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    La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 15:57

    Rappel du premier message :

    La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

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    Les orthodoxes russes privilégient d'ordinaire la croix à huit branches, aussi appelée crucifixion. 
     

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    L'axe vertical de la croix est coupé de trois branches horizontales. La branche intermédiaire, la plus longue est reservée aux bras étendus du Crucifié. La branche supérieure représente l'inscription en grec, latin et hébreu que Pilate avait ordonné de clouer à la croix, selon la coutume romaine qui rendait ainsi public le motif de la peine.
     

    Contrairement à la tradition catholique qui représente les pieds du Christ cloué d'un seul clou, l'iconographie orthodoxe suit la tradition selon laquelle les pieds du Christ ont été cloués séparement, ce que sont venus confirmer les études réalisées sur le Suaire de Turin.
     

    La branche horizontale inférieure de la croix sert ainsi d'appui aux pieds du Crucifié. L'une de ses extrémités est surélevée, montrant le ciel où est reçu le Bon Laron, l'autre extrémité indiquant l'enfer qui attend le mauvais laron, celui qui ne se repentit point.
     

    Sous la croix est souvent figuré un crвne, la tête d'Adam, qui selon la tradition aurait été enterré à l'endroit même de la Crucifixion du Christ. Depuis la croix s'écoule le sang du Christ, rendant vie à Adam, à l'homme, à l'humanité. 
     

    Auprès de la croix, se tiennent la Mère de Dieu et l'apôtre Jean, le disciple bien-aimé. Sont également souvent représentés les instruments de la Passion, la lance, transpersant le côté du Christ, l'éponge vinaigrée donnée au Seigneur par le soldat romain. 
     

    On trouve parfois des représentations de la croix avec une demi-lune. Ce symbole, que l'on associe parfois à la victoire du Christianisme sur l'Islam était cependant connu bien avant les affrontements entre chrétiens et musulmans et signifie ici l'alliance de la croix et de l'ancre, symbole d'espérance. La demi-lune symbolise aussi la coupe de l'Eucharistie et le sang du Christ offert pour le rachat des péchés humains. On trouve aussi la croix et la demi-lune sur les coupoles des églises consacrées à la Mère de Dieu : la lune symbolise ici la Mère de Dieu, la Croix rappelle le Christ, soleil de vérité.

    Priez puis silence ...

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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:06

    POINTS DE VUE ORTHODOXES SUR L'UNITE DES CHRETIENS
    Le modèle patristique de l'unité


    En 1949, alors que le Congrès d'Amsterdam venait de donner naissance au Conseil œcuménique des Eglises, le P. Georges Florovsky caractérisait ainsi la position du théologien orthodoxe parmi ses collègues professant une foi différente : " Le théologien orthodoxe peut et doit représenter moins l'" Orient " contemporain que l'antiquité œcuménique elle-même. L'antiquité est importante, il va de soi, plus par son caractère intégral, synthétique, que par son ancienneté. L'Orthodoxie exprime dans l'économie de l'œcuménisme le moment patristique " (Georges FLOROVSKY, " Une vue sur l'Assemblée d'Amsterdam ", dans Irénikon, 22 (1949), pp. 10- 11.).

    Il faut assurément appliquer à des situations inédites et à des besoins nouveaux cette vision intégrale et synthétique que les premières générations chrétiennes avaient du mystère de l'Eglise, mais c'est néanmoins en se fondant sur elle et en s'efforçant de n'en rien altérer que l'Eglise trouvera aujourd'hui les voies d'une fidélité vivante.

    Dans les perspectives de l'Eglise ancienne, le mystère du salut apparaît fondamentalement comme une œuvre de réunification. Un texte d'inspiration basilienne dira : " En cela se résume toute l'économie du Sauveur : rassembler la nature humaine en elle-même et avec lui, et faire cesser sa division pernicieuse pour restaurer l'union primitive " (Pseudo Basile, Constitutions monastiques, 18 ; PG 31, 1385 A). Accomplie une fois pour toutes par la mort et la résurrection du Seigneur, cette œuvre du salut atteindra effectivement chaque personne humaine, à travers le temps et l'espace, par la célébration eucharistique. Puisque chaque chrétien, mort au péché et ressuscité avec le Christ pour une vie nouvelle dans le baptême, est mystiquement identifié au Corps glorieux du Christ par l'énergie de l'Esprit-Saint dont il est pénétré lorsqu'il a participé au Corps eucharistique, on doit en conclure que tous les chrétiens deviennent, par cette participation, " concorporels " [(ayant ou : formant) un même corps L'expression vient de Eph. 3, 6, et a été souvent reprise par les Pères depuis saint Athanase. La doctrine des Pères grecs sur l'Eglise-Corps du Christ semble correspondre assez exactement à celle de saint Paul, telle que l'interprète l'exégèse récente : c'est le corps réel personnel glorifié du Christ "qui est le centre et l'origine de l'unité du monde chrétien ; c'est parce que l'union mystique nous identifie tous à ce même corps que nous pouvons être un entre nous " (L. CERFAUX, La théologie de l'Eglise suivant saint Paul, Paris, 1965, p. 236)]. Le " charbon ardent " du Corps divin, lorsqu'il touche l'homme, l'arrache à ses limitations individuelles, et, paradoxalement, le fait accéder à la plénitude de la vie personnelle en l'amenant à renoncer à l'exaltation de son individualité, dans une communion fraternelle qui est à l'image de la Trinité sainte.

    Ce fondement eucharistique de l'ecclésiologie a été admirablement exposé par saint Cyrille d'Alexandrie (+444) dans ce passage de son Commentaire sur l'Evangile de Jean : " Pour que nous tendions vers l'unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu'il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père. En effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul Corps, le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet séparera et écartera de cette union physique ceux qui sont attachés au Christ jusqu'à être un avec lui par ce saint Corps unique? Car si tous, nous participons à un pain unique, nous formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut pas être divisé. C'est pourquoi l'Eglise est elle aussi appelée le Corps du Christ, et nous ses membres, selon la pensée de Paul (cf. 1Cor. 12, 27)... L'Esprit est un et indivisé, lui qui rassemble par lui-même les esprits de chacun, malgré leur distinction selon l'existence individuelle, et il les fait apparaître tous comme ne formant qu'un seul être en lui-même... Aussi Paul déclare-t-il : " Supportez-vous les uns les autres avec charité, appliquez-vous à conserver l'unité que donne l'Esprit par ce lien qu'est la paix. Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous (Ephès. 4, 2-6) " (Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE. In Joan., 11, 11 : PG 74, 560 A - 561 B).

    Dans cette perspective, l'Eglise, c'est d'abord l'Eglise locale, c'est-à-dire le groupe de chrétiens qui se rassemblent en un même lieu autour de leur évêque légitime pour célébrer l'Eucharistie. Chaque Eglise locale n'est pas une partie de l'Eglise universelle ; chacune réalise la totalité du mystère de l'Eglise et s'identifie avec l'Eglise universelle, qu'elle rend présente dans sa plénitude en un point donné de l'espace, dès lors qu'elle reste intégralement fidèle dans sa foi au dépôt transmis par les apôtres (Cette conception de l'Eglise a été remise en valeur en particulier par le P. N. Afanasieff ; mais selon celui-ci, toute Eglise locale qui célèbre l'Eucharistie est de ce fait identique à l'Eglise universelle et peut être en communion sacramentelle avec les autres Eglises locales, même si des divergences dogmatiques les séparent ; cf. N. AFANASIEFF, " Una Sancta ", dans Irénikon, 36 (1963), p. 473. Ceci ne semble pas conforme aux données de l'histoire, et d'autres théologiens orthodoxes ont rectifié la thèse d'Afanasieff en précisant qu'une Eglise locale n'est vraiment l'Eglise de Dieu et ne peut être en communion avec les autres Eglises que si elle professe une foi exactement conforme à la leur. Cf. Métropolite MAXIME DE SARDES, Le Patriarcat œcuménique dans l'Eglise Orthodoxe, Paris 1975, pp. 27-51).
    Ceci explique que les notions d'" intercommunion " et d'" hospitalité eucharistique " aient été inconnues de l'Eglise ancienne, qui n'aurait pu leur donner aucun sens. Elle ne connaissait que la communion, ou son refus. Dans la pensée des chrétiens de cette époque, si un membre d'une Eglise locale participait à l'Eucharistie d'une autre Eglise locale, par exemple à l'occasion d'un voyage, il attestait par là qu'il reconnaissait cette Eglise comme identique à la sienne et à l'Eglise universelle.

    Des divergences d'opinion, d'usages et de traditions pouvaient bien exister entre ces Eglises, sur des points où un accord général ne s'était pas manifesté et que l'on considérait comme secondaires : elles n'avaient plus aucune importance, et ne faisaient que " confirmer l'accord de la foi " selon l'expression de saint Irénée de Lyon (Saint IRÉNÉE DE LYON, dans EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 24,13 ; SC 41, p. 70). Aucune déficience grave ne peut affecter objectivement une Eglise par ailleurs pleinement fidèle à la Tradition apostolique.

    C'est en se référant à un point de ce genre - qu'il estimait personnellement important, mais étranger à la foi elle-même (la non-validité du baptême des hérétiques) - que saint Cyprien de Carthage (+ 258) déclarait : " Ne jugeons personne ou n'écartons personne du droit à la communion pour divergence de sentiment" (saint CYPRIEN DE CARTHAGE, Sent. Episcop. cité dans Saint AUGUSTIN, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl. August., 29, pp. 416-418).

    Certes, il a existé, à chaque époque de l'histoire de l'Eglise, des groupes rigoristes qui ont rompu la communion avec les autres Eglises pour des questions secondaires. Mais, comme le montre l'historien Socrate (+ vers 440), à propos du schisme novatien, de tels hommes se mettent ordinairement aussitôt à se diviser entre eux et à former sans fin de nouveaux conventicules, manifestant bien que l'esprit de parti l'a emporté chez eux sur l'amour de l'unité de l'Eglise (SOCRATE, Hist. Eccl, 5, 22 ; PG 67, 645).

    On voit combien il importait, quand des divergences apparaissaient entre Eglises, d'en peser exactement la nature. S'agissait-il de questions de minime importance ou de traditions différentes, mais authentiques ? Le maintien ou le rétablissement de la communion s'imposait, sans qu'aucune des deux parties puisse prétendre contraindre l'autre à se singer à son sentiment sous menace de rupture de communion. S'agissait-il par contre de questions touchant à la substance de la foi et de la tradition apostolique ? Alors, tant que les divergences subsistaient, la séparation demeurait la plus douloureuse, mais aussi la plus impérieuse des exigences non seulement de la vérité, mais aussi de l'amour véritable de Dieu et du prochain. Et pour les Pères, le contenu de la foi était indivisible : il n'aurait pu être question d'y distinguer des " articles fondamentaux ", " kérygmatiques ", et des articles de moindre importance : " De même que, dans les monnaies royales, si vous en altérez quelque peu l'empreinte, vous faussez la pièce tout entière, de même, celui qui laisse entamer sa foi dans la plus petite partie l'ébranle tout entière, et il ira toujours en déclinant. Où sont ceux qui nous accusent d'aimer les querelles à cause de nos discussions avec les hérétiques ? Où sont ceux qui n'admettent aucune différence réelle entre eux et nous et prétendent que tout est une question d'ambition personnelle ? Qu'ils écoutent Paul proclamant que l'Evangile est bouleversé par une innovation, même petite (cf. Gal. 1, 7) " (Saint JEAN CHRYSOSTOME, Sur l'Epître aux Galates, 1, 6).

    Selon cette conception, qui demeure celle de l'Eglise orthodoxe, l'Eglise universelle est donc constituée par l'ensemble des Eglises locales en communion entre elles. Elle est, nous disent les Pères, l'unique arche de salut donnée aux hommes par Dieu pour leur permettre d'échapper à la condamnation ; unique épouse du Christ, elle est la mère spirituelle qui seule peut les enfanter par le baptême à la vie nouvelle, en faire des fils adoptifs de Dieu ; Corps du Christ, elle est le seul lieu où les hommes soient véritablement unis à Dieu et entre eux par l'action sanctifiante de l'Esprit.

    Est-ce à dire qu'aucun homme ne peut être sauvé et sanctifié en dehors d'une appartenance formelle à l'Eglise visible ? Certaines allusions montrent que les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer par les voies normales du salut, là où il trouve des cœurs bien disposés : " Beaucoup de ceux qui nous sont extérieurs nous appartiennent, eux dont les mœurs devancent la foi et à qui ne manque que le nom, alors qu'ils possèdent la réalité elle-même ", déclare saint Grégoire le Théologien (+ 390)(Saint Grégoire le théologien, Or 18, 6 ; PG 35, 992 BC.), qui n'hésite pas à ranger parmi eux son propre père ; et de sa sœur, il dit : " Toute sa vie était purification et perfection... J'ose le dire, le baptême ne lui apporta pas la grâce, mais la consécration " (Id, Or. 8, 20 ; PG 35, 812 C). Mais de cette appartenance invisible à l'Eglise qui, elle, est visible, les Pères n'ont pas fait la théorie, faute d'indications explicites dans les sources de la Révélation.

    La communion entre les Eglises locales est manifestée, sur le plan sacramentel, par la consécration collégiale des évêques, et, lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes de foi et de discipline, par les conciles d'évêques. Ces conciles peuvent être régionaux ou universels. Un concile authentique est une assemblée où les évêques, fidèles à l'Esprit Saint, proclament avec autorité la vraie foi de l'Eglise, le seul signe de cette authenticité étant, du point de vue orthodoxe, la réception subséquente de ce concile par l'ensemble de l'Eglise (Sur la conception orthodoxe de l'autorité dans l'Eglise, cf. Mgr Kallistos WARE, " L'exercice de l'autorité dans l'Eglise Orthodoxe ", in Irénikon, 54 (1981),pp.451-471 et 55 (1982), pp.25-34).

    À l'échelon régional ou au niveau de l'Eglise universelle également, certains sièges épiscopaux ont été investis d'une primauté, au cours de l'histoire de l'Eglise. Cette structuration de l'Eglise est une réalité trop universelle dans le temps et l'espace pour qu'elle puisse être considérée comme accidentelle et d'ordre purement humain. On doit y reconnaître un effet de la conduite du Saint Esprit sur l'Eglise, et donc un élément de la Tradition. Mais l'idée de primauté, telle qu'elle a été reçue dans l'ensemble de l'Eglise, n'a jamais impliqué qu'une primauté entre égaux, ses titulaires ne pouvant exercer d'autorité en dehors de leur propre diocèse que dans la mesure où elle leur a été accordée par les autres évêques, et toujours dans une inter dépendance réciproque. Assez tôt, les papes de Rome ont revendiqué une juridiction de droit divin d'une qualité ecclésiologique toute particulière sur l'Eglise universelle, mais celle-ci ne leur a été reconnue progressivement que dans la sphère assez limitée où s'exerçait leur autorité directe, - le patriarcat romain. Or, jusqu'à la rupture du 11ème siècle celui-ci avait en face de lui quatre autres patriarcats, où l'on avait une conception différente des choses.
    L'Eglise orthodoxe et le mouvement œcuménique
    L'ecclésiologie orthodoxe est demeurée pour l'essentiel, malgré des distorsions dues aux circonstances historiques et aux péchés des hommes, celle de l'Eglise ancienne, avec laquelle l'Eglise orthodoxe d'aujourd'hui se sent en parfaite continuité, sans rupture aucune. Elle a conscience d'être purement et simplement, l'Eglise de Dieu. Elle ne peut considérer les autres confessions chrétiennes que comme des membres détachés de l'unité ecclésiale, pleinement conservée en elle. Sa tradition a pour contenu normatif ce que tous les chrétiens, avant l'époque des séparations, ont considéré ensemble comme faisant partie du dépôt apostolique, qu'il s'agisse de la foi elle-même ou de la vie ecclésiale. Du point de vue orthodoxe, l'unité entre tous les groupes chrétiens séparés ne peut se réaliser que par le retour à la Tradition commune et universelle de l'Eglise : ce qui a été reçu comme dogme de foi ou vécu comme institutions communes " partout, toujours et par tous " durant le millénaire qui précéda les séparations, sans rien y ajouter ni rien en retrancher (Cf. saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 2 : " Dans l'Eglise catholique, il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous. ". Adhérant à la plénitude de la Tradition, chacune de ces communautés se trouverait ipso facto dans l'unité de l'Eglise universelle.

    Selon cette ecclésiologie patristique et orthodoxe, l'unité visible de l'Eglise est donc donnée par Dieu, et demeurera identique à elle-même jusqu'à la Parousie. Si l'on excepte les milieux œcuméniques catholiques, l'ecclésiologie d'origine protestante qui domine dans le mouvement œcuménique est d'une inspiration fort différente. Sa conviction fondamentale est que l'unité visible de l'Eglise n'est pas donnée, mais à espérer et à construire par la docilité de tous à l'action de l'Esprit Saint. Aucune Eglise empirique ne peut s'identifier à l'Eglise de Dieu. Celle-ci possède une unité réelle, mais invisible, à travers les divisions actuelles. Le but du mouvement œcuménique est de la manifester progressivement par une unité visible, qui comportera une foi commune dans les vérités jugées fondamentales, une intercommunion sacramentelle et une reconnaissance des ministères, les différences institutionnelles et dogmatiques pouvant demeurer considérables entre les diverses Eglises.

    Il est évident qu'une telle conception ne peut apparaître, aux yeux des orthodoxes, que comme une pan-hérésie, et il ne saurait être question pour eux d'y faire de quelconques concessions. Le Conseil Œcuménique des Eglises ayant eu pour artisans des hommes qui, malgré leur bonne volonté, ne pouvaient faire abstraction des présupposés doctrinaux qui étaient les leurs, il était inévitable que les délégués orthodoxes s'y soient sentis le plus souvent en porte-à-faux. Leur situation s'était trouvée un peu clarifiée après la session du Comité central du C.O.E. à Toronto en 1950 ; il y avait été précisé en effet que " le fait d'appartenir au Conseil n'implique pas que chaque Eglise doive considérer les autres comme des Eglises dans le vrai et plein sens du terme ". Mais la structure du C.O.E. contraint inévitablement les Eglises orthodoxes à y figurer comme des " confessions " ou des " dénominations " parmi les autres. Ce n'est qu'en affirmant très nettement la conception qu'elles ont de leur identité et leurs convictions, qu'elles peuvent éviter de rester dans l'équivoque et d'induire leurs partenaires en erreur.
    Dès la fondation du C.O.E., le théologien Georges Florovsky, dans un texte déjà cité plus haut, justifiait cependant la présence d'orthodoxes au C.O.E., en définissant la seule signification acceptable de leur participation : " Je considère pareille participation non seulement comme permise et possible pour les orthodoxes, mais encore comme un devoir direct découlant de l'essence même de la conscience orthodoxe et de l'obligation qui incombe à la véritable Eglise de témoigner sans relâche partout dans les synagogues, devant les rois et les princes. Comment croira-t-on, à moins d'avoir entendu ? Et comment entendra-t-on sans prédication? Cette sentence apostolique est bien à sa place ici. Je vois la participation orthodoxe au Mouvement œcuménique dans la ligne de l'action missionnaire. L'Eglise orthodoxe est spécialement appelée à une part dans l'échange œcuménique d'idées précisément parce qu'elle se sait la gardienne de la foi apostolique de la Tradition dans leur intégrité et leur plénitude, et être dans ce sens la véritable Eglise, parce qu'elle a conscience de posséder le trésor de la grâce divine par la continuité du ministère et la succession apostolique ; parce qu'enfin elle prétend ainsi à une place extraordinaire dans la chrétienté divisée. L'Orthodoxie est la vérité universelle, la vérité pour le monde entier, pour tous les temps et tous les peuples. Voilà les raisons pour lesquelles l'Eglise orthodoxe est appelée et obligée de témoigner de la vérité du Christ toujours et partout, devant le monde entier " (Georges FLOROVSKY, op. cit, pp. 9- 10).

