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La Tour de Babel :: l'origine de l'empire mondial des religions

    Initiation à l'étude des religions du Livre

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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:10

    Rappel du premier message :

    Initiation à l'étude des religions du Livre


    Chapitre I: Histoire d'Israël

    Selon l'Ancien Testament, Israël est l'ensemble de douze tribus. Le nom est présenté sous la forme d'une personnification d'un personnage dont le nom, Jacob, est changé en Israël et qui apparaît comme étant le père des douze ancêtres des tribus (Gen. XXXII,29). Il est toutefois impossible de reconstituer l'histoire du nom. Celui-ci est composé du nom El et d'un terme sémitique signifiant "lutte".

    Isaac, fils d'Abraham, prit Rebecca pour femme et enfanta à l'âge de 60 ans deux enfants jumeaux: Esaü qui naquit le premier, suivi de Jacob (Gen. XXV). Jacob épousa deux soeurs: l'aînée, Léa, qui lui donna six fils et la cadette Rachel qui lui donna deux fils. En outre Jacob eut deux fils avec Bala, la servante de Rachel et deux fils avec Zephara, la servante de Léa (Gen. XIX-XXV,18).

    La plus ancienne mention du nom "Israël" apparaît sur une stèle dans la nécropole des pharaons à Thèbes (se trouve maintenant au Musée égyptien du Caire). Sur cette stèle, il y a 27 lignes à la gloire du Pharaon Menephta (-+1225) s'emparant de quelques villes palestiniennes et détruisant "Israël". À côté du mot "Israël" se trouve le signe idéographique de "peuple étranger".


    I. Situation avant la constitution de la Ligue des douze tribus

    A. Nos sources


    En dehors de l'Ancien Testament, nos sources sont peu nombreuses.

    1. Textes égyptiens de la XIIe dynastie (vers 1.800 av. J.C.) sur tessons d'argile mentionnant les ennemis de l'Égypte, notamment ceux de l'Asie voisine: la Palestine, la Phénicie. On y trouve des indications d'ordre ethnique, des noms de princes et de localités.

    2. Textes de Mari: Ce sont les archives des rois de Mari (ancienne ville du moyen Euphrate), contenant des textes juridiques et économiques, ainsi que la correspondance politique des rois de Mari avec leurs voisins proches ou lointains. Ces renseignements concernent la Syrie, mais pas la Palestine.

    3. Textes d'Amarna (400 tablettes trouvées en 1887) dans les restes d'une résidence du pharaon Amenophis IV (1375-1358). Il s'agit de la correspondance du Pharaon et de son prédécesseur avec les peuples d'Asie, écrite en caractères babyloniens sur tablettes d'argile. On y trouve des renseignements détaillés sur la politique, les événements contemporains, les populations et la vie en Palestine et en Syrie. C'est l'une des sources importantes de la préhistoire d'Israël.

    4. Textes de Ras-Shamra (découverts en 1929-1939 dans les ruines de l'ancienne ville d'Ugarit sur la côte en face de Chypre). L'écriture est cunéiforme alphabétique (29 caractères). On est assez loin d'Israël ; on y trouve donc peu de renseignements directs sur Israël même, mais une information utile pour comprendre le milieu préhistorique.

    Nous devons donc prendre la plupart de nos informations dans les récits de l'Ancien Testament. L'histoire de l'Ancien Testament est elle-même très complexe.


    B. Les textes bibliques

    a. Récits yahvistes


    (Dieu y est appelé YHVH, Yahvé):

    Ces premiers récits furent sans doute mis par écrit vers le milieu du Xe siècle, à l'époque de Salomon, dans le Royaume du Sud. Ils débutent par les traditions sur la création du monde, traditions empruntées aux grandes épopées mésopotamiennes. Ils retracent ensuite l'histoire jusqu'à celle des Royaumes de David et de Salomon, en passant par l'histoire des Patriarches, des douze tribus et des peuples voisins. Dieu est très humain et souvent présenté comme un homme, quoique tout autre, car il commande et le péché de l'homme, c'est de désobéir et de vouloir se prendre pour Dieu. Cela lui attire la malédiction divine. Toutefois Dieu est toujours prêt à pardonner.

    Il faut remarquer qu'à l'époque des Patriarches, Dieu n'est pas encore appelé Yahvé, mais est évoqué sous le vocable "El", nom générique signifiant "dieu" ou "divinité". C'était aussi le nom du chef du panthéon des dieux de Canaan. Il se retrouve dans des noms donnés par les Patriarches pour évoquer le dieu qu'ils vénéraient:

    El-Chaddai: le dieu de la montagne,
    El-Elyon: l'Exalté
    El-Olam, dieu de l'Éternité ou l'Éternel.

    On le retrouve aussi dans de nombreux noms de lieu comme Bethel, la maison de Dieu et aussi dans Israël.

    Le nom de Yahvé a été révélé à Moïse: "Je suis Yahvé. Je suis apparu à Abraham, Isaac et Jacob, mais sous mon nom de Yahvé, je ne me suis pas fait connaître d'eux" (Exode 6:3).

    Sources possibles du récit yahviste:

    * Épopée d'Atra-Hasis (le très intelligent) dont une copie datant de 1600 av. J.C. fut trouvée à Babylone. Elle nous raconte que les dieux fatigués par toutes les corvées qu'ils ont à assumer ont créé l'homme avec de l'argile mélangée avec le sang d'un dieu égorgé. Mais l'humanité prolifère et fait tellement de bruit que les dieux lui envoient des fléaux et finalement le déluge pour l'anéantir. Mais Éa avertit un homme qui construisit un bateau et y fit monter un couple de tous les animaux.

    * Poème Enouma Elish (Lorsqu'en Haut) (datant de 1100 av. J.C.): Au début de tout, il y avait deux principes sexués, Apsou, les eaux douces, et Tiâmat (tehôm, l'abîme), les eaux salées de la mer. De là sortirent les dieux que Tiâmat voulut tuer. Mardouk vainquit Tiâmat et la sépara en deux comme une huître pour en faire la voûte céleste. Puis Mardouk créa l'homme à partir du sang d'un dieu révolté.

    * Épopée de Gilgamesh, écrite à l'époque de Sumer, puis développée en Assyrie et en Babylonie ; elle fut recopiée en Palestine et chez les Hittites. Gilgamesh qui a vu mourir son ami Enkidu découvre l'horreur de la mort et cherche la plante d'immortalité. Quand il l'a découverte, elle lui est dérobée par un serpent et Gilgamesh doit se résigner à mourir.

    b. Récits élohistes

    Dieu y est appelé Elohim, pluriel de El, dieu principal des Cananéens tel qu'il apparaît dans les textes d'Ugarit au côté de Baal, dieu de l'orage et de la pluie, et de sa soeur Anat (Astarté), déesse de la guerre. Cette histoire sainte fut rédigée vers le milieu du VIIIe siècle dans le Royaume du Nord. Les anciennes traditions sont réécrites d'une manière moins vivante car Dieu est tout autre que l'homme. Il ne peut se manifester qu'au travers de songes ou par des théophanies. D'où l'importance des prophètes dans ces récits.

    c. Tradition deutéronomiste

    Après la chute de Samarie en 722, des lévites se réfugient à Jérusalem ; ils apportent avec eux les lois rédigées dans le Royaume du Nord. Ils les organisent et les complètent. C'est la première version du Deutéronome. Sous le roi impie Manassé, le livre deutéronomiste tombe dans l'oubli. Déposé au Temple, on le retrouve en 622 sous le règne de Josias, dans la version actuelle.

    Vers 700, les deux versions Yahviste et Elohiste sont fusionnées à Jérusalem, une fusion qui est plus qu'une simple addition des deux textes, mais qui donne l'occasion de compléter et de développer les traditions. La nouvelle version ainsi créée prend le nom de "jéhoviste".

    d. Tradition sacerdotale: (livres des prêtres)

    Elle débute pendant l'exil à Babylone dans les années 587-538. Les prêtres relisent les anciennes traditions et complètent les anciens textes. Cette oeuvre semble être achevée vers 400. La version finale des cinq premiers livres de l'Ancien Testament est généralement attribuée au prêtre Esdras.

    e. Classement des livres

    Pour les Juifs, ces premiers livres portent le nom de Torah (la loi). À la suite de ceux-ci, nous trouvons les livres attribués aux prophètes de Juda et d'Israël, appelés Neviim, puis finalement les autres livres, appelés ketubim. Si nous réunissons la première lettre de ces trois mots, TNK, nous formons le mot Tanak qui est le nom de la Bible en hébreu.

    Ce classement a été adopté par la Bible oecuménique (TOB), avec à la fin les livres qui ne sont reconnus que par les catholiques sous le nom de "deutérocanoniques": Baruch, Ecclésiastique ou Siracide, Judith, 1er et 2e Macchabées, Sagesse.

    La plupart de ces livres ont été écrits en hébreu sur des rouleaux de papyrus, sauf quelques rares passages en araméen. À l'origine les voyelles étaient absentes laissant la place à plusieurs lectures. Ce n'est qu'à partir du VIIe siècle de notre ère que des savants juifs, appelés massorètes, ont fixé le sens du texte en ajoutant des points au-dessus ou en dessous des consonnes à titre de voyelles.

    Au cours des derniers siècles avant l'ère chrétienne, ces livres ont été traduits en grec pour l'usage des Juifs de la diaspora qui ne parlaient plus l'hébreu ou l'araméen. Les plus anciennes sont les traductions d'Aquila, de Symmaque et de Théodotion. La traduction la plus célèbre est appelée "la Septante". Selon la légende, elle a été réalisée par 72 savants appelés à Alexandrie et qui, travaillant séparément, ont produit la même traduction (IIIe siècle Av. J.C).

    Les originaux de ces traductions ont disparu car ils étaient aussi écrits sur des rouleaux de papyrus qui est une matière peu résistante au temps, sauf des fragments souvent très courts retrouvés dans les fouilles archéologiques. Lorsqu'un rouleau était détérioré par l'usage, on le recopiait. À partir de la fin du troisième siècle, on utilise un nouveau matériau, le parchemin, beaucoup plus résistant. Les textes sont recopiés sur des feuilles (recto verso) reliées en codex. Les deux plus anciens manuscrits conservés de cette manière datent du quatrième siècle de notre ère. Nous ne possédons donc que des copies de copies.

    * Les livres traduits en grec ont été classés en quatre parties:

    Le Pentateuque, les livres historiques, les livres prophétiques, les livres sapientiaux. Ce classement a été adopté par la plupart des bibles chrétiennes.

    D'autres versions parmi les plus anciennes ont été faites en syriaque, en copte et en latin (notamment la célèbre "Vulgate", traduction de Saint Jérôme (fin IVe-début Ve siècle).
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:21

    C. Les Manuscrits

    Avant l'invention de l'imprimerie (XIe siècle en Chine, XVe en Europe), on recopiait un texte copie par copie, chacune étant un manuscrit. Avant le quatrième siècle, les textes étaient écrits sur papyrus ou sur des tables d'argile (ostraca), matériau très fragile, ce qui explique leur disparition sauf des fragments retrouvés, fragments souvent minuscules. Ces fragments datent de la fin du IIe siècle et du troisième. À partir du quatrième siècle, on se sert du parchemin. De plus on n'écrit plus en rouleaux, mais sur feuilles qui, reliées, forment des codex.

    On dispose de plus de 4000 manuscrits intéressant le texte du Nouveau Testament, dont beaucoup sont en mauvais état. À cela il faut ajouter la masse considérable de versions que toutes les langues anciennes nous ont léguées (latin, syriaque, slavon, copte, arabe, éthiopien etc.). 167 seulement, contiennent l'ensemble du Nouveau Testament.

    Parmi ces manuscrits, deux sont du IVe siècle, deux du Ve siècle et un du VIe siècle. Tous les autres sont postérieurs, jusqu'au Moyen Age où la plupart des manuscrits ont été copiés.

    Tous ces manuscrits se regroupent par famille et semblent remonter à quatre révisions principales d'un texte antérieur qui est perdu, donc impossible à reconstituer. Certaines versions en langues anciennes peuvent se trouver plus proches de cet original que les manuscrits grecs en grands onciaux qui nous sont parvenus. Ces quatre versions sont la neutre, l'alexandrine, la syrienne et l'occidentale.

    On peut classer les différentes causes qui ont provoqué les diverses versions du texte comme suit:

    1° Erreurs involontaires ou intentionnelles:

    a. répétition involontaire d'une lettre, d'une syllabe, d'un mot ou même de tout un morceau de phrase.
    b. omission d'une ligne du fait que deux lignes se terminent par le même mot.
    c. confusions dues à des voyelles ou des diphtongues qui se prononcent de la même façon.
    e. confusion entre lettre qui dans l'écriture "onciale" (majuscule) se ressemblent.
    f. confusions dues au fait que les premiers manuscrits ne comportaient ni séparation entre les mots, ni ponctuation.

    2° Efforts d'amélioration du texte:

    a. corrections pour améliorer la prononciation, la grammaire ou le style.
    b. harmonisations de:

    - passages parallèles,
    - citations de textes de l'Ancien Testament,
    - passages du Nouveau Testament pour correspondre à des pratiques liturgiques.
    c. interpolations d'ordre exégétique ou doctrinal, suppressions ou révisions tendancieuses.


    a. Les anciens manuscrits en écriture majuscule onciale

    * Codex A (Alexandrinus), propriété du British Muséum depuis 1628. Un fac simile a été publié en 1879. Manuscrit du Ve siècle contenant toute la Bible en grec, plus deux épîtres attribuées à Clément de Rome.

    * Codex Alef (Sinaïticus) découvert par Tischendorf dans le couvent Ste Catherine du Sinaï. Manuscrit du IVe siècle, contenant tout le Nouveau Testament, plus quelques apocryphes dont la lettre de Barnabé et le Pasteur d'Hermas. Offert au Tsar de Russie en 1862.

    * Codex B (Vaticanus), le plus ancien et le plus précieux, publié sous la forme d'un fac simile en 1889 et 1904. Manuscrit du IVe siècle, remarquablement exempt des traditions postérieures, principal témoin du texte primitif.

    * Codex C, palimpseste du Ve siècle. Le texte original et incomplet de la Bible a été effacé et le manuscrit utilisé par Ephrem-le-Syrien pour écrire une exégèse des Évangiles, en fait une Harmonie évangélique de Tatien, devenu chrétien en 150. Tischendorf a pu reconstituer le texte original. Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris.

