agir ainsi. En étant laconique sur les problèmes que pose le Pentateuque, la Société Watchtower n'a pas à répondre à ces problèmes insurmontables pour une vision fondamentaliste de la Bible comme la sienne, en isolant Wellhausen, si on lui trouve des critiques, et forcément il y aura des critiques puisqu'il s'agit d'une théorie parmi d'autres. Alors c'est l'ensemble de la théorie documentaire qu'on essaie de discréditer.
Comment la Société Watchtower critique la théorie documentaireUne fois que l'on a présenté de manière simpliste les idées de nos adversaires, il est bien plus facile de les contredire. Pour la société Watchtower l'unique argumentation de Wellhausen et même
l'unique preuve du travail de plusieurs auteurs dans la formation du Pentateuque se matérialise dans la présence du nom de Dieu ou pas dans un passage biblique, ou des différences de styles rencontrées. Les exemples que j'ai cité sont ignorés car bien plus problématiques.
Tout comme pour la théorie de l'évolution, la société Watchtower mélange les faits de la théorie. Dans notre cas, les faits, ce sont les contradictions du Pentateuque, et les traces de rédaction postérieures à Moïse dont j'ai présenté deux exemples. La théorie, et particulièrement celle de Wellhausen, c'est le découpage en documents ou fragments ou compléments suivant les avis de l'exégète qui présente sa théorie. Vous l'avez donc compris ; quand Blenkinsopp, cité par l'article de la Watchtower, parle de la théorie de Wellhausen comme une théorie en crise, il ne pense pas qu'il n'y ait pas différentes sources dans le Pentateuque, il pense que Wellhausen s'est trompé dans son découpage, dans sa vision de documents séparés, etc...
Et pour cause, Blenkinsopp, le seul auteur moderne cité (1992) dans l'article de la Watchtower, est aussi une référence fréquemment citée du livre de Jean-Louis Ska. Dans une note en bas de page, Jean-Louis Ska présente même l'avis de Blenkinsopp, et évidemment il ne croit pas que Moïse soit le seul et unique auteur du Pentateuque (P.194) :
« [Blenkinsopp] (
Pentateuch pp.229-243) pense que le Pentateuque est composé de deux 'strates', l'une de type deutéronomiste, et composée selon le modèle de l'histoire deutéronomiste et l'autre d'origine sacerdotale. Il fait également référence à l'ouvrage de P. Frei et à l'autorisation impériale perse pour expliquer l'origine du Pentateuque actuel. »
Si l'auteur de la Watchtower a vraiment lu le livre de Blenkinsopp qu'il cite, il connaît parfaitement l'avis de celui-ci. A vrai dire, en lisant les nombreuses notes en bas de page du livre de Jean-Louis Ska, on arrive à savoir le contenu du livre de Blenkinsopp puisqu'il y est abondamment cité. Toutes les informations données dans cette page sont contenues dans le livre de Blenkinsopp.
Je vous laisse juger par vous-même de l'honnêteté intellectuelle de l'auteur de l'article de la Watchtower.
L'article poursuit :
Dans Introduction à la Bible (angl.), John Laux fournit l'explication suivante: " La théorie documentaire se fonde sur des idées qui sont soit arbitraires, soit entièrement fausses. [...] Si cette théorie extrême (la théorie documentaire) était fondée, les Israélites auraient été les victimes d'une tromperie absurde lorsqu'ils se sont laissé imposer le lourd fardeau de la Loi. Cela aurait été le plus grand canular de l'Histoire. "
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Notez d'abord l'argumentation ici en présence. Il ne s'agit que d'affirmations. En effet on aimerait que John Laux nous explique en quoi les idées de la théorie documentaire sont « soit arbitraires, soit entièrement fausses. »
John Laux a tout à fait le droit, tout comme les Témoins de Jéhovah, de critiquer la théorie documentaire, et de ne pas y croire, néanmoins s'il veut être pris au sérieux, il faut qu'il argumente et pas seulement qu'il affirme.
Le livre cité est un classique du catéchuménat catholique outre-Atlantique. Ce livre a été publié en 1932. Il n'est donc pas tout jeune.
Outre qu'il n'apporte aucun argument, on peut noter ceci en ce qui concerne la position de l'Eglise Catholique sur la théorie documentaire :
« N'oublions pas que, au sein de l'Eglise Catholique, la
Bible de Jérusalem, dans sa première édition de 1956, fut la première Bible et le premier ouvrage d'exégèse qui put parler ouvertement, et avec l'
imprimatur, de la théorie documentaire. » (
Introduction à la lecture du Pentateuque Jean-Louis Ska. - P. 178). Il n'est dès lors pas très étonnant de lire qu'un catholique de 1932 était opposé à cette théorie, son église donnera l'autorisation d'en parler et d'y croire en 1956.