    En 1976, le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe en Amérique publiait une très remarquable lettre encyclique sur l'unité des chrétiens et l'œcuménisme (texte français dans " Le Messager Orthodoxe ", n° 78 (1978), pp. 36-55 ; un excellent commentaire en a été donné par Dom Emmanuel LANNE dans Irénikon, 46 (1973), pp. 319-335). Elle a pour objet de "formuler à nouveau la position qui a toujours été celle de l'Eglise Orthodoxe, position que malheureusement même quelques-uns de nos frères orthodoxes ont ignorée ou oubliée ". Le synode déclare : " Très chers et bien aimés frères et sœurs, il est de notre devoir comme évêques de l'Eglise et gardiens de la foi apostolique, de confesser que l'Eglise orthodoxe est l'unique Eglise du Christ... Cette conception fondamentale de l'Eglise orthodoxe... a toujours servi de base à la participation orthodoxe dans le mouvement œcuménique. " l'encyclique met ensuite en garde contre trois dangers qui menacent le mouvement œcuménique et sont générateurs de crise : le relativisme, qui rejette l'idée même de l'unicité de l'Eglise et de la valeur absolue de sa Tradition ; le sécularisme, selon lequel l'unité à réaliser consisterait dans la construction d'un monde meilleur par l'action politique, sociale et économique ; les faux procédés en matière d'union. Sur ce sujet, le texte dit : " Nous rejetons catégoriquement l'usage de la communion eucharistique et de l'intercommunion sacramentelle envisagée comme un moyen pour achever l'unité chrétienne. Selon la foi orthodoxe, les sacrements et la vie liturgique de l'Eglise, plus spécifiquement la sainte Eucharistie, ne peuvent être séparés de l'être même de l'Eglise, que leur existence a pour but de manifester. Les sacrements ne sont pas des symboles de dévotion psychologique. Ils sont des manifestations de l'essence de l'Eglise comme royaume de Dieu sur terre. En dehors de l'unité de foi dans l'Eglise unique du Christ qui est indivisible, il ne peut y avoir de communion sacramentelle ni de concélébration liturgique. " Et il ajoute : " Une célébration liturgique officielle qui implique la participation active de membres du clergé et de laïcs de différentes confessions est contraire aux canons de l'Eglise orthodoxe. De telles célébrations liturgiques sont seulement susceptibles d'être génératrices de confusion, sources de scandales, et d'aider à projeter une fausse impression de la foi chrétienne et de la nature de l'unité que Dieu a données aux hommes dans son Eglise. Suivant la foi orthodoxe, une telle célébration liturgique est aussi une fausse présentation des hommes devant l'autel céleste de Dieu. "

    A l'occasion du 25ème anniversaire du C.O.E., le Patriarcat Œcuménique et le Patriarcat de Moscou adressaient au Comité central du Conseil des messages où ils le mettaient également en garde contre l'horizontalisme et le sécularisme qui le menacent (texte dans Doc. Cath., 55 (1973), pp. 819-825 ; commentaire dans Irénikon, 46 (1973), pp. 475-482).

    Il est évidemment difficile d'apprécier l'influence que le témoignage orthodoxe a pu déjà exercer au sein du C.O.E. Un texte comme le document de Lima (1982) sur le Baptême, l'Eucharistie et le Ministère témoigne d'une prise de conscience nouvelle de données importantes de la tradition apostolique ; la participation orthodoxe n'y est probablement pas étrangère. Certains développements qui figurent dans ce texte sont d'un grand intérêt, et s'il venait à faire l'objet d'une réception assez générale parmi les confessions auxquelles il s'adresse, cela marquerait un immense progrès. Pourtant, il faut reconnaître que l'Eglise orthodoxe ne peut reconnaître dans un tel document qu'une expression partielle et limitée de la Tradition de l'Eglise telle qu'elle la vit elle-même, et il lui serait impossible d'accepter sans s'écarter de cette Tradition certaines recommandations qui accompagnent le texte.

    D'autre part, la nécessité de témoigner de la Tradition de l'Eglise devrait inciter les orthodoxes à y être eux-mêmes plus intégralement fidèles. Même si l'essentiel reste sauf, la Tradition authentique est chez eux occultée ou déformée sur bien des points. Que l'on songe, pour ne citer qu'un exemple, aux dommages que les attitudes nationalistes ou l'esprit de chapelle ont causés dans la Diaspora. Mais ces distorsions sont souvent la conséquence de situations de fait et de circonstances historiques (par exemple la révolution russe, ou les siècles d'occupation turque en Grèce et dans les Balkans), et il faut beaucoup de prudence et de patience pour y porter remède. On doit avoir, avant toute autre chose, le souci de préserver l'unité orthodoxe, et ne pas renouveler des initiatives comme la malencontreuse réforme du calendrier : toute réforme, tout changement, même théoriquement justifié, qui ne pourrait pas être reçu d'une façon quasi unanime par le peuple orthodoxe, ne serait pas inspiré par l'Esprit de Dieu. Le Patriarcat Œcuménique est actuellement très sensible à cet aspect des choses.
    Le dialogue avec l'Eglise catholique romaine
    Le dialogue que l'Eglise orthodoxe entretient avec l'Eglise catholique romaine a un caractère très différent de celui qu'elle peut avoir avec les confessions issues de la Réforme. En effet, elles professent l'une et l'autre que l'Eglise du Christ est unique, et que cette unité est visible et déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent, même si elles les présentent sous un éclairage différent, qui tient pour une part à l'influence diffuse, sur l'ensemble de la doctrine, des points sur lesquels elles divergent. Cet accord des deux Eglises, que le dialogue bilatéral qu'elles ont entrepris veut souligner d'abord, devrait avoir un poids immense au sein du mouvement œcuménique. Elles représentent actuellement, du point de vue numérique, la majorité des chrétiens dans le monde, et surtout, elles témoignent ainsi de ce que fut la foi unanime des chrétiens avant les séparations. Malheureusement, la force de ce témoignage est en grande partie occultée par une mauvaise répartition au sein du C.O.E. (dont l'Eglise catholique romaine n'est pas membre, pour des motifs très compréhensibles).

    Mais ces deux Eglises ne sont plus en communion depuis plus de neuf cents ans, et chacune a, pour sa part, conscience d'être l'unique Eglise de Dieu.

    Le rapprochement commencé avec les rencontres du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras en 1967, et qui, depuis 1979, a pris la forme d'un dialogue théologique, a pour objet de surmonter cette contradiction et de permettre le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux Eglises, en les amenant progressivement à se reconnaître pleinement comme Eglises-sœurs, c'est-à-dire comme deux ensembles d'Eglises locales ayant leurs traditions propres, mais formant ensemble l'unique Eglise de Dieu.

    Ce projet œcuménique a été ainsi formulé par le Cardinal Willebrands : " Nos Eglises, ayant reçu la même foi, ont développé par des voies et des manières différentes ce patrimoine chrétien, et " l'héritage transmis par les apôtres a été reçu par des manières diverses et, depuis les origines mêmes de l'Eglise, il a été expliqué de façon différente, selon la diversité du génie et les conditions d'existence " (cf. Décret Unitatis Redintegratio de Vatican Il). Ces évolutions différentes se rencontrent dans tous les domaines de la vie de l'Eglise, la tradition liturgique et spirituelle, la discipline, la manière d'exprimer, de présenter et d'organiser la réflexion sur les mystères de la foi... C'est dans ces perspectives que doit se situer notre travail en vue de la communion parfaite dans la foi, dans le respect de la pluralité et de la diversité nécessaires pour exprimer la richesse infinie de Dieu et de ses dons " (Cardinal WILLEBRANDS, " Allocution prononcée à Patmos le 29 mai 1980 ", dans Doc. Cath., 62 (1980), p. 705).

    L'application de ce programme se heurte cependant à des difficultés concrètes qui ne sont pas négligeables. Le Patriarche Dimitrios n'a pas hésité à évoquer de " sérieux problèmes théologiques qui concernent des chapitres essentiels de la foi chrétienne " (Patriarche DIMITRIOS 1er "Allocution du 30 novembre 1979", dans S. 0. P. n° 43 (décembre 1979), Supplément Documentation : " La rencontre de Jean-Paul II et de Dimitrios 1er ", p. 23) et s'opposent encore au rétablissement de la pleine communion entre les deux Eglises. Quelles sont ces difficultés, et par quelles voies espère-t-on les surmonter ?

    Les difficultés principales se situent au niveau de l'ecclésiologie et de la doctrine trinitaire. Sur ces deux points majeurs, l'Eglise latine a connu des développements doctrinaux que les autres Eglises n'ont jamais acceptés, et qu'elles considèrent comme des altérations de la Tradition apostolique.

    L'ecclésiologie romaine considère la primauté du pape de Rome comme le principe dernier de l'unité visible de l'Eglise. S'exprimant librement devant un auditoire de cardinaux, Paul VI n'hésitait pas à dire, dans son discours au Consistoire du 24 mai 1976 : " Etre hors de la communion avec le successeur de Pierre, c'est se mettre hors de l'Eglise ". Cette conception est le fruit d'une évolution qui s'est dessinée à Rome au moins dès le 4ème siècle mais qui, on l'a dit plus haut, n'a jamais fait l'objet d'une réception véritable dans les Eglises non-latines. Cette évolution de l'ecclésiologie romaine a certainement contribué dans une large mesure à rendre étrangères les unes aux autres l'Eglise latine, d'une part, et les autres Eglises, d'autre part. Ainsi s'est créé le climat qui rendait inéluctable la rupture du 11ème siècle.

    Au 19ème siècle, le Concile Vatican I a scellé ce développement doctrinal en définissant comme dogme de foi la primauté de juridiction de droit divin du pape sur l'Eglise universelle, et son infaillibilité personnelle en matière de définitions dogmatiques. L'Eglise orthodoxe reconnaîtrait sans difficulté au pape de Rome, l'union une fois rétablie, la fonction de " premier entre les égaux " (primus inter pares) qui était universellement admise dans l'Eglise ancienne. Mais elle rejette le dogme de Vatican I, qui a une tout autre signification. Le Patriarche Dimitrios, peu après son élection, devait déclarer : " En qualité de Patriarche œcuménique, nous désirons souligner qu'à l'avenir toutes les rencontres pancatholiques et panorthodoxes, tous les dialogues et toutes les consultations se tiendront sur les bases fondamentales suivantes

    1) La plus haute autorité de l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique réside dans le Concile Œcuménique de l'Eglise tout entière.
    2) Personne parmi nous, les évêques de l'Eglise catholique, n'a reçu d'autorité, de privilège ou de droit accordé canoniquement, sur quelque juridiction ecclésiastique que ce soit, sans l'intime volonté et le consentement canonique de l'autre " (texte dans Irénikon, 47 (1974), p. 70).

    La doctrine catholique romaine sur la Sainte-Trinité est dans une large mesure tributaire de l'enseignement de saint Augustin (+ 430) qui, durant des siècles, devait être l'autorité patristique principale dans l'Eglise latine. Or Augustin, penseur de génie, s'était montré assez novateur en ce domaine, au point qu'on a pu écrire que " l'historien du dogme qui, venant des écrits des Pères du 4ème siècle, débouche sur l'œuvre d'Augustin " constate que " la ligne de rupture dans le développement synthétique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs immédiats" (E. HENDRIKX, " Introduction à saint Augustin ", dans Œuvres de saint Augustin : La Trinité, 1, Paris, 1955, p. 22). Plus réticente que l'Eglise catholique romaine à l'égard de l'idée de développement dogmatique, l'Eglise orthodoxe n'en rejette cependant pas la possibilité. Mais le critère de l'authenticité d'un développement de ce genre ne peut être que sa réception par l'Eglise universelle ; jamais l'opinion d'un docteur particulier ou la tradition d'une Eglise particulière ne peut acquérir une telle autorité. Or, ici encore, nous sommes en présence d'une évolution propre à l'Occident latin qui aboutira, au 11ème siècle, à l'introduction à Rome du " Filioque " dans le symbole de Nicée-Constantinople, et, un peu plus tard, aux conciles médiévaux qui définiront que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe, accompagnant cette définition de l'anathème suivant (qui n'a jamais été levé) : " La Sainte Eglise romaine condamne, réprouve et anathématise quiconque a un sentiment opposé ou contraire, et elle le déclare étranger au Corps du Christ, qui est l'Eglise" (Concile de Florence, Denz.-Schönm, 1331-1332).

    Comme la primauté romaine, le " Filioque " est susceptible d'une interprétation orthodoxe, comme en témoigne saint Maxime le Confesseur (+ 666). C'est ce qui a permis - à la faveur d'une certaine équivoque - le maintien de la communion pendant plusieurs siècles, malgré la généralisation de cette doctrine dans l'Eglise latine. Mais ce n'est pas selon cette interprétation que le " Filioque " a été défini comme dogme de foi par l'Eglise romaine : au contraire, les conciles médiévaux le formulent sans équivoque dans un sens qui a toujours été jugé inacceptable par les représentants de l'Eglise orthodoxe. Comme le Patriarche Photius, les Patriarches de Constantinople, d'Antioche et de Jérusalem, dans leur Encyclique collective de 1848, qualifient cette doctrine d'" hérésie " ; et, très récemment, le Patriarche Dimitrios 1er dans son Encyclique du 12 mars 1981, déclarait que le " Filioque " est " tout à fait inacceptable et doit être rejeté " (Dans SOP, n° 59 (juin-juillet 1981), p. 15).

    On mesure toute la difficulté : sur au moins deux points importants de doctrine, l'Eglise orthodoxe rejette purement et simplement, comme contraires à la Tradition, des doctrines que l'Eglise catholique romaine a définies solennellement comme appartenant au dépôt de la foi.

    Est-il possible de sortir de la contradiction ? Une première tentative, faite par certains oecuménistes catholiques, consisterait à ne plus tenir les conciles occidentaux postérieurs à la séparation pour de vrais conciles œcuméniques, et à ne considérer leurs décisions, même dogmatiques, que comme des traditions propres à l'Eglise latine et n'ayant pas de caractère obligatoire pour les autres Eglises. La communion plénière pourrait ainsi être rétablie sans que les Orthodoxes soient obligés d'admettre le dogme de Vatican I, le " Filioque " et les autres traditions proprement latines. Assurément, dans une telle hypothèse, l'union serait grandement facilitée pour les Orthodoxes. Mais cette proposition
    vient d'être vigoureusement repoussée par le cardinal Joseph Ratzinger, qui la juge inacceptable du point de vue catholique. Elle impliquerait en effet que l'Eglise romaine renonce à sa conviction d'avoir été, depuis le 11ème siècle, l'Eglise universelle, et reconnaisse pratiquement avoir erré en proclamant vérité de foi ce qui n'était en réalité qu'une tradition particulière : " Ce qui se présentait comme vérité devrait être qualifié de simple coutume. La noble prétention à la vérité serait disqualifiée comme un abus" (Cf. Irénikon, 56 (1983), p. 236).
    Selon le P Congar, il ne serait pas nécessaire, en fait, que l'une des parties cesse de considérer comme dogme ce que sa tradition a considéré comme tel ; " dans le climat et sous la grâce d'aujourd'hui ", il semblerait qu'" il est possible de reconnaître l'équivalence réelle et l'homogénéité de visée, donc de sens et d'affirmation, bref, l'homonia, sous des démarches et expressions différentes " (Y CONGAR, "Autonomie et pouvoir central dans l'Eglise ", dans Irénikon, 53 (1980) p.311) - et, en réalité, contradictoires. Mais il est peu probable que ce pluralisme dogmatique, qui relativise dangereusement les affirmations de la foi et que l'on s'étonne un peu de trouver chez un théologien de formation thomiste, puisse être accepté par les deux Eglises.

    Une autre voie est suggérée par un texte élaboré dans le cadre du dialogue entre catholiques et protestants, mais qui pourrait trouver une application privilégiée dans le dialogue entre catholiques et orthodoxes. Ce document se fonde sur la théorie du développement dogmatique particulièrement en faveur dans l'Eglise catholique : " Les Eglises pour lesquelles le contenu de la foi s'exprime dans une formulation plus ample n'ont pas à considérer a priori les autres Eglises, moins explicites dans leurs traditions doctrinales, comme trahissant de plein gré ou par quelque calcul pervers l'intégralité de l'héritage chrétien. Elles doivent faire confiance à l'implicite et au vécu qu'il permet. Et à leur tour, évidemment, les Eglises sobres dans leur énoncé doctrinal et leur vie sacramentelle ont à se garder de considérer a priori les autres Eglises, plus abondantes en formules de foi et en rites, comme polluant la pureté de la foi par des surajouts adventices ou parasitaires. Elles doivent non nier, mais laisser la question ouverte... Une fois réconciliées, elles croîtront ensemble vers la plénitude de la vérité " (" Vers une profession de foi commune ", Rapport du groupe mixte de travail catholiques-protestants. Texte rédigé par J.M.R. Tillard et présenté par Pierre Duprey et Lukas Vischer, dans Doc. Cath. 62 (1980), p. 657). On pourrait ainsi soutenir qu'en ne confessant ni le " Filioque ", ni la primauté de droit divin et l'infaillibilité du pape, l'Eglise orthodoxe ne contredit pas les dogmes romains, mais se situe seulement à un stade moins avancé de développement doctrinal. Le cardinal Ratzinger semble favorable à une solution de ce genre : " Pour l'intercommunion avec les Orthodoxes, l'Eglise catholique ne doit pas insister nécessairement sur l'acceptation des dogmes du second millénaire. On présumerait que les Eglises orientales sont demeurées dans la forme de la Tradition du premier millénaire qui, en elle-même, est légitime et, si elle est bien comprise, ne contient pas de contradiction avec les développements ultérieurs. Ces derniers n'ont fait qu'expliciter ce qui était déjà là en principe au temps de l'Eglise indivise. J'ai moi-même pris part à ces tentatives de réflexion " (Cardinal RATZINGER, dans Irénikon, 56 (1983), p. 235).

    C'est sans doute du côté orthodoxe qu'un tel projet rencontrerait de fortes oppositions. En effet, entrer en communion sacramentelle avec une Eglise qui confesse tel ou tel dogme, n'est-ce pas, en fait, les accepter soi-même, bien qu'une profession explicite n'en soit pas exigée ? Et les Eglises orthodoxes accepteraient-elles d'être traitées en Eglises doctrinalement sous-développées ?

    Bornons-nous à ces exemples. L'œuvre du rapprochement devra surmonter, on le devine, de redoutables difficultés qui n'apparaissaient peut-être pas à première vue. Mais il est utile de clarifier les situations et de percevoir nettement les problèmes, pourvu qu'on le fasse dans un esprit de charité, sans passion et en dehors de toute polémique, animé seulement de l'amour de la vérité et de l'unité. Devant les difficultés de la tâche, le danger serait de s'évader vers des rêves séduisants ou des solutions de facilité qui les escamotent ; plus dangereuse encore est la tentation de s'y dérober en relativisant la valeur des formules de la foi et l'institution ecclésiale elle-même. Ce sont des biens infiniment précieux : nous ne pouvons connaître Dieu qu'à travers les mots transfigurés, portés par la Tradition, qui nous communiquent ce que le Fils de Dieu a bien voulu nous révéler des secrets du Père, et, de par sa volonté, nous ne pouvons rejoindre le Christ que par l'Eglise et dans l'Eglise qui est son Corps.

    Enfin, pour citer une dernière fois le cardinal Willebrands, " ce ne sont en premier lieu ni les conférences au sommet, ni les commissions, qui font progresser la cause œcuménique, mais le développement de ce que le décret sur l'œcuménisme a appelé l'âme de tout œcuménisme, c'est-à-dire la conversion du cœur, la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens " (Cardinal WILLEBRANDS, Allocution du 20 janvier 1975, dans Doc. Cath,, 57 (1975), p. 268). Aucun "pessimisme" n'est de mise en ce qui concerne cette unité, mais il faut être bien conscient de ce qu'elle ne pourra être, avant tout, que l'œuvre de la grâce divine, à qui rien n'est impossible.
    Archimandrite Placide Deseille
    Publication du Monastère St Antoine-le-Grand, métochion de Simonos-Petra
    On peut commander les autres publications du P. Placide et d'autres auteurs en s'adressant au monastère St Antoine le Grand, Font-de-Laval, 26190 Saint-Laurent-en-Royans (France) Tel : +33-475-47-72-02
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:06

    LE BAPTEME : SENS ET RITES



    1.-Le baptême transforme radicalement le mode d'existence de l'homme
    1.1.- Le baptême dans le Fils unique-engendré.
    Dans l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier, la fête de la Théophanie, du baptême de Jésus par Jean dans le Jourdain, est le fondement de la célébration du baptême des catéchumènes. La consécration de l'eau baptismale s'effectue par la proclamation d'un poème de saint Sophrone, patriarche de Jérusalem de 634 à 638, le même qu'au moment de la bénédiction des eaux le 6 janvier. Et ce que le Père céleste prononce au sujet de son Fils Unique-engendré au moment du baptême par Jean dans les eaux du Jourdain, la sainte Eglise le prononce au moment du baptême au sujet du nouveau baptisé. Au moment où Jésus remonta des eaux du Jourdain " du ciel une voix se fit entendre : Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance ". A la suite de Wellhausen, le P.Lagrange fait remarquer que, dans l'Ancien Testament, il n'y a pas grande différence entre fils bien-aimé et fils unique. Par le baptême, l'homme devient un être unique au monde, irreproductible, irremplaçable. En tant que personne recréée dans les eaux du baptême à l'image du Dieu trinitaire et pour lui ressembler, l'homme, comme Dieu, relève d'une approche non point cataphatique mais apophatique. En grec " kataphasis " signifie affirmation, et " apophasis " négation. Parce qu'il est une personne créée à l'image du Fils pour ressembler à la divine Trinité, l'homme participe au sans-fond des trois Personnes divines, il est une réalité mystérieuse, c'est-à-dire inépuisable par sa richesse, insondable par sa profondeur, dont on peut dire plus sûrement ce qu'elle n'est pas que ce qu'elle est. Et le baptême chrétien a pour signification fondamentale de transformer radicalement le mode d'existence de cet homme rendu, par la présence en lui du Dieu tri-unique, inexprimable adéquatement par le langage conceptuel, incompréhensible par la seule raison raisonnante, irréductible, irreproductible, irremplaçable.

