Religion
Morten Storm, un salafiste devenu agent double au cœur d’Al-Qaïda
Matthieu Stricot - publié le 10/03/2015
Un espion dans les milieux djihadistes. Le livre Agent au cœur d’Al-Qaïda* est le témoignage de Morten Storm, un Danois converti à l’islam qui décide de rejoindre les réseaux salafistes au Yémen. Devenu proche d’Anwar al-Awlaki, prédicateur éminent d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, il finira par changer de camp. Agent infiltré au service des renseignements occidentaux, il entame alors un quotidien où l’erreur n’est pas permise. Une immersion dans la vie des djihadistes et les filières de recrutement islamistes en Europe.
:copyright: Kare Viemose (ARKIV)
Une route dans le désert yéménite, en septembre 2009. Morten Storm, alias Murad, attend son entrevue avec Anwar al-Awlaki, membre éminent d’Al-Qaïda dans la Péninsule arabique. Ce n’est pas la première fois que le Danois converti à l’islam rencontre le guide spirituel devenu intendant militaire. Mais Murad n’est plus le salafiste convaincu qu’il était. Il est maintenant un agent double, travaillant pour le compte des services secrets occidentaux.
Ainsi débute Agent au cœur d’Al-Qaïda, témoignage exceptionnel et véridique, accompagné de photos et de transcriptions de communications électroniques. Les reporters de guerre de CNN Paul Cruickshank et Tim Lister se sont associés à la rédaction de l’ouvrage.
Comment les aléas de sa vie ont-ils mené Morten Storm vers le salafisme ? Il naît en 1976 à Korsor, ville ouvrière danoise sur la côte ouest de l’île de Seeland, à 100 km de Copenhague. Son père, alcoolique, quitte la maison lorsque Morten a 4 ans. À 13 ans, il commet son premier vol à main armée. Renvoyé de plusieurs établissements, il fréquente la bande des Raiders, puis les bikers des Bandidos. Les bagarres et la contrebande de cigarettes deviennent son quotidien.
Le déclic ne viendra pas des fréquentations de Morten, mais... du rayonnage d’une bibliothèque. Captivé par un livre sur la vie du Prophète, Morten y retrouve des valeurs qui lui tiennent à cœur : la solidarité, la loyauté. Les bonnes intentions sont reconnues et récompensées. Pour le jeune homme de 21 ans, c’est une révélation : « L’islam pouvait m’aider à contrôler mes instincts et acquérir une certaine maîtrise de moi-même.» Il décide de se convertir. Désormais, il se fait appeler Murad. Lors d’un bref passage en rétention, il rencontre Suleiman, qui lui explique que la délinquance est incompatible avec l’islam.
Guerre des mosquées
Murad Storm décide de partir à Londres chercher du travail. Dans la mosquée de Regent’s park, il rencontre Mahmud al-Tayyib. L’homme est l’un des nombreux émissaires des wahhabites dans le monde. Il propose à Murad de partir au Yémen, pour étudier dans une école coranique située dans le village de Dammaj. « Ne devenez jamais soufi ou chiite, et cessez de vous raser », l’avertit-il. Murad, ignorant la guerre des mosquées qui opposait sunnites et chiites, s’apprêtait à devenir l’un de ses fantassins.
Murad arrive au Yémen pendant l’été 1997. Une destination de choix pour de nombreux Occidentaux convertis, « en quête de ce qu’ils pensent être l’interprétation la plus pure et authentique de l’islam ». La madrasa (institut de formation) de Dammaj est conséquente : une bibliothèque, une mosquée assez grande pour accueillir les 300 jeunes hommes en formation. Ceux-ci viennent d’horizons divers, mais tous partagent le rejet du monde moderne : pour eux, les musulmans ont été trahis par leurs propres dirigeants, la pensée occidentale a altéré la religion. Unité apparente. Très vite, Murad comprend que le salafisme est tout sauf cohérent. Certains fustigent les Frères musulmans, quand d’aucuns les soutiennent. Les uns acceptent de tuer des civils, d’autres s’y refusent... Une agitation idéologique permanente.