    * Codex D offert à l'Université de Cambridge par Théodore de Bèze. Le texte grec se trouve sur la page de gauche et la traduction latine sur celle de droite. Ce manuscrit du VIe siècle ne contient que les Évangiles et les Actes.

    b. Les Fragments

    Il y a actuellement un grand débat sur la datation des fragments dont certains ne sont pas plus grands qu'un timbre poste et ne contiennent par conséquent que quelques lettres. On pensait détenir le plus ancien de ces fragments, à savoir un fragment de l'Évangile de Jean, conservé dans la bibliothèque universitaire John Rylands de Manchester, et que l'on datait du premier quart du IIe siècle (120-125).

    D'autre part, on était aussi persuadé que les fragments de rouleaux étaient beaucoup plus anciens que les fragments de codex, ceux-ci étant sensés être utilisés beaucoup plus tard. Aussi lorsque le pasteur Charles Huleatt découvrit à Louxor trois petits fragments, il les data de la fin du IIIe siècle, car ils étaient écrits recto-verso et appartenaient donc à un codex. Ces fragments très petits (4,1 x 1,2 cent. ; 1,6 x 1,6 ; 4,1 x 3) furent envoyés en 1901 à l'université Magdalen à Oxford où ils furent conservés sans éveiller beaucoup d'intérêt. Ils furent réétudiés en 1994 par un savant allemand qui estima que ces fragments provenant du chapitre XXVI de Matthieu étaient en réalité des morceaux d'un codex datant des années 60. Il existe à Barcelone, deux autres fragments provenant du même codex, semble-t-il. Si tout cela est vrai, il faut revoir complètement la théorie généralement admise sur la date de la rédaction des deux premiers Évangiles.

    De même, certains experts croient pouvoir identifier des fragments de rouleaux trouvés dans la grotte n° 7 à Qum'ran, comme provenant l'un de l'Évangile de Marc, l'autre de la lettre de Paul à Timothée. Or, il semble que la grotte ait été abandonnée en 68, lors de la conquête de la région par les Romains, et n'ait plus été occupée depuis. Si ces identifications sont correctes et si on retient l'hypothèse que les grottes de Qum'ran n'ont plus été occupées après 68, cela signifie que l'Évangile de Marc est plus ancien qu'on ne le pense généralement et que les esséniens de Qum'ran étaient plus multiculturels qu'on ne l'a admis jusqu'ici, puisqu'ils auraient possédé des écrits chrétiens.

    Tout cela montre que le débat sur les origines du christianisme est loin d'être clos et que toutes les hypothèses avancées sont bien fragiles.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:21

    D. La constitution du canon du Nouveau Testament

    Les premiers chrétiens n'avaient aucune intention d'écrire un Nouveau Testament. 

    Les épîtres écrites par les premières personnes ayant une certaine autorité spirituelle sont des conseils, des exposés de doctrines, voir des éléments de liturgie que les communautés qui les reçurent, utilisèrent pour les lire, les étudier et les mettre en application. Il en est de même des récits qui vont constituer les Évangiles et les Actes des apôtres. Tous ces documents font référence à l'Écriture Sainte qui est l'Ancien Testament.

    Ce n'est qu'au cours de la première moitié du IIe siècle que l'idée de constituer un Nouveau Testament va naître chez des hérétiques pour l'opposer à l'Ancien Testament:

    * Basilid(entre 117 et 138) est le premier à citer des textes qui feront plus tard partie du Nouveau Testament, comme étant l'Écriture.

    Marcion (140) veut former un corpus composé de textes pauliniens (10 Épîtres) et lucaniens (l'Évangile de Luc) dans le but avoué de rejeter l'Ancien Testament comme étant l'oeuvre du dieu mauvais qui a créé le monde.

    * Heraclion (disciple de Valentin, 170) écrit un commentaire d'un écrit canonique.

    Avant l'an 200, deux corpus commencent à circuler:

    a. Corpus paulicum (lettres de Paul),

    b. Corpus evangelicum (les Évangiles).

    * Tatien (disciple de Justin, 150-160) écrit le Diatessaron, une harmonie évangélique des quatre Évangiles canoniques. Par la suite on ajouta les Épîtres catholiques et l'Apocalypse fera son apparition. Il faut noter que les écrits apocryphes ne perdent pas rapidement leur influence. Clément d'Alexandrie (vers 150-211/216) cite encore les Traditions de Matthias et l'évangile des Hébreux.


    Fragment de Muratori: Ce manuscrit du VIIIe siècle recopie la liste des livres reçus à la fin du IIe siècle. Cette liste contient les textes du Nouveau Testament sauf:

    - Épître aux Hébreux

    - Épître de Jacques

    - 3e Épître de Jean

    - Les deux Épîtres de Pierre

    - Apocalypse de Jean

    La liste contient le Pasteur d'Hermas et l'on ajoute: Nous recevons également les apocalypses de Jean et de Pierre, que certains d'entre nous ne veulent pas qu'on lise à l'Église. À cette époque, il y a donc déjà une fusion entre les corpus paulicum et evangelicum.

    * Origène (183/186-252/254) établit une liste d'Écrits qu'il classe en quatre catégories:

    1° Les livres incontestés:

    - Les quatre Évangiles.

    - Le corpus paulinien.

    2° Les livres généralement reçus:

    - Ière Épître de Pierre.

    - Ière Épître de Jean.

    - Apocalypse de Jean.

    3° Les livres douteux:

    - Épîtres de Jacques et Jude.
    - 2e Épître de Pierre.

    - 2e et 3e Épîtres de Jean.


    4° Un livre inauthentique, mais digne de Paul:

    - l'Épître aux Hébreux.



    * Eusèbe de Césarée. (265-340, évêque à partir de 313):

    1° Livres reçus:

    - Les quatre Évangiles.

    - Actes des apôtres.

    - Épîtres pauliniennes.

    - Épître aux Hébreux.

    - Les Épîtres I de Jean et de Pierre.

    - Éventuellement l'Apocalypse.

    2° Les Livres contestés:

    - Épîtres de Jacques, Jude, 2e de Pierre, 2e et 3e de Jean.

    3° Les livres apocryphes:

    - Actes de Paul.
    - Pasteur d'Hermas.
    - Apocalypse de Pierre.
    - Épître de Barnabé.
    - La Didaché.
    - Évangile des Hébreux.

    4° Livres rejetés:

    - Tous les autres.

    Ce n'est qu'à la fin du IVe siècle que l'accord se fait sur les livres actuels du Nouveau Testament, par exemple par Athanase (367), le Concile de Laodicée (360) et le Concile de Carthage. C'est toutefois lors du Concile Quinitexte (691) que le canon actuel est définitivement adopté.


    E. Conclusion

    Le message tel que Jésus l'a prêché ne nous a pas été conservé dans un document ou une série de documents écrits par lui ou par ses disciples immédiats et qui nous seraient parvenus dans leur version originelle. 

    Tout au contraire, sa prédication a été verbale et s'est diffusée oralement d'abord, ensuite par des écrits qui ont tendance à rejeter à l'arrière-plan le message primitif et à privilégier des interprétations qui iront en s'écartant de la pensée originelle au fur et à mesure du passage du temps ou en fonction de l'importance d'éléments empruntés aux concepts religieux de l'époque et aux milieux dans lesquels le message est prêché.

    Ces courants sont principalement les suivants:

    - les courants judéo-chrétiens ;
    - le courant représenté par les Évangiles synoptiques
    - le courant johannique
    - le courant paulinien
    - les multiples courants gnostiques.

    Tous ces courants donneront naissance aux textes écrits au cours de la fin du Ier siècle et au cours du deuxième siècle.

    Dès le deuxième siècle, un essai de réconciliation aura lieu, surtout entre les courants synoptique, johannique et paulinien pour former ce qu'on appelle le proto-catholicisme. Celui-ci jettera les bases de ses doctrines principales, notamment en matière de christologie, c'est-à-dire la façon de comprendre la nature du Christ Jésus, glorifié dans sa résurrection, ce qu'on appelle la foi de Pâques.

    Le courant judéo-chrétien et les courants gnostiques seront progressivement écartés, tout en ayant exercé une influence qui persistera et réapparaîtra dans les écrits jugés canoniques

    La doctrine se précisera au cours du quatrième et du cinquième siècle grâce à une série de conciles appelés oecuméniques, parce que toute la chrétienté sera invitée à y participer. L'unanimité ne se fera cependant pas, et le proto-catholicisme éclatera en de nouvelles divisions, telles que:

    - le nestorianisme insistant sur la nature humaine de Jésus,
    - le monophysisme ne retenant que sa nature divine,
    - la doctrine de Nicée-Chalcédoine, optant pour la double nature du Christ dans le cadre de la Trinité.

    Ces subdivisions principales subsistent toujours aujourd'hui, même si les deux premières sont devenues très minoritaires, sans doute parce qu'elles s'étaient développées là où l'islam s'est implanté.

    Quant au courant majoritaire de Nicée-Chalcédoine, il ne pourra pas non plus conserver son unité et éclatera en de multiples Églises se rattachant:

    - à l'Église catholique romaine,
    - aux Églises orientales rattachées à Rome, comme les Églises melkites ou uniates.
    - aux Églises orthodoxes,
    - aux Églises protestantes,
    - à l'Égilse anglicane.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:22

    II. Le Jésus historique

    Il est presque impossible de reconstituer une vie de Jésus qui corresponde à la réalité historique, malgré 35 textes, écrits entre 60 et 200. Les données que nous trouvons dans les seuls écrits chrétiens sont contradictoires et fort peu nombreuses dans les textes qui ont une certaine valeur historique (les Évangiles canoniques). Les autres sont des textes naïfs et purement imaginatifs comme les évangiles de l'enfance ou des textes spéculatifs comme l'évangile de Philippe.

    Certains historiens ont prétexté cet état de choses pour nier l'existence de Jésus. Pour eux, Jésus serait un personnage mythique créé par l'imagination humaine. [size=120]Cette thèse ne rencontre plus guère de partisans aujourd'hui et l'on peut tenir pour certain que Jésus a bien existé, même s'il est très différent du Jésus de la foi que les chrétiens des premiers siècles ont forgé.[/size]


    A. Date de naissance

    Seuls Matthieu et Luc nous parlent de la naissance de Jésus. 

    Matthieu nous dit qu'il naquit "dans les jours d'Hérode" (Matth. II, 1). Quant à Luc, il écrit qu'Elisabeth conçut au temps d'Hérode, roi de Judée et Marie conçut six mois après sa cousine (Lc I, 26, 36, 42). Il s'agit d'Hérode le Grand qui mourut en l'an 4 avant l'ère chrétienne.

    Luc nous dit encore que Jésus avait environ trente ans, la quinzième année du règne de Tibère, date à laquelle Jean le Baptiste commence à prêcher. À ce moment, Hérode Antipas est tétrarque de Galilée et Ponce Pilate est gouverneur de Judée (Lc III, 1-2).

    Il faut négliger l'information donnée par Luc concernant le recensement ordonné par Quirinus, gouverneur de Syrie. Quirinus fut nommé gouverneur de Syrie après la destitution d'Hérode Archélaüs en l'an 6. Il fut gouverneur jusqu'en l'an 12. Flavius Josèphe indique que le recensement dont il est question eut lieu en 6 ou 7 de notre ère. Luc a donc utilisé une information qu'il n'a pas vérifiée et qui était pour lui une bonne explication pour faire venir la famille de Jésus de Nazareth à Bethléem et faire naître Jésus à Bethléem. Malheureusement, l'information est anachronique.


    Jean nous donne une autre information dont on ne peut guère tirer de conclusion formelle. Jésus aurait dit aux pharisiens: "Votre père Abraham s'est réjoui d'avance de voir mon jour ; il l'a vu et il s'en est réjoui..."Réponse des pharisiens: "Tu n'as pas cinquante ans et tu as vu Abraham" (Jean VIII, 56-57).

    Si Jésus est né entre 7 et 4 avant notre ère, il avait environ 35 ans lorsqu'il commença à enseigner. C'est évidemment assez loin de cinquante ans. Mais personne ne songe à tirer de ce texte une date de naissance qui remonterait à l'an 20 ou 15 avant notre ère.

    Quant à la date du 25 décembre, elle est également fausse. En Orient, on pense plutôt à la date du 6 janvier. En fait, on n'en sait rien. La date du 25 décembre était celle de la fête du "sol invictus" (le soleil invaincu) dans l'empire romain et plus particulièrement dans le culte de Mithra. Peut-être que ce verset de l'Ancien Testament a joué en faveur du choix de cette date: "Mais sur vous, qui craignez en mon nom, se lèvera le Soleil de Justice" (Malachie, IV, 2).

    C'est au cours du VIe siècle, qu'un moine scythe du nom de Denis le Petit se livra à des calculs d'ailleurs faux, qui fixèrent le début de l'ère chrétienne. Pour la naissance de Jésus, on doit s'en tenir à une date probable située entre 7 et 4 avant notre ère.


    B. Lieu de naissance

    Matthieu et Luc nous racontent de merveilleuses histoires. Matthieu nous dit que Jésus est né à Bethléem de Juda, sans nous dire pourquoi la famille était à BethléemÀ cette occasion, des mages vinrent d'Orient parce qu'ils avaient lu dans les astres qu'un roi des Juifs était né. Ils suivirent donc une étoile pour découvrir la maison où l'enfant venait de naître. Comme Hérode craint ce nouveau roi, il ordonne le massacre de tous les nouveau-nés. Mais Joseph et Marie, avertis par un ange, s'enfuient en Egypte d'où ils reviendront pour s'installer à Nazareth. L'histoire profane ne connaît pas ce massacre des Innocents qui semble bien venir à point pour justifier la parole de l'Écriture: "J'ai appelé mon fils d'Egypte" (Osée, XI, 1).

    Quant à Luc, il ignore tout de cette histoire de mages et de massacre, car ce sont des bergers qui apprennent la naissance par des anges. Ils allèrent donc à Bethléem pour découvrir l'enfant couché dans la mangeoire d'une étable. Pour justifier la venue à Bethléem, Luc invoque le recensement de Quirinus qui, comme nous l'avons vu, n'eut pas lieu à cette date.

    Pour ceux qui avaient accepté Jésus comme étant le Messie attendu, il fallait qu'il naisse à Bethléem. "Il sera de Bethléem de Juda" (Michée, V, 1) car Bethléem était la cité de David et le Messie, son descendant, devait venir de là. Les Pharisiens connaissent bien cette tradition, aussi ne peuvent-ils accepter que Jésus soit le Messie puisqu'il vient de Galilée. "Est-ce que le Christ peut venir de Galilée ? Est-ce que l'Écriture ne dit pas que le Christ sortira de la race de David et du village de Bethléem d'où était David" (Jean VII, 40-42) ?