    Plus précisément, par le baptême, l'homme passe d'un mode d'existence biologique à un mode d'existence ecclésial. C'est ce que l'Orthodoxie appelle la déification en laquelle elle voit la quintessence du salut en Christ. Pour l'Orthodoxie, le salut consiste essentiellement en ce que l'homme ne participe pas, certes, à la substance de Dieu, mais à son existence personnelle. Le salut, c'est la réalisation, au sein de l'existence humaine, de la vie trinitaire, c'est l'extension ad extra du mode d'existence des trois Personnes divines. Pour l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier est indissociablement la fête du baptême du Christ et celle de la divine Trinité. C'est pourquoi nous parlons de Théophanie plutôt que d'épiphanie. Toute théophanie est une épiphanie, mais toute épiphanie n'est pas nécessairement celle du Dieu tri-unique. Le tropaire que l'Eglise se plaît à répéter tout au long de la journée du 6 janvier souligne le caractère trinitaire de l'événement qu'elle médite : " Dans le Jourdain lorsque, Seigneur, tu fus baptisé, à l'univers fut révélée la sainte Trinité ; en ta faveur se fit entendre la voir du Père te désignant comme son Fils bien-aimé ; et l'Esprit sous forme de colombe confirma la vérité du témoignage. Christ notre Dieu qui t'es manifesté, illuminateur du monde, gloire à toi ! ". Or, à l'office du baptême, nous lisons la finale de l'Evangile selon saint Matthieu qui nous dit que c'est au Nom du Père, et du Fils et du saint Esprit que les disciples envoyés par le Christ ressuscité en mission dans le monde devront baptiser toutes les nations païennes ( Mt. 28, 19 ). Et c'est par trois immersions / émersions que le célébrant baptise le catéchumène : au Nom du Père, au Nom du Fils et au Nom du saint Esprit. Etre baptisé, c'est être introduit dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire son saint Esprit. Et cette introduction divinisatrice signifie pour l'homme la transformation de l'individu en personne. C'est à cette transformation que songe l'Eglise lorsqu'elle fait dire au célébrant, au sujet du futur baptisé, dans la dernière prière de l'office du catéchuménat : " Dépouille-le du vieil homme et revêts-le de l'homme nouveau pour la vie éternelle... afin qu'il ne soit plus un enfant de la chair, mais un fils ( une fille ) de ton Royaume ". " Un enfant de la chair " ou bien " le vieil homme ", c'est l'individu vivant une vie naturelle, biologique, soumis à la nécessité naturelle. C'est l'existence humaine en sa condition déchue, animalisée par le péché : faible, fragile, débile, périssable, corruptible, terrestre.
    1.2.- L'individu et la personne.
    L'existence de l'individu, c'est l'existence biologique, génétique. A la différence de l'existence personnelle, l'individu existe non comme liberté, mais comme nécessité. Je nais au monde sans que l'on m'ait demandé mon avis. Et cette existence biologique est promise inéluctablement et désespérément à la mort. Le mode d'existence biologique de l'homme est tragique en ce qu'il manifeste l'échec de l'homme à devenir une personne au niveau biologique, naturel. Le salut en Christ, c'est la réalisation en l'homme de la ressemblance divine. C'est le fait que l'homme existe non plus comme un individu, mais comme une personne.

    Le baptême chrétien signifie que l'homme en tant que personne cesse de manquer le but recherché par ce que Maurice Blondel appelait sa " volonté voulante ", c'est-à-dire sa volonté profonde, ce que l'homme veut sans savoir qu'il le veut et qu'il ne peut s'empêcher de vouloir. Le baptême signifie que les deux constituants fondamentaux de l'existence biologique, à savoir l'éros et le corps humains, cessent d'être les véhicules de la mort. Le baptême a pour signification essentielle de changer le mode constitutif de l'existence humaine. Il ne s'agit pas d'une amélioration morale mais d'une " anangénésis " d'une re-naissance, d'une ré-génération, d'une naissance nouvelle de l'homme en tant que personne, d'une refonte totale du plasma humain. Cette notion anangénésis de renaissance organique est exprimée dans la première Epître de Pierre : " Béni est Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ, d'entre les morts... vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la Parole vivante et permanente de Dieu ( 1Pi. 1, 3 et 23 ). L'éros et le corps animalisés par le péché sont baptisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas niés mais conviés à changer leur mode d'existence en devenant semence du corps spirituel et incorruptible. L'ascèse chrétienne bien comprise est fondamentalement une transfiguration et une pneumatisation du corps et de tout l'être humain sensible, qui doit laisser transparaître la lumière incréée et divine, tel un vase de cristal les rayons du soleil. Le baptême communique à l'homme la certitude que l'existence personnelle à l'image et à la ressemblance de Dieu est une réalité historique mise à sa portée par le Christ Sauveur. Celui-ci est le Sauveur en ce sens très précis qu'il a révélé aux hommes la réalité même de la personne. Tous autant que nous sommes, nous fragmentons la nature humaine : nous sommes plus ou moins des hommes, plus ou moins intelligents, plus ou moins doués de mémoire, plus ou moins vertueux. En Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme, a été manifestée la plénitude de l'humanité : Ecce Homo. Pilate ne croyait pas si bien dire ! Voilà enfin l'Homme véritable, l'Homme pleinement homme parce que pleinement Dieu. En Jésus-Christ nous a été révélé que Dieu seul est pleinement humain et que nous ne pouvons devenir véritablement des hommes qu'en Jésus-Christ. Dire que Dieu nous divinise ou qu'il nous humanise pleinement, ou encore qu'il nous sauve ou nous déifie, c'est dire la même chose.

    Le baptême signifie fondamentalement le rejet de l'hérésie de Nestorius. Le Christ ne peut nous sauver que parce que son hypostase n'est pas que biologique. En Jésus-Christ, il n'y a pas de cloisonnement entre l'humain et le divin. Cet homme-là fut pleinement divin en son humanité et pleinement humain en sa divinité. Vrai Dieu et vrai homme, Jésus de Nazareth est venu témoigner de la possibilité pour la personne humaine d'échapper à l'état tragique de la nature humaine déchue, à l'aliénation fondamentale que représente la mort pour la liberté humaine. Le baptême vient faire de tout homme un homme parfait, c'est-à-dire une personne véritable, une authentique hypostase préconstruite pour la liberté et pour l'amour. Le baptême confère à l'homme un mode d'existence constitué exactement selon le même mode selon lequel existent les trois Hypostases de la divine Trinité. Le baptême signifie pour tout homme que la christologie n'est pas une réalité qui ne concernerait que Jésus Christ. Par le baptême, la christologie est mise à la portée existentielle de l'homme lui-même : la nature de l'homme peut être hypostasiée, c'est-à-dire assumée indépendamment de la nécessité tragique du mode d'existence biologique qui mène désespérément à la mort. Le baptême signifie la possibilité gratuitement offerte à l'homme d'exister lui aussi de la même manière que Jésus de Nazareth a existé : en affirmant son existence en tant que personne, en s'appuyant non point sur les lois de sa nature biologique déchue, mais sur une relation à la divine Trinité qui est fondamentalement une relation de liberté et d'amour. Si le Notre Père -- si mal traduit, hélas, en français ! -- est la prière fondamentale des chrétiens, c'est parce qu'il livre l'essence même du baptême. En effet, par le baptême l'homme pénètre dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils Unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire le saint Esprit. Par le baptême l'homme devient fils de Dieu en identifiant son hypostase à celle du Fils.
    1.3.- L'existence ecclésiale.
    Le baptême confère à l'homme un mode d'existence fondamentalement ecclésial. Le mode d'existence ecclésial, c'est l'existence humaine en tant que baptisée et définie comme être-en-communion. Quand Jésus dit à Nicodème : " Vous devez être engendrés d'en haut " ( Jn. 3, 7 ), il lui parle de la possibilité, pour les hommes, d'obtenir, comme un don inexigible de Dieu, que le mode d'existence de l' homme soit constitué en une réalité non affectée par l'état de créature, par les lois de la nature biologique et instinctivo-affective, déchue, désembrayée de Dieu, animalisée par le péché.

    L'Eglise est essentiellement le lieu où, dans l'histoire des hommes, se réalise le mode non-biologique d'existence humaine. L'Eglise est la matrice divino-humaine au sein de laquelle l'homme est engendré à la vie divine trinitaire, non point seulement une heure durant, le jour de son baptême et de sa chrismation, mais tout au long de son existence terrestre, le jour de son mariage ou de son ordination au ministère, lorsqu'il communie au corps et au sang du Ressuscité, quand il reçoit l'onction de l'huile sainte des malades ou le pardon divin après l'aveu de ses fautes. La célébration du baptême se prolonge tout au long de l'existence chrétienne, dans la célébration de chacun des autres sacrements. Ces derniers, en effet, ne sont rien d'autre que les actes divino-humains par lesquels le saint Esprit agissant dans l'Eglise continue l'œuvre de divinisation de l'homme commencée au baptême. Il s'agit encore et encore de réaliser en l'homme un mode d'existence non déterminé par la nécessité de l'existence biologique. Vivre authentiquement la réalité de mon baptême signifie que mon père véritable n'est pas celui qui m'a engendré biologiquement mais mon Père qui est dans les cieux, que mes frères véritables ne sont pas mes frères biologiques, mais les membres de l'Eglise, que ma famille véritable n'est pas ma famille biologique, mais l'Eglise. Dans le troisième Evangile, Jésus ne craint pas d'affirmer : " Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants et ses frères et ,ces sœurs, et même encore sa vie, il ne peut être mon disciple " ( Lc. 14, 26 ). Saint Matthieu exprime la même exigence sous une forme adoucie en parlant de celui qui aime ses proches plus que le Christ. De même, lorsqu'on vient dire à Jésus que sa mère et ses frères sont dehors et veulent le voir, Jésus réplique : " Ma mère et mes frères, ce sont ceux gui écoulent la parole de Dieu et qui la pratiquent " ( Lc. 8, 21 ). Notons au passage que ce texte est lu, dans l'Office byzantin, aux fêtes de la Mère de Dieu. Baptiser un homme, ce n'est pas mettre en parallèle son existence ecclésiale et son existence biologique, c'est lui offrir le dépassement de la seconde par la première.
    1.4.- Il faut célébrer le baptême au cours de la liturgie dominicale.
    C'est pourquoi, il est si important de célébrer le baptême au sein de la divine liturgie dominicale, c'est-à-dire au sein de la communauté paroissiale. Trop de prêtres orthodoxes cèdent à la pression des familles qui font de la célébration du baptême une célébration familiale, le samedi après-midi, ou le dimanche après-midi, quand ce n'est pas au domicile des parents de l'enfant ! Dans la grande tradition de l'Eglise, on baptisait au cours des liturgies de Pâques, de Pentecôte, de Noël et de la Théophanie. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore, ces jours-là, on ne chante pas le Dieu saint, saint fort, saint immortel, mais le : " Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ". Heureusement, nous sommes un certain nombre de prêtres orthodoxes à inviter les familles, chaque fois que celles-ci sont capables de comprendre, à célébrer le baptême le dimanche matin, lorsque toute la communauté paroissiale est réunie pour l'unique synaxe eucharistique. Car, dans l'Orthodoxie, on ne célèbre qu'une fois l'eucharistie dans la même journée et dans la même église, afin d'obliger tout le monde -- bourgeois et prolétaires, enfants et adultes -- à transcender ensemble dans leur existence ecclésiale commune les déterminations de leurs existences biologiques et sociales respectives. Le baptême opère le dépassement en communion ecclésiale du réseau relationnel constitutif de l'existence biologique. Il libère l'homme de toute détermination naturelle, de toute relation déterminée par son identité biologique. Aimer ceux qui nous sont proches par le sang, c'est obéir à des lois biologiques. Aimer les autres hommes -- qu'ils soient de droite ou de gauche, noirs ou blancs, riches ou pauvres -- dans la communion eucharistique de l'Eglise, c'est identifier la liberté à l'être même de l'homme, c'est témoigner que la nature ne définit pas la personne mais que c'est au contraire la personne qui confère à la nature la possibilité d'exister librement.

    Le baptême signifie la liberté de la personne vis-à-vis de la nature, c'est-à-dire la capacité à aimer sans exclure quelqu'un d'autre. La vocation du baptisé est de transcender l'exclusivisme inhérent à l'existence biologique. Devenir fils de l'Eglise par le baptême, c'est essentiellement acquérir la capacité d'aimer sans exclure. La nouvelle naissance baptismale dans la matrice de " l'Ecclesia mater " fait de la personne le membre d'un réseau relationnel qui transcende tout exclusivisme. Dans les eaux baptismales s'opère la différenciation radicale entre l'hypostase personnelle et la vie biologique individuelle dont l'horizon est la mort.
    2.- Les rites du baptême
    2.1.- Les exorcismes et la renonciation à Satan.
    Le dépassement de l'existence biologique et individuelle en existence personnelle et ecclésiale est exprimée de plusieurs manières dans la célébration du baptême. Il y a tout d'abord les exorcismes et la renonciation à Satan. L'Eglise orthodoxe ne comprend pas l'ultime demande du Notre Père -- délivre-nous du mal --. comme s'il s'agissait d'être délivrés du mal métaphysique, d'une abstraction. Le sens du texte est plutôt : Soustrais-nous au Mauvais, au Malin, au Méchant, c'est-à-dire au Démon. Résumant sa première épître, saint Jean affirme : " Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire Jésus] le garde, et le Mauvais [o Ponèros : c'est le même mot qui, dans le Notre Père, est si regrettablement traduit par mal] n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). Il s'agit de quelqu'un de bien concret, de bien réel, de bien défini. Dans l'établissement de son Royaume, Jésus est en butte avec quelqu'un qu'il appelle l'Ennemi, le Prince de ce monde, le Satan. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, d'être délivrés du Démon : par l'incarnation rédemptrice nous en sommes d'ores et déjà délivrés. Par contre, nous avons à redouter un retour en force de l'Adversaire, de l'Antéchrist. La victoire sur le monde, c'est-à-dire sur le péché et sur la mort, de l'Agneau égorgé mais ressuscité, est déjà réalisée pour l'essentiel. Mort au péché, le baptisé est ressuscité avec le Christ et, par cette résurrection, il devient un citoyen du ciel et le temple du saint Esprit. Le Dragon de l'Apocalypse a été précipité sur la terre ( Ap. 12, 13 ), mais il possède un pouvoir d'épreuve sur les hommes.

    Trois exorcismes s'adressent donc à Satan directement : " Va-t-en, retire-toi du soldat nouvellement choisi, enrôlé par le Christ notre Dieu... esprit impur et pervers, néfaste et répugnant ". Et le célébrant de demander instamment au Seigneur Sabaoth, au Dieu d'Israël : " Menace les esprits impurs et chasse-les, purifie l'ouvrage de tes mains [c'est-à-dire le catéchumène] et, dans l'efficacité de ton pouvoir, hâte-toi d'écraser Satan sous ses pieds "... Puis, demandant au catéchumène de se tourner vers l'occident, vers le lieu où le soleil est sensé se coucher et qui nous parle donc symboliquement de ténèbres, le célébrant invite le catéchumène à " renoncer à Satan, à toutes ses œuvres, à tous ses anges, à tout son culte et à toutes ses pompes ".
    2.2.- Le dépouillement des vêtements.
    Le catéchumène est ensuite introduit dans le baptistère et il est dépouillé de tous ses vêtements. " Aussitôt entrés, dit saint Cyrille de Jérusalem, vous avez été dépouillés de votre tunique ". A l'époque des Pères de l'Eglise, il s'agissait d'une nudité complète. Le dépouillement des vêtements est le symbole du dépouillement du vieil homme et de son existence biologique. Le Pseudo-Denys voit dans ce dépouillement celui de toute la vie antérieure du catéchumène. En ôtant ainsi ses vêtements, le futur chrétien témoigne de la fermeté de son intention de s'arracher à l'existence biologique, c'est-à-dire promise à la mort, de l'individu, pour s'engager dans une tout autre forme d'existence : l'existence ecclésiale de la personne. En se débarrassant de tous ses vêtements, le candidat au baptême manifeste clairement qu'il entend renoncer aux passions et aux convoitises de la chair, et qu'il aspire à retrouver la nudité originelle totale, candide et lumineuse, de l'Adam, c'est-à-dire de l'humanité, d'avant la chute. Le catéchumène se situe encore en dehors du paradis, il partage encore l'exil d'Adam " à l'est d'Eden ". Son introduction dans le baptistère signifie que cet exil prend fin. Il s'agit, pour le catéchumène, de dépouiller le vieil homme comme un vêtement souillé. Après son baptême, il va recevoir un autre vêtement : la tunique d'incorruptibilité que lui offrira le Christ ressuscité, le nouvel Adam, le vêtement de lumière, le manteau royal qui permet de paraître dans le nouvel Eden, dans l'Eglise, afin de prendre part aux noces de l'Agneau, à la divine liturgie eucharistique, à la divine communion. Par le péché, le premier Adam perdit l'innocence et la candeur de la nudité. Il se mit à avoir honte et il se couvrit de vêtements. Le catéchumène qui s'achemine vers le baptême parcourt un itinéraire inverse. Il se dépouille du vêtement rendu nécessaire par le péché de l'homme déchu, et il se met nu afin de recevoir le vêtement lumineux et résurrectionnel du nouvel Adam.

    Notons aussi que, sur la croix, le nouvel Adam, le Christ, s'est trouvé dépouillé de la totalité de ses vêtements, humilié devant les saintes femmes, et notamment devant sa mère. Le catéchumène n'est pas plus grand que Celui que, désormais, il considère comme son unique Maître. Comme lui, il doit donc s'humilier par la nudité afin de transcender celle-ci dans le vêtement résurrectionnel. Le vêtement antérieur au baptême figure l'homme corruptible. Théodore de Mopsueste dit au catéchumène : " Il faut que soit enlevé ton vêtement, indice de la mortalité, et que, par le baptême, tu revêtes la tunique d'immortalité ". En se dévêtant, le catéchumène signifie symboliquement qu'il dépouille le vieux vêtement de corruption et de péché, celui dont Adam fut revêtu après le péché. Le dépouillement baptismal symbolise la rupture avec le passé. Il s'agit, pour le futur baptisé, de troquer la livrée misérable de l'humanité pécheresse et déchue de l'individu dont le mode d'existence est biologique, c'est-à-dire promis à la corruption du tombeau, contre la robe lumineuse du nouvel Adam, du Ressuscité qui révèle à l'humanité un autre mode d'existence : l'existence de la personne, l'être-en-communion, l'existence ecclésiale. Ce troc est le contraire de celui qu'avait effectué le premier Adam : celui-ci avait troqué sa nudité innocente et candide contre la livrée misérable. Le dépouillement du catéchumène signifie pour lui une libération : il se dépouille du vêtement du vieil homme afin de retrouver la gloire du premier Adam, c'est-à-dire de l'humanité telle que Dieu l'avait primitivement voulue. Le nouveau baptisé va retrouver la glorieuse nudité de l'humanité antérieure à la chute. Et si, à l'heure actuelle, il est peu pensable d'imposer à nos catéchumènes l'épreuve d'une nudité complète par laquelle, pourtant, est passé le Seigneur Jésus, le jour du Vendredi saint, c'est bien parce que, tous autant que nous sommes, nos catéchumènes, mais aussi nous tous les baptisés, nos communautés ecclésiales, nous n'avons plus, hélas, la ferveur des communautés des premiers siècles. Orthodoxes, nous ne vivons pas à la hauteur de notre théologie. Nous continuons de mettre, avec la pratique de l'Eglise indivise, la barre très haut, mais nous ne parvenons plus à la sauter ! Et, en raison de cette tiédeur, nos communautés ne portent plus les catéchumènes comme les portaient les communautés de l'époque où la sève de l'Eglise primitive circulait pleinement dans le corps ecclésial. Dans ce contexte de décadence, la nudité est vécue comme purement humiliante, c'est-à-dire comme la seule nudité de l'homme pécheur dépouillé de son vêtement de gloire. Il convient au moins de la ressentir comme une participation à ce que fut l'humiliante nudité du nouvel Adam sur la croix, le jour du Vendredi saint. En dépouillant ses vêtements, le catéchumène peut et doit prendre conscience de son état de pécheur, " malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ", pour reprendre les termes du message adressé, dans l'Apocalypse, à l'Eglise de Laodicée ( Ap. 3, 17 ). Mais, si le catéchumène se débarrasse ainsi de ses vêtements, c'est afin d'avoir les coudées franches dans l'effort pour donner l'assaut au démon et afin de revêtir l'homme nouveau, pour être conformé au Ressuscité, au nouvel Adam. Se dévêtir ainsi, c'est se dépouiller des ténèbres et se revêtir de lumière. De nos jours, hélas, saint Cyrille de Jérusalem ne pourrait plus dire à nos catéchumènes adultes ce qu'il osait dire à ceux de son époque : " O merveille ! Vous étiez mis sous les yeux de tous et vous n'aviez pas honte. C'est qu'en vérité vous offriez l'image de notre premier père, Adam, qui était nu au paradis terrestre et ne rougissait pas ".