Ce n’est pas la seule contradiction. Murad perçoit la madrasa comme un havre de paix, d’autodiscipline et de dévotion. Mais cela ne l’empêche pas de s’entraîner à tirer avec une kalachnikov AK-47 dans les environs. « Le croyant fort a une plus grande valeur que le croyant faible. Tout musulman devait se préparer au combat.» Salafiste accompli, Murad étoffe son réseau à Sanaa, la capitale yéménite. Après un an dans la péninsule arabique, il rentre à Londres. Dans le cercle des mosquées radicales, il rencontre des individus qui feront parler d’eux : le Franco-marocain Zacarias Moussaoui – surnommé le « 20e terroriste » du 11 septembre –, ou encore Richard Reid, « le terroriste à la chaussure » qui échoue dans sa tentative d’attentat lors du vol Paris-Miami, en décembre 2001.
Le 11 septembre et l’ébullition salafiste
Retour au Yémen, en avril 2001. Murad Storm a une nouvelle femme : Karima, une Marocaine qu’il a épousée à Rabat. Il a également obtenu une bourse danoise, pour étudier l’arabe à Sanaa. Le 11 septembre stupéfait les salafistes yéménites. Al-Qaïda est maintenant capable d’attaquer les États-Unis sur leur territoire. Des attentats qui ébranlent les convictions de Murad : « Est-il permis de tuer des civils dans des contrées lointaines, au nom de l’islam ?» La « croisade » de G.W Bush contre l’islam pousse de nombreux indécis à rejoindre le camp des moudjahidines.
Le fils de Murad, Oussama, naît en mai 2002. Après un retour au Danemark, le couple s’installe finalement à Luton, dans la banlieue de Londres. Depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, le fanatisme est en ébullition dans les milieux salafistes. Le 7 juillet 2005, quatre explosions font 56 morts et 700 blessés à Londres. L’atmosphère devient intenable pour les musulmans. Murad retourne au Yémen avec son fils.
C’est alors qu’il rencontre Anwar Al-Awlaki. Né aux États-Unis, le cheikh a mené des études brillantes outre-Atlantique avant de rentrer dans son pays d’origine. Il enseigne alors à l’université coranique Al-Iman de Sanaa. Le prédicateur sera le guide spirituel de nombreux djihadistes, dont les frères Kouachi, auteurs du massacre à la rédaction de Charlie Hebdo en janvier dernier. Pendant son séjour, Murad entre dans l’entourage proche d’al-Awlaki.
Revirement
De retour au Danemark avec Fadia, sa nouvelle femme yéménite, Murad est inquiet. Plusieurs de ses proches ont été arrêtés pour leur soutien à l’Union des Tribunaux islamiques, en Somalie. Murad est contacté par les services de renseignement danois (PET), alors qu’il s’apprête à partir lui aussi combattre en Somalie. Mais ses contacts sur place le lui déconseillent. Trop dangereux.
Décembre 2006. Murad se renferme sur lui-même et remet son engagement en cause. Est-il en train de perdre la foi ? Sa colère explose : pourquoi les membres de sa famille, des gens biens, devraient mourir dans les flammes de l’enfer, sous prétexte qu’ils ne sont pas musulmans ? Il n’a qu’un objectif en tête : empêcher les terroristes de tuer des innocents.
Il décide alors de contacter un agent du PET. La rencontre a lieu au Radisson Hotel d’Aarhus. Une entrevue de trois heures, en compagnie de deux agents qui prennent conscience du potentiel d’informateur chez Morten. L’ancien salafiste change ainsi de camp. Il travaille pour les renseignements : le PET danois, puis, très vite, les MI5 et MI6 britanniques, ainsi que la CIA. Liban, Yémen, Kenya, Croatie, Royaume-Uni... Le Danois infiltre les milieux djihadistes dans le monde entier. Une vie de mensonges et de duplicité, faite de rencontres secrètes, de messages codés et de comptes-rendus clandestins. Morten Storm n’a pas le droit à l’erreur...
Son témoignage en dit long sur la vie des djihadistes, les filières de recrutement islamistes en Europe et l’activité assidue des services secrets occidentaux.
> À lire :
*Morten Storm (avec Paul Cruickshank et Tim Lister), Agent double au cœur d’Al- Qaïda.