    Ces récits ne nous permettent pas d'affirmer que Jésus est né à Bethléem comme le veulent les deux Évangiles et la tradition. Nous devons nous contenter de dire qu'il est né quelque part en Galilée, peut-être à Nazareth. Il ne faut cependant pas déduire que Jésus est né à Nazareth parce qu'il est appelé Nazaréen.

    C. Jésus, le Nazaréen

    Cette appellation apparaît sous trois formes dans les Évangiles ; Nadzôraios, Nadzarenos et Nadzôrenos. Selon certains philologues, Nazareth (ou Nazara) aurait dû donner comme dérivés Nazarethenos ou Nazarethanos ou encore Nazarethaios. Nazareth et Nazara s'écrivaient en hébreu avec un tsadé qui est rendu en français par un Z, mais en grec par un sigma et non par un zéta.

    On a donc cherché d'autres hypothèses pour l'origine du mot Nazaréen, par exemple:

    - Netzer qui signifie le rameau, le rejeton

    - Nosri qui signifie l'observant, le gardien, le veilleur

    - Nazir qui signifie le saint, le consacré, le séparé ou le couronné.

    Les deux premiers mots s'écrivent aussi en hébreu avec un tsadé. Seul Nazir s'écrit avec la lettre zain qui est rendu en grec avec un zéta. On est en droit de se poser la question du pourquoi de cette qualification et de son importance dans les textes. La référence à l'obscure bourgade de Nazareth paraît ne pas justifier un tel titre, surtout lorsque nous comparons deux versets de l'Évangile de Marc: Viens-tu nous perdre ? Je sais qui tu es le Saint de Dieu (Marc I, 21) et "Qu'y a-t-il de commun entre moi et toi, Jésus, Fils de Dieu le Trés-Haut" (Marc V, 7). Apparemment ces trois expressions sont identiques: Nazaréen, Saint de Dieu, Fils de Dieu le Trés-Haut. Dans l'Ancien Testament, le juste, le saint est appelé Fils de Dieu (Sagesse II, 18).

    Bien sûr plus tard, en milieu grec, l'étymologie hébraïque du mot Nazaréen s'est perdueNazaréen désigne chez Luc celui qui est natif ou qui habite Nazareth (Lc I, 26)C'est à Nazareth où ses parents habitaient comme le confirme Jean: "Jésus est fils de Joseph de Nazareth" (Jan. I, 45-46).


    D. Jésus, descendant de David

    C'est encore à Matthieu et à Luc que nous devons une généalogie de Jésus qui le fait descendre de David. Cette tradition est sans doute très ancienne, car elle était déjà connue de Paul qui dit en passant "de la race de David selon la chair" (Rom, I, 3). Les généalogies données par Matthieu et Luc ne concordent pas. Celle de Matthieu est bâtie sur la symbolique de l'équilibre des parties, symbole de perfection pour les Orientaux. Quatorze générations d'Abraham à David, quatorze de David à l'exil et quatorze de l'exil à Jésus. Pour cela l'auteur n'hésite pas à supprimer des noms dans la généalogie que nous pouvons retracer par la Bible (voir la liste des rois de Juda), sans compter des erreurs comme situer la naissance de Jéchonias, fils de Josias, au temps de l'exil alors que ce dernier était mort depuis plus de vingt ans et n'était pas le père de Jéchonias, mais son grand-père.

    Luc fait remonter la généalogie de Jésus jusqu'à Adam, ce qui fait soixante dix-sept noms si l'on compte Dieu au début et Jésus à la fin, nombre également symbolique. D'Abraham à Jésus, Luc donne cinquante-six degrés alors que Matthieu n'en donne que quarante-deux. À partir de David, la généalogie passe par Nathan, second fils de David, alors que Matthieu la fait passer par Salomon.

    La réponse traditionnelle à ces discordances est qu'une généalogie donne les pères réels, tandis que l'autre donne les pères putatifs. Cela ne résout rien car entre David et Jésus Luc donne 42 noms et Matthieu 26. Cette différence de 16 générations fait environ quatre siècles.

    Les deux généalogies aboutissent finalement à Joseph qui doit être le père de Jésus afin que celui-ci soit réellement de la race de David. Les deux évangélistes n'ont donc pas relevé la contradiction entre la tradition de la généalogie davidienne et celle de la naissance virginale. Cette contradiction n'a pas manqué de frapper l'un ou l'autre copiste. Deux manuscrits (Syrus sinaïticus et un manuscrit découvert par Conybeare au Vatican) portent le texte: "Et Jacob engendra Joseph ; et Joseph auquel fut mariée la Vierge Marie, engendra Jésus". Cette version ancienne a sans doute été remaniée progressivement, comme par exemple dans le "Dialogue de Timothée et Aquila": Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie "de laquelle fut engendré Jésus, dit le Christ", et Joseph engendra Jésus, dit le Christ. Les mots entre guillemets ont manifestement été ajoutés de façon très malhabile. Dans le texte de Matthieu, cela devient: "Et Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie de laquelle fut engendré Jésus". (Matth. I, 16).


    E. La naissance virginale

    Parmi les auteurs du Nouveau Testament, il y en a trois qui manifestement ne retiennent pas cette tradition.

    Paul dit expressément que Jésus est né d'une femme (ek gynaikos, Gal. IV, 4) et non d'une vierge (ek parthenou).

    Marc présente Jésus comme le fils de Marie sans aucune allusion à Joseph sans doute parce que celui-ci n'a joué aucun rôle significatif aux yeux de Marc.

    Quant à Jean, il appelle Jésus, le fils de Joseph. "C'est Jésus, le fils de Joseph de Nazareth (Jn. I, 45) ou encore: N'est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère" (Jn. VI, 42).

    Seuls les deux évangélistes, Matthieu et Luc, ajoutent une introduction à leur Évangile sur l'enfance de Jésus.

    Matthieu nous raconte que Marie était fiancée à Joseph et qu'elle se trouva enceinte avant qu'ils n'aient cohabité. Joseph voulut répudier Marie, mais un ange lui apparut pour lui demander de n'en rien faire car "ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus" (Matth.I, 18-21). Matthieu voit en cela la réalisation de la prophétie: Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel (Isaie VII, 14). Le texte grec de la Septante porte en effet le mot vierge (parthenos), mais le texte hébreu porte le mot "halamah" dont la traduction grecque aurait dû être "neanis" (jeune femme) et non le mot "béthoulah" qui signifie vierge. Partout ailleurs dans l'Ancien Testament, "halamah" est traduit par "neanis".

    Luc reprend la même tradition dans son premier chapitre, encore que l'on s'est demandé si le texte de Luc n'a pas été interpolé. Luc raconte la vision de Marie à qui l'ange annonce qu'elle sera enceinte et qu'elle enfantera un fils, qu'elle l'appellera Jésus et qu'il montera sur le trône de David, son père. Luc reprend donc ici la tradition de la descendance de Jésus vers David par Joseph. Le verset 36 met la grossesse de Marie en parallèle avec celle d'Élisabeth. C'est une suite normale du verset 33. Entre les deux s'intercalent les versets 34-35 où Marie fait part de son étonnement en affirmant qu'elle est vierge. L'ange lui répond qu'elle sera couverte par l'Esprit saint, que son fils sera saint et appelé fils de Dieu.

    Une telle tradition était impensable en milieu juif, car les anciennes traditions sémitiques connaissant une déesse-mère, vierge, n'avaient plus d'écho en Israël au début de notre ère.

    Trois interprétations se sont développées par la suite concernant la naissance virginale:

    1° Helvidienne, soutenue par Delvidius. Jésus est l'aîné des enfants de Joseph et de Marie.

    2° Epiphanienne, soutenue par Saint Epiphane: les frères et les soeurs de Jésus sont issus d'un premier mariage de Joseph.

    3° Hiéronymienne, soutenue par Saint Jérôme. Les frères et les soeurs de Jésus sont ses cousins et cousines, enfants de Clopas, frère de Joseph, et de sa femme qui s'appelait aussi Marie.

    C'est finalement la troisième interprétation qui a prévalu dans l'Église, ce qui provoqua plusieurs controverses au sujet de la Vierge Marie. Une des plus importantes fut l'opposition au Ve siècle entre l'évêque d'Alexandrie, Cyrille et l'évêque de Constantinople, Nestorius. Celui-ci ne voulut pas reconnaître à Marie le titre de mère de Dieu (theotokos), car selon lui, elle n'était que la mère de Jésus. À la limite, il admettait qu'elle était la mère du Christ (chistotokos). Cyrille chercha l'appui de l'évêque de Rome qui, sans trop se préoccuper du fond du conflit, s'empressa de soutenir l'évêque d'Alexandrie, car Constantinople était la grande rivale de Rome comme nouvelle capitale de l'empire.

    Un concile fut convoqué à Ephèse où les évêques, partisans de Cyrille, arrivèrent les premiers. Malgré l'absence des légats romains envoyés pour arbitrer le conflit et l'absence des évêques orientaux qui n'étaient pas encore arrivés, Cyrille voulut en finir rapidement et convoqua le concile en dépit de la protestation de nombreux évêques. Une partie seulement des évêques accepta de se réunir et Cyrille fit condamner les thèses de Nestorius.

    Lorsque les évêques orientaux, partisans de Nestorius, arrivèrent, ils répliquèrent de la même manière. Toujours à la hâte et sans examiner le fond du problème, ils condamnèrent Cyrille et l'évêque d'Ephèse pour les procédés pour le moins illégaux dont ils avaient usé. Ils condamnèrent également les thèses de Cyrille. Lorsque les légats romains arrivèrent, il était trop tard. Le concile était scindé en deux et chacun siégeait sans se préoccuper de l'autre. Cette lamentable histoire est connue dans l'histoire de l'Église sous l'appellation: "Brigandage d'Ephèse". Les partisans de Nestorius se réfugièrent en Mésopotamie et en Perse où l'Église nestorienne fut florissante jusqu'à la conquête de l'islam. Les chrétiens qui vivent encore en Iran sont en majorité des nestoriens.

    Le culte de Marie se développa au cours des siècles suivants. Au VIe siècle, Grégoire de Tour laisse déjà supposer la notion de l'assomption qui ne fut érigée en dogme qu'en 1950 par Pie XII: "Marie a été préservée.... de la corruption du tombeau... et a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste."

    Dès le onzième siècle, Anselme de Bec est à l'origine de la notion d'immaculée conception. Cette notion est reprise par Pierre Abélard au XIIe siècle malgré les réticences de Bernard de Clairvaux. Finalement le dogme de l'immaculée conception fut proclamé par Pie IX en 1850: Marie "appartient pleinement au peuple des rachetés... Comme nous tous, elle a été libérée du péché et sauvée par le Christ. Mais le salut lui vint déjà, dès le premier instant de sa conception, par anticipation de la mort et de la résurrection de son fils."

    Il ne faut pas confondre le dogme de l'immaculée conception avec la conception virginale du Christ. Le dogme de l'immaculée conception concerne le fait que Marie est conçue en étant affranchie du péché originel, contrairement aux autres hommes qui sont conçus avec la marque du péché originel dont ils ne peuvent être lavés que par le baptême. La conception virginale est le fait que Marie a enfanté Jésus en restant vierge, avant, pendant et après la naissance de Jésus.

    F. La famille de Jésus

    Il est en effet question dans les Évangiles des frères et des soeurs de Jésus. Sa mère s'appelait Mariam, selon la tradition ancienne. Elle semble être rattachée à la Maison d'Aaron. Quant à Joseph, il est totalement ignoré de Marc. "N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Siméon et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous" (Marc VI, 3). Matthieu reprend le même texte, sauf qu'il dit que Jésus est le fils du charpentier (Matth. XIII, 55), ainsi que Luc (Lc IV, 22). On ne peut donc guère contester que Jésus ait eu des frères et des soeurs, car le terme grec (adelphos) ne permet pas d'autre interprétation.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:22

    G. La Résurrection

    L'analyse des informations contenues dans le Nouveau Testament doit examiner trois questions:

    - la mise au tombeau
    - la découverte du tombeau vide
    - les témoignages concernant le ressuscité.


    a. La mise au tombeau

    Les textes pris dans un ordre chronologique peuvent se résumer comme suit:

    1° Paul (1 Cor XV, 3-4): Jésus a été enseveli. Paul ne donne pas d'autre détail.

    2° Actes XIII, 29: Les Juifs descendent Jésus de la Croix et mettent le cadavre dans un tombeau.

    3° Urmarcus (reconstitution hypothétique): Jésus est mis au tombeau par un Juif, homme de bien et puissant.

    4° Marc (XV, 42-47) donne des détails supplémentaires qui s'ajoutent à l'Urmarcus:

    - le Juif est Joseph d'Arimathie, membre du Sanhédrin, qui attendait la venue du Royaume de Dieu.

    - Pilate s'étonne que Jésus soit déjà mort.

    - Présence de Marie de Magdala et de Marie de José.

    5° Matthieu (XXVII, 57-61) simplifie le récit de Marc et utilise l'Urmarcus.

    Le Juif, Joseph, est seulement un homme riche car dans la communauté de Matthieu, on aurait pu s'étonner que ce soit un membre du Sanhédrin qui ensevelisse Jésus. Pour Matthieu, Joseph est un disciple de Jésus. Matthieu précise que le tombeau appartenait à Joseph et qu'il était neuf.

    6° Luc (XXIII, 50-56) supprime l'étonnement de Pilate et précise qu'Arimathie est une ville des Juifs car les lecteurs de Luc ignorent tout de la géographie de la Palestine. Les aromates sont préparés par les femmes.

    7° Jean (XIX, 32-42) ajoute des informations:

    - Joseph est disciple de Jésus, mais en secret.
    - Joseph a un collaborateur, Nicodème, que Jean a déjà présenté comme chef des Juifs (III, 1).
    - C'est Nicodème qui prépare les aromates.
    - L'ensevelissement est provisoire car l'heure est tardive.