    La nudité, le jour du baptême, signifie donc simultanément le dépouillement de la corruptibilité et de la honte du péché, et le retour à l'innocence primitive et à la familiarité de l'état paradisiaque. Dans une homélie sur la fête de Pâques, saint Grégoire de Nysse écrit : " Désormais, Adam, quand tu l'appelleras, n'aura plus honte, ni sous les reproches de sa conduite ne se dissimulera plus sous les arbres du paradis. A retrouver l'assurance, il apparaît au grand jour ". Une fois qu'il a dépouillé les vêtements anciens, figure symbolique du vieil homme, le catéchumène, bientôt nouveau baptisé, ne doit plus jamais les reprendre : le baptême est irréversible. Et si, dans les premiers siècles de l'Eglise, on avait tendance à reculer le baptême des hommes jusqu'à la trentaine, voire plus tard encore, et cela même dans des familles chrétiennes, c'est parce qu'on avait la plus vive conscience qu'après le baptême l'homme ne doit plus pécher. C'est sur ce thème que s'achève la première lettre de saint Jean que j'ai déjà citée : "

    Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire le Christ] le garde et le Mauvais n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). C'est pour signifier cette foi de l'Eglise qu'au sortir de la piscine baptismale le nouveau baptisé est revêtu non des vêtements anciens, de couleur sombre, mais de vêtements blancs, de vêtements de lumière, qui nous parlent de la résurrection du nouvel Adam et du nouvel Eden qu'en ressuscitant il a re-créé et qui est l'Eglise. Ensuite vient la triple immersion/émersion.
    2.3.- La triple immersion / émersion.
    L'épiclèse baptismale est invocation de l'action vivifiante du saint Esprit afin que ses énergies transforment l'ensevelissement dans les eaux, la noyade du catéchumène, du vieil homme, en événement résurrectionnel. Par sa présence surabondante et chaotique, l'eau parle à l'homme -- à Noé et à Jonas -- de noyade et d'asphyxie, d'ensevelissement et de mort, de déluge et d'engloutissement. Mais simultanément elle est pour lui source de fertilité et de vie, tels le Nil et le Jourdain, condition de possibilité de l'hygiène et apaisement de la soif. L'eau qui jaillit miraculeusement du rocher au désert annonce et figure l'eau qui coulera en abondance aux jours du Messie, symbole d'une effusion de vie nouvelle et d'une intarissable fécondité spirituelle. Or, la célébration du baptême signifie et présuppose que les jours du Messie sont arrivés puisque le Christ est ressuscité. L'émersion signifie la joie de respirer à nouveau en respirant l'Esprit. L'eau incorpore la puissance résurrectionnelle de l`Esprit. L'eau se referme sur le catéchumène comme une tombe, mais l'Esprit transforme la tombe en matrice. Dans sa Hiérarchie ecclésiastique, le Pseudo-Denys appelle admirablement le baptistère " la matrice de toute filiation ". De mortelle qu'elle était, l'eau devient vivifiante et maternelle. Le baptisé émerge des eaux du baptistère, et ce dernier devient une tombe vide, à l'instar du tombeau de Joseph que les femmes myrophores trouvèrent vide au matin de Pâques. Un baptisé pleinement conscient de son baptême doit considérer que sa véritable mort est derrière lui puisqu'elle a pris fin avec son baptême, et qu'il n'a plus à redouter la mort biologique, celle de l'individu soumis à la nécessité naturelle. Durant les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise, on appelait les chrétiens ceux qui ne craignent pas la mort.

    Le mot baptême vient du verbe grec " baptein ", qui signifie plonger, immerger. De ce verbe " baptein " dérive un autre verbe, " baptizein ", qui, lui aussi, signifie plonger, immerger, ou submerger et, en langage chrétien, baptiser par immersion.. La triple immersion/émersion s'effectue par une plongée complète du baptisé dans le sépulcre de l'onde baptismale, afin que soient ainsi symbolisées la sépulture avec le Christ et la résurrection de celui qui a reçu le baptême. L'immersion totale nous parle d'une mise au tombeau. Dans son commentaire de l'épître aux Romains, le P. Lagrange parle de ces pélerins russes et grecs, donc orthodoxes, qui, à l'époque où le P. Lagrange vivait en Palestine, c'est-à-dire entre 1890 et 1935 , se baignaient dans le Jourdain le jour de la Théophanie, le 6 janvier, enveloppés dans des peignoirs en toile qu'ils remportaient pour qu'ils leur servissent de suaires après leur mort. C'est pourquoi, l'épître qui est lue au cours d'un baptême est le chapitre 6, versets 3 à 11 de l'épître aux Romains, c'est-à-dire le texte le plus important de ceux où saint Paul a parlé du baptême chrétien : " ... nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Par le baptême, nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. Si par une mort semblable à la sienne nous sommes devenus un même être avec lui, nous le serons aussi par la résurrection. Comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que fût détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Et si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus, la mort n'a plus d'emprise sur lui. Car sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie pour Dieu. Vous donc aussi, considérez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur ". Se plonger dans les eaux du baptême, c'est se plonger dans la mort du Christ.

    Cette triple immersion/émersion du corps du baptisé dans l'eau est accompagnée de l'épiclèse, c'est-à-dire de l'invocation du Nom des trois personnes divines de la sainte Trinité. La triple action rappelle simultanément l'ensevelissement du Christ durant trois jours dans le tombeau de Joseph d'Arimathie, et les trois Hypostases de la divine Trinité au nom desquelles a lieu la triple immersion/émersion. Dans son Explication de la divine liturgie ( ch.4 ), Nicolas Cabasilas écrit : " Nous donnons notre vie en échange d'une autre. Or, rendre notre vie, c'est bien mourir. Le Seigneur, en nous faisant participants de sa résurrection, exige que nous apportions quelque chose à ce grand don. Mais quoi ? L'imitation de sa mort : et cela en disparaissant par trois fois dans l'eau baptismale comme en un sépulcre ". Le baptême par aspersion ou par infusion n'est permis que par nécessité et de façon exceptionnelle, notamment pour les malades. Il ne peut être érigé en règle. La complète immersion du baptisé dans l'eau s'impose du fait qu'elle signifie l'imitation de l'ensevelissement du Christ. " Comme en un tombeau, remarque saint Jean Chrysostome, lorsque nous plongeons la tête dans l'eau, le vieil homme est enseveli et submergé au fond, il est caché tout entier en une fois ; puis, lorsque nous nous relevons, c'est le nouvel homme qui se relève ". Dans son traité Adversus Praxean, Tertullien écrit : " Comme, en effet, notre Sauveur fut trois jours et trois nuits dans le creux de la terre, ainsi les baptisés imitent par la triple immersion cette sépulture de trois jours et le baptême par les trois immersions signifie les trois jours de la sépulture du Seigneur ". De même, saint Basile affirme : " Le grand sacrement de baptême est célébré dans trois immersions et dans un nombre égal d'épiclèses, afin que le symbole de la mort soit figuré et que les baptisés aient l'âme illuminée par la transmission de la connaissance divine ". Même en Occident, la façon habituelle d'administrer le baptême fut, jusqu'au XIVème siècle, l'immersion, comme en témoignent les nombreux baptistères conservés partout, notamment en Italie. Le douzième canon du concile de Néo-Césarée écarte du sacerdoce ceux qui, pour raison de santé, avaient reçu le baptême par simple infusion. Thomas d'Aquin considère le baptême par immersion " communior, laudabilior, tutior " ( Somme théologique. IlIa 66, 7 ). Pour lui, " l'immersion représente d'une façon plus expressive l'ensevelissement du Christ ; aussi cette manière de baptiser est-elle commune et plus recommandable ( Ibid. art. 7, 2 ). C'est le théologien anglais Alexandre de Halès ( vers 1180-1245 ) qui le premier affirma la validité d'un baptême administré sans nécessité médicale par infusion. L'opinion d'Alexandre de Halès fut partagée par son disciple Bonaventure. Les rites milanais ( ou ambrosien ) et mozarabe sont demeurés fidèles à l'immersion. Celle-ci fut pratiquée en Espagne jusqu'au milieu du 18ème siècle. A la veille de la Réforme, l'usage anglais ne comportait encore que la seule rubrique de l'immersion. En 1614 encore, le rituel du pape Paul V présentait le baptême par immersion d'un enfant comme une alternative à l'infusion devenue la pratique générale peu avant la Réforme du 16ème siècle.

    L'eau ne lave pas, ne purifie pas seulement. Elle tue aussi en noyant, en asphyxiant, et celui qui échappe à la noyade expérimente une certaine résurrection ! L'eau qui donne la vie est aussi l'eau asphyxiante de la mort. Nicolas Cabasilas écrit : " L'eau détruit une forme de vie mais découvre l'autre ; elle engloutit le vieil homme et élève l'homme nouveau " ( La vie en Christ. II, 9 ). Dans un article paru en 1952 dans La Maison-Dieu, et intitulé : Le symbolisme des rites baptismaux ( N°32, p. 6 ), le Père Louis Bouyer a effectué une auto-çritique catholique-romaine tout à fait remarquable. II écrit : ... " il n y a à peu près plus de symboles du tout dans nos rites tels que nous les célébrons. Nous avons remplacé insensiblement le symbole par une espèce de signe abstrait du symbole qui est au symbole ce que l'absorption d'une pilule peut être à un repas. Le vrai symbole, lui, est plus parlant que toutes les paroles, et c'est pourquoi Notre-Seigneur a voulu joindre dans l'économie des moyens de grâce le symbole à la parole, pour qu'il dise ce qu'aucune parole ne peut dire. Car il est, le vrai symbole, un acte vivant qui prend l'homme tout entier, corps et âme, et lui fait découvrir dans une action où il est entraîné, avec sa chair, son cœur et son esprit, la vérité qui, dans des paroles, resterait une abstraction, alors qu'elle est appréhendée comme réalité dans un acte concret. Au contraire, nous en sommes venus, nous, à tenter vainement, par un flot de paroles impuissantes, de rendre quelque sens à des gestes décharnés, privés de toute vie réelle. L'espèce de dessiccation, de ratatinement subi par les anciens rites baptismaux fait qu'ils ne sont plus des symboles à proprement parler, parce qu'ils ont rétrogradé en deçà du minimum sensible où ils pouvaient encore émouvoir l'imagination vivante... Quel rapport y a-t-il entre l'expérience d'un homme qui reçoit sur le front quelques gouttes d'eau vite essuyées et l'expérience d'un homme qui a pris un vrai bain ? Si seulement nous célébrions encore les baptêmes comme on le fait en Orient, où l'on met l'enfant tout nu, où on le plonge trois fois jusque par dessus la tête dans l'eau d'une vraie baignoire, peut-être que les gens les plus réfractaires à la poésie primitive y comprendraient tout de même quelque chose. L'ouvrier qui sort d'un travail salissant et accablant et qui va prendre une bonne douche ou piquer une tête dans une piscine avant de passer la soirée en famille ou avec des camarades sait parfaitement ce que cela veut dire qu'avoir fait peau neuve, que se sentir un autre homme après s'être plongé dans l'eau. Mais qu'est-ce qu'il peut retrouver de commun avec cette expérience pour la transposer spirituellement quand il voit le curé effleurer à peine de trois gouttes d'eau vite épongées le front de son enfant ? ( pp: 6-7 ) Il est incontestable que l'abandon de l'immersion au profit de l'infusion a affaibli, anémié le symbolisme propre au baptême chrétien, qu'il a provoqué une occultation de la référence symbolique à la mort et à la résurrection du Christ. On peut encore remarquer que le baptême par infusion supprime le symbolisme de la dénudation. Heureusement, depuis Vatican II, et dans le nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique, l'Occident chrétien est en train de redécouvrir l'importance de l'immersion baptismale. Le souhait des Orthodoxes est que le baptême par immersion devienne de plus en plus fréquent dans l'Occident chrétien. Dans le monde orthodoxe on a pu parfois constater la tentation de procéder au baptême par infusion. Ce fut le cas, par exemple, dans la Russie septentrionale, en raison du climat. Au XIIème siècle, l'évêque Elie (1165-1186 ) avertit les habitants de Novgorod de ne pas se contenter de verser de l'eau sur la tête de l'enfant au lieu de le plonger dans l'eau baptismale. On retrouve cet avertissement en 1274 ( synode de Vladimir ), et aux 14ème et 15ème siècles, dans les lettres aux habitants de Novgorod et de Pskov des métropolites Cyprien (1390-1405 ) et Photius ( 1408-1431 ). Mais cette pratique constitue un phénomène marginal.
    Père André Borrély, recteur de la paroisse St Irénée de Marseille, France
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:07

    EN TEMPS ET HORS DE TEMPS :
    Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarcat Œcuménique


    « Il y a, écrit Olivier Clément dans son livre "Dialogues avec le Patriarche Athénagoras" (p.527), un mystère de Constantinople. Constantin a voulu fonder non pas une autre Rome mais l’autre Rome … Il voulut une nouvelle Rome qui fût le réceptacle du christianisme et mît au service de celui-ci l’humanisme gréco-latin … Afin que, plus proche des sources grecques, elle fût, mieux que la première, la synthèse de l’Occident ». Et pour cette raison, elle a été une féconde mère d’ Eglises.



    Et son autorité a été fondée et confirmée par celle des canons des Conciles Œcuméniques ( 3e canon du 2nd concile œcuménique, 28e canon du 4ème concile œcuménique, 36e canon du Concile in Trullo ).
    « Et d’une manière générale c’est elle qui exprime, et c’est dans la communion avec elle que se manifeste l’unité des Eglises locales dans le corps de l’Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique et apostolique dont la tête n’est autre que Jésus-Christ, son unique chef en qui se consomme la foi… ( Encyclique du Patriarche Athénagoras, dimanche de l’Orthodoxie en 1950) ».


    Et cette Nouvelle Rome a été au premier rang des combats contre les grandes hérésies. Et elle a maintenu et a préservé de tous temps la vraie Foi et elle est jusqu’à nos jours, au sein du monde de l’Orthodoxie, la gardienne de la Vérité et de l’ordre ( τάξις ) ecclésiastique.


    Une nouvelle Rome et non pas une deuxième Rome ! Le temps de l’Eglise du Christ n’est pas à l’image de celui du temps de ce monde, où chaque siècle qui passe est frappé de relativité et de temporalité parce que défiguré par la dure réalité de la chute et du péché des hommes.


    Des propos tels que, par exemple, ceux de l’avènement possible d’une troisième Rome, - qui dans cette logique pourrait être relayée par une quatrième ou une cinquième Rome, etc… - sont des propos uniquement destinés à satisfaire des ambitions qui n’ont rien de l’Eglise du Christ ; ils sont totalement étrangers à la révélation chrétienne, laquelle par essence est la révélation de la fin de ce monde et de la venue du Royaume de Dieu.


    C’est parce que l’Ancienne Rome, malgré le sang abondamment répandu de ses martyrs et sa contribution remarquable pour la consolidation et le maintien du Christianisme, s’est un jour retrouvée de par son propre fait hors de l’espace de la Confession de Foi des Orthodoxes, que le Seigneur a permis que soit pour eux la Nouvelle Rome.


    Cela dit bien ce que cela veut dire.


    Ni l’argument de la modernité, ni celui du plus grand nombre, ni celui de l’héritage culturel, ni celui de l’ethnophylétisme, ni aucun autre d’ailleurs, généré par les tentations que suscite ce monde, ne peuvent entrer en ligne de compte dans la vie de l’Eglise et les affaires ecclésiastiques.


    Parce que l’Eglise est le Corps du Christ, parce que Jésus-Christ est le même, hier et aujourd’hui et pour tous les siècles (Hébreux 13/8), parce qu’à l’intérieur de ce Corps c’est le même Dieu qui fait tout en tous et le même et unique Esprit qui répartit les dons propres à chacun (1 Cor.12/ 4, 11), rien ne sépare ni distingue l’Eglise des premiers siècles de celle de nos temps présents : Christ, qui en est la tête, est toujours le même, ainsi que vient de nous le rappeler sans équivoque aucune l’Apôtre Paul.


    Aussi les saints canons, qui fixent et définissent le rôle et la place de Constantinople au sein de l’Orthodoxie, sont précisément là non pas pour être modifiés au gré des époques ou des opportunités du moment mais pour refléter la continuité de la Tradition ecclésiale ininterrompue selon le modèle même du mystère trinitaire et afin que s’accomplisse, dans l’unique Vérité, la plénitude de notre vie en Christ.


    Pour cette raison, à moins que l’Eglise de Constantinople vienne à ne plus dispenser fidèlement cette parole de Vérité, aucun argument ne permet à une autre Eglise orthodoxe locale de revendiquer sa place primatiale et de faire fi des devoirs, des droits et des honneurs qui lui sont dévolus. Chaque fois qu’il en va autrement, le Patriarche de Constantinople se doit de préserver son rang et son rôle au sein de l’Orthodoxie, qu’il préside dans la communion en sa qualité de Patriarche Œcuménique.
    J’ajoute encore que la tradition canonique n’offre pas d’autre alternative que celle de la rigueur ( acribie ) en matière d’ecclésiologie, même si de nos jours elle est sans cesse bafouée et il incombe au Patriarche de Constantinople, en sa qualité de gardien de cette acribie, de la protéger et de veiller à sa juste application.


    « Le Patriarche Œcuménique est le premier parmi les égaux uniquement de tout l’Episcopat qui relève de l’Eglise Orthodoxe ; il ne jouit pas d’un pouvoir administratif comme c’est le cas du Chef de l’Eglise d’Occident. Son action consiste avant tout à coordonner et à manifester l’unité des Eglises orthodoxes locales ; il lui revient aussi certains privilèges spirituels ou de suppléance chaque fois que les autres Eglises locales orthodoxes n’ont pas la capacité de choisir ou de mettre en place leur propres organes ecclésiastiques pour cause de persécutions, de manque de personnes adéquates ou encore pour d’autres raisons » ( Patriarche Bartholomée in revue PLEROPHORIA, Athènes – Mai/Août 1999 ).
    Deux exemples récents et concrets illustrent bien ce dernier commentaire : l’Albanie et, n’en déplaise à certains, l’ Estonie.


    Maintenant que les prestigieuses reliques de nos Saints Pères Jean Chrysostome et Grégoire le Théologien reposent de nouveau dans le lieu même qui fut leur siège patriarcal, il est bon de nous souvenir que seul le Christ est parfait et que la seule Vérité pour l’Eglise c’est le Christ. Toutes les tensions et tous les affrontements qui naissent au sein de l’Eglise ne relèvent pas de sa nature ; ils expriment ni plus ni moins les faiblesses des hommes. Même nos saints les plus grands ont commis des erreurs. Non pas parce qu’ils sont saints mais parce qu’ils sont des êtres humains. L’acte de sanctifier ne leur appartient pas ; il leur est donné par la grâce porteuse de Vie et agissante de Dieu malgré les fautes et les égarements de toutes sortes. Il en est de même pour la vie de l’Eglise sur cette terre.


    Il y a, écrit Olivier Clément, un mystère de Constantinople. Pour ce qui me concerne, je l’accueille avec respect et confiance, en faisant miennes à son sujet ces paroles de l’ange de l’Apocalypse : je connais tes œuvres, ta charité, ta foi, tes services et ta persévérance (Apoc. 2/19).

    +STEPHANOS,
    Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.


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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:07

    Église en dialogue
    Prof. Hdr. Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS


    « L’un des problèmes causés par les Croisades– affirme Steven Runciman – fut qu’elles ruinèrent irrémédiablement et définitivement les relations entre chrétiens et musulmans. Avant les Croisades, l’Église orthodoxe, en particulier, et le monde musulman témoignaient d’une compréhension et d’une tolérance mutuelles, ainsi que d’une dialectique réciproque, entre autres, grâce aux dialogues aussi institués par les théologiens byzantins avec ce monde (cf. Jean Damascène et beaucoup d’autres qui vont jusqu’à Grégoire Palamas). En outre, l’Église orthodoxe proscrivait l’idée de guerre sainte. La preuve en est que le Patriarche de Constantinople Polyeucte (956-970) ne donna pas sa bénédiction à l’armée de Nicéphore Phocas (963-969), lorsqu’elle partit en campagne contre les Sarrazins, pour la bonne raison, dit-il, qu’aucune guerre ne peut être qualifiée de sainte. Le concept de guerre sainte fut introduit par les Croisés qui l’exaltèrent non seulement dans leurs rangs, mais aussi chez les musulmans qui avaient commencé à l’abandonner »…


    Par ces paroles, Runciman signale historiquement l’existence et la pratique de dialogue, de la part des théologiens byzantins. Il souligne l’efficacité spectaculaire qu’a eue l’initiative de ce dialogue, avec les musulmans notamment, contrairement aux chrétiens occidentaux qui, dans le même temps, ont opté pour une « guerre sainte » à la place du dialogue institué. Autrement dit, il démontre que, tout au long de son parcours historique hormis son passé récent, l’Église orthodoxe était une « Église de dialogue », marquée par la théologie, et non pas une « Église de guerre sainte » fondée sur l’idéologie.