Morten Storm, un salafiste devenu agent double au cœur d’Al-Qaïda
Matthieu Stricot - publié le 10/03/2015
Un espion dans les milieux djihadistes. Le livre Agent au cœur d’Al-Qaïda* est le témoignage de Morten Storm, un Danois converti à l’islam qui décide de rejoindre les réseaux salafistes au Yémen. Devenu proche d’Anwar al-Awlaki, prédicateur éminent d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, il finira par changer de camp. Agent infiltré au service des renseignements occidentaux, il entame alors un quotidien où l’erreur n’est pas permise. Une immersion dans la vie des djihadistes et les filières de recrutement islamistes en Europe.
:copyright: Kare Viemose (ARKIV)
Une route dans le désert yéménite, en septembre 2009. Morten Storm, alias Murad, attend son entrevue avec Anwar al-Awlaki, membre éminent d’Al-Qaïda dans la Péninsule arabique. Ce n’est pas la première fois que le Danois converti à l’islam rencontre le guide spirituel devenu intendant militaire. Mais Murad n’est plus le salafiste convaincu qu’il était. Il est maintenant un agent double, travaillant pour le compte des services secrets occidentaux.
Ainsi débute Agent au cœur d’Al-Qaïda, témoignage exceptionnel et véridique, accompagné de photos et de transcriptions de communications électroniques. Les reporters de guerre de CNN Paul Cruickshank et Tim Lister se sont associés à la rédaction de l’ouvrage.
Comment les aléas de sa vie ont-ils mené Morten Storm vers le salafisme ? Il naît en 1976 à Korsor, ville ouvrière danoise sur la côte ouest de l’île de Seeland, à 100 km de Copenhague. Son père, alcoolique, quitte la maison lorsque Morten a 4 ans. À 13 ans, il commet son premier vol à main armée. Renvoyé de plusieurs établissements, il fréquente la bande des Raiders, puis les bikers des Bandidos. Les bagarres et la contrebande de cigarettes deviennent son quotidien.
Le déclic ne viendra pas des fréquentations de Morten, mais... du rayonnage d’une bibliothèque. Captivé par un livre sur la vie du Prophète, Morten y retrouve des valeurs qui lui tiennent à cœur : la solidarité, la loyauté. Les bonnes intentions sont reconnues et récompensées. Pour le jeune homme de 21 ans, c’est une révélation : « L’islam pouvait m’aider à contrôler mes instincts et acquérir une certaine maîtrise de moi-même.» Il décide de se convertir. Désormais, il se fait appeler Murad. Lors d’un bref passage en rétention, il rencontre Suleiman, qui lui explique que la délinquance est incompatible avec l’islam.
Guerre des mosquées
Murad Storm décide de partir à Londres chercher du travail. Dans la mosquée de Regent’s park, il rencontre Mahmud al-Tayyib. L’homme est l’un des nombreux émissaires des wahhabites dans le monde. Il propose à Murad de partir au Yémen, pour étudier dans une école coranique située dans le village de Dammaj. « Ne devenez jamais soufi ou chiite, et cessez de vous raser », l’avertit-il. Murad, ignorant la guerre des mosquées qui opposait sunnites et chiites, s’apprêtait à devenir l’un de ses fantassins.
Murad arrive au Yémen pendant l’été 1997. Une destination de choix pour de nombreux Occidentaux convertis, « en quête de ce qu’ils pensent être l’interprétation la plus pure et authentique de l’islam ». La madrasa (institut de formation) de Dammaj est conséquente : une bibliothèque, une mosquée assez grande pour accueillir les 300 jeunes hommes en formation. Ceux-ci viennent d’horizons divers, mais tous partagent le rejet du monde moderne : pour eux, les musulmans ont été trahis par leurs propres dirigeants, la pensée occidentale a altéré la religion. Unité apparente. Très vite, Murad comprend que le salafisme est tout sauf cohérent. Certains fustigent les Frères musulmans, quand d’aucuns les soutiennent. Les uns acceptent de tuer des civils, d’autres s’y refusent... Une agitation idéologique permanente.