    Conclusion: La tradition primitive ne connaît qu'une mise au tombeau par des Juifs. Aussi le lieu reste-t-il inconnu de l'antiquité chrétienne (du moins aucun texte n'en parle) et il faut attendre 326, sous Constantin, pour que le tombeau soit redécouvert par inspiration du Sauveur et à la suite d'avertissements et de suggestions de Dieu (Eusèbe: Vita Const., III, 26). Pourquoi donc les détails qui s'ajoutent dans les synoptiques et chez Jean, sinon pour préparer la découverte du tombeau vide, préparation pratiquement avouée par Matthieu (XXVII, 62-66) qui est le seul à raconter que les Grands Prêtres et les Pharisiens vont demander à Pilate de mettre une garde devant le tombeau pour empêcher les disciples d'enlever le corps et prétendre que Jésus est ressuscité comme il l'a annoncé.


    b. Découverte du tombeau vide

    * Récit de Marc (XVI, 1-8). Le dimanche matin les saintes femmes (Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et Salomé) vont au tombeau. Elles trouvent la pierre ôtée et constatent que Jésus a disparu. À sa place, elles voient un jeune homme vêtu d'une robe blanche qui leur annonce la résurrection, leur enjoint d'aller prévenir les apôtres de se rassembler en Galilée où Jésus les attend.

    Il y a tout lieu de croire que ce début du chapitre XVI est ajouté à l'Urmarcus qui finissait avec le chapitre XV et la mise au tombeau de Jésus par un Juif. Quant à la suite du chapitre XVI, elle est un ajout supplémentaire et ultérieur comme le démontrent les plus anciens manuscrits.

    La résurrection elle-même n'est racontée dans aucun des Évangiles canoniques. Plus tard, les chrétiens éprouveront la nécessité de combler cette lacune, d'où les récits dans les évangiles apocryphes.

    * Pour Matthieu (XXVIII, 1-10), les deux Maries vont au tombeau qui est toujours fermé. Alors se produit un grand tremblement de terre et, dans un grand fracas, un ange descend du ciel. Celui-ci roule la pierre et effraie les gardes qui en sont pétrifiés (Matthieu est, en effet, le seul à avoir placé des gardes devant le tombeau). L'ange leur tient un discours que nous retrouvons dans l'ajout de Marc au chapitre XVI. Quant aux femmes, elles s'empressent d'aller vers les disciples et Jésus leur apparaît sur le chemin.

    * Chez Luc (XXIV, 1-11), le tremblement de terre et les gardes disparaissent. D'ailleurs, les femmes trouvent le tombeau ouvert et vide. Deux anges leur apparaissent et leur disent d'aller rappeler aux disciples que Jésus leur avait annoncé sa résurrection. Aucune allusion à la Galilée. Les disciples ont totalement oublié ces prédictions puisqu'ils se montrent incrédules.

    * Pour Jean (XX, 1-18), il n'y a que Marie de Magdala à se rendre au tombeau qu'elle trouve vide. Elle court en informer Pierre qui, avec le disciple bien-aimé, s'empresse de venir constater la disparition de Jésus. Après leur départ, Marie de Magdala reste seule à pleurer le disparu lorsque deux anges lui demandent pourquoi elle pleure. Elle se retourne et voit Jésus derrière elle, qui lui demande d'aller dire aux disciples qu'il remonte vers son père.

    * Tous ces détails qui ne s'accordent pas entre eux, vont encore s'amplifier pour aboutir au merveilleux récit de "l'évangile apocryphe de Pierre". Les scribes, les pharisiens, les prêtres, après avoir vu mourir Jésus, sont persuadés qu'ils ont crucifié un juste. Ils craignent que leur erreur ne soit connue. Aussi demande-t-il à Pilate de placer une garde nombreuse devant le tombeau et de renforcer la fermeture de celui-ci par une lourde pierre et d'apposer des scellés. Le samedi matin, une grande foule monte de Jérusalem pour aller constater la présence de la pierre et des scellés. Mais cela ne sert à rien car le dimanche, la résurrection se produit de manière triomphante.

    "Or, dans la nuit où se lève le dimanche, tandis que les soldats montaient la garde deux par deux à tour de rôle, il se fit un grand bruit dans le ciel. Et ils virent les cieux ouverts et deux hommes en descendre, resplendissants de lumière, et s'approcher du tombeau. Or la pierre qu'on avait renversée devant la porte, roulant d'elle-même, se retira sur le côté. Le sépulcre s'ouvrit et les deux jeunes gens y entrèrent. À cette vue, les soldats réveillèrent le centurion et les anciens, qui étaient là aussi, faisant la garde. Comme ils racontaient ce qu'ils avaient vu, ils virent de nouveau trois hommes sortir du tombeau: les deux (jeunes gens) soutenaient l'autre et une croix les suivait. La tête des deux premiers atteignait le ciel, mais celle de celui qu'ils conduisaient dépassait les cieux..." (Extrait de l'évangile de Pierre).

    * Paul ignore tout cela. Rappelons qu'il est le premier à écrire, bien avant les évangélistes. Sa foi ne se fonde pas sur la découverte du tombeau vide, événement qu'il ignore, mais sur la notion de la résurrection elle-même, qu'il conçoit comme la concevaient les pharisiens pour la résurrection des justes. Pour Paul, Jésus bénéficie de cette résurrection en premier lieu et avant tous les autres, mais bientôt il reviendra pour que s'accomplisse la résurrection de tous les croyants, les vivants comme les morts. Les Actes, dans les deux prédications, celle de Pierre (2, 14-36) et celle de Paul (13, 16-41) confirment cette perspective, trace de la conception judéo-chrétienne.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:23

    c. Les apparitions

    Le document le plus ancien qui fait état d'apparitions est une lettre de Paul (1 Cor. XV, 3 et ss.). 

    Paul connaît cela par la tradition. 

    On lui a dit que Jésus est apparu (Paul dit "ophthè", il a été vu) à Képhas (Pierre), puis aux douze, ensuite à cinq cents apôtres. Plus tard, il est apparu à Jacques, ensuite à tous les apôtres. Enfin, il est apparu à Paul lui-même (ophthè kamoi, il a été vu par moi aussi). 

    Il est dommage que Paul ne nous donne aucun détail sur ce genre d'apparition dont il a été l'objet. Sans doute faut-il la comprendre à la lumière de l'expérience mystique de sa conversion qu'il nous raconte (2 Cor. XXII, 2). Il a été ravi, soit dans son corps, soit en dehors de son corps, il ne le sait pas, et il a été enlevé au troisième ciel qui, pour les gens de l'époque, était le paradis. Est-ce ainsi qu'il a vu le ressuscité, non pas comme un homme vivant sur la terre, mais comme un être glorieux vivant au ciel ? Il faut rapprocher cela de l'idée que Paul se fait de la résurrection: "il y a des corps célestes et des corps terrestres... le corps terrestre est semé corruptible, il ressuscite incorruptible... semé corps animal, il ressuscite corps spirituel (1 Cor. IX, 1)."

    La première résurrection est celle du Christ, les prémices ; ensuite ce sera le tour de ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue ; enfin la résurrection sera généralisée lorsque la fin viendra par la remise de la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité, toute puissance (1 Cor. XII, 23).

    * Les Actes, qui ne sont plus le témoignage direct de Paul, mais le récit qu'en fait Luc et surtout celui qui a remanié le récit de Luc, nous donne trois versions de la conversion de Paul, ce qui témoigne du caractère composite du texte. Ce que Paul voit, c'est une lumière, ce qu'il entend c'est une voix. Dans les lettres de Paul, comme dans les Actes, il n'est nulle part question d'une rencontre de Paul avec un Jésus ressuscité physiquement.

    * Marc ne nous apprend rien, car son récit est ajouté par un copiste (XVI, à partir de 9). Cette finale ne se trouve pas dans les manuscrits les plus anciens (les meilleurs selon l'édition oecuménique du Nouveau Testament dans le Livre de Poche 1977). Peut-être y avait-il une autre finale parlant des apparitions en Galilée dans la foulée de XIV, 28 où Jésus annonce qu'après sa résurrection, il précédera ses disciples en Galilée. Si cette finale a existé, elle a été remplacée par celle que nous trouvons dans le texte actuel et qui est un résumé de ce qui se trouve dans les autres Évangiles lorsque l'accent est mis sur la résurrection à Jérusalem et non en Galilée.

    * Matthieu s'inscrit encore dans la tradition galiléenne. Jésus n'apparaît que furtivement aux femmes qui sont affolées. Jésus les salue et les apaise, leur demandant d'aller dire aux disciples de se rendre en Galilée. Ayant quitté le tombeau, elles courent porter aux disciples la nouvelle de la disparition de Jésus et leur dire ce que l'ange leur a demandé: aller en Galilée. Matthieu insère donc dans le récit de Marc une apparition de Jésus aux femmes, sans se rendre compte du double emploi avec l'intervention de l'ange. Les disciples se rendent donc en Galilée et lorsqu'ils arrivent sur la montagne du Seigneur, ils le voient et reçoivent son commandement d'aller enseigner les nations et sa promesse d'être toujours à leurs côtés jusqu'à la fin des temps.

    * Marc (notre Marc actuel, sans doute pas l'Urmarcus) et Matthieu amplifient le donné venu de la tradition ancienne. Les apôtres, déçus, désemparés, par la mort infamante de Jésus, quittent Jérusalem pour retourner dans leur pays, la Galilée. Là, ils se retrouvent pour évoquer les moments passés avec Jésus. De plus en plus, l'idée que la mission de Jésus n'a pas été vaine s'impose à eux. Ils sont persuadés que Jésus vit toujours parmi eux, sinon physiquement, du moins en esprit et qu'ils peuvent le revoir en pensée. La nécessité de vivre son enseignement devient évidente pour eux et surtout la foi en son retour imminent. Ils doivent donc retourner à Jérusalem car c'est là qu'il doit revenir. À ceux qui ont gardé le souvenir de Jésus et ensuite à d'autres, ils communiquent leur foi. Ainsi naît la tradition de la résurrection physique qu'il faut prouver par des témoignages, car la seule foi en la présence spirituelle et mystique s'avère insuffisante.

    * Luc ignore totalement la tradition galiléenne, primitive. Il a déjà supprimé de son Évangile la prédiction de Jésus, lors de la dernière cène, concernant sa réapparition en Galilée après sa résurrection. Jésus apparaît, en effet, à deux disciples sur le chemin d'Emmaüs, qui d'ailleurs ne reconnaissent Jésus qu'à la façon dont il rompt le pain lorsque plus tard, il mange avec eux. Ils se rendent immédiatement auprès des Onze qui étaient rassemblés et qui savent déjà que Jésus est ressuscité car il est apparu à Simon (Pierre). Jésus leur apparaît alors, en chair et en os. Avec Luc, la tradition franchit un pas de plus dans l'optique de la résurrection de la chair.

    * Jean ignore l'épisode des disciples d'Emmaüs, mais comme Luc, il raconte l'apparition aux disciples rassemblés, sauf Thomas. Quand Thomas apprend cette apparition, il refuse d'y croire. Alors Jésus apparaît à nouveau et invite Thomas à mettre sa main dans la plaie de son côté (manière d'attester la réalité physique de l'apparition). L'évangéliste conclut son livre sur cet épisode (XX, 30-31). Par la suite une main étrangère ajoutera un chapitre (Ch. XXI) afin de réintroduire la tradition galiléenne des apparitions. Ce sera le récit de la pêche miraculeuse sur les bords du Lac de Tibériade. Ce récit existe aussi chez Luc, mais avant la résurrection.

    * Les Actes viennent ajouter encore au merveilleux, en attendant que les apocryphes en fassent autant. Ils nous apprennent qu'après sa résurrection, Jésus resta quarante jours (nombre symbolique) avec ses disciples afin de leur parler du Royaume de Dieu. Il leur demande de ne pas quitter Jérusalem avant de recevoir le baptême de l'Esprit saint qui doit remplacer le baptême d'eau qu'ils ont déjà reçu (I, 3-5), ce qui prépare le récit de la Pentecôte du chapitre II. Ensuite Jésus s'élève vers le ciel et les disciples le voient disparaître. Alors deux hommes vêtus de blanc, sans doute des anges, leur confirment qu'il reviendra de la même façon qu'il vient de disparaître.

    * Conclusion. Il ne faut pas nier l'importance de la foi en la résurrection. Certes, il ne s'agit pas d'un événement physique, mais il y eut un événement important, c'est la foi des disciples en la présence spirituelle de Jésus. Prêts à tout abandonner par désespoir, les disciples voient leur foi ressusciter et ils se lèvent pour répondre à l'appel de Jésus. Il n'est pas impossible qu'ils aient vécu des phénomènes mystiques, comme des visions, des rêves, semblables à ce que Paul nous décrit.

    Cette tradition ancienne, purement judéo-chrétienne, n'aura sans doute pas un impact suffisant dans les milieux hellénisés vers lesquels le christianisme va se tourner. 

    En terre grecque, on connaît bien les mythes des dieux qui meurent et qui ressuscitent. Jésus ne peut leur être inférieur en puissance. La résurrection spirituelle devient rapidement une résurrection corporelle. Ce n'est pas encore le cas chez Paul, car, ainsi que nous l'avons vu, Paul croit en l'existence de corps spirituels d'une autre nature que nos corps physiques et c'est dans un tel corps que Jésus a accédé à sa gloire. Lorsque les Évangiles seront rédigés, surtout dans leur version définitive, la croyance en une résurrection corporelle est déjà solidement implantée dans les Églises naissantes. Les témoignages sur la résurrection en sont l'expression.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:23

    III. Le Judéo-christianisme

    La période qui suit immédiatement la mort de Jésus est très difficile, sinon impossible, à reconstituer. Nous n'avons aucun document de cette époque. Nous devons lire les documents rédigés ultérieurement pour essayer de comprendre cette période.

    Deux textes évoquent pour nous les remous occasionnés par la rivalité entre l'apôtre Paul d'une part et ceux qui prétendent imposer l'observance des lois juives aux chrétiens. Il s'agit de l'Épître aux Galates de Paul et du chapitre XV des Actes.

    Dans l'Épître aux Galates, Paul s'oppose à des adversaires qui sont des judéo-chrétiens. Nous retrouvons le récit de ces événements dans un deuxième texte à savoir les Actes, notamment au chapitre XV. Les Actes, dans la version que nous possédons, sont écrits bien longtemps après la mort des protagonistes, à une époque où il s'agit de démontrer l'unité de l'Église primitive. Le récit est donc d'un autre ton et si Paul va bien à Jérusalem pour exposer ses thèses, il n'y a plus de conflit, mais un accord général. Pierre lui-même tient un discours qui donne raison à Paul et Jacques l'approuve. En conclusion, les apôtres et les anciens avec l'Église entière décident d'envoyer des émissaires à Antioche avec une lettre qui blâme les fauteurs de troubles, certaines gens venus de chez nous sans mandat. Les païens convertis ne seront pas tenus d'observer les lois juives, comme la circoncision, mais seulement l'abstention des idolothytes, du sang, des viandes étouffées et de la fornication (Actes XV, 19-21).