    En effet, une des caractéristiques structurelles de la praxis ecclésiale (pastorale) et de la parole (théologie) de l’Église est que celles-ci opèrent (doivent opérer) de façon sotériologique, salvatrice et non pas théorique (idéologie). Car, tout simplement, la vision essentielle et ultime de l’Église – et de sa théologie – est de sauver l’être humain. C’est la première, la principale et primordiale demande que notre divine Liturgie adresse d’emblée : « Pour … le salut de nos âmes (= vies) ». Notre théologie ecclésiale et notre pastorale, si elles veulent rester salvatrices, sans déraper et devenir une idéologie, ne peuvent qu’être en dialogue permanent avec les autres (personnes et institutions), mais aussi en ouverture permanente par rapport au monde « entier ». Or, dialogue avec tous et ouverture à tous, intra et extra muros, ceux qui sont près et ceux qui se trouvent loin, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église.

    La période de l’histoire que nous traversons – époque de modernité achevée, voire de méta modernité –, mais aussi le contexte spatiotemporel de notre propre vie historique sont fixés, en nous introduisant, par définition, dans un domaine de dialogue à plusieurs volets, qui comporte au moins quatre aspects fondamentaux : 1) le dialogue interorthodoxe, pour commencer par notre maison, puisque celui-ci s’avère de plus en plus nécessaire, notamment aujourd’hui, entre altérités homodoxes, 2) le dialogue interchrétien, puisque la sécularisation éonistique, ainsi que le culturalisme ecclésiastique, ne cessent de prendre le dessus sur le témoignage empirique de l’Église, créant de plus en plus d’altérités hétérodoxes, 3) le dialogue interreligieux, puisque l’opération auto apocalyptique de Dieu au monde, non seulement demeure encore incompréhensible, mais il incombe surtout à l’Église et à sa théologie de poser la révélation de Dieu qu’ils portent dans leur sein, en « montagne de dialogue » et « mettre sur son support la lampe allumée » , surtout entre altérités religieuses, et 4) le dialogue interculturel, au sein de la société et avec la société, dans le nouveau contexte pluriculturel de notre époque méta moderne, contexte non pas tant de l’unification européenne, mais surtout de la mondialisation au sens large. Sur ce point revient précisément la demande primordiale que soumet d’emblée la divine Liturgie : « Pour (…) l’union de tous ». Ces « tous » qui sont-ils ? Pour maintenir la correspondance avec ceux avec qui nous sommes en dialogue, avec qui nous sommes appelés à dialoguer, avec qui nous sommes invités à engager le dialogue, définissons-les. Il s’agit, respectivement, du dialogue entre : 1) les chrétiens de même confession (orthodoxes) ; 2) les chrétiens de confession différente (hétérodoxes) ; 3) les croyants de religion différente (hétéroreligieux) et 4) ceux du « dehors », quels qu’ils soient, représentant des conceptions sociales et des cultures différentes. Et cette demande de notre divine Liturgie, « l’union de tous », de même que la prière du Christ « pour qu’ils soient un » , s’accomplira aussi par le dialogue, l’ouverture et la consultation ; et si cela ne se fait pas, du moins cela commencera par le dialogue…

    Ayant cerné ce qu’est ce dialogue aux multiples aspects qui se déroule inexorablement devant nous, surtout de nos jours, comme une quête universelle de la société et de ses diverses expressions, abordons brièvement un aspect important de la vie ecclésiale, ce que nous appelons communément aujourd’hui « Église en dialogue ». Ce fait, que nous rencontrons très manifestement comme attitude de vie envers le monde à l’époque et dans les écrits patristiques, commence – à titre d’exemples – par les Pères apostoliques apologistes qui sont les premiers à engager le dialogue avec la société, la philosophie dominante et la Cité de leur temps, de surcroît à une période où celle-ci persécute durement les chrétiens. Il se poursuit sur le même registre avec les Pères cappadociens, Maxime le Confesseur et Jean Damascène et, avant la prise de Constantinople (1453), dans la même perspective, avec saint Grégoire Palamas et saint Marc Evgénikos, évêque d’Éphèse.
    Ce fait de l’« Église en dialogue » a subi un recul durant l’occupation ottomane (1423/1453-1821/1913) dans nos parages et, surtout, durant l’apparition du confessionnalisme chrétien en Occident et en Orient, qui s’est manifesté au deuxième millénaire aussitôt après les Croisades (1095-1204) et qui a culminé notamment au XIXe et durant la première moitié du XXe siècle. Dans cette récession du XIXe et du XXe siècle, jusqu’à nos jours, toutes les Facultés théologiques confessionnelles ont aussi été engagées ou mobilisées. Ces écoles ont été créées et développées à cette période dans un climat de théologie académique qui avantageait et encourageait le confessionnalisme et le cloisonnement confessionnel, empêchant ainsi le dialogue. Ces dernières années, le fait de l’« Église en dialogue » a commencé à reprendre la dimension patristique antérieure, celle d’avant la prise de Constantinople, malgré les réactions d’ordre confessionnel. Une telle perspective de reprise et de développement du dialogue tous azimuts s’est manifestée, du côté de l’Église orthodoxe, par le Patriarcat œcuménique en 1902, 1920 et au-delà, et en Grèce, en raison justement des circonstances historiques et géopolitiques, peu avant la dictature, principalement après le rétablissement de la démocratie (1974) et surtout avant la fin du XXe siècle.

    Le dialogue constitue une entreprise polyvalente comportant plusieurs défis. Dans l’effort de dialectique et de dialogue, pour qu’il soit véritablement théologique, le dialogue est appelé à ne pas adopter de ton confessionnel. Il est constamment appelé à être théologique, sans être confessionnel. À être dialectique, sans déraper ni altérer ce qu’il promet : la vérité de l’Église et de sa théologie. À opérer des ouvertures et nullement à ménager des cloisonnements. Toute démarche de dialogue est appelée à opter pour le dialogue « à son initiative » et non pas agir « par réaction » aux événements théologiques. À cette occasion, signalons ici une nuance qui démontre une énorme différence entre les deux. Il existe deux modes d’agir dans la vie et le quotidien : « à son initiative » et « par réaction ». Il y a une abîme séparant le fait « d’agir à son initiative » de celui « d’agir par réaction ». Le premier signifie avoir une vue globale des choses, avoir une vision et se consacrer à l’infléchir dans la perspective de sa vision, n’avoir aucune raison d’opposer des obstacles ou tendre des embûches à son prochain qui lui aussi s’efforce éventuellement de faire une chose parallèle, différente, ou même opposée. De l’autre côté, « agir par réaction » signifie manquer de vue globale des choses et de vision, manquer de discours et de réplique, et essayer de manière fondamentaliste et violente, en livrant même, si nécessaire, une guerre (sainte), de réfuter (dénigrer) ce que son prochain fait « à son initiative ». Quoi qu’il en soit, le fait d’agir « à son initiative » dénote une robustesse théologique et un amour pour la Vérité !… En effet, ce n’est qu’alors que la Vérité devient un exercice de communion de personnes – ce qui constitue l’essence de l’Église – et un exercice de relations…

    Au cours de l’histoire, au sein du créé déchu, par notre vie et notre activité, nous sommes appelés à traduire dans les actes ce que l’Église promet dans le monde et l’histoire, c’est-à-dire engager un dialogue polyvalent. Cela signifie assumer une responsabilité vis-à-vis des chrétiens séparés et du monde divisé par la chute, de la société humaine fragmentée, où tout le monde cherche des issues et use de divers modes, le dialogue entre autres, comme moyen pour sortir des impasses. Si l’Église n’est pas au centre de cette perspective de sortie des impasses, moyennant la voie ontologique qui passe par le dialogue aussi, alors elle « a perdu sa saveur »… et dans ce cas, « comment redeviendra-t-elle du sel ? » . Est-il possible qu’une Église ressemble à du sel qui a perdu sa saveur ? Oui, c’est possible, nous dit le Christ, et les hommes la jetteront dehors et la marginaliseront. Du point de vue historique et diachronique, l’Église orthodoxe a montré être le sel de saveur, étant pionnière dans le dialogue et perçant des chemins pour surmonter, de manière eschatologique, les impasses humaines, dans la perspective d’assumer le « monde entier » et le « salut de tous les hommes » !…
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:08

    Catéchèse

    LA DIVINE LITURGIE
    EXPLIQUEE AUX ADULTES

    INTRODUCTION A LA DIVINE LITURGIE


    Annoncer la Bonne Nouvelle, est aujourd'hui, comme hier et comme demain, l'une des principales responsabilités de l'Église dans le monde depuis que le Seigneur, après Sa Résurrection en a chargé ses disciples. Cette Bonne Nouvelle, qui n'est pas une simple nouvelle agréable mais la Vie, c'est-à-dire la conviction que Dieu a envoyé son Fils pour notre salut, nous allons essayer de mieux la cerner par une méditation sur la célébration de l'Eucharistie.
    La célébration Eucharistique
    La première fonction de la Divine Liturgie est de reconnaître que notre être, image du Dieu vivant, est appelé "à mettre en lumière pour tous l'économie du mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, en Celui qui a créé toutes choses" (Ep, 5, 9). St Maxime le Confesseur explique que lors de la célébration Eucharistique, le monde entier se révèle comme une église : la nef, dit-il, est l'univers sensible ; les anges constituent le chœur; et l'esprit de l'homme le saint des saints : " Ainsi l'homme, à ce moment-là, devient la jointure entre le divin et le terrestre" et de "lui se diffuse la grâce sur toute la création" puisque son âme, sous la conduite du Verbe, offre l'univers à Dieu comme sur un autel.

    "En toutes choses faites eucharistie", lisons-nous dans la première Epître de St Paul aux Thessaloniciens (5, 18) : à l'Eucharistie en effet comme sacrement répond l'Eucharistie spiritualité, qui entraîne la métamorphose de tout l'être de l'homme. Ici, l'Esprit-Saint est impassiblement réparti et se communique en entier, et le pain eucharistique bénit tous ceux qui y participent. Les boiteux, les aveugles, les invalides sont invités au Repas mystique, à la Vie véritable ; les petits enfants, les malades, les avilis, les déchus sont invités aussi au Festin du Royaume. La Divine Liturgie est célébrée pour que les affamés soient rassasiés, pour que les assoiffés soient désaltérés, pour que ceux qui souffrent et qui pleurent soient consolés.
    La liturgie des Fidèles
    "Nous tous qui dans ce mystère représentons les chérubins…" Cet hymne qui nous introduit dans la liturgie des Fidèles ne supprime-t-il pas d'emblée l'opposition entre la réalité céleste et la réalité terrestre ; entre le temps et l'éternité et permet ainsi l'acceptation complète de chaque instant de notre existence tout comme le déroulement de l'ensemble de l'histoire humaine ? Toute vie liturgique est ce témoignage d'espérance par lequel les hommes ne s'opposent plus et ne se tourmentent plus. Si, à notre époque beaucoup ont perdu le sens même de Dieu, si pour eux la notion de la divinité est totalement "hors du jeu", n'est-ce pas parce qu'ils n'ont pas compris que toute célébration liturgique est à la fois éminemment sociale et ecclésiale ? La prière, la foi, l'amour, la charité cessent d'être "mien" et deviennent "nôtre" et la relation entière de l'homme avec Dieu devient relation de Dieu avec son peuple.
    L a Divine Liturgie sauvegarde à tout moment la nature unifiée de l'homme par opposition à l'angoisse d'un bon nombre de nos contemporains, fortement tributaires des transformations scientifiques et philosophiques récentes, et qui font désormais très difficilement la distinction entre le naturel et le surnaturel, séparant ainsi volontiers leur âme de leur corps et leur esprit dé la matière.
    La Seule Bonne Nouvelle
    Mais que se passe-t-il quand, à la fin de la Divine Liturgie, nous sommes invités à nous retirer en paix ? Est-ce que notre participation au Mystère Eucharistique conduit vraiment à la transfiguration et au renouvellement de la création et de l'homme en Christ ? C'est en cela que réside pour nous la seule et vraie question.
    Voyons les choses comme elles se présentent dans la réalité : il ne suffit pas de parler au monde pour le changer. Le monde au contraire a besoin d'une expérience de la Croix, d'une victoire héroïque de l'ascèse qui l'introduira dans la vraie dimension du Royaume à venir afin que soient déifiés, sanctifiés et l'espace et le temps. Et dans une telle vision, il ne peut y avoir de place pour un Evangile "dit simplement social". Malgré le lyrisme de tant de nos contemporains humanitaires, écrit un éminent représentant de notre Eglise en France, nous savons bien qu'il y a de la mort et de l'enfer dans l'homme, qu'il y a de la mort et qu'il y a de l'enfer entre les hommes. La seule nouvelle qui soit pour toute existence humaine bonne nouvelle, c'est le message des Apôtres devenu celui de l'Eglise : "CHRIST EST RESSUSCITE ! " Qu'on le reconnaisse ou non, aucune forme de la vie et de la culture n'échappe en effet à l'universalité de l'Incarnation. C'est pourquoi le Mystère de L'Eucharistie nous exhorte à toujours œuvrer non pas dans le sens d'adapter l'église à la mentalité du monde mais le monde d'aujourd'hui à la Vérité divine. Les Pères de l'Eglise, ne l'oublions pas, n'ont pas uniquement "gardé la foi", ils ont aussi durement travaillé afin que l'Eglise transforme et sauve le monde.
    "Frères chrétiens, demandons à Dieu qu'Il nous donne de réunir tout ce qui est sur la terre et dans les cieux sous un seul chef le Christ" (Ep, 1, 10), afin que seul le Seigneur "soit tout à tous" (1 Co, 15, 28) ; car c'est par-là et par-là seulement que passera notre solidarité avec le monde et notre démonstration qu'existentiellement l'Eglise est bien le monde transfiguré.
    Promenez la souris sur le dessin une "bulle" vous donnera le nom des différents objets de l'autel

    AUTEL DE LA PROTHESE
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:09

    L'HABILLEMENT ET LA PROSCOMIDIE

    Pour commencer nous allons étudier tout ce qui s'accomplit depuis l'arrivée des célébrants dans l'église jusqu'au début de la liturgie de la Parole : Les prières des célébrants devant les Portes Saintes ; l'entrée des célébrants dans le Sanctuaire et le revêtement des habits sacerdotaux ; la préparation des dons appelée : Proscomidie.

    Ces actes liturgiques revêtent souvent un aspect secret aux yeux des fidèles du fait qu'après les prières devant les Portes Saintes, ils se passent dans le sanctuaire les portes fermées. Cependant, ils font partie intégrante de la liturgie et il est important que les fidèles y participent par leur présence et leur recueillement.
    1.- PRIERES DEVANT LES PORTES SAINTES ET ENTRÉE AU SANCTUAIRE
    Après les prières dites à voix basse devant les Portes Saintes, le prêtre et le diacre vénèrent l'icône du Sauveur, puis celle de la Mère de Dieu et celles d'autres saints. Ils s'inclinent devant les fidèles en leur demandant pardon, afin de célébrer la liturgie le cœur en paix avec tous. En entrant dans le Sanctuaire ils disent J'entrerai dans ta maison, Vers ton saint temple j'adorerai, pénétré de ta crainte... (Ps. 5, 8.). Le prêtre baise l'Evangile et l'autel et se rend au diakonikon (à droite de l'autel) pour revêtir les vêtements sacerdotaux, ainsi que le diacre.
    2.- L'HABILLEMENT
    Par leur éclat et leur harmonie, les vêtements liturgiques participent à la beauté et à la solennité de l'Office et les paroles prononcées au moment où les célébrants les revêtent ont toutes une signification symbolique.
    Pour le sticharion ou aube, longue tunique portée sur la soutane, le prêtre et le diacre disent les versets d'Isaïe : " Mon âme se réjouira dans le Seigneur, Car Il m'a couvert d'un vêtement de salut et Il m'a revêtu d'une tunique d'allégress e; comme un fiancé Il m'a orné d'un diadème et comme une fiancée Il m'a paré de beauté".
    L'orarion pour le diacre, l'épitrachilion pour le prêtre symbolisent l'effusion de l'Esprit-Saint qu'ils reçoivent d'en haut. La ceinture (portée uniquement par l'évêque ou le prêtre, ainsi que les ornements suivants) est signe de la vigueur issue de la puissance divine qui fortifie celui qui la noue. Les surmanches rappellent que les mains du célébrant sont liées en signe d'obéissance à Dieu.
    L'épigonation en forme de losange, porté sur la hanche, symbolise le glaive spirituel, rappelant le combat et la victoire sur la mort que le Christ a remportée. C'est une marque honorifique accordée à certains prêtres. Le phélonion recouvrant la poitrine et s'étendant en arrondi jusqu'aux pieds dans le dos, est le signe de la gloire qui enveloppe le prêtre. Pour l'évêque on ajoute l'omophore, la crosse, la mitre et la panaghia.
    Les célébrants se lavent ensuite les mains en disant le psaume 25 (6?12) : "Je me laverai les mains parmi les innocents, et je ferai le tour de ton autel, Seigneur, afin d'entendre le son de la louange et de raconter toutes tes merveilles..."

    3.- LA PROSCOMIDIE
    Puis ils se rendent à la table de Préparation appelée prothèse, située à gauche de l'autel. C'est une petite table carrée sur laquelle se trouve un cierge et tous les objets nécessaires à la célébration de la Sainte Eucharistie. Cet Office de la proscomidie est donc la préparation des saints dons destinés au sacrifice, nous rappelant le sacrifice unique du Christ par l'offrande qu'il a faite de Sa vie.
    Le diacre allume le cierge, il dépose les offrandes du pain et du vin sur la table, en souvenir du dernier repas du Christ, la Sainte Cène, et en remerciements ou action de grâce (Eucharistie) pour le sacrifice du Christ. Le pain se présente soit sous forme ronde d'une seule et grande prosphore portant cinq empreintes, soit sous la forme de cinq prosphores avec sur chacune d'elles une empreinte en forme de croix entre les branches de laquelle sont inscrites des lettres qui signifient " Jésus-Christ vainqueur ". Des parcelles de chacune de ces prosphores vont maintenant être disposées sur la patène. La figure nous montre l'ensemble de ce qui se trouve sur la patène à la fin de la proscomidie. La parcelle cubique au centre a d'abord été découpée par le prêtre avec la lance, elle est appelée Agneau, car le Christ a été immolé comme un agneau, nous rappelant ainsi l'agneau Pascal de l'Ancien Testament, et les prophéties d'Isaïe annonçant le Serviteur souffrant. Ce sont d'ailleurs des versets de ce prophète que le prêtre prononce au moment où il incise la prosphore autour de l'empreinte.
    En faisant chacune des quatre incisions avec la lance il dit ceci : "Comme une brebis il a été mené à l'immolation. Et comme un agneau sans tache, muet devant celui qui le tond, ainsi Il n'ouvre pas la bouche. Dans son humiliation son jugement a été rendu. Qui racontera sa génération ?"

    L'Agneau détaché et déposé à l'envers, c'est-à-dire l'empreinte en-dessous sur la patène, le prêtre l'incise profondément sans le rompre complètement, afin de préparer la fraction du pain, en quatre parts, avant la communion.
    Il prononce ces paroles : "Il est immolé, l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde pour la vie et le salut du monde."
    Il retourne ensuite la parcelle et la perce du côté droit en disant : "L'un des soldats lui transperça le côté de sa lance, et aussitôt il en jaillit du sang et de l'eau. Et celui qui l'a vu en a rendu témoignage et son témoignage est véridique." (Jn 19, 34-35).
    Ce rite et ces paroles font mémoire du coup de lance dans le côté du Christ crucifié, d'où jaillit du sang et de l'eau, et explique ainsi le mélange de vin et d'eau que le prêtre à présent bénit, avant de le verser dans le calice. Vient ensuite la préparation des parcelles de commémoration que le prêtre va prélever sur les autres prosphores et les disposer autour de l'Agneau, selon un ordre rigoureux.
    Sur la deuxième prosphore, le prêtre découpe une parcelle en forme de triangle, en l'honneur de la Mère de Dieu et la place à la droite de l'Agneau en disant :
    "A ta droite se tient la Reine, en vêtements tissés d'or, parée de couleurs variées." (Ps 44, 10).
    Sur la troisième prosphore, le prêtre prélève neuf parcelles qu'il dispose en trois rangées à gauche de l'Agneau. Il mentionne dans l'ordre la mémoire des saints Anges, des saints Archanges Michel et Gabriel et de toutes les puissances célestes et incorporelles, de saint Jean le Précurseur, des Prophètes, des Apôtres, des saints Hiérarques, de tous les saints et saintes martyrs, des saints thaumaturges et anargyres (guérisseurs), des saints justes et ancêtres de Dieu, de saint Jean Chrysostome (quand c'est sa Liturgie qui est célébrée), et de tous les saints.
    La quatrième parcelle est destinée à la commémoration des vivants. Le prêtre mentionne d'abord le patriarche et l'évêque dont il relève, puis le clergé et les fidèles. Il ajoute sur cette ligne une parcelle qu'il a découpée des prosphores apportées par les fidèles, tandis qu'il lit les noms de ceux qui sont inscrits sur la liste des dyptiques.