En dehors de citer une autorité qui pense comme la société Watchtower et faire du remplissage, cette citation est inutile. Il est particulièrement étonnant de voir comment la société Watchtower critique amèrement les auteurs et théologiens catholiques quand ils sont en désaccord avec ses points de vue, et comment ils deviennent des autorités importantes quand ils sont d'accord avec elle !
L'article dit encore :
« Les différences stylistiques à l'intérieur du Pentateuque sont un autre argument avancé en faveur de la multiplicité des auteurs. À cela, voici ce que rétorque Kenneth Kitchen dans L'Orient ancien et l’Ancien Testament (angl.) : " Les différences stylistiques sont insignifiantes et ne font que suivre les différences de contenus. " On trouve des variations de style semblables " dans des textes anciens dont l'unité littéraire ne fait aucun doute ". »
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Remarquez les deux arguments qui fondent la théorie documentaire selon les Témoins de Jéhovah : les différences de styles, et les variations des noms de Dieu. On ne peut qu'être d'accord avec eux, des variations de style ou de noms ne sont pas des preuves d'auteurs différents.
Le problème vient du fait que l'auteur de la Watchtower confond les preuves d'avec les indices. Les preuves, ce sont les nombreux exemples de contradictions dont j'ai présenté deux cas, on peut en examiner bien d'autres dans le livre de Jean-Louis Ska. Les indices, c'est une fois que nous savons qu'il y a plusieurs sources, fragments ou ajouts et comment arriver à les identifier. Il est clair que les indices ne peuvent devenir des preuves. Les indices sont subjectifs et critiquables, et les exégètes n'ont pas attendus les Témoins de Jéhovah pour critiquer les différentes théories sur la constitution du Pentateuque.
Kenneth Kitchen a écrit son livre en 1966. Il a été égyptologue à l'université de Liverpool, il est depuis à la retraite. Il s'est manifesté par l'écriture de plusieurs livres pour défendre la littéralité de la Bible au point même de chercher la localisation exacte du Jardin d'Eden dans son dernier livre.
On peut donc le qualifier d'auteur « fondamentaliste » ou au moins « conservateur ».
Comme je le disais il ne faut pas confondre les preuves de différents rédacteurs dans le Pentateuque d'avec les pistes ou les indices qui nous pourrions utiliser pour chercher à délimiter les différents textes.
Les arguments de Kenneth Kitchen sur les différences de styles sont contenus dans les pages 118 à 125 de son livre. Il y cite un texte égyptien officiel de -1400 avant notre ère qui contient des parties narratives, un hymne de victoire, des résumés ainsi que deux « refrains » différents apparaisssant à différents endroits du texte. Si la théorie documentaire ne se basait que sur ce genre d'arguments, évidemment Kenneth Kitchen et les Témoins de Jéhovah auraient sûrement raison. Malheureusement Kitchen, tout comme les Témoins de Jéhovah, utilise un « homme de paille ». Ce n'est pas là-dessus que repose cette théorie. Il est facile de redéfinir l'argumentation de son adversaire pour pouvoir plus facilement la contredire. C'est ce que fait ici l'auteur de
"Réveillez-vous !".
L'article continue :
« L’argument selon lequel l'emploi de noms et de titres différents pour désigner Dieu serait la preuve de la multiplicité des auteurs est particulièrement léger. Ne serait-ce que dans une courte portion de la Genèse, Dieu est appelé " Dieu TrèsHaut ", " Celui qui a produit le ciel et la terre ", "Souverain Seigneur Jéhovah Dieu de vision ", " Dieu Tout-Puissant ", " Dieu vrai Dieu " et " le Juge de toute la terre ". (Genèse 14:18, 19 ; 15:2 ; 16:13; 17:1, 3,18; 18:25.) Ces versets ont-ils pour autant été écrits par différents auteurs ? Que dire encore de Genèse 28:13, où les termes" Élohim " (Dieu) et " Jéhovah " sont utilisés conjointement ? Deux auteurs ont-ils collaboré à l'écriture de ce seul verset ? La faiblesse de cette argumentation se révèle particulièrement évidente si on l'applique à un ouvrage contemporain. Dans un livre récent "C.."sacré à la Deuxième Guerre mondiale, le chancelier allemand est désigné par le terme " Führer ", " Adolf Hitler " et " Hitler " tout court en l'espace de quelques pages seulement. Qui oserait prétendre qu'il faille y voir l'œuvre de trois auteurs différents ? »
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Nous sommes toujours dans la caricature de la théorie. Dès lors il est facile d'avoir raison. Notons seulement que les théories documentaires en vogue actuellement retiennent de moins en moins ce critère de nom divin comme
indice d'une source ou d'un fragment distinct. Il faut d'ailleurs noter au passage que certains textes classés comme faisant partie de « l'élohiste » comportaient déjà le tétragramme: Autant dire que ce critère n'a jamais été le critère définitif du choix de classement d'un passage biblique dans tel ou tel document, ce que semble ne pas comprendre l'auteur jéhoviste.