    Le débat sur l'existence du judéo-christianisme a été lancé au siècle passé, notamment par l'école de Tübingen en Allemagne avec Baur (mort en 1860) qui lance la fameuse thèse: l'Église ancienne est née de la synthèse d'une thèse: le judéo-christianisme prêché par Pierre et d'une antithèse: le pagano-christianisme prêché par Paul. Cela provoqua un choc qui divisa en deux camps les théologiens et les exégètes aussi bien chez les catholiques que chez les protestants. Il est généralement admis aujourd'hui que la forme première qu'a rencontrée le christianisme est le judéo-christianisme. Mais celui-ci n'est pas un courant uniforme. Tout au contraire, il se présente sous plusieurs aspects.

    C'est ainsi que Daniélou distingue le judéo-christianisme orthodoxe du judéo-christianisme hérétique. 

    Le premier est représenté par ces juifs convertis de l'Église de Jérusalem, regroupés autour des premiers apôtres, surtout Pierre et Jacques. Certes, ils n'ont pas abandonné la loi et les pratiques juives, mais ils croient en la messianité de Jésus, c'est-à-dire, selon Daniélou, en sa divinité. Cette dernière affirmation est d'ailleurs contestable car elle n'est étayée par aucun texte. Au contraire, certains passages des Actes semblent dire le contraire. "Jésus le Nazaréen, homme accrédité par Dieu par des miracles (II,22), Vous avez chargé le Saint et le Juste" (III,14), "Ils ont tué ceux qui prédisaient la venue du Juste" (VII,52).

    Quant au judéo-christianisme hérétique dont parle Daniélou, il le voit dans les écrits apocryphes appelés "les écrits pseudo-clémentins" dans lesquels il est fait mention des ébionites. On peut contester cette distinction que fait Daniélou, car à cette époque, il n'y a pas d'autorité dans l'Église pour se prononcer sur une soi-disant orthodoxie et sur une hérésie. Pour Daniélou, ces judéo-chrétiens sont hérétiques parce qu'ils ne croient pas en la divinité de Jésus, ce qui apparaît très clairement dans les écrits dont il est question.

    Ces textes sont censés avoir été écrits par Clément de Rome, le troisième successeur de Pierre à Rome selon Irénée de Lyon. Il s'agit peut-être du consul Titus Flavius Clemens, cousin de Domitien, exécuté par Domitien en 95 ou 96, pour "athéisme et moeurs juives". Clément fut l'auteur de lettres authentiques, notamment l'Épître aux Corinthiens, écrite vers 95, mais les autres écrits dont il est question ici, sont postérieurs et par conséquent faussement attribués à Clément. Dans ces écrits, Clément est présenté comme un compagnon de Pierre qui l'a converti.

    Pour l'essentiel, nous y trouvons:

    - la doctrine de l'unité absolue de Dieu, conforme au monothéisme juif ;

    - la doctrine du véritable prophète qui s'incarne dans les grands personnages de l'histoire religieuse de l'humanité: Adam, Moïse, Jésus ;

    - la doctrine des couples, selon laquelle tout va par groupe de deux, un bon et un mauvais (influence gnostique).

    Tout se passe dans une ambiance missionnaire qui s'adresse aux païens et aux juifs. Dans les éditions définitives (corrigées), Paul est absent du récit, et l'adversaire de Pierre est Simon de Samarie, mais tout le monde s'accorde pour reconnaître Paul en Simon.

    Contrairement à ce que pense Daniélou, Schoeps et Cullmann, il n'y a guère de différence entre ces judéo-chrétiens de Rome et ceux de Jérusalem.

    En réalité, ceux-ci ont essaimé et fondé des communautés par leur activité missionnaire. La doctrine d'origine strictement juive, sauf la croyance en Jésus comme Messie, n'avait aucune chance de survie. Dans cette optique le judéo-christianisme n'aurait été qu'une secte juive. Elle a été perçue comme telle dans l'Antiquité, puis déclarée hérétique par l'Église postérieure. Elle n'en a pas moins subsisté jusqu'au cours du IIe siècle et influencé le christianisme. Elle a laissé des traces dans les écrits canoniques, non seulement dans les Actes, comme nous l'avons vu, mais aussi dans les Évangiles canoniques.

    Deux thèmes essentiels du christianisme sont d'origine juive: la sagesse et le messianisme. Les premiers chrétiens de Jérusalem nous sont présentés comme vivant en communauté spirituelle et matérielle (Actes II, 42-47 ; IV, 32-37 ; V, 12-16). Pensons aux esséniens. Ils s'efforcent de vivre d'une manière qui ressemble au message des Évangiles et spécialement à celui des Béatitudes (Matthieu V, 1-12) qui renverse l'ordre habituel des valeurs: "Bienheureux les pauvres, les doux, les affligés", etc.

    Nous possédons un livre syro-palestinien qui s'appelle la Didaché qui est un témoignage sur la vie de ces groupes. Il y a une double sagesse: une sagesse apocalyptique, qui consiste à connaître ce qui concerne la fin du monde, et la sagesse de vie, qui consiste à mener dés à présent une vie conforme à celle de l'au-delà. Cette sagesse n'est pas réservée à quelques privilégiés, mais elle concerne tous les chrétiens.

    Quant au messianisme, c'est l'attente du Messie, le Masiah en hébreu, Christos en grec. Le mot signifie "celui qui est oint" et il s'applique tout d'abord:

    - aux prophètes (I Rois XIX, 16),

    - aux rois (I Samuel X,1, Saül, XXIV, 7),

    - aux prêtres (Lévitique XXI, 10-21),

    - à Cyrus, roi des Perses (Isaïe, XLV, 1).

    À partir du IIe siècle av. J-C, le terme s'individualise et désigne le personnage qui va prendre le pouvoir au nom de Dieu (Daniel IX, 25-26) et qui sera aussi appelé "Fils de l'homme". 

    "Voici venant sur les nuées comme un fils d'homme" (Daniel VII, 13)Dans les deux derniers siècles avant le début de l'ère chrétienne, une littérature abondante, les apocryphes de l'Ancien Testament (les textes intertestamentaires), nous présente ce messianisme sous de multiples formes qui se ramènent généralement au schéma suivant:

    * monde présent

    -- 1ère fin du monde

    * monde intermédiaire

    -- 2eme fin du monde

    * monde futur

    Le Messie est d'abord le prophète annoncé par Moïse "Yahvé te suscitera un prophète tel que moi""(Deutéronome XVIII, 15). Voir l'Assomption de Moïse.

    Le Messie est le nouveau grand prêtre:

    - Testament des Patriarches,
    - Qum'ran, (la Règle IX, 11).

    La forme la plus répandue est celle du Messie royal, celui qui sera le roi légitime et définitif:

    - Hénoch éthiopien, les Oracles Sibyllins, les Psaumes de Salomon, le Baruch syriaque, le Quatrième Esdras.

    Apparaît enfin un Messie céleste s'inspirant de Daniel (VII, 13), l'Élu de Dieu, le Fils de l'Homme, comme dans les Paraboles d'Hénoch. C'est un sauveur transcendant, d'origine céleste, caché auprès de Dieu et révélé pour le jugement eschatologique. Il est proche de Dieu et connaît tous les secrets divins.

    Toutes ces notions d'origine juive font partie des croyances judéo-chrétiennes et se retrouvent dans les textes canoniques, car lorsque ceux-ci seront écrits, la tradition en aura conservé l'essentiel et les auteurs des Évangiles ne pourront y échapper. Cette tradition se retrouvera à l'arrière plan de la tradition synoptique, et même de la tradition johannique.

    Si le judéo-christianisme n'a pas survécu en tant qu'Église organisée, sa pensée a marqué les autres courants chrétiens.

    Le judéo-christianisme est né en Galilée, patrie de Jésus, mais nous n'avons pas de texte qui nous permette de le décrire exactement. Selon certains exégètes, une première version de l'Évangile de Marc, "l'Urmarcus" aurait été rédigée dans cette ambiance galiléenne, avant d'être remanié plus tard à Rome pour donner notre Évangile actuel. Celui-ci n'en conserve pas moins des traces importantes de ce christianisme galiléen, antérieur sans doute au christianisme judéen.

    Le message essentiel de Jésus est d'annoncer l'imminence du "Royaume de Dieu" en qualité de prophète (Marc VI, 15, 8, 28), mais aussi en qualité de "Seigneur" (VII, 28, XI,3), titre qui conserve ici son sens d'origine, à savoir "Maître". Jésus recevra également trois titres messianiques:

    - Fils de David (X, 47-48).

    - Fils de Dieu, à maintes reprises, au sens sémitique des Livres de Sagesse, à savoir une relation d'intimité entre le Juste et le Père créateur.

    - Fils de l'homme, au sens de Messie transcendant selon Daniel (VII, 13).

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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:24

    Deux personnages sont à mettre en exergue pour comprendre la pensée judéo-chrétienne, il s'agit de Jacques et de Pierre.


    A) Jacques

    Il y a trois Jacques dans le Nouveau Testament:

    - Jacques le majeur, frère de Jean, apôtre, mis à mort en 44 sur ordre d'Hérode-Agrippa Ier. (Actes XII, 1).

    Jacques, fils d'Alphée et de Marie, frère de Joseph, également cité comme apôtre par Matthieu (XXVII, 56).

    Jacques le mineur, frère de Jésus (Gal. I, 19), cité dans Marc (VI, 3) et dans Matthieu (XIII, 55) et dont il est ici question car il apparaît comme le chef des Douze à Jérusalem. C'est lui, au côté de Pierre, qui défendra le point de vue des Hébreux contre Paul. Nous le connaissons également par Eusèbe (Histoire ecclésiastique, II, 23) qui l'appelle Jacques, "le Juste" et "le rempart du peuple". C'est Eusèbe qui nous apprend qu'il fut jeté du haut du Temple par les Pharisiens, vers 61-62, détail confirmé par Flavius Josèphe dans "Antiquités Juives" (XX, 2, 1).

    Le Nouveau Testament fait peu de place à Jacques, afin de mettre en valeur les positions de Paul et de Pierre. Par contre Clément d'Alexandrie (vers 190) affirme dans les Hypotyposes que Jacques reçut avant Pierre et Jean, la doctrine secrète du Christ ressuscité. Jacques est aussi le personnage le plus important de l'Église de Jérusalem, selon les Écrits pseudo-clémentins.

    Dans l'évangile de Thomas, nous trouvons cette parole de Jésus (logion 12): "Vers qui irons-nous, quand tu ne seras plus là ?", demandent les disciples. "Allez vers Jacques le Juste, à cause de qui le ciel et la terre ont été faits" répond Jésus.

    Eusèbe nous dit que Jacques est au centre d'un parti, les Hébreux, qui selon Daniélou a tendance à accaparer l'Église.

    Le Nouveau Testament contient une Épître de Jacques qui ne peut être attribuée qu'à un groupe de Judéo-Chrétiens sinon à Jacques lui-même. Les données vraiment chrétiennes y sont rares (seulement deux mentions de Jésus, I, 1 et II, 1). C'est une synthèse de la doctrine des livres de Sagesse pour un groupe de pauvres qui répudient la richesse et doivent vivre selon le modèle de Job. C'est par les oeuvres qu'il faut réaliser son salut, ce qui s'oppose aux doctrines pauliniennes où c'est la foi qui sauve avant tout. Cette lettre pourrait dater de 45-50, c'est-à-dire après le "concile" de Jérusalem ou de 55-60, comme une réponse aux lettres aux Galates et aux Romains. C'est en tout cas, un témoignage à l'influence judéo-chrétienne, qui a fini par trouver sa place dans le Nouveau Testament, sans doute parce qu'au IIIe et au IVe siécles, le judéo-christianisme est encore influent en Égypte et en Syrie ainsi que l'attestent des textes apocryphes. C'est à la suite de la proclamation du christianisme comme religion d'état par Théodose en 380 que la tendance judéo-chrétienne sera rejetée.


    B) Pierre

    Pierre représente, sans doute, un judéo-christianisme moins radical que celui de Jacques. Il a porté la parole en dehors de Jérusalem, du moins selon les Actes X, (Conversion du centurion Corneille). Lors de sa visite à Antioche avant que n'arrivent les gens de Jérusalem, il mange avec les païens. Les Actes veulent le montrer sous un jour favorable. Selon cet ouvrage, Pierre est le fondateur de l'Église de Jérusalem. C'est lui qui prend le commandement et organise l'élection d'un douzième apôtre pour remplacer Judas et c'est lui qui tient les discours devant les juifs. Plus loin, on découvre qu'il n'est pas le seul et que la primauté revient plutôt à Jacques.

    Dans le canon du Nouveau Testament, nous avons deux Épîtres dites de Pierre. Elles sont pseudépigraphes. L'une est "paulinienne", l'autre est modérément antipaulinienne. Elles sont tardives et il y eut beaucoup de réticences à les admettre dans le canon du Nouveau Testament.

    Ce sont des écrits apocryphes qui nous parleront surtout de Pierre, comme l'apocalypse de Pierre ou les écrits pseudo-clémentins qui nous racontent les luttes que Pierre doit soutenir contre Simon de Samarie, qui n'est qu'un prête-nom pour Paul. Dans ces écrits, Jésus n'apparaît pas comme Fils de Dieu mais comme le Prophète dernier et définitif.

    Ces écrits ont eu une grande influence sur l'iconographie et l'hagiographie et ont laissé bien des souvenirs, comme le voyage de Pierre à Rome, le "Domine, quo vadis", la crucifixion la tête en bas, alors que les textes canoniques des Actes, en ce qui concerne Pierre, s'arrêtent en l'an 50 à l'occasion de la rencontre avec Paul à Jérusalem (le Concile de Jérusalem).

    Les trois discours de Pierre dans les Actes sont de toute manière un témoignage intéressant et reflètent sans doute, une tendance archaïque car ils vont à l'encontre de la tendance déjà admise en matière de christologie au moment où les Actes sont rédigés. Le premier discours a lieu immédiatement après la Pentecôte (Actes II, 14-36), le second se déroule dans le Temple (Actes III, 12-26) et le troisième devant les chefs du peuple d'Israël (Actes IV, 8-12). Ces discours reflètent la même christologie que celle contenue dans les écrits pseudo-clémentins: "Jésus le Nazoréen, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu'il a opérés par lui" (II, 22)... "Le Dieu de nos pères a glorifié son Serviteur Jésus... Vous avez refusé le Saint, le Juste" (III, 13-14).