    Les dyptiques sont des feuillets ou des carnets en tête desquels sont inscrites ces phrases :

    Pour les vivants : "Pour la santé et le repos des serviteurs de Dieu."
    Pour les défunts : "Pour le repos des âmes des serviteurs de Dieu "

    Les fidèles inscrivent le nom des personnes qu'ils veulent commémorer.
    La cinquième prosphore est destinée aux défunts auxquels s'ajoutent les fondateurs de l'église ou du monastère où la Liturgie est célébrée.
    Le prêtre termine en ajoutant sur la ligne des vivants une parcelle à sa propre intention. Tous les gestes décrits précédemment sont accompagnés de prières que le prêtre prononce à mi-voix.
    Ainsi se trouve figurée sur la patène toute l'Eglise rassemblée autour de l'Agneau l'Assemblée des fidèles de tous les temps, les saints et les pécheurs, les vivants et les morts, toute l'Eglise invisible et visible, que l'on nomme la communion des saints.
    Puis le diacre présente au prêtre l'encensoir afin qu'il le bénisse. "Nous t'offrons cet encens, Christ notre Dieu, comme un parfum de spirituelle suavité ; l'ayant reçu sur ton autel céleste, envoie-nous en retour la grâce de ton Saint-Esprit."

    Le prêtre prend l'astérisque, et après l'avoir encensé le place sur la patène en disant : "Et l'étoile vint et se plaça au-dessus de l'endroit où était l'Enfant." (Matth. 1, 9).
    Tout comme l'autel devient la grotte de Bethléem, l'astérisque représente symboliquement l'étoile brillant au-dessus du Nouveau-Né, et le discos (partie supérieure de la patène) figure la crèche dans laquelle est étendu L'Enfant. En effet l'ensemble de la proscomidie concerne également de manière symbolique le début de la vie terrestre de Jésus.
    Ensuite le prêtre recouvre la patène avec son voile ainsi que le calice, et sur les deux réunis pose le grand voile appelé aër. Après avoir encensé par trois fois la table de préparation, le prêtre dit une prière pour les dons qui sont offerts et donne le renvoi de la proscomidie : "Que celui qui est ressuscité des morts, le Christ notre vrai Dieu, par les prières de Sa Sainte Mère toute pure, de notre Père parmi les saints Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople, et de tous les saints, aie pitié de nous et nous sauve, car Il est bon et ami des hommes."
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:09

    Monachisme


    Apport de la vie monastique à la vie du chrétien orthodoxe dans le monde

     
    Le peu que je puisse dire, c'est ce que peut apporter la vie monastique à tout chrétien pour comprendre ce que signifie «agir en orthodoxe aujourd'hui». Je dis la vie monastique et non les moines car il y a l'illusion chez beaucoup de chrétiens que les moines doivent être des saints. Or St Jean Climaque dit que le monastère est «un hôpital de l'âme» et dans un hôpital on y met des malades.

    Si vous sentez que vous volez sur la voie de la perfection, que les qualités spirituelles et morales sont pour vous faciles à acquérir, si en vous regardant dans la glace le matin vous voyez des ailes vous pousser, alors dites-vous que la vie monastique n'est pas pour vous. Si, par contre vous retombez toujours dans les mêmes erreurs, si vous vous débattez dans des passions dont vous n'arrivez pas à sortir, vous pouvez vous dire «peut-être il serait temps de me retirer dans un monastère».

    Que fait-on dans un monastère ? Un Père du désert répondait : «on tombe et on se relève, on tombe et on se relève». Comprendre la vie monastique comme cela évite beaucoup de quiproquo, d'illusions, de déceptions aussi. Les moines sont des hommes pécheurs, mais le monastère nous enseigne comment le chrétien doit être le témoin de l'immense miséricorde de Dieu pour tous les hommes

    Les soldats destinés à arrêter le Christ étaient revenus en disant : «nous ne l'avons pas arrêté car aucun homme n'a parlé comme cet homme». Le Christ était le Verbe de Dieu. Pour nous, il ne s'agit pas forcément de parler, mais il faudrait que tous ceux qui côtoient un chrétien puissent dire : «aucun homme n'a aimé comme cet homme». Comment peut-on parvenir à cet amour qui n'est pas celui d'un sentimentalisme ? Trois paroles de l'Evangile sont ici essentielles pour la vie monastique.

    La première parole : «vous dans le monde mais vous n'êtes pas du monde». Tout chrétien est dans le monde mais n'est pas du monde. Tout chrétien doit s'engager mais non pas adhérer. Ce sont le mollusques qui adhèrent et lorsque nous nous transformons en arapède, que nous nous cramponnons à telle idée, telle activité ou tel parti nous devenons esclaves d'une idéologie fut-elle splendide, nous sommes pour les uns et nous devenons contre les autres. Notre programme social disait Koniakoff, c'est la Sainte Trinité et je crois que pour tout chrétien ce devrait être l'unique programme social. Le moine témoigne qu'il est, comme dit Evagre le Pontique «séparé de tout et uni à tous». Le premier témoignage du moine et de la vie monastique sur ce qu'est agir en chrétien est «d'être pour tous et pour chacun». Pour l'anecdote, lors d'une catéchèse, j'ai pu voir côte-à-côte parmi les auditeurs, une responsable du parti communiste et une élue du front national. Cela à pu choquer certains, mais c'est une forme de témoignage que puissent venir vers nous toutes sortes de personnes, des bien-pensants, des honnêtes gens, mais aussi des personnes de tous bords, des marginaux, des délinquants, des toxicomanes, des prostituées, tous ceux que l'on peut trouver dans cette société qui souffre et qui se cherche. La communauté chrétienne est nécessaire. «Nous sommes là, comme dit Monseigneur Antoine (Bloom), pour nous éclairer, nous réchauffer, mais nous ne devons pas oublier que dehors il fait froid et qu'il fait nuit et que c'est là que nous devons apporter un peu de chaleur et de lumière».

    La deuxième parole de l'Evangile qui paraît plus qu'essentielle, c'est «ne jugez pas et vous ne serez pas jugé». Il y a dans les apophtegmes l'anecdote suivante. Un moine qui avait vécu rien moins que saintement et qui avait été sur beaucoup de plans un mauvais moine, se mourrait tout joyeux. Et pour donner une leçon à ses frères le père higoumène lui dit :»Mais enfin nous savons tous la vie que tu as menée ; pourquoi es-tu si joyeux, pourquoi n'es-tu pas troublé ?». Et le moine de répondre : «quand je vais paraître devant le Christ je lui dirai, Seigneur j'ai fait tout ce que tu as interdit de faire. Mais toutefois durant ma vie je n'ai jamais jugé personne. Et comme tu as dit ne jugez pas et vous ne serez pas jugé, j'ai confiance en ta parole». Qui de nous pourrait dire cela. Je vais mettre un peu les pieds dans le plat. Vous savez que nous orthodoxes, sommes divisés. Nous ne sommes pas divisés en juridiction et cela est une richesse et c'est très beau de pouvoir entendre chanter la liturgie en grec ou en slavon, mais nous sommes très divisés parce que nous sommes très cancaniers. Faites l'expérience : allez dans une paroisse, une communauté, un monastère même, et vous verrez comment vous y entendrez d'une manière plaisante, ironique, acerbe quelquefois, démolir d'autres communautés fraternelles. Nous nous aimons bien, nous sympathisons et c'est presque un jeu entre nous, de se critiquer, de faire des remarques. Pour le témoignage que nous donnons de l'Eglise à l'extérieur, c'est désastreux. Combien de fois des jeunes un peu en marge que j'envoyais à droite et à gauche pour s'ouvrir à l'Orthodoxie, revenaient quelque peu déçus de cela. Peut-être que la vie monastique nous apprends cela, non pas parce que les moines ne jugent pas, ils sont les premiers à le faire hélas, mais parce que c'est un élément aussi de la vie monastique : ne pas juger.

    Enfin une troisième parole de l'Evangile ou plutôt une parabole se révèle importante. Le Christ dit : «tu aimeras ton prochain comme toi-même» et on lui demande : qui est mon prochain ? Au lieu de dire c'est tel ou tel le Christ répond indirectement : « un homme descendait de Jérusalem à Jéricho il tombe dans les mains de brigands ...» Le prochain c'est celui que nous rencontrons sur notre route, dans la situation que Dieu a voulu ou permis pour nous. Nous voulons bien servir Dieu mais nous voulons le servir selon nos propres projets. Nous voulons bien en chrétien, en orthodoxe, mais selon notre propre vision des choses. Non, ce n'est pas nous qui proposons à Dieu le service qu'on doit lui rendre, c'est Dieu qui nous appelle. C'est à nous de dire «que Ta volonté soit faite». Je crois que la vie monastique nous enseigne aussi cela. Le moine n'a aucune fonction ; celle de la prière bien sûr, mais c'est aussi celle de tout chrétien. Le moine, beaucoup de Pères l'ont dit, est soldat du Christ. Nous n'aimons plus beaucoup ces images militaires avec raison car le soldat, n'est pas toujours quelqu'un de recommandable, mais recommandable ou non, c'est quelqu'un de toujours disponible à la vie, à la mort, toujours prêt à servir. Agir en chrétien, en orthodoxe aujourd'hui c'est aussi être toujours disponible pour le service du Christ et des frères. Non pas vouloir faire ceci ou cela, mais savoir répondre présent à qui en a besoin. Selon le mot du prophète Isaïe «si tu donnes ton pain à l'affamé, si tu rassasies de joie l'âme défaillante alors ta lumière s'élèvera au sein de l'obscurité et les ténèbres deviendront comme la clarté du midi». C'est cela agir en chrétien, en orthodoxe, et ce n'est pas facile.

    Archimandrite Victor, higoumène du monastère de la Dormition de la Mère de Dieu à 05 La Faurie (France).
    Intervention aux Journées régionales orthodoxes, organisée par la Fraternité orthodoxe locale en Avignon mai 1998
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:10

    LE PETIT MANUEL
    DU MOINE ORTHODOXE


    PREFACE

    L’Eglise en général, nous pouvons la définir comme « cette vie de Dieu dans les hommes » pour reprendre ici l’excellente définition de Khomiakov . Vie qui nous fait connaître Dieu comme communion des trois Personnes et c’est la raison pour laquelle l’Eglise orthodoxe, Eglise absolue de la Sainte Trinité, sera ressentie surtout comme communauté eucharistique, agapè, où la vie en Christ s’exprime dans une expérience réelle de service et de fraternité ; où la spiritualité est normalement celle du martyr, véritable état mystique où l’homme, s’identifiant au Crucifié, éprouve dans une indicible métamorphose, la plénitude de la Résurrection . C’est cela qui, en la rendant si sensible au cœur, assure la continuité de l’Orthodoxie : le fil rouge de ses martyrs et le fil d’or des transfigurés, dont les Pères du Désert en sont parmi les exemples les plus parlants .


    Cela est d’autant plus important à souligner que l’homme de notre temps oublie qu’il existe . Il oublie que les autres existent . Il oublie que le monde existe . Il vit dans un temps dévoreur où chaque instant dévore déjà l’instant suivant ; où il n’y a en quelque sorte jamais de présent . Bref, il oublie Dieu !


    Pourtant, écrit Olivier Clément, « l’homme d’aujourd’hui pressent le mystère, mais très certainement autrement : peut-être dans le froid de sa solitude ; peut-être dans une tendresse désespérée qui fait que dans son regard il y a de l’amour et du chagrin » .


    C’est précisément cela que tend à nous déchiffrer dans sa finalité le vécu des moines : la transformation de la tristesse pour la mort en tristesse pour Dieu ; le silence devant le destin en cri de Jacob ; le jaillissement de la lumière de la Résurrection au cœur même de la liberté de l’homme, dans la grandeur et la folie de l’homme, dans son expérience du paradis et de l’enfer .


    Etouffer ses passions, choisir définitivement, pleinement, totalement la voie qui mène à Dieu, déraciner du plus profond de son être les germes du mal, s’ouvrir sur l’amour fou de Dieu et partant, puisque l’un ne vas pas sans l’autre, sur l’amour des autres, tel est le programme que propose la spiritualité de l’Eglise orthodoxe. Tel est aussi le but que poursuit ce petit manuel : rappeler qu’on n’édifie pas une vie sur la négation puisque l’enseignement du Christ est en tous points le contraire de la négation ; oser dire qu’il ne faut pas craindre la liberté mais qu’il faut aller jusqu’au bout de celle-là même qui butte sur l’ultime esclavage, autrement dit la mort pour ensuite entrer totalement dans l’expérience de la seule vraie transgression, qui est la Résurrection !


    Puisse ce modeste ouvrage, écrit dans une intention très pédagogique, nous aider à sortir de l’indifférence et de la dérision qui sont l’écume de notre civilisation . « Mon désir terrestre, écrit Saint Ignace d’Antioche ( in Rom.7/2-3 ), a été crucifié ; il n’y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une eau vive qui murmure et qui dit au-dessus de moi : viens vers le Père . Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie ; c’est le pain de Dieu que je veux qui est la chair de Jésus-Christ de la race de David ; et pour boisson, je veux son Sang qui est Amour incorruptible » .


    L’union avec le Ressuscité !... Un mystère qui finalement s’accomplit dans les seules personnes humaines et qui se manifeste surtout par un besoin impérieux de participer à la vie divine par un acte libre, conscient, volontaire lequel nous engage dans une extraordinaire aventure spirituelle .


    Une extraordinaire aventure spirituelle en effet que ne cessent de nous proposer inlassablement jusqu’à la fin des temps ces hommes ivres de Dieu que sont les moines .


    LES FONDEMENTS DE L’ASCESE ORTHODOXE



    Ascèse de l’enseignement du Christ
    L’ascèse orthodoxe est une ascèse qui a pour base fondamentale les commandements du Christ, auxquels on se consacre totalement à tel point qu’ils deviennent la seule loi pour toute l’existence. Et si l’on se demande quelles sont ces lois, on répondra, en premier lieu, d’aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses pensées et de toutes ses forces, et en second lieu, d’aimer son prochain comme soi-même (Mc 12, 30-31. Mt 22, 40. Ga 5, 14).


    Tel est le but de l’ascèse chrétienne dont nous allons maintenant aborder quelques aspects, en fonction de notre vie spirituelle fondée ainsi en Dieu.


    Combat conscient de l’homme et don de l’Esprit Saint
    L’ascèse est un combat conscient de l’homme, du libre choix de l’homme pour atteindre la perfection. Mais la perfection, en tant que telle, n’est pas contenue dans la nature de l’homme : c’est pourquoi il n’est pas possible de l’atteindre uniquement avec le concours des seules forces de l’homme, contenues dans leurs propres limitations. La perfection ne peut se réaliser qu’en Dieu ; elle est un don de l’Esprit Saint.


    En tant que telle, l’ascèse n’est jamais un but en soi. Elle est toujours un moyen, une expression de notre liberté et une vie en vue de son acquisition. C’est un exercice pour un combat conscient qui devient, avec le temps, science, technique.


    Mais pour que ce combat soit victorieux et ne succombe pas à la corruption, il faut qu’il soit scellé par la grâce. En ce sens, l’ascèse peut être définie comme la recherche d’un symphonie, d’un accord de notre volonté et de notre vie avec la volonté et la vie même de Dieu. Cette symphonie s’exprime et se pratique essentiellement dans la prière et c’est la raison pour laquelle la prière se situe au sommet de toute l’activité ascétique ; elle est le centre duquel toute autre action puise sa force et sa validation.

    Dans la prière, l’ascèse orthodoxe atteint la perfection de son expression parce qu’elle fait participer l’être, à travers l’Esprit Saint, à la vie divine. L’ascète va donc consacrer à la prière son attention la plus soutenue.

    Arriver à la prière pure : l’ascète quitte tout et par cet abandon entre dans l’essence du renoncement monastique.


    Il importe de rappeler que le moine, du point de vue de sa foi, ne diffère pas des autres chrétiens. Sa vie témoigne d’une certaine façon de vivre, mais elle n’a pas d’autre source que les commandements du Christ auxquels tous les baptisés adhèrent par l’ascèse. Tout chrétien orthodoxe devrait être un ascète et chaque fois donc que nous parlons de l’essence du monachisme, nous touchons à quelque chose qui concerne tous les chrétiens orthodoxes.


    La vie monastique : une troisième grâce
    Est-il possible d’édifier une vie sur la base de la négation ? Non, bien sûr, car l’enseignement du Christ est en tous points positif, parce que l’amour et, en général, la vie en Dieu ne peuvent pas être autre chose qu’un engagement positif de tout l’être.


    Quand rayonne l’amour de Dieu, il ne peut exister de négation consciente visant à vaincre telle ou telle passion : quand on aime réellement, quand l’amour du Christ devient en l’homme une seconde nature, il ne lui faut plus se séparer du lien qui l’unit au monde des choses, ni de l’esclavage des passions, car il en est libéré. Au départ, chaque énergie spirituelle de l’homme qui s’inscrit dans cette lignée et qui se conforme à l’enseignement du Christ n’exige de lui aucune violence, mais manifeste consciemment l’amour.


    « Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier se trouve sous la coupe du Malin » (1 Jn 5, 19) : le mal consiste en ce que l’homme soit devenu l’esclave du péché. Sa libération et sa renaissance ne se réalisent que par l’union entre le Divin et l’humain consommée en Christ.


    Il est nécessaire de dire que pour certains la négation de ce monde donne du monachisme une image au caractère morose, triste et sombre. Mais cette image est erronée. Saint Théodore Studite définit la vie monastique comme une « troisième grâce », la première étant la Loi de Moïse, la seconde « la grâce après grâce » (Jn 3, 16.) et la troisième « la vie monastique » en tant que vie céleste, réalisation et possession du transcendant dans le présent, dans l’actuel.


    Acquérir la vision de Dieu
    Toute vie monastique n’a de sens que dans la mesure où elle est tournée vers la vision de Dieu. Le moine désire ardemment posséder en lui la lumière du Thabor. Aussi, avant d’aller plus loin, il est bon au préalable d’analyser brièvement ce que signifie, pour l’Orthodoxie, l’expérience spirituelle de la déification.


    L’expérience spirituelle de la déification

    « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu en Lui » affirme saint Athanase. « Dans mon royaume, dit le Christ dans le canon des matines du Jeudi saint, Je serai Dieu et vous serez dieux avec moi » (4ème ode, 3ème tropaire ). Ainsi donc, l’union avec Dieu, but final de la rédemption, est un mystère qui s’accomplit dans les personnes humaines. Librement elles renoncent à tout ce qui leur est propre par nature pour se réaliser pleinement dans la grâce, pour atteindre la « théosis », en d’autres termes la divinisation, toute notion de sainteté dans l’Orthodoxie étant intimement liée à celle de la Grâce.



    Le saint est un homme qu’habite la Grâce. Cette dernière n’est pas, dans la théologie des Pères grecs, considérée comme un effet « créé » : elle est Dieu lui-même se rendant participable. Elle est l’énergie même de la Divinité – en quelque sorte les rayons du Soleil – se communiquant dans l’Esprit Saint. La notion de la Grâce s’identifie en Orient avec celle de la participation. La Grâce est une communion à la vie divine pour saint Cyrille d’Alexandrie : « Adam, avant la chute, préservait en lui-même, pure et sans souillure, l’illumination que Dieu lui avait accordée et ne prostituait pas la dignité de sa nature ; ainsi le Fils illumine, en tant que Créateur, puisqu’il est lui-même la Lumière véritable, tandis que la créature est illuminée par participation à la Lumière et ainsi reçoit le nom de Lumière et devient Lumière, en s’élevant vers la surnaturel par la Grâce de Celui qui l’a glorifiée et qui la couronne de dignités variées » (Cyrille d’Alexandrie, Commentaire sur Jean, 1, 9).


    Pour saint Grégoire Palamas, la Lumière divine est une donnée pour l’expérience mystique : c’est le caractère visible de la Divinité, des énergies dans lesquelles Dieu se communique et se révèle à ceux qui ont purifié leur cœur : « Celui qui participe à l’énergie divine (…) devient lui-même, en quelque sorte Lumière ; il est uni à la Lumière et avec la Lumière il voit en pleine conscience tout ce qui reste caché à ceux qui n’ont pas cette grâce ; il surpasse ainsi non seulement les sens corporels, mais aussi tout ce qui peut être connu (par l’intelligence) (…) car les cœurs purs voient Dieu (…) qui, étant la Lumière habite en eux et se révèle à ceux qui l’aiment, à ses bien-aimés… » (Grégoire PALAMAS, Sermon pour la fête de la Présentation au Temple de la Mère de Dieu, éd. Sophocles, P.176-177).