Ce n’est pas la seule contradiction. Murad perçoit la madrasa comme un havre de paix, d’autodiscipline et de dévotion. Mais cela ne l’empêche pas de s’entraîner à tirer avec une kalachnikov AK-47 dans les environs. « Le croyant fort a une plus grande valeur que le croyant faible. Tout musulman devait se préparer au combat.» Salafiste accompli, Murad étoffe son réseau à Sanaa, la capitale yéménite. Après un an dans la péninsule arabique, il rentre à Londres. Dans le cercle des mosquées radicales, il rencontre des individus qui feront parler d’eux : le Franco-marocain Zacarias Moussaoui – surnommé le « 20e terroriste » du 11 septembre –, ou encore Richard Reid, « le terroriste à la chaussure » qui échoue dans sa tentative d’attentat lors du vol Paris-Miami, en décembre 2001.
Le 11 septembre et l’ébullition salafiste
Retour au Yémen, en avril 2001. Murad Storm a une nouvelle femme : Karima, une Marocaine qu’il a épousée à Rabat. Il a également obtenu une bourse danoise, pour étudier l’arabe à Sanaa. Le 11 septembre stupéfait les salafistes yéménites. Al-Qaïda est maintenant capable d’attaquer les États-Unis sur leur territoire. Des attentats qui ébranlent les convictions de Murad : « Est-il permis de tuer des civils dans des contrées lointaines, au nom de l’islam ?» La « croisade » de G.W Bush contre l’islam pousse de nombreux indécis à rejoindre le camp des moudjahidines.
Le fils de Murad, Oussama, naît en mai 2002. Après un retour au Danemark, le couple s’installe finalement à Luton, dans la banlieue de Londres. Depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, le fanatisme est en ébullition dans les milieux salafistes. Le 7 juillet 2005, quatre explosions font 56 morts et 700 blessés à Londres. L’atmosphère devient intenable pour les musulmans. Murad retourne au Yémen avec son fils.
C’est alors qu’il rencontre Anwar Al-Awlaki. Né aux États-Unis, le cheikh a mené des études brillantes outre-Atlantique avant de rentrer dans son pays d’origine. Il enseigne alors à l’université coranique Al-Iman de Sanaa. Le prédicateur sera le guide spirituel de nombreux djihadistes, dont les frères Kouachi, auteurs du massacre à la rédaction de Charlie Hebdo en janvier dernier. Pendant son séjour, Murad entre dans l’entourage proche d’al-Awlaki.
Revirement
De retour au Danemark avec Fadia, sa nouvelle femme yéménite, Murad est inquiet. Plusieurs de ses proches ont été arrêtés pour leur soutien à l’Union des Tribunaux islamiques, en Somalie. Murad est contacté par les services de renseignement danois (PET), alors qu’il s’apprête à partir lui aussi combattre en Somalie. Mais ses contacts sur place le lui déconseillent. Trop dangereux.
Décembre 2006. Murad se renferme sur lui-même et remet son engagement en cause. Est-il en train de perdre la foi ? Sa colère explose : pourquoi les membres de sa famille, des gens biens, devraient mourir dans les flammes de l’enfer, sous prétexte qu’ils ne sont pas musulmans ? Il n’a qu’un objectif en tête : empêcher les terroristes de tuer des innocents.
Il décide alors de contacter un agent du PET. La rencontre a lieu au Radisson Hotel d’Aarhus. Une entrevue de trois heures, en compagnie de deux agents qui prennent conscience du potentiel d’informateur chez Morten. L’ancien salafiste change ainsi de camp. Il travaille pour les renseignements : le PET danois, puis, très vite, les MI5 et MI6 britanniques, ainsi que la CIA. Liban, Yémen, Kenya, Croatie, Royaume-Uni... Le Danois infiltre les milieux djihadistes dans le monde entier. Une vie de mensonges et de duplicité, faite de rencontres secrètes, de messages codés et de comptes-rendus clandestins. Morten Storm n’a pas le droit à l’erreur...
Son témoignage en dit long sur la vie des djihadistes, les filières de recrutement islamistes en Europe et l’activité assidue des services secrets occidentaux.
> À lire :
*Morten Storm (avec Paul Cruickshank et Tim Lister), Agent double au cœur d’Al- Qaïda.