    Le judéo-christianisme n'est pas resté limité à la Palestine. Paul, son grand adversaire, le rencontre partout sur son passage. 

    Le judéo-christianisme se manifesta à Rome où il eut une grande influence, comme nous l'avons déjà vu dans les écrits pseudo-clémentins. Un autre ouvrage en témoigne, le "Pasteur d'Hermas". Cet ouvrage sans doute commencé vers 95 sous le Pape Clément et terminé vers 140 ou 150, sous le Pape Pie Ier, selon le canon de Muratori, a fait partie des écrits inspirés. Il se trouve encore repris comme tel dans le Codex Sinaïticus. Il reflète un christianisme primitif, très sévère. Le nouveau converti, purifié de ses péchés, ne doit plus y retomber sous peine d'exclusion. Ceux toutefois qui sont "tombés" durant la persécution pourront bénéficier d'une "pénitence" unique et exceptionnelle qui leur permettra de rentrer en grâce.

    L'ouvrage comprend:

    - cinq visions durant lesquelles Hermas reçoit le message d'une matrone vénérable, qui se transforme en merveilleuse mariée, qui se révèle être l'Église ;
    - douze commandements qui résument les exigences de la vie chrétienne ;
    - dix paraboles où l'on trouve la christologie du Fils de Dieu appliquée au plus grand des Archanges ou à l'Esprit saint.


    C) Conclusion

    Le judéo-christianisme est représenté par une série de tendances qui tente d'expliquer la vie et la mission de Jésus. 

    Les plus juives d'entre ces tendances disparaîtront assez rapidement car elles n'avaient aucun avenir. Les autres se chargeront de plusieurs nuances à cause de leur contact avec le monde hellénisé. 

    Toutes ces "aïrésis" (au sens étymologique d'école et non au sens moderne d'hérésie) feront l'objet d'écrits rejetés plus tard comme apocryphes, mais influenceront aussi les textes canoniques. 

    Ils seront le point de départ des Évangiles synoptiques, notamment chez Marc, témoin du judéo-christianisme galiléen, chez Matthieu, témoin du christianisme judéen, avant d'être marqué par des traits pauliniens dans l'Évangile de Luc et dans les Actes.

    Se propageant en terre grecque, ce judéo-christianisme devra s'adapter pour donner le courant johannique avec sa théologie plus philosophique. Enfin, il se manifestera de multiples façons dans les courants gnostiques en se chargeant d'éléments étrangers au christianisme.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:24

    IV. Les Évangiles synoptiques

    Papias, Evêque d'Hiérapolis en 140, déclare, selon le témoignage d'Eusèbe (Histoire Ecclésiastique): "Marc a rassemblé des faits, mais ne les a pas classés dans l'ordre chronologique véritable. 

    Mathieu aurait rassemblé en araméen les paroles du Seigneur, puis, avec l'aide des traditions verbales dont il disposait, les aurait interprétées aussi bien qu'il pouvait". 

    Quant à Papias lui-même, il cherche encore à connaître les faits et le discours de Jésus en interrogeant les anciens de sa génération: "Mais, lorsque quelque homme de la suite des Aînés venait, j'avais coutume de m'enquérir des paroles des Aînés. Qu'avait dit André, ou Pierre, ou Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu, ou quelque autre disciple du Seigneur ? Après, je demandais ce que disaient Aristion ou le Presbyteros Johannes, disciples du Seigneur".

    De ces déclarations de Papias, on retiendra qu'il cite Marc comme étant l'auteur de récits concernant Jésus. La tradition voit dans ce Marc, Jean-Marc, le compagnon de Barnabé et de Paul dans le premier voyage missionnaire qu'ils firent ensemble. Dans son second voyage, Paul prit encore Marc avec lui, mais il s'en sépara rapidement car les deux hommes furent rapidement en désaccord quant à la doctrine à enseigner. Marc passe pour avoir défendu les idées de Pierre. Ce lien entre Pierre et Marc est attesté par Irénée, évêque de Lyon et par Clément d'Alexandrie qui ajoute cependant que Pierre n'a ni cautionné, ni désapprouvé, le travail de Marc. "Après leur mort (celle de Pierre et de Paul), Marc, disciple et interprète de Pierre, nous a transmis par écrit ce qui avait été prêché par Pierre" (Irénée, Adv. Haer. III, 1, 1).

    Papias cite également Matthieu en qui la tradition voit un disciple de Jésus. À l'origine, il s'appelait Levi et était le collecteur d'impôts qui suivit Jésus. Ce Matthieu, selon Papias, s'est surtout occupé de rassembler les paroles de Jésus dans la langue de celui-ci, l'araméen, et d'en faire une interprétation, c'est-à-dire une traduction en grec.

    Quant à Jean, Papias mentionne deux personnages distincts: Jean l'apôtre et Jean le presbytre. Lequel est l'auteur du quatrième Évangile et lequel est l'auteur de l'Apocalypse ? En sont-ils d'ailleurs les auteurs ? Les questions restent posées.

    Selon la tradition, c'est Matthieu qui aurait écrit le premier Évangile. 

    Cette thèse, attestée chez Irénée de Lyon vers 180, n'a plus guère de partisans aujourd'hui, depuis les travaux de l'école de la "Formgeschichte" née en Allemagne. Karl Ludwig Schmidt écrit que les Évangiles ne sont pas de véritables biographies de Jésus, car le cadre des Évangiles est artificiel et secondaire. Pour Martin Dibélius, il s'agit de retracer "l'histoire des formes" littéraires qu'ont prises les petites unités de la tradition évangélique. C'est surtout Rudolf Bultmann qui en est le principal théoricien.

    Les petites unités dont il est question sont:

    - les récits de miracles,

    - les dires (logia),

    - les prophéties,

    - les lois et les règles de la communauté,

    - les paraboles (histoires racontées à des fins pédagogiques).

    Entre les années 30 et 50, ces éléments sont transmis oralement, encore que certains aient déjà pu être mis par écrit. Entre 50 et 70 apparaissent les premiers textes, mais qui ne nous apprennent rien sur la vie de Jésus, comme les Épîtres de Paul. Par la suite, des auteurs rassemblent les sources existantes pour en faire des récits qui s'appelleront Évangiles.

    Selon la plupart des historiens et des exégètes actuels, il existait deux types de sources:

    - D'une part, une série de petits récits que Marc aurait rassemblés, selon Papias, pour écrire une histoire de la prédication de Jésus, mais qui ne respecterait pas l'ordre chronologique. Certains situent cet événement aux environs de l'an 66. Il pourrait être l'oeuvre d'un Galiléen écrivant pour des Galiléens. Cette première version serait ce qui est appelé l'Urmarcus. 

    On n'a malheureusement aucun manuscrit avec ce texte. C'est donc une hypothèse. Dans ce cas, notre Évangile actuel en serait une version remaniée, peut-être simplifiée, rédigée en grec à Alexandrie selon certains, en Syrie selon l'hypothèse la plus admise actuellement, ou à Rome selon la tradition. L'Urmarcus ou le texte actuel a été utilisé par Matthieu et par Luc comme base de leur Évangile.

    - D'autre part, une série de paroles du Seigneur (les logia) qui auraient existé en araméen, ensuite traduites en grec. Peut-être existait-il plusieurs traductions quelque peu différentes.

    C'est ce que l'on appelle la source Q utilisée par Matthieu et par Luc, de façon indépendante. 

    Matthieu et Luc ont inséré dans le texte de Marc, mais de manière différente, des éléments venant de cette source. Cela explique les passages semblables chez Matthieu et chez Luc qui ne se trouvent pas dans Marc. De plus, les deux évangélistes ont ajouté au récit de Marc une introduction et une fin. L'introduction concerne la naissance de Jésus, et son enfance chez Luc et la fin concerne les récits de la résurrection. De cette source Q, nous n'avons pas non plus de témoignages écrits. C'est cependant une hypothèse généralement admise aujourd'hui.

    En plus de ces deux sources principales, Matthieu et Luc connaissent des traditions qui leur sont propres à chacun. Il existe, en effet, des éléments insérés de-ci de-là par Matthieu et par Luc dans leur Évangile et qu'ils sont les seuls à connaître.

    La tradition synoptique montre également une évolution dans l'idée que l'auteur se fait de la personne de Jésus, au fur et à mesure que l'on change de milieu pour lequel l'Évangile est rédigé. 

    Nous sommes, en effet, en présence de deux communautés qui existent l'une à côté de l'autre.

     La première communauté est celle des judéo-chrétiens qui sont persuadés que la fin du monde est proche. Il faut donc convertir à l'entour de soi en enseignant comment Jésus est venu, comment il est mort selon les Écritures. Pour être digne du Royaume qui va arriver, il faut vivre selon la loi et les obligations juives. 

    L'autre communauté est constituée de pagano-chrétiens qui pensent que l'Ancien Testament doit être compris allégoriquement et qu'il n'y a pas lieu de suivre les obligations et les interdits de la loi juive. Ce sera un point de discorde entre Paul et les douze. Les Évangiles seront écrits en fonction du groupe prépondérant dans la communauté que l'auteur côtoyait.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:25

    A. L'Évangile selon Marc

    Dans l'Évangile selon Marc, Jésus est présenté de manière à être compris à la fois par les judéo-chrétiens qui voient en lui, surtout un prophète et un Messie et par les pagano-chrétiens qui voient en lui un homme divin, c'est-à-dire un homme adopté par Dieu.

     Il semble que l'auteur écrit dans une communauté qui n'est pas encore sûre de son destin, car il insiste beaucoup sur le secret messianique. Tout ce que Jésus fait ne doit pas être raconté, mais doit être tenu secret. 

    L'influence du judéo-christianisme est encore très présente dans cet Évangile, ce qui ne doit pas étonner puisque Marc passe pour avoir été le compagnon de Pierre, personnage important, sinon principal, dans les documents judéo-chrétiens. Mais le rédacteur du texte que nous connaissons vit dans la diaspora juive, à Alexandrie ou plus probablement en Syrie ou même à Rome. Il est donc déjà marqué par le fait que le christianisme primitif a pénétré en terre grecque et se trouve influencé par des éléments venant du milieu grec dans lequel il se développe. Néanmoins la figure de Jésus reste assez fidèle à la conception juive:

    1°. Il est un "homme divin", adopté par Dieu au moment de son baptême: La voix qui descend des cieux dit: Tu es mon fils bien-aimé, il m'a plu de te choisir (Mc, 1,11). Sa mission est simple. Elle se passe en Galilée et se résume en ces mots: Le temps est accompli et le règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile (la bonne nouvelle) (Mc 1,15).

     L'attente de la parousie y est particulièrement développée. Le thème du Royaume apparaît une quinzaine de fois, soit de manière directe pour les disciples ou en paraboles pour les autres. (Parabole du semeur, IV, 33-34 ; du grain de blé, IV, 26 ou du grain de sénevé, IV, 30-32).

    2°. Il est "Prophète" (VI,15 ; VIII, 28) et "Seigneur" (VII, 28 ; XI, 3) traduction grecque du mot araméen "maître".

    Il reçoit en outre trois titres messianiques:

    - il est Fils de David, encore que ce titre ne lui est donné qu'une seule fois (X, 47-48) ;
    - il est le Fils de Dieu. (I, 11 ; III, 11 ; V, 7 ; IX, 7 ; XV, 39). Sans doute Marc conçoit-il ce titre dans le sens sémitique originel, à savoir le saint et le juste, qui fait de l'homme un fils de Dieu ;

    - il est aussi le Fils de l'homme (II, 10 et XXVIII, 14-62) et surtout dans le chapitre XIII, appelé l'apocalypse des synoptiques, véritable résumé du message galiléen de Jésus. Ceci montre que Marc est influencé par les courants eschatologiques d'un certain judaïsme, car le fils de l'homme est plus qu'un homme divin, c'est un personnage céleste, une sorte d'archange existant au côté de Dieu pour venir à la fin des temps servir de modèle à l'humanité.

    Pour Marc, les disciples de Jésus n'ont guère compris ce que Jésus a voulu leur dire. Cette ignorance est attestée en plusieurs occasions. Marc a voulu, sans doute, souligner que ce qui n'avait pas été compris au temps de Jésus est maintenant compris par lui et par la communauté dans laquelle il vit.

    C'est un christianisme simple, peu culturel, mais radical et exigeant, surtout par l'abandon des biens matériels (X, 17-31) et le renoncement à toutes choses (X, 34-38). C'est donc un christianisme populaire, qui n'a pas eu beaucoup de défenseurs ni d'écrivains. Il s'est répandu dans les régions voisines de la Galilée, Transjordanie, Phénicie, et s'est noyé dans les autres formes de christianisme, tout en conservant à celles-ci l'eschatologie et le radicalisme de ses origines.

    La présentation de Marc est très importante car elle est le pivot des trois Évangiles synoptiques et l'on peut diviser l'Évangile en quatre grandes sections:

    - 1. L'Évangile du Royaume (I, 1 - IV, 34).

    A. Proclamation de l'Évangile (I,1 - 45).

    B. Acceptation de l'Évangile (II,1 - III, 35).

    C. Enseignement sur cette acceptation (IV, 1 - V, 34).

    - 2. L'inauguration du Royaume (IV, 35 - VIII, 26).

    A. Le royaume déjà présent (IV, 35 - V, 43).

    B. Le Royaume rejeté (IV, 1 - 29).

    C. Le Royaume anticipé (IV, 30 ; VII, 37 ; VIII, 1 - 26).

    - 3. Jésus reconnu comme étant le Christ (VIII, 27 - IX,13).

    - 4. Sa victoire à travers la mort (IX, 14 - XIV, 8).

    a. Le chemin de croix (IX, 12 - X, 52).
    b. Le Christ à Jérusalem (XI, 13).
    c. La Passion (XIV, XV).
    d. La Résurrection ( XVI, 1 - 8).

    Ainsi structuré, l'Évangile de Marc suit donc une logique qui est autre que l'enchaînement chronologique des faits (cf. Papias).