    C’est pourquoi l’union à Dieu, la vision lumineuse est pour l’homme à la fois pleinement objective, pleinement consciente, pleinement personnelle, parce que tout être humain porte en lui l’image du Créateur, de sa participation libre à la vie divine : « l’homme, dès l’origine de la création, reçut le contrôle de ses désirs et pouvait suivre librement les inclinations de son choix, parce que la Déité, dont il est l’image, est libre » (Cyrille d’Alexandrie, Hom. Que Dieu n’est pas l’auteur du mal, 6, PG 31, 344 B).


    Cette union en effet ne se résout jamais en une intégration de la personne humaine dans l’Infini divin : elle est, au contraire, l’accomplissement de sa destinée libre et personnelle. De là également l’insistance des spirituels byzantins sur la nécessité d’une rencontre personnelle avec le Christ, lieu où, par excellence, ont convergé, une fois pour toutes, l’expérience de l’homme par Dieu et celle de Dieu par l’homme : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi », proclame saint Paul.


    Vu d’en-bas, un saint ne cesse jamais de lutter, assumant le mal universel, traversant l’agonie de Gethsémani, s’épanouissant en charité cosmique ; mais vu d’en-haut, il est tout tissé de lumière. La vie spirituelle conduit à la contemplation ineffable où la Lumière devient l’objet mais aussi le moyen de la vision ; c’est cette luminosité des corps pneumatisés que nous montre l’icône : « Tu es devenue belle, mon âme, en t’approchant de Ma Lumière, ton approche a attiré sur toi la participation de Ma beauté. S’étant approchée de la Lumière, l’âme devient Lumière. » (Grégoire de Nysse, P.G. 44, 869 A.)


    La théologie de la Lumière est donc inhérente à la spiritualité orthodoxe : l’une est impossible sans l’autre. Derrière cette doctrine, on trouve l’idée fondamentale de l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, la Sainte Trinité. Les saints sont ceux qui expriment en eux la Trinité. Le thème constant de saint Jean l’Evangéliste est l’union personnelle et organique entre Dieu et l’homme ; pour saint Paul, la vie chrétienne est avant tout « vie en Christ ». Le mystère de la Rédemption signifie donc la récapitulation de notre nature par le Christ, Nouvel Adam, et dans le Christ. Le mystère de la Pentecôte nous rappelle que l’œuvre de notre déification s’accomplit en nous par le Saint Esprit, Donateur de la Grâce. La double économie du Verbe et du Paraclet a pour but l’union des êtres créés avec Dieu. Ici, cependant, Créateur et créature ne fusionnent pas en un seul être, car, dans la théologie mystique orthodoxe, l’homme ne perd jamais sa propre intégrité ; même déifié il reste distinct, mais non séparé de Dieu : l’homme déifié ne perd pas son libre arbitre mais c’est aussi librement, par amour, qu’il se conforme à la volonté de Dieu. L’homme ne devient pas Dieu par nature, mais il est seulement « créé dieu », un dieu par grâce. L’Eglise orthodoxe écarte de cette façon toute forme de panthéisme.


    Mais plus une personne progresse dans la voie de l’union, plus elle est consciente ; et cette conscience dans la vie spirituelle s’appelle connaissance qui, dans les degrés supérieurs de la voie mystique, se manifeste pleinement comme la connaissance parfaite de la Trinité.


    « La prière, dit Evagre le Pontique, est une ascension de l’intelligence vers Dieu. Prie premièrement pour être purifié des passions, deuxièmement pour être délivré de l’ignorance, troisièmement pour être délivré de toute tentation et déréliction. Dans ta prière, cherche uniquement la justice et le Royaume (Cf. Mt 6, 33), c'est-à-dire la vertu et la gnosis, la connaissance, et tout le reste te sera donné en plus. Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien. Et théologien est celui qui, s’étant purifié et ayant dépassé les contemplations des êtres, contemple Dieu » (Evagre le Pontique, cité dans Petite philocalie de la prière du cœur, pp. 40-43).


    Pour atteindre cela, il faut être constamment dans l’état de veille, se comporter comme des fils de Lumière : « Comportez-vous en fils de Lumière » (Ep 5, 9). La gnosis est de ce fait une expérience de la Lumière incréée, cette expérience elle-même étant Lumière, car il est dit dans le psaume : « Dans ta Lumière nous verrons la Lumière. » (Ps 35, 10).


    Pour saint Syméon le Nouveau Théologien, l’expérience de la Lumière, qui est la vie spirituelle consciente ou gnosis, révèle la présence de la Grâce acquise par la personne : « Nous ne parlons pas des choses que nous ignorons, dit-il, mais de ce qui nous est connu nous rendons témoignage. Car la Lumière brille déjà dans les ténèbres, dans la nuit et dans le jour, dans nos cœurs et dans nos esprits. Elle nous illumine, cette Lumière sans déclin, sans changement, inaltérable, jamais éclipsée ; elle parle, elle agit, elle vit et elle vivifie, elle transforme en Lumière ceux qu’elle illumine. Dieu est Lumière et ceux qu’Il rend dignes de Le voir Le voient comme Lumière ; ceux qui l’ont reçu, l’ont reçu comme Lumière. Car la Lumière de Sa gloire précède Sa face et il est impossible qu’Il apparaisse autrement que dans la Lumière. Ceux qui n’ont pas vu cette Lumière n’ont pas vu Dieu, car Dieu est Lumière. Ceux qui n’ont point reçu cette Lumière, n’ont pas encore reçu la grâce, car en recevant la grâce, on reçoit la Lumière divine et Dieu… » (Syméon le Nouveau Théologien, Homélie LXXIX, 2, SC n° , p).
    « Nous avons vu la Lumière véritable, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi dans l’adoration de la Trinité indivisible car c’est elle qui nous a sauvés », chantons-nous à la fin de la célébration eucharistique.


    La déification qui se réalise à travers l’illumination de tout l’être par laquelle Dieu se révèle et qui surpasse de ce fait le sens et l’intelligence de la personne humaine n’est plus uniquement une extase, un état passager qui ravit, qui arrache l’être humain à son expérience habituelle, mais une vie consciente, nous le répétons, dans la Lumière divine, dans la communion incessante avec Dieu.


    Dans son livre La théologie mystique de l’Eglise d’Orient, V. Lossky nous présente, à ce sujet, un passage tiré des Révélations de saint Séraphin de Sarov, écrites au début du XIXème siècle. Mieux que tous les exposés théologiques, il nous fera comprendre en quoi consiste cette certitude, cette gnose ou conscience de l’union avec Dieu. Voici cet entretien échangé par une matinée d’hiver dans la forêt avec l’un de ses disciples : 
    « Je ne comprends pas, tout de même, comment on peut avoir la certitude d’être dans l’Esprit de Dieu. Comment pourrai-je reconnaître en moi-même, d’une façon sûre, sa manifestation ?


    - Je vous ai déjà dit, fit le Père Séraphin, que c’est bien simple. Je vous ai longuement parlé de l’état dans lequel se trouvent ceux qui sont dans l’Esprit de Dieu ; je vous ai expliqué aussi comment il faut reconnaître sa présence en nous… Que vous faut-il donc encore, mon ami ?
    - Il faut que je comprenne mieux tout ce que vous m’avez dit.
    - Mon ami, nous sommes tous deux en ce moment dans l’Esprit de Dieu… Pourquoi ne voulez-vous pas me regarder ?
    - Je ne peux pas vous regarder, mon Père, répondis-je, vos yeux projettent des éclairs ; votre visage est devenu plus éblouissant que le soleil et j’ai mal aux yeux en vous regardant.
    - Ne craignez rien, dit-il, en ce moment, vous êtes devenu aussi clair que moi. Vous êtes aussi à présent dans la plénitude de l’Esprit de Dieu ; autrement, vous ne pourriez me voir tel que vous me voyez.


    Et, penché vers moi, il me dit tout bas à l’oreille :


    - Rendez donc grâce au Seigneur Dieu pour sa bonté infinie envers nous. Comme vous l’avez remarqué, je n’ai même pas fait le signe de croix ; il a suffi seulement que j’eusse prié Dieu en pensée, dans mon cœur, disant intérieurement : Seigneur, rends-le digne de voir clairement de ses yeux corporels cette descente de ton Esprit, dont Tu favorises tes serviteurs, lorsque Tu daignes leur apparaître dans la Lumière magnifique de Ta Gloire. Et, comme vous le voyez, mon ami, le Seigneur exauça immédiatement cette prière de l’humble Séraphin…Combien devons-nous être reconnaissants à Dieu pour ce don ineffable accordé à nous deux ! Mêmes les Pères du désert n’ont pas toujours eu de telles manifestations de sa bonté. C’est que la Grâce de Dieu, telle une mère pleine de tendresse envers ses enfants, daigna consoler votre cœur meurtri, par l’intercession de la Mère de Dieu Elle-même… Pourquoi donc, mon ami, ne voulez-vous pas me regarder droit en face ? Regardez franchement, sans crainte : le Seigneur est avec nous.


    Encouragé par ces paroles, je regardai et fus saisi d’une frayeur pieuse. Imaginez-vous au milieu du soleil, dans l’éclat de ses rayons éblouissants de midi, la face de l’homme qui vous parle. Vous voyez le mouvement de ses lèvres, l’expression changeante de ses yeux, vous entendez sa voix, vous sentez ses mains qui vous tiennent par les épaules, mais vous ne voyez ni ces mains ni le corps de votre interlocuteur – rien que la lumière resplendissante qui se propage loin, à quelques toises à l’entour, éclairant par son éclat le pré couvert de neige et les flocons blancs qui ne cessent de tomber… » (Cité dans Vladimir Lossky, Théologie mystique de l’Eglise d’Orient, Foi Vivante, Cerf, 1990, p.225-227.



    On peut résumer ainsi cet entretien : le disciple ne peut plus voir en face le saint car son visage est lumineux comme un soleil.
    Dans les théophanies de l’Ancien Testament, cette Lumière apparaît comme la gloire de Dieu : apparition terrifiante et insupportable pour les créatures, parce qu’extérieure, étrangère à la nature humaine avant le Christ, en dehors de l’Eglise. C’est cette première expérience que fit saint Paul sur la route de Damas : n’ayant pas encore la foi, il fut aveuglé et terrassé par la Lumière divine (Cf. Ac 9, 3-9). Par contre Marie-Madeleine a pu voir la Lumière de la Résurrection qui remplissait le tombeau vide et rendait visible tout ce qui s’y trouvait, le jour « sensible » n’ayant pas encore éclairé la terre. Pour voir la Lumière divine avec les yeux corporels, comme ce fut le cas des disciples au mont Thabor, il faut participer à cette Lumière, être transformé par elle dans une mesure plus grande ; l’homme entier, corps et âme, ayant été créé à l’image de Dieu, il faut aussi que notre corps devienne, selon l’expression de saint Paul, un corps spirituel. Notre fin dernière en effet n’est pas seulement une contemplation intellectuelle de Dieu : les bienheureux verront Dieu face à face dans la plénitude de leur nature créée.

    « Souvent, dit encore saint Syméon le Nouveau Théologien, je voyais la Lumière ; parfois elle m’apparaissait à l’intérieur de moi-même, lorsque mon âme possédait la paix et le silence, ou bien alors elle ne paraissait que loin, et même elle se cachait tout à fait. J’éprouvais alors une affliction immense, croyant que jamais plus je ne la reverrais. Mais, dès que je commençais à verser des larmes, dès que je témoignais d’un complet détachement de tout, d’une absolue humilité et obéissance, la Lumière repassait à nouveau, pareille au soleil qui chasse l’épaisseur des nuages et qui se montre petit à petit, créant la joie. Lentement, Tu dissipas la ténèbre qui était en moi, Tu chassas la nuée qui me couvrait, Tu ouvris l’ouïe spirituelle, Tu purifias la prunelle des yeux de mon esprit (…). Et soudain, tu apparus comme un autre Soleil, ô ineffable condescendance divine » ( Syméon le Nouveau Théologien, Homélie XV, Sources Chrétiennes).


    Pour celui qui acquiert l’amour, « les ténèbres se dissipent et la Lumière véritable paraît déjà », dit saint Jean (1 Jn 1, 8). La Lumière divine apparaît ici-bas dans le monde, dans le temps. Elle se révèle dans l’histoire mais elle n’est pas de ce monde, c’est le commencement de la parousie dans les âmes saintes, prémices de la manifestation finale lorsque Dieu apparaîtra dans Sa lumière inaccessible à tous ceux qui demeurent dans les ténèbres des passions, à ceux qui vivent attachés aux biens périssables. A ceux-là, ce jour apparaîtra soudain, inattendu, comme le feu que l’on ne peut supporter. Ceux par contre qui marchent dans la lumière ne connaîtront pas le Jour du Seigneur, car ils sont toujours avec Dieu, en Dieu.



    La voie de la perfection
    Pour atteindre ainsi cette perfection de l’illumination, il y a lieu de passer par trois renoncements, ainsi que le dit saint Paphnuce :

    - l’abandon corporel de la richesse et de la possession des biens de ce monde.
    - l’abandon des passions et des habitudes du passé, aussi bien de l’âme que du corps.
    - enfin, il faut que la pensée s’écarte de toute chose visible et temporelle, et se consacre à la vision de l’invisible et de l’éternel.
    Cet enseignement des trois renoncements, nous le trouvons de même chez saint Jean Climaque : « Personne, écrit-il, n’entrera au banquet nuptial céleste s’il n’a pas accompli le premier et le second et le troisième renoncement. Le premier est le renoncement de toutes choses, de toutes personnes, des parents mêmes ; le second est le renoncement à sa volonté propre ; et le troisième celui de la vaine gloire… » (Jean Climaque, Sermon, II, 14).



    A ces trois renoncements correspondent trois croix et chaque renoncement est en fait l’acceptation d’une croix. Mais pour cela il faut agir avec la pleine connaissance de ses possibilités et l’expérience spirituelle suffisante. On ne peut accéder que par degrés aux hauteurs spirituelles, sinon on risque de retomber à nouveau sur terre. Pour préciser davantage, on dira que la première croix est extérieure, toute faite de tristesse et de malheurs qui viennent frapper l’homme dans sa vie terrestre ; la seconde croix est le combat intérieur contre les passions et les désirs ; la troisième est celle du total abandon en Dieu ; cette dernière croix est le fruit de la Grâce de l’Esprit Saint et dans sa forme la plus parfaite elle appartient uniquement à ceux qui ont atteint la vraie perfection.
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:10

    LES TROIS PROMESSES DE LA VIE MONASTIQUE
    A ces trois croix correspondent trois désirs, trois promesses que formule le moine.


    1. Obéissance
    L’obéissance est la base du monachisme. A son point de départ, elle se manifeste par des gestes très simples, mais, peu à peu, elle élève l’homme jusqu’à un monde que l’on ne peut pas humainement décrire. L’obéissance est un mystère révélé par l’Esprit Saint et de ce fait elle est de même mystère et vie dans l’Eglise.


    A première vue, le renoncement à un choix libre ou à un jugement libre, que contient dans son exigence l’obéissance, semble s’opposer à la volonté même de Dieu qui a doté l’homme de liberté, semblable à la sienne.
    Mais pour celui qui, par la foi, a fait l’expérience de l’enseignement de l’Eglise, l’obéissance apparaît comme un don indescriptible de Dieu. Le moine novice sera libéré du fardeau de ses soucis terrestres uniquement par l’obéissance : elle le conduira jusqu’à la « pureté en Dieu de la pensée ». Purifier donc sa pensée est un acte qui se réalise par l’obéissance. Aussi, conformément aux Pères, c’est l’obéissance qui, des trois promesses, doit retenir toute notre attention dans la vie du moine. Toutefois, c’est en se fondant les unes dans les autres que ces promesses – obéissance, célibat-chasteté, pauvreté – vont créer les circonstances indispensables pour atteindre le but final de l’ascèse : l’apatheia et la prière pure.


    Pour saint Jean Climaque, « mère de la pureté est l’hésychia avec l’obéissance ; la libération des passions du corps qui est l’apanage de l’hésychia ne reste pas inébranlable lorsqu’elle entre en contact avec le monde ; au contraire, signe de l’obéissance, elle reste inébranlable à toute épreuve » (Jean Climaque, Discours 15, 33-35).


    Mystère de l’Eglise, l’obéissance fait en sorte que les liens qui unissent le père spirituel et le moine revêtent un caractère sacré. Pour le novice, cette obéissance consiste à s’éduquer à la volonté de Dieu, pour qu’il entre dans la sphère de l’intention divine et devienne ainsi participant de la Vie divine. Pour le guide spirituel, elle est un moyen de progrès du novice par sa prière ; c’est en fin de compte la conduite même de la véritable liberté, sans laquelle il n’y a point de salut possible.


    L’Ancien Païssios explique que le père spirituel, lorsqu’il reçoit un nouveau novice, ne peut à lui seul arriver à « canaliser l’eau dans le caniveau ». Aussi, dit-il, il est très important que le novice y mette aussi du sien en pratiquant une obéissance aveugle. Et il ajoute : « Pour que le problème de l’obéissance ne te pèse pas, il faut que tu saisisses le sens de l’obéissance pour le ressentir comme un besoin, et c’est alors seulement qu’elle te sauvera, car l’obéissance n’est pas un esclavage mais la liberté.


    Lorsque donc tu auras compris que ton Ancien porte ta propre responsabilité et qu’il prend soin de ton salut et que tout ce qu’il fait dans ce sens c’est pour ton bien et non pour te persécuter, alors tu te réjouiras de l’entendre te dire : « Non point cela, ni cela », ou « viens ici, va là », parce que tu auras saisi que tout cela est pour ton bien, pour anticiper, grâce à son expérience ou à cause de ce qu’il a lui-même subi, tout mal qui pourrait te surprendre. Alors tu connaîtras la vraie joie quand tu obéiras ou que tu poseras diverses questions, et même avec force détails, pour ne pas en faire à ta tête ou pour éviter de tomber dans des gaffes ; il en sera de même aussi par souci d’agir avec délicatesse envers ton Ancien afin de ne point le fatiguer, tu te conformeras à ce que Dieu te demandera ; c’est de cette manière qu’intérieurement ton cœur deviendra obéissant.


    Malheureusement, ce grand secret de l’obéissance ( qui est la vraie liberté ), le Malin, cet ennemi, le cache et il le présente au novice de façon tout à fait opposée. Ainsi il rend la vie difficile aussi bien au novice, qui alors se considère comme un esclave, qu’à l’Ancien, lequel ne peut plus le marteler, artisan qu’il est. Alors le novice considère que tous les instruments bienfaisants et tous les moyens qu’utilise à son endroit son Ancien, sont pour lui des supplices équivalents à ceux que subirent les martyrs du temps de Dioclétien, car c’est ainsi désormais qu’il voit son père spirituel.


    Souvent aussi le novice les accepte avec joie mais alors il a la ferme conviction que Dieu le couronnera de deux couronnes, celle du bienheureux et celle du martyr. Cela n’a pas de sens ; c’est même une méthode très risible dont use à son endroit le Mauvais.


    Comme il est bon pour le novice de saisir le sens de l’obéissance et ainsi de devenir un être libre ! Alors l’Ancien lui aussi peut travailler en toute liberté l’âme de son novice, et tous les deux se réjouissent et sont dans l’allégresse et ainsi, « là où deux ou trois sont réunis » (Mt 18, 10), là aussi est le Christ. Autrement, on peut se retrouver à deux ou trois avec au milieu d’eux le rusé !


    « Durant tout le temps où tu seras mis à l’épreuve, écrit encore Païssios, s’il t’arrive de trouver quelque difficulté, humilie-toi devant ton Ancien et confie-lui ce qui te préoccupe. Et si cela recommence, à nouveau humilie-toi parce qu’il se pourrait qu’il ait oublié ou qu’il désire mesurer ton endurance. Et parallèlement, prie Dieu pour qu’Il te fortifie et qu’Il éclaire ton Ancien ».


    Et ailleurs, il précise : « Les jeunes (novices) qui ne ressentent pas l’obéissance comme une nécessité afin d’être préservés des tentations par les conseils des Anciens, et qui au contraire agissent selon leur bon désir, seront rapidement blessés mortellement par l’ennemi et ils deviendront ses prisonniers parce que la liberté selon ce monde conduit à l’esclavage spirituel.


    Tous ceux qui ont été capables de couper le fil de leur volonté propre ont aussi coupé avec une grande facilité les chaînes des passions et ont été libérés de la domination spirituelle de l’assassin (le Malin). Le moine qui n’en fait qu’à sa tête se laisse égarer » .


    La plus grande réussite du Malin, c’est comment faire pour porter atteinte à la raison du novice ; de telle sorte qu’ensuite le novice finisse par s’écrouler de lui-même comme c’est la cas des coupoles lorsque l’on retire l’une des briques de son sommet.


    « Ceux qui en toute simplicité confient leur être à leur père spirituel, ceux-là vont leur chemin avec sécurité et sans fatigue (car ils sont portés par les épaules de leur Ancien) et ils atteignent joyeusement le paradis . Par contre, les novices qui cherchent à éviter l’obéissance subissent le même sort que les jeunes veaux excités, qui tirent sur leur corde, tantôt de ce côté, tantôt de celui-là, jusqu’à ce qu’ils réussissent à déraciner le pieu auquel ils sont attachés ; ensuite ils sortent comme des fous des limites de leur prairie et si par hasard Dieu ne les préserve, s’il ne se trouve personne pour les retenir, ils courent tout droit à leur noyade » (Père Païssios).
    « C’est pourquoi l’obéissance constitue le chapitre capital de la société monastique. Tout comme Dieu, qui est le Père de nous tous et qui nous permet de l’appeler Père, exige la discipline la plus rigoureuse auprès de ses serviteurs, ainsi, aussi, celui qui parmi les hommes est le père spirituel, et qui adapte les commandements aux lois de Dieu, exige une obéissance non controversée » (Basile le Grand, Règles ascétiques, ch.14).
    Puisque donc un grand nombre embrasse la vie du célibat (entre dans les ordres monastique) alors que beaucoup de jeunes ne sont pas encore parfaits, il faut trouver un guide et un maître qui soit digne et capable de les conduire dans cette voie, afin qu’ils ne s’égarent pas dans leur ignorance. Car ainsi qu’il est dit par l’Ecclésiaste dans les saintes Ecritures : « Il vaut mieux être deux qu’un ; car l’un est vaincu plus facilement par l’ennemi qui veille sur les voies divines » (Qo 4, 9), et c’est vrai : « Malheur à celui qui est un, lorsqu’il chute, il n’y a personne pour le relever » [Grégoire de Nysse, ch.22 (de l’obéissance)].


    « Si tu veux devenir un moine novice et pur, ne suis pas une voie personnelle de complaisance, mais soumets ton point de vue à ceux qui ont bêché et raboté la vigne divine pendant des années et avec labeur ; auprès d’eux tu apprendras plus facilement le travail de la vertu » [Isidore Koupcalis, Lettre 260 (à Luc le moine)].


    « Si donc tu trouves, avec la grâce de Dieu, un maître d’œuvres bonnes (et tu en trouveras si tu cherches), conserve-le comme ton conseiller spirituel et n’agis pas en dehors de son avis. Car tout ce que tu feras en dehors de lui ressemblera à un vol et à un rapt des choses sacrées qui conduira, non pas à un bénéfice quelconque, mais à la mort, même si cela te paraît bon. Car si ce que tu fais est bon, pourquoi alors agir en cachette et non au grand jour ? » (Basile le Grand, Discours ascétique, § 2-4).


    En un mot, par l’obéissance on acquiert l’Esprit Saint.
    Le combat spirituel et ascétique du guide spirituel est plus lourd à mener que celui du novice à cause de sa grande responsabilité envers Dieu. Dans cette optique, le père spirituel s’efforcera non pas d’enlever à son disciple toute responsabilité, mais au contraire, de lui apprendre ce qu’est la vie chrétienne et la véritable liberté, qui se fixe pour objectif de vaincre toute passion. L’homme qui rend son frère esclave ou simplement fait affront à sa liberté, perd instantanément sa propre liberté parce qu’une telle manière d’agir est un éloignement de la vie divine de l’amour, à laquelle l’être humain est invité à participer.


    Le moine, en se livrant lui-même de la sorte à l’esclavage volontaire, c'est-à-dire en surmontant son égoïsme, reçoit en échange la véritable liberté. Ainsi l’expérience de l’obéissance devient expérience de l’authentique liberté de Dieu en ce sens que l’homme surmonte en lui la scission profonde « des volontés en nous », conséquence de la chute originelle, alors qu’en Dieu, il n’y a qu’une seule volonté.


    C’est pourquoi l’obéissance, en tant qu’acte religieux, ne pourra s’exercer que librement si elle veut se préserver toute valeur et toute signification, c'est-à-dire pour que l’homme quitte le cercle de sa volonté égocentrique et s’éloigne de la faiblesse de sa propre pensée.


    Pour conclure ce premier point, nous dirons que l’obéissance se base essentiellement sur la recherche de la volonté divine. Le moine, conscient de son insuffisance à discerner directement la volonté de Dieu, s’en remet à son père spirituel, en tant que celui qui est plus capable que lui de ce discernement.


    Le guide spirituel, quant à lui, ne tue pas la volonté de son disciple et ne le soumet pas à son bon vouloir, mais de façon responsable, il porte le lourd fardeau d’un service sacré, par lequel il participe à un acte divin, la création de l’homme ; toute nécessité de prendre des mesures disciplinaires ne peut que conduire la vie monastique à la décadence et à l’éloignement de son but essentiel.


    C’est à saint Paul que nous devons la formation des mots obéissance et désobéissance avec une dimension nouvelle de mystère. (L’Antiquité classique ne connaît pas de sens précis à ces deux termes, qu’elle n’utilise pas, sauf une fois la LXX et une fois Platon ). « Comme par la désobéissance, écrit-il, d’un seul homme (Adam), beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul (le Christ), beaucoup seront rendus justes » (Ro 5, 19). En s’appuyant sur « le Christ obéissant jusqu’à la mort », saint Paul nous introduit dans une dimension plus profonde : celle de la réparation, de la réhabilitation qui est essentielle, pour nous faire comprendre pourquoi dans notre tradition monastique l’obéissance occupe une telle place. Car elle est la voie idéale pour le retour à Dieu, un retour total de l’homme libéré par la grâce.


    2. Célibat-virginité
    Le célibat, qui, en ce sens, appuie sur la notion de pureté, de virginité, en tant que vie à l’image de Jésus-Christ, est tellement peu accepté de nos jours par le monde moderne, qu’il est essentiel d’en souligner ici les fondements théologiques. L’expérience de l’Eglise a, en effet, démontré que le célibat, dans son aspect négatif ( à savoir la privation de toute fonction sexuelle ) ne nuit pas, dans la mesure où il est bien vécu, à la santé psychique et physique de l’homme, mais lui augmente cette santé et lui permet de se développer spirituellement.


    Essayons tout d’abord de situer ensemble la question dans son contexte historique.
    Avant le christianisme, le célibat, en général, était considéré comme un mal, aussi bien sur le plan religieux que social, parce que l’individu se dérobait à son devoir de perpétuer la race et s’opposait aux lois génétiques naturelles de l’homme. Mais cependant, dans toutes les sociétés, on trouve des tendances religieuses au célibat, comme C’est le cas des vestales à Rome ou des derviches musulmans.


    Un exemple typique de l’attitude antique est celui d’Antigone de Sophocle qui exprime son effroi devant la nécessité imposée par son devoir et les dieux, de rester célibataire, vierge, tant il est vrai que les athéniens considéraient cela comme un crime. Les romains étaient encore plus sévères : les Leges Novae (Lex Julia et Papia) imposaient aux célibataires des lourdes charges, inconnues aux gens mariés.
    Dans les saintes Ecritures, nous voyons dans la Genèse que Dieu crée la femme comme une aide pour l’homme et « les deux deviendront un en une seule chair » (Gn 2, 18-24), c'est-à-dire que Dieu, dans la Genèse, apparaît comme conduisant l’homme et la femme à leur union.


    Quant au Seigneur Jésus, par sa présence à Cana il bénit les noces (Jn 2, 1-11), de sorte que la règle naturelle pour l’Ancien Testament est le mariage, le célibat apparaissant comme un phénomène rare ; nous trouvons cependant le cas du prophète Elie qui garde le célibat (1 R 1-17).


    Le Nouveau Testament déjà nous rapporte plus de cas, mais ils constituent une petite minorité, comme par exemple la Vierge Marie, Jean-Baptiste, Jean l’Evangéliste et l’apôtre Paul.
    Mais dans le Nouveau Testament se développe peu à peu l’enseignement du célibat. Le Seigneur d’abord dira que tout le monde n’est pas capable de cette résolution ; c’est seulement possible pour ceux à qui cela est donné (Mt 19, 11-12). Saint Paul ensuite qui en dégagera la valeur. Selon lui, le célibat est préférable au mariage. Le chrétien célibataire, à l’opposé du marié, pourra atteindre plus complètement la perfection, libéré de tous soucis matériels et uniquement accaparé par la vie spirituelle. Mais il avance aussi un autre argument : à cause de la persécution qui sévissait à son époque, il est plus facile au célibataire d’accepter le martyre (Cf. 1 Co 7, 1-7 et 25-35).


    La condition du célibat est surtout décrite par le Seigneur en fonction du siècle à venir. Après la mort, les hommes vivent comme les anges, il n’y a plus mari ni femme (Lc 20, 34-36. Mt 20, 30. Mc 12, 15).
    Dans l’Apocalypse, il est question des 144 000 vierges « qui ne se sont pas souillés avec des femmes » (Ap 14, 1-5). Il y a pour ce texte énigmatique deux exégèses possibles.


    Soit il s’agit de célibataires qui sont restés vierges toute leur vie (Cf. Authos de Césarée, P.G. 106/684 ; André de Césarée, P.G. 106/344 ; Pr. Bratsiotis, Sur l’Apocalypse ). Ou bien c’est une exégèse allégorique du mot vierge qui est proposée, en ce sens que vierge est celui qui a vécu sur la terre en Christ et qui a fait de son âme l’épouse du Christ (Epoux), en dehors de toute considération de célibat ou de lien marital. Cette exégèse a été défendue comme philologiquement meilleure que la première et aussi parce qu’elle écarte l’opposition, dans le christianisme, qui pourrait naître entre le célibat et le mariage. Elle est conforme à l’explication des Pères de l’Eglise, comme c’est par exemple le cas chez saint Jean Chrysostome (Cf. Jean Chrysostome, P.G. 52/559, 402) et Clément d’Alexandrie (Cf. Clément d’Alexandrie, Stromates 7, 12), et elle se rapproche davantage de ce que sous-entend le Nouveau Testament à ce sujet ainsi que de l’enseignement de l’Eglise Orthodoxe en général.


    Les Pères de l’Eglise, les auteurs ecclésiastiques et les théologiens ont exprimé divers avis sur la question. On peut dégager chez eux les points suivants :

    - La condition de base pour le chrétien qui choisit le célibat est le choix de sa libre volonté et non pas parce qu’il est forcé de s’orienter dans cette voie. 
    - le dévouement total pour le Christ par la décision de se consacrer exclusivement à Lui. C’est pourquoi officiellement l’Eglise Orthodoxe enseigne qu’il y a deux voies pour atteindre la perfection : le célibat et le mariage, la première étant pour la gloire du Seigneur et la seconde réalisée en Christ.



    Dans le Symposium des dix vierges, saint Méthode d’Olympe (311) nous résume le point de vue de l’Eglise des premiers siècles sur la virginité. Il se base sur l’exemple à imiter de Celui qui, étant Dieu, s’est manifesté dans la chair, ce qui nous renvoie à l’enseignement de l’Eglise sur le salut compris comme déification de l’homme.


    Avec saint Méthode, le thème de la virginité connaît de nouvelles dimensions. Il est le premier à avoir pleinement traité du sujet, du fait qu’il rassemble tout ce qui fut exprimé avant lui et durant son époque. On peut résumer son œuvre de la sorte :


    Dans le premier discours, l’auteur affirme que la virginité est le perfectionnement du progrès moral qu’a apporté à l’humanité le salut du Christ pour le monde ; en ce sens, elle couronne l’œuvre du Christ. Plus loin, dans le deuxième discours, il montre que l’union de l’homme et de la femme, telle qu’elle est d’abord présentée dans la Genèse, ne peut être comprise qu’en Christ et dans l’Eglise, ainsi que le rapporte saint Paul. Or, par son péché, l’homme qui a chuté a perdu le paradis ; cette chute lui a causé la corruption et la mort. De ce fait, la pureté virginale est le moyen par excellence pour réhabiliter l’immortalité perdue et pour avoir un espace vital dans la Jérusalem céleste. C’est pourquoi, selon les termes du quatrième discours, elle a sa place dans le Saint des Saints et elle est le degré le plus élevé de perfection que l’homme puisse atteindre sur terre. Les vierges pures deviennent donc les fiancées de l’Epoux et lui chantent l’hymne des 144 000 vierges de l’Apocalypse, et les fiancées du Logos sont semblables à la fiancée du Cantique parce qu’elles sont l’image parfaite de l’Eglise, la Fiancée parfaite, selon les thèmes respectifs des sixième et septièmes discours.


    Les onze discours terminent avec un merveilleux cantique à la gloire du Christ, que chantent les vierges en l’honneur de leur divin Fiancé et de la Fiancée, l’Eglise.
    Ainsi donc Dieu, malgré la chute, a conservé la pureté originelle et a permis que certains puissent directement s’unir au Ciel sans nécessairement passer par l’étape que la chute avait souillée, celle de l’union charnelle de l’homme et de la femme. Le Symposium des dix vierges présente la virginité comme une œuvre « exceptionnellement grande », comme un mystère de l’Eglise, au même titre que le mariage.


    Virginité – chasteté
    Ici, il y a lieu de distinguer entre virginité et chasteté car leur sens n’est pas précisément le même. Selon la tonsure monastique, ceux qui embrassent le monachisme après le mariage (ou après avoir connu des relations extra-conjugales) promettent la chasteté, c'est-à-dire le rejet de tout commerce sexuel ; mais ceux qui n’ont pas connu de relations avec un autre corps promettent la virginité.


    La chasteté ne signifie pas uniquement la victoire sur la chair en général et donc la « victoire sur la nature », mais aussi l’obtention de la perfection dont l’expression sera la stabilité en Dieu avec toute sa pensée et tout son cœur. Dans sa forme la plus parfaite, l’exercice de la chasteté surmonte la perte irréparable de la virginité corporelle et réhabilite l’homme spirituellement, dans le rang de la virginité.


    Les Pères de l’Eglise en effet considèrent la virginité comme un état surnaturel. Dans sa forme la plus parfaite, ils la considèrent comme la continuité ininterrompue dans l’amour de Dieu, en tant que réalisation du commandement du Christ d’aimer Dieu « de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force ». A la lumière de ce critère, chaque transgression de la pensée et du cœur correspond à une sorte de « fornication spirituelle », c'est-à-dire à une transgression de l’amour.


    Ne pas souiller son corps ne signifie pas encore être vierge . Saint Basile disait : « Je ne connais pas de femme et pourtant je ne suis pas vierge », car la virginité ne se limite pas seulement à la non-immixtion des corps. Il y a d’autres formes de corruption et de souillure, soit corporelle, soit en pensée. C’est pourquoi notre Eglise distingue trois degrés spirituels dans le cas présent :

    - l’état surnaturel : celui des vierges et de la chasteté monastique
    - l’état naturel : le mariage
    - l’état contre-nature : toute autre forme de vie sexuelle.



    Conclusion
    Aussi il est important de rappeler que la virginité et la chasteté monastiques en tant que « vie de l’homme » selon l’image de l’homme parfait qu’est le Christ, ne peuvent en aucun cas se fonder sur le rejet de la vie sexuelle, sur le rejet du mariage ou sur le mépris de l’acte par lequel « l’homme vient au monde » (Jn 16, 21).
    L’Eglise, en effet, a toujours condamné ceux qui recherchent la vie monastique pour fuir le mariage ou pour le ridiculiser (Cf. Canons Apostoliques, 51). C’est pourquoi la vocation monastique sera toujours éprouvée par les Pères, car vouloir atteindre le surnaturel sans le pouvoir est cause de chute dans ce qui est contre-nature.
    Toutefois, il faut distinguer dans cette vocation plusieurs degrés. Quelques-uns reçoivent une telle abondance de grâce que leur pensée et leur corps sont particulièrement et nettement sensibles à leur sanctification ; ils atteignent la virginité parfaite, la continence totale dans leur vie charnelle, tant dans leurs actes naturels que dans leurs pensées, même jusque dans leur sommeil. Sur un degré inférieur, l’âme désire uniquement la chasteté ; la pensée tend à la pureté, refuse toute réflexion charnelle.


    Il n’est pas possible cependant de donner une explication totalement logique à cet état de fait : lorsqu’une âme, par une expérience authentique, a connu la douceur de l’amour du Christ, elle se sent irrésistiblement attirée par Dieu à cause de la douceur de cet amour. Elle en est toujours assoiffée, en même temps qu’elle embrasse tout l’univers. La conséquence de cette situation est la séparation, sans combat pour ainsi dire naturel, des passions sensibles par lesquelles s’éteint l’amour de Dieu, de telle sorte que la pensée, contrairement à ce qui se passe dans une vie sexuelle, se dépouille par l’énergie de l’amour divin de toute image terrestre qui traumatise l’âme. Nous rejoignons ici ce que nous avons déjà rencontré avec la nécessité d’accéder à la prière pure, c'est-à-dire l’exigence de ne pas laisser son âme s’égarer dans tout ce qui n’élève pas jusqu’à Dieu.
    Pour cette raison nous affirmons que l’ascèse orthodoxe ne s’en prend pas au corps mais « contre les esprits du Mal des régions célestes » (Ep 6, 12), contre les esprits déchus qui enchaînent l’homme à ses passions, faisant de lui un être totalement insensé et soumis, avec complaisance, aux plaisirs de la chair. Au contraire, un corps pur devient vase de l’Esprit, « temple de l’Esprit Saint qui est en nous » (1 Co 6, 19). La vie de la nature logique se fonde sur l’unité des deux volontés, des deux énergies, celle de Dieu et celle de l’homme. Dans ce sens, la virginité et la chasteté ne sont pas uniquement un don de la Grâce, mais aussi une conséquence d’un combat logique, raisonnable, qui se concrétise par un « exploit spirituel » dont le principe consiste à « ne pas déposer son esprit » et qui donne à l’homme, durant ses heures d’abandon, de se comporter comme si la grâce de Dieu ne l’avait jamais abandonné.


    3- Pauvreté, abandon de toute possession
    Cette troisième promesse fondamentale complète tout naturellement les deux autres, afin que le moine arrive à la prière pure et imite plus parfaitement le Christ qui n’avait pas où poser la tête (Cf. Mt 8, 20), car pour atteindre la prière pure, il faut nécessairement se détacher de toute attirance matérielle.
    « Vois combien grande est la virginité ; quand elle s’accompagne de sa sœur la charité (dans le sens qu’on se détache des biens en les donnant aux autres qui sont dans le besoin) ; rien de ce qui fait les difficultés de la vie ne peut la surmonter ou la soumettre. C’est la raison pour laquelle ces folles n’ont pas pu entrer dans la chambre nuptiale : elles ne possédaient pas, avec leur virginité, la charité. Cette parole mérite grande attention car, alors qu’elles avaient vaincu le plaisir, elles ne se détachèrent pas de l’argent » (Jean Chrysostome, Discours pour les dix vierges)
    « Comment, en étant vierge, toi qui a renoncé à la vie mondaine et t’es crucifié pour cela, tu es amoureux de l’argent ? Si tu avais désiré une femme, ton péché eût été moindre car tu aurais simplement désiré la matière qui t’est consubstantielle. Mais l’accusation qui est maintenant portée contre toi est plus grande car tu as désiré une matière qui t’est étrangère » (Ibid., §3).
    Saint Basile dit que l’argent est un appât ennemi pour l’âme, père du péché et serviteur du diable. Aussi le moine ne doit pas se laisser surprendre sous prétexte qu’il rend service aux pauvres. C’est pourquoi, plutôt que de recevoir les dons que l’on destine aux pauvres, il est préférable qu’il indique directement à celui qui veut les lui confier qui est dans la nécessité. (Cf. Basile le Grand, Lettre 42 à Chilon et à son disciple).
    L’insistance ici est particulièrement mise sur la nécessité de combattre la « passion de la possession », « l’amour des richesses et des biens ». En fait, le moine ne promet pas tellement de vivre dans la pauvreté, mais surtout de libérer son esprit du désir de possession, à tel point que le fait de ne pas posséder librement le conduit jusqu’à ne plus tenir compte de son propre corps. C’est alors qu’on peut vivre réellement la vie du Royaume.
    Il ne faut pas non plus caricaturer les choses. Le combat pour la pauvreté signifie qu’il faut se limiter à ce qui est essentiel pour le maintien de la vie et chacun le réalise à sa mesure et selon les circonstances. Ainsi par exemple, l’homme d’aujourd’hui n’a plus de temps libre pour ne s’y être pas exercé, afin de se consacrer à la prière et à la recherche de la vision de Dieu. C’est pourquoi le sens véritable de la pauvreté chrétienne ne peut pas être saisi par le monde. Car rechercher la pauvreté peut aussi bien se tourner vers ce qui est matériel comme vers ce qui est spirituel.


    Voici des exemples pour illustrer cela :
    - les hommes trouvent dans la science les vraies richesses ; mais ils ne soupçonnent pas qu’il existe une autre connaissance, supérieure celle-là, qui donne une autre richesse, inestimable pour l’homme, incomparable.
    - dans la société de consommation qui est la nôtre, on pousse à l’excès le confort matériel et on perd la possibilité d’acquérir un confort spirituel d’une autre dimension. Ainsi le dynamisme matériel, qui trône dans les esprits et dans les cœurs, finit par s’exprimer même dans des modes démoniaques, tant il est vrai que l