Quand Jésus n'était pas encore Dieu
FRÉDÉRIC LENOIR. Comment a été définie la Trinité? Sous la forme d'un récit, le nouveau livre du rédacteur en chef du «Monde des religions» nous plonge dans l'histoire des premiers siècles de l'ère chrétienne et raconte comment, de conciles en conciles, le visage du christianisme s'est peu à peu
dessiné.
Interview
Muriel Ramoni
Qui est Jésus?
C'est la question qui sert de fil rouge au dernier livre du philosophe et historien des religions Frédéric Lenoir, notamment connu pour ses nombreux ouvrages vulgarisés sur les religions et directeur du magazine Le Monde des religions. Trois ans après «Le Christ philosophe», dans lequel il présentait la dimension morale et éthique du christianisme, il publie un nouvel ouvrage entièrement consacré au Christ: «Comment Jésus est devenu Dieu». Sous ce titre un peu provocateur, Frédéric Lenoir aborde, cette fois, l'identité de Jésus: était-il un homme, un prophète, le messie ou Dieu? L'auteur y raconte, sous un angle historique, comment les premiers chrétiens ont défini la nature de ce Jésus, deuxième personne de la Trinité. Un récit passionnant, conté non sans quelques touches plus personnelles, qui nous montre la pluralité des croyances et des hérésies qui jalonnent les premiers siècles de l'ère chrétienne.
Le titre de votre livre, «Comment Jésus est devenu Dieu», sous-entend qu'il n'a pas toujours été
Dieu... Qui était-il avant?
Les premiers textes nous présentent Jésus comme un homme envoyé par Dieu, mais qui n'est pas égal à Dieu. Mais ce n'est pas non plus qu'un prophète; il a un lien particulier avec Dieu et est vu comme le Sauveur de l'humanité. Dans ce livre, je me suis intéressé à la façon dont l'Eglise a fait émerger l'idée de la double nature de Jésus, homme et Dieu. Une identité qu'on ne retrouve ni dans les évangiles, ni dans les lettres de Paul, pas plus que dans la bouche de Jésus lui-même. L'idée que Jésus est Dieu transparaît pour la première fois dans l'évangile de Jean, daté du début du IIe siècle.
L'introduction de ce texte fortement influencé par la philosophie grecque compare Jésus au Logos («la parole» dans de nombreuses traductions françaises, ndlr), autrement dit à la raison universelle qui gouverne le monde. Dans cet évangile, Jésus est décrit à la fois comme un homme et comme
l'incarnation du Logos, du verbe.
Ce caractère à la fois humain et divin de Jésus n'est donc pas une évidence pour les premiers
chrétiens?
Non, effectivement. Certains courants théologiques des premiers siècles ont rejeté l'humanité de Jésus, d'autres sa divinité. Ce n'est qu'en 325 que le concile de Nicée a défini, une fois pour toutes, la double nature de Jésus, ainsi que le dogme de la Trinité.
En parlant de la Trinité, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, ça fait du monde pour un monothéisme, non?
La Trinité est une tentative d'explication théologique, qui peut être satisfaisante, subtile et à la fois très simpliste parce qu'elle dit en mot humain quelque chose qui nous échappe. Dieu est un mystère insondable, Jésus est également resté énigmatique sur lui-même... D'ailleurs, saint Thomas d'Aquin disait qu'au fond, on ne peut rien dire de Dieu, si ce n'est ce qu'il n'est pas. Le dogme de la Trinité est une idée qui ne s'est mise en place qu'au cours d'un long processus et - il ne faut pas l'oublier - sous pression politique!
Sous pression politique, comment cela?
L'empereur Constantin avait pressenti qu'il pourrait s'appuyer sur les chrétiens - même s'ils étaient encore peu nombreux - pour rétablir la morale dans un empire qui partait en vrille. Mais la division des chrétiens entre eux, notamment sur la question de la nature de Jésus, restait un obstacle. Il a donc convoqué les évêques chrétiens au Concile de Nicée pour qu'ils se mettent d'accord. La thèse qui était alors dominante a été approuvée et elle l'est toujours. Les conciles suivants constituent ce qu'on appelle les querelles byzantines. On y coupe les cheveux en douze pour savoir, par exemple, si le Fils est subordonné au Père ou pas, etc. Parmi les principaux courants, on peut citer le nestorianisme ou l'arianisme. Les empereurs ont d'ailleurs souvent été achetés pour se prononcer en faveur des uns ou des autres.
Durant ces «querelles» qui perdurent jusqu'au concile de Chalcédoine, en 451, on fait plus que se chamailler: on exile, on emprisonne, on condamne...
Oui, on est effectivement bien loin du message des évangiles, qui est un message d'amour, d'égalité des êtres humains, de justice, un message qui appelle à agir en vérité... Mais à ce moment-là, ce qui compte pour l'Eglise, c'est l'orthodoxie, autrement dit la définition de ce qu'est la vraie foi.
Votre livre sort en librairie à un moment où l'Eglise catholique est très critiquée, notamment à cause du scandale des prêtres pédophiles. Vous n'avez pas peur de jeter de l'huile sur le feu en racontant comment on a «bricolé» pour ainsi dire les dogmes chrétiens: la nature du Christ, la Trinité?
Non, pas du tout. D'abord, je ne dis absolument pas que l'Eglise a «bricolé» ces dogmes! Au contraire, j'ai beaucoup de respect pour la façon dont elle a réfléchi à sa théologie. Ce que j'ai souhaité faire, c'est rappeler l'histoire des premiers siècles du christianisme en prenant un peu de recul. Certes en permanence, il y a eu des égarements de l'Eglise, mais à ces moments-là, les chrétiens doivent revenir aux fondements de leur foi, au message du Christ et à sa mise en oeuvre. Et la foi chrétienne fondamentale, c'est dire que Jésus a un lien particulier avec Dieu, qu'il est ressuscité
et qu'il est le Sauveur du monde.
Vous revenez justement sur ces fondements dans l'épilogue de votre livre. Ces dernières lignes sont-elles aussi la confession de foi de Frédéric Lenoir?
Je ne le cache pas. J'analyse les choses avec distance et critique, mais je crois que Jésus a un statut unique avec Dieu et qu'il a joué un rôle important. En ce sens, oui, je suis chrétien.