    Le canevas de l'Évangile de Marc sera repris par Matthieu et par Luc pour constituer la base de leur Évangile.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:25

    B. Évangile selon Matthieu

    Le texte que nous connaissons actuellement est sans doute un remaniement d'une version antérieure déjà connue par Ignace vers 110.

     C'est sans doute à ce texte que Papias fait allusion lorsqu'il écrit: "Matthieu a réuni les oracles dans un dialecte hébreu, et chacun les a interprétés (traduits ?) comme il pouvait" (Eusèbe, III H. E., XXXIX, 17). Le texte connu par Ignace serait peut-être une des traductions en grec de ce document araméen.

    Le texte actuel contient beaucoup de répétitions (une douzaine de logia cités deux fois, ainsi que quatre passages narratifs). Comme on les retrouve aussi chez Marc, l'hypothèse la plus vraisemblable est que l'auteur de Matthieu les a repris une fois de Marc et une deuxième fois d'une autre source (peut-être le texte dont parle Papias ou la source Q).

    Notre Évangile présente le christianisme comme un judaïsme réformé, perfectionné. 

    Matthieu écrit pour les Juifs d'abord, "mais ensuite pour les Grecs", car les Juifs n'ont pas répondu à l'appel de Jésus. C'est pourquoi, ceux qui étaient les "fils du Royaume" seront jetés dans les ténèbres du dehors (VIII, 12) ; le Royaume sera enlevé aux Juifs et donné à une nation qui rendra les fruits (XXI, 43). Le Jésus de Matthieu est agressif, il condamne les pharisiens de maniérer assez virulente. Pourquoi uniquement les pharisiens et pas les autres tendances juives comme les esséniens, les baptistes ? À l'époque où l'auteur rédige son Évangile et dans le milieu où il vit, ces sectes juives ne sont plus connues, seuls les pharisiens ont survécu dans les massorètes (les rabbins qui compileront la Bible juive).

    Le Royaume est pour l'Église. 

    Matthieu est le seul des Évangélistes à utiliser le mot "Église" (Ecclésia). Matthieu connaît donc une communauté organisée et le secret messianique n'est plus nécessaire. De plus, le message de Jésus doit être porté à toutes les nations. Ce souci universaliste est reflété par les grandes paraboles apocalyptiques qu'il est le seul à transmettre. Matthieu aime le merveilleux, les récits légendaires, les miracles. Il reprend donc les miracles de Marc et les amplifie. Il en ajoute d'autres. Il est surtout quantitatif plutôt que qualitatif. Matthieu ajoute aussi, dans les récits, des traits légendaires ou des précisions d'ordre géographique, tous détails qui ne viennent pas de sources authentiques. Souvent, il ajoute une conclusion au récit. Il écrit donc pour des gens qui ne sont pas en contact immédiat avec le milieu d'origine du christianisme et à qui il faut expliquer davantage.

    Le Jésus de Matthieu est différent de celui de Marc

    D'abord, Matthieu s'abstient de reproduire neuf passages où Marc fait allusion à des sentiments humains de Jésus. Il donne aussi une place particulière à Pierre qui est capable de marcher sur les eaux comme Jésus (XIV, 28-31). Matthieu place Jésus dans une double généalogie. Il est de la lignée de David, ce qui est indispensable pour qu'il soit le Messie, mais il est aussi l'enfant-dieu. Nous ne sommes donc plus dans un schéma d'adoption comme chez Marc, mais dans un schéma de filiation, ce qui correspond à la mentalité grecque. Un tel schéma, chez les Grecs, symbolise le lien qui existe entre l'invisible et le visible. Le souffle (pneuma) au sens cosmique a une fonction d'encensement, ce qui est encore davantage exprimé dans l'Évangile de Luc: "L'Esprit saint viendra sur toi (Marie) et la puissance du Trés-Haut te couvrira de son ombre" (Lc I, 35). Ces textes sont crédibles pour les anciens qui en comprennent le symbole. 

    À partir du IVe siècle, on les lira autrement, de manière plus littérale. Le même symbolisme de relation entre l'invisible et le visible se retrouve dans les récits d'apparition où interviennent des anges qui sont les intermédiaires entre le Royaume de Dieu et le Royaume terrestre.

    Tous ces éléments iront en s'amplifiant en pénétrant dans le monde grec avec les Évangiles de Luc et de Jean, les apocryphes et les textes gnostiques. Il y a donc une sorte de syncrétisme qui s'opère entre les traditions primitives d'origine juive, où tous ces concepts sont impensables, et les croyances qui ont court parmi les peuples hellénisés et qu'il faut convaincre. La personne de Jésus acquiert une autre dimension par la résurrection. Jésus devient le pantocrator, investi du pouvoir divin. "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre" (Mt, XXVIII, 18).

    On ignore où le texte a été rédigé, bien que l'on ait pensé à Antioche ou à Damas. 

    On discute aussi sur la date de rédaction, sans doute dans les vingt dernières années du premier siècle, les éléments repris de diverses sources (comme la source Q) étant évidemment bien antérieurs. Matthieu reprend le canevas général de Marc, mais en y insérant de grands blocs (comme le montre une synopse des trois Évangiles) venant soit de la source Q, quand on les retrouve aussi chez Luc (ex.: les Béatitudes) ou de traditions connues uniquement par lui (ex.: les paraboles de l'ivraie dans les emblavures, du trésor caché ou du filet au ch. XIII).

    L'auteur, en tout cas, semble être un lettré capable d'écrire un grec élégant et limpide, contrairement à Marc qui a un style maladroit et peu raffiné. Ceci est utilisé comme argument pour réfuter l'hypothèse que le texte grec serait une traduction d'un évangile de Matthieu en araméen, évoqué par Papias.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:26

    C. Évangile selon Luc

    Avec ce troisième Évangile, nous quittons le monde juif de plus en plus, pour pénétrer dans le monde greco-romain, tout en conservant de nombreuses traces des origines juives du christianisme, par des sémitismes et des réminiscences de la "Septante". Nous sommes dans une période où la nouvelle religion est rejetée à la fois par le judaïsme, les religions à mystères et l'autorité civile.

    L'auteur commence son récit par une préface, ce qui atteste un niveau de culture que l'on ne trouve pas dans les autres textes du Nouveau Testament. "Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous ... il m'a semblé bon ... de te les exposer par écrit d'une manière suivie"

    Selon la tradition, Luc était un médecin, compagnon de Paul. 

    Cette tradition s'appuie, une nouvelle fois, sur Irénée qui cite un passage de l'Épître de Paul aux Colossiens. Ce Luc ne serait pas seulement l'auteur du troisième Évangile, mais aussi celui des Actes où les passages à la première personne du pluriel (Wirstücke) seraient la preuve du vécu par Paul et Luc des récits rapportés par ces passages (voir 2e partie des Actes). Cette opinion est déjà contestée au IIIe siècle par Origène et au IVe par Ephrem le Syrien. Une fois de plus, nous ne pouvons rien affirmer de définitif. Sans doute y a-t-il eu un texte primitif dont Luc aurait pu être l'auteur. Ensuite, ce texte aurait été remanié en deux morceaux, l'un devenant notre troisième Évangile, l'autre devenant le texte connu sous le nom de "Actes des Apôtres". Le remaniement est presque certain en ce qui concerne les Actes. On constate d'importantes différences dans le texte qui nous est donné par le Codex de Bèze et par d'autres manuscrits. Le Codex de Bèze supprime de nombreux passages. Il semble donc qu'il y ait eu une version longue et une version courte. Si c'est le cas, rien ne nous permet de dire laquelle est l'originale. La seule conclusion qui est certaine, c'est qu'il y a eu d'importants remaniements du texte.

    Cet Évangile se veut historique malgré son manque de sources à ce sujet

    Luc est donc forcé d'inventer. Il ajoute beaucoup au canevas de Marc et à la source Q. Presque la moitié de son Évangile provient d'une mosaïque de sources écrites et orales. Il augmente le merveilleux par l'intervention des anges, des démons et des miracles. Il fait un parallèle entre l'histoire de Jean-Baptiste, qui est présenté par Luc comme le cousin de Jésus, et celle de Jésus lui-même.

    Les événements sont datés: Jean-Baptiste commence à prêcher la 15e année du règne de Tibère (soit en 28/29), quand Ponce Pilate est gouverneur de Judée (26-36), Hérode, tétrarque de Galilée (-4 à 39) etc. Mais Luc ne vérifie pas toujours ses références. C'est ainsi qu'il place la naissance de Jésus à la fois sous Hérode le Grand (mort en l'an 4 av.) et lors du recensement ordonné par Quirinus (qui ne fut gouverneur de Syrie qu'à partir de l'an 6 ap. J.C.).

    Luc nous présente un récit en trois parties. 

    La première concerne le Jésus en vie (protos logos). Luc ajoute des épisodes "historiques" pour justifier la mission de Jésus, comme la lecture du texte d'Isaïe dans la synagogue de Nazareth. Le message de Jésus est davantage social. Il condamne et même maudit les riches et ceux qui ne manquent de rien (VI, 24). Il n'hésite pas à modifier le texte des béatitudes que nous connaissons par Matthieu. 

    C'est ainsi que "les pauvres selon l'esprit" (Matt.V, 3) deviennent "les pauvres" (VI, 21) ; "ceux qui ont faim et soif de justice" (Matt. V, 6) deviennent "les affamés" (VI, 21). La mission de Jésus ne s'adresse pas qu'aux seuls Juifs (Mc VII, 24-30), mais aussi aux Samaritains. Luc reprend la tradition selon laquelle les disciples n'ont pas compris Jésus, mais ce n'est pas pour les mêmes raisons que pour les autres évangélistes. Pour Luc, les disciples avaient de fausses conceptions eschatologiques. C'est à tort qu'ils croyaient que le Royaume était proche (XIX, 11). Luc appartient à une nouvelle génération, la troisième, pour qui la perspective du retour immédiat du "Fils de l'homme" et de l'instauration du Royaume de Dieu sur la terre commence à s'estomper. Certes, la fin viendra, mais c'est pour plus tard car l'Esprit doit d'abord être donné à l'Église qui rendra témoignage à Jésus "jusqu'aux extrémités de la terre" (Actes I, 8).

    La deuxième partie du récit concerne le Jésus ressuscité (deuteros logos). 

    Luc nous présente un récit différent de celui de Matthieu. La résurrection ne se fait pas en Galilée, mais à Jérusalem, d'où l'épisode des disciples sur le chemin d'Emmaüs, inconnu des autres Évangiles. Ces disciples rejoignent les onze (les douze moins Juda qui a trahi) qui connaissent déjà la résurrection car Jésus était apparu à Simon. Jésus leur apparaît alors qu'ils étaient rassemblés, donc en présence de Thomas. Il leur fait constater la réalité matérielle de sa résurrection en leur disant: "touchez-moi ; et rendez-vous compte qu'un esprit n'a pas de chair ni d'os comme vous constatez que j'en ai" (Lc XXIV, 39). Jean reprendra cette tradition, mais en l'absence de Thomas en faisant apparaître Jésus une deuxième fois pour convaincre Thomas. Quant à Luc, il termine son Évangile sur le discours que Jésus ressuscité tient à ses disciples selon lequel il ouvre l'intelligence de ses disciples pour leur permettre de comprendre les Écritures (l'Ancien Testament) qui annoncent ce qui vient de s'accomplir. Alors Jésus les emmène en Béthanie où il disparaît à leurs yeux, en s'élevant dans le ciel.

    La troisième partie du récit sera l'histoire de la naissance de l'Église dans ce qui est maintenant un texte distinct: les Actes des Apôtres.

    Ce troisième Évangile est plein de contradictions, sans doute à cause de la multiplicité des sources:

    - L'Évangile de Marc que Luc redistribue autrement pour composer son récit.

    - La source Q, sans doute une version grecque différente de celle de Matthieu, également distribuée différemment.

    - Les nombreuses traditions écrites et orales, propres à Luc, et qui sont parfois une répétition de ce qui provient des deux autres sources, mais avec des différences.

    C'est en raison de cela qu'on a avancé l'hypothèse très controversée chez les historiens, d'un proto-Luc qui aurait été plus structuré et plus concis et que l'auteur du texte que nous connaissons aurait profondément et maladroitement remanié, donnant ainsi notre troisième Évangile et le récit des Actes. 

    En tout état de cause, l'auteur est un pagano-chrétien qui a une bonne connaissance du judaïsme, surtout de la "Septante" qui, rappelons-le, est le texte sacré pour le christianisme naissant et hellénisé. On ignore où il a écrit et à quelle date, bien que l'on avance 80 pour l'Évangile et 90 pour les Actes. On trouve très peu de traces des doctrines pauliniennes, ce qui milite en faveur de ceux qui ne font pas de l'auteur de nos textes, le compagnon de Paul. Il est possible qu'il connaisse les lettres pauliniennes. Mais lesquelles ? À cette époque, il y avait beaucoup plus de lettres de Paul avec des doctrines très diverses selon le milieu que Paul côtoyait.

    Luc nous présente donc une théologie nouvelle. 

    Ce qui compte ce n'est pas l'épisode galiléen de la vie de Jésus. C'est à Jérusalem que l'important se passe. Ce que Jésus est venu annoncer, ce n'est pas tellement l'arrivée du Royaume de Dieu, quoique l'idée en soit maintenue. Mais elle ne doit pas se produire immédiatement. Jésus n'est donc pas seulement le prophète annonçant le Royaume, il est un être divin, mais aussi un être-charnière entre le temps des prophètes et celui de la parousie. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la fonction messianique de Jésus. Il est le Fils de Dieu par filiation et non par adoption, comme on l'a déjà vu chez Matthieu, mais de manière moins catégoriqueIl est aussi l'homme divin, mais pas comme chez Marc.

    Il est l'homme divin parce qu'il est en contact avec les puissances célestes. Il est le Seigneur, mais pas au sens commun du terme. 

    On ne se contente pas de l'interpeller par le vocatif (Kyrie), comme dans les deux autres Évangiles. Il est "le Seigneur" (Ho Kyrios), comme dans la "Septante" où Yaveh est Adonaï.

    Luc veut sans doute rédiger une histoire évangélique de Jésus et de l'Église pour remplacer l'Évangile de Marc qui ne satisfait plus l'Église qui commence à sortir de l'ombre et à affirmer son indépendance vis-à-vis du judaïsme. Luc est certainement un des acteurs principaux de la mytholisation de Jésus, ainsi que le soulignait Bultmann.


    D. Conclusion

    Les trois Évangiles synoptiques ont longtemps été considérés comme convergents et complémentaires. 

    Tous les détails concernant la vie, la prédication, la mort et la résurrection de Jésus devaient s'additionner pour constituer un tout, chaque évangéliste n'ayant retenu qu'une partie des informations selon ses goûts et son objectif. Très tôt, on a fait des parallèles entre eux, on les a mis en tableau comparatif (synopse). 

    Aujourd'hui cette comparaison fait davantage ressortir leur différence.

     Aussi sont-ils davantage étudiés de manière indépendante avec l'idée que chacun répond à une communauté précise et qui évolue dans le temps. La communauté judéo-chrétienne de la Palestine, avec ses extensions vers les régions immédiates et vers Rome, marque surtout l'Évangile de Marc. 

    Les développements du Christianisme en Égypte, à Chypre, en Syrie annoncent la rupture avec le judaïsme, ce qui marque l'Évangile de Matthieu. 

    Enfin, le christianisme triomphe surtout en Grèce où l'homme Jésus ne peut s'imposer que s'il est supérieur à l'homme ordinaire, comme tous les dieux du Panthéon gréco-romain, et même s'il est supérieur à ceux-ci. L'homme Jésus doit être remplacé par le mythe Jésus, et l'Évangile de Luc est une étape importante dans cette direction.
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    Message  Arlitto Lun 26 Oct 2020 - 11:26

    V. Le Johannisme

    Pour examiner cette tendance, nous devrions nous intéresser à trois types de textes repris dans le Nouveau Testament:

    - L'Évangile selon Jean.

    - Les Épîtres de Jean

    - L'Apocalypse.


    A. L'Évangile selon Jean

    L'Évangile selon Jean est sans doute le plus intéressant du point de vue de la pensée chrétienne et de son influence sur la formation du dogme essentiel du christianisme: le dogme de la Trinité. Il est aussi celui qui a soulevé le plus d'interrogations quant à son auteur et à la date où il fut rédigé.

    Papias parle de deux personnages appelés Jean: "Jean l'Apôtre et Jean le Presbytre".

    Dans les Actes de Jean (apocryphe datant de 150 à 180), il n'y a plus qu'un seul Jean, de même que chez Irénée de Lyon (180-200), ainsi que chez Polycrate d'Ephèse dans une lettre adressée au Pape Victor en 190. 

    Denys, évêque d'Alexandrie vers l'an 250, reprend l'hypothèse de deux auteurs distincts pour l'Évangile et l'Apocalypse. Dès le IIIe siècle, plus aucun auteur chrétien ne met en doute que l'Évangile a été écrit par un Apôtre et finalement la thèse de l'auteur unique pour l'Évangile, les Épîtres et l'Apocalypse a été adoptée par la tradition. Ce n'est que récemment que le débat est rouvert.

    Le texte de l'Évangile est déjà évoqué, sinon dans son état actuel, du moins dans ses idées, par Ignace, évêque d'Antioche vers l'an 115. 

    On peut supposer que l'origine du milieu dans lequel un tel Évangile a pu se développer est Jérusalem même où, selon les Actes, un groupe distinct des Apôtres apparaît dès les premiers temps. Il s'agit du groupe des hellénistes, conduit par Etienne qui fut lapidé (vers 36/37) parce qu'il se plaçait radicalement en marge du judaïsme officiel. Accusé devant le Sanhédrin, Etienne prononce un discours qui est une véritable provocation.

    Toute l'histoire d'Israël doit être refaite ; elle n'est pas liée à la terre d'Israël, et si Moïse est le législateur, les juifs ne lui ont pas obéi alors qu'il était la préfiguration du Christ. 

    Le Temple n'est pas le lieu du Seigneur qui n'a jamais demandé sa construction. Le sanctuaire de Dieu est le monde entier. Pour Etienne, Jésus est un personnage céleste. Après le martyre d'Etienne, les hellénistes sont chassés de Jérusalem et deviennent les premiers missionnaires chrétiens, ils portent l'enseignement du Christ dans la diaspora juive, à Antioche, à Damas, à Chypre et en terre grecque. Paul les suivra avec son propre évangile et les judéo-chrétiens représentant les Douze feront de même, mettant ainsi en présence trois courants rivaux qui entreront parfois en confrontation.

    Oscar Cullman (Le milieu Johannique, Paris 1976) voit un lien étroit entre l'Évangile de Jean et ces hellénistes. 

    Cette perspective ferait remonter le quatrième Évangile beaucoup plus tôt dans le temps que ce que l'on croyait au XIXe siècle, où l'on fixait sa date de rédaction aux environs de l'an 90. Selon cette tradition, l'Évangile aurait été écrit par Jean dans sa vieillesse à Ephèse où il se serait réfugié en compagnie de Marie, la mère de Jésus. L'Évangile était déjà répandu dans sa forme définitive au début du IIe siècle. Des fragments importants de papyrus ont été retrouvés comme le papyrus Rylands qui date de 125 environ ou le papyrus Bodner II qui se situe entre 175 et 225, avec tous les chapitres I à XIV et d'importants fragments des chapitres XV à XXI, nous restituant le texte ancien.

    Le quatrième Évangile oppose fréquemment Pierre, le chef des Douze, au "disciple que Jésus aimait". C'est sans doute moins une opposition entre deux hommes, qu'une opposition entre deux milieux du christianisme primitif. Le "disciple que Jésus aimait" apparaît à plusieurs reprises dans l'Évangile. Pour Irénée, il s'agissait de Jean, l'Apôtre, fils de Zébédée et auteur de l'Évangile. Toutefois, dans le chapitre XXI de l'Évangile, le disciple en question apparaît nettement comme un personnage différent des Fils de Zébédée. On peut tenir pour certain que le chapitre XXI a été rédigé dans l'entourage de ce personnage car contrairement à ce que disent Bultmann, Goguel et Loisy, il n'est pas la simple personnification du milieu johannique. Il n'en reste pas moins vrai que le chapitre XXI est un ajout tardif à l'Évangile et qui attribue sa rédaction au "disciple que Jésus aimait".

    Quant à l'auteur du texte ancien, il vaut mieux reconnaître notre ignorance et accepter seulement qu'il faisait partie des hellénistes. 

    C'est, en tout cas, un juif judéen, voire un judéo-chrétien, même s'il professe un autre type de judéo-christianisme que celui de Pierre et des Douze. Il s'agit de concepts se rapprochant de ceux des esséniens de Qum'ran, de ceux du christianisme alexandrin proche de Philon d'Alexandrie ou encore de ceux des écrits juifs intertestamentaires (Ben Sira, Baruch, Sagesse de Salomon, Testaments des Douze Patriarches). Ces similitudes ne permettent pas pour autant de conclure que l'auteur, sans doute un judéo-chrétien palestinien très cultivé, ait été un essénien converti comme on l'a prétendu.

    Si le texte primitif est originaire de Judée, il a ensuite été transporté en Asie pour y recevoir sa forme définitive.

    Il se peut aussi qu'il ait été écrit par un judéen déjà établi dans la diaspora (peut-être à Antioche), avant d'être édité à Éphèse. Outre l'auteur du texte primitif, on pense à un "éditeur" ou même à "un groupe d'éditeurs" qui aurait remanié le texte et terminé par cette finale qui n'est certainement pas de la main de l'auteur: "C'est ce disciple qui rend témoignage de ces choses, et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai. Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le même monde pût contenir les livres qu'on écrirait" (XXI, 24-25).

    Bultmann a aussi démontré que l'Évangile n'est pas dans son ordre authentique et que certains chapitres ou versets ont été déplacés, rendant le récit totalement incohérent à certains endroits.

    Le style et le vocabulaire sont très différents du style et du vocabulaire des Évangiles synoptiques

    On a pris argument de certaines obscurités ou du grec médiocre pour avancer l'hypothèse que le texte grec serait une traduction d'un texte araméen. La critique moderne montre cependant que la langue de l'Évangile est celle de nombreux ouvrages grecs de l'époque, "la koiné. Ce qui caractérise aussi le vocabulaire, c'est sa variété. L'auteur utilise souvent plusieurs mots différents pour une même chose, ou lorsqu'il cite un logion (dire) de Jésus deux fois, il le cite avec de légères variantes. Il aime innover, éviter la monotonie.

    Le quatrième Évangile est en tout cas très différent des trois synoptiques, non seulement par sa théologie, mais aussi par sa structure et par de nombreux détails sur la vie de Jésus que les trois autres Évangiles ne connaissent pas. Il y a néanmoins des similitudes. Il faudrait donc choisir entre trois hypothèses:

    1. Jean ne connaissait pas les traditions synoptiques, ni les Évangiles synoptiques eux-mêmes, mais utilisait des traditions indépendantes.


    2. Jean a connu certaines traditions synoptiques et les a utilisées.


    3. Jean connaissait tout ou partie des Synoptiques, mais a consciemment réécrit ses sources afin soit (a) de les interpréter, soit (b) de les compléter, soit (c) de les remplacer. Rien ne permet de choisir entre ces réponses diverses.

    En ce qui concerne la structure, nous constatons que le ministère public de Jésus consiste en plusieurs voyages entre la Galilée et Jérusalem, alors que dans les synoptiques, tout se passe en Galilée, Jésus ne venant à Jérusalem que pour y être crucifié. Ce seul voyage de Jésus à Jérusalem à l'occasion de la Pâque, suppose que le ministère de Jésus dura moins d'un an. Pour Jean, Jésus vient célébrer la Pâque au moins trois fois, donc son ministère se serait étendu sur quelque trois ans.

    Des événements importants de la vie de Jésus, mentionnés par les synoptiques, se retrouvent aussi chez Jean, mais pas nécessairement au même moment. Par exemple, dans les synoptiques, Jésus purifie le Temple juste avant le récit de la passion. Jean place cet événement au début du ministère de Jésus.

    Mais là n'est pas l'important en ce qui concerne ce quatrième Évangile. Il faut signaler sa théologie particulièrement, celle du prologue et celle de l'Évangile lui-même.


    a. Le Prologue

    L'Évangile est introduit par un prologue (I, 1-18). La différence de style entre le prologue (en vers, sauf les ajouts dont question ci-après) et l'Évangile lui-même (en prose), de même que la notion de Verbe (Logos) qui se trouve dans le prologue et qui ne se retrouve plus dans le reste de l'Évangile, ont amené certains exégètes à penser que le prologue est un texte qui existait indépendamment de l'Évangile, un poème antérieur que l'évangéliste aurait utilisé.

    Ce prologue nous introduit dans une théologie nouvelle, celle de la préexistence du Verbe, un Verbe qui est le véritable Fils unique de Dieu (monogénès, l'unique engendré).

    Les deux mots grecs, "monogénès" (l'unique engendré) et "uios" (fils), traduits en français par Fils unique et Fils, provoquent une confusion dans les textes traduits, confusion qui n'existait pas dans les originaux grecs. Avec le Dieu (ho Theos), de toute éternité, existe le Verbe qui n'est pas le Dieu, mais seulement dieu (theos), Ce Verbe est donc au-dessus de la nature humaine, il est de nature divine (Jn. I,1-2).

    De plus, (le) Dieu n'a engendré que le Verbe, car toutes les autres créatures, Il les a créées (faites) en se servant du Verbe (I, 3).

    Le Verbe est la vie et la lumière des hommes, lumière qui brille dans les ténèbres qui ne veulent pas la comprendre (I, 4-5). On peut voir ici une pensée semblable à celle des gnostiques sur la dualité de la lumière et des ténèbres. S'intercalent ensuite les versets 6 à 8 qui concernent Jean-Baptiste.

    Le Verbe est la vraie lumière du monde qui a été créé par lui, mais qui ne le reconnaît pas (I, 9-10).

    Le Verbe-lumière doit venir dans le monde parmi les siens qui, cependant, ne l'accueillent pas (I, 11), (sauf ceux qui ont cru en lui et qui deviennent les enfants de Dieu, versets 12 et 13, versets sans doute ajoutés).

    Il faut donc que le Verbe se fasse chair et demeure parmi nous pour que nous puissions voir sa gloire, "cette gloire que, comme Fils unique, il tient du Père" (I, 14).

    Le qualificatif, "plein de grâce et de vérité" que l'on trouve dans les traductions à la suite de ces versets, est à l'accusatif dans le texte grec et ne peut donc pas se rapporter à Fils unique ou à Père qui sont des génitifs. Il faut chercher un substantif accusatif qui pourrait être Dieu du verset 18, car les versets 15 à 17 seraient des interpolations (le verset 15 est d'ailleurs la répétition du verset 30: "après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était").

    Personne n'a vu Dieu. C'est le (dieu,) Fils unique, qui nous (le) dévoile (I,18). Les traducteurs ajoutent ici le pronom personnel "le" car le verbe "dévoile" n'a pas de complément direct dans le texte grec. 

    Ils supposent donc que ce complément direct est le mot Dieu qui est déjà le complément direct du verbe "vu" dans la phrase qui précède. De plus, le mot "dieu" (theos) ne se trouve que dans le manuscrit Bodner II (le plus ancien de nos manuscrits du IVe Évangile).

    Dans les autres manuscrits, il est remplacé par Fils (uios). "Dieu" est-il la version primitive, incomprise par les scribes ultérieurs qui l'ont remplacé par "fils" ? C'est peut-être aussi une interpolation, car partout ailleurs "le Fils unique" (ho monogénès) est toujours employé seul.

    Dans tous ces versets, Fils unique traduit le mot grec monogénès.

     Il se rapporte au Verbe et non à Jésus comme on le comprend habituellement. Certes, pour l'auteur du quatrième Évangile, c'est Jésus qui incarne le Verbe. C'est par Jésus que la grâce et la vérité ont été apportées (I, 16-17). Ces derniers versets pourraient aussi être un ajout inséré par l'auteur ou l'éditeur du quatrième Évangile dans le prologue si celui-ci est un texte antérieur.

    D'aucuns pensent que le prologue n'avait rien de chrétien, car si nous excluons tous ces versets qui sont en prose, il n'est nulle part fait mention de Jésus. Il s'écarte toutefois de l'idée que Philon se faisait du Verbe, car chez Philon, le Verbe demeure une notion impersonnelle ; il n'y est pas question d'incarnation, notion chrétienne, à moins que celle-ci ne vienne de l'hellénisme dans lequel baignait le judaïsme de la diaspora.

    Nous laisserons le soin aux exégètes de continuer à débattre de cette question, pour nous intéresser à la doctrine développée dans le corps de l'Évangile lui-même.

      La date/heure actuelle est Jeu 21 Nov 2024 - 16:44