On peut tenter de faire un résumé des méthodes qu'utilisent les exégètes pour classer les versets bibliques dans tel ou tel document. Si effectivement l'utilisation du nom divin, ou les différences de style sont des critères ou des indices, le livre de Jean-Louis Ska dresse une liste n'incluant pas ces critères en premier. Il note par exemple les effets de « reprise », de « repère linguistique »,, d' « insertion rédactionnelle », de « doublets à l'intérieur d'un même récit » comme l'histoire de Joseph en Genèse 37, ou de « différentes versions d'un même événement comme le triple récit de l'épouse/soeur (Genèse 12:10-20 ; 20:1-18 ; 26:1-11). Enfin et surtout les variations théologiques entre les passages est aussi un critère de choix. Notons enfin que beaucoup de théories n'essayent pas de classer tout le Pentateuque dans tel ou tel document, car pour ces théories, ce sont de nombreux fragments qui sont à l'origine du Pentateuque et il serait trop fastidieux de les classer.
Tout cela mérite bien plus qu'une simple page Web ou qu'un simple article dans un
"Réveillez-vous !".
Dès lors, si cela vous intéresse vraiment, l'achat d'un livre comme celui de Jean-Louis Ska s'impose. Non seulement vous aurez un aperçu de toutes les difficultés que pose le Pentateuque mais vous aurez aussi un résumé des différentes théories passées et présentes.
Etudions la conclusion de l'auteur de
"Réveillez-vous !" :
Et pourtant, des variations sur les théories de Wellhausen continuent de proliférer. Parmi celles-là, une théorie proposée par deux exégètes concerne le dénommé J. Selon eux, non seulement il ne s'agit pas de Moïse, mais en plus " J était une femme ".
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L'auteur de cet article sait pertinemment s'il a lu la source qu'il a cité, à savoir le livre
Pentateuch de Blenkinsopp, que la théorie documentaire ne se limite pas à croire que les différences de styles et les variations du nom divin dans le Pentateuque sont des preuves de différentes sources. Dès lors il devrait comprendre que ce n'est pas en critiquant à juste titre ces deux arguments que l'on pourra éradiquer la théorie documentaire.
Néanmoins l'auteur de
"Réveillez-vous !" va plus loin dans sa tentative d'égarer ses lecteurs.
Il cite une théorie complètement farfelue, et essaye de faire croire que cette théorie est en vogue dans les milieux de l'exégèse. Il va d'ailleurs jusqu'à affirmer que les auteurs de cette théorie seraient des « exégètes ».
Autant le dire toute suite, cette théorie n'est pas reprise par les exégètes sérieux. Jean-Louis Ska faisant un point de toutes les théories en cours, n'en fait aucune mention. Et pour cause, une simple recherche sur Internet révèle l'affaire.
Il s'agit d'un livre de 1990, écrit par Harold Bloom intitulé
The Book of J , la traduction du Pentateuque étant effectué par David Rosenberg. Notez déjà un simple détail mais qui en dit déjà long sur l'érudition de l'auteur de
"Réveillez-vous !", David Rosenberg n'est responsable que de la traduction (très médiocre selon certains textes sur le net) et pas de la théorie selon laquelle l'auteur de J est une femme.
Harold Bloom n'a jamais été un exégète. Il est professeur de Sciences Humaines à l'Université de Yale. De lui-même, dans son livre, il reconnaît qu'il n'a jamais été un chercheur dans le domaine de la Bible. Au contraire, il semble même avoir émis des critiques envers « les théologiens ». De son propre aveu, il a essayé de provoquer un choc avec sa théorie. Et effectivement son livre s'est vendu par millions aux Etats-Unis.
En conclusion :
Quand une théorie ne nous plaît pas, il suffit de la caricaturer, de critiquer aisément la caricature que l'on a produite. Enfin, il ne faut pas oublier d'en rajouter à la fin dans la caricature quitte à transformer la théorie qui ne nous plaît pas en stupidité la plus crasse. L'auteur du
"Réveillez-vous !" a réussi à faire cela en ce qui concerne la théorie documentaire. Là où il n'a aucune excuse, c'est que s'il a lu ce qu'il cite, il sait très bien ce qu'il fait. C'est tout simplement du mensonge. Cela surprendra le fidèle Témoin de Jéhovah, pas vraiment ceux qui suivent l'histoire de ce mouvement depuis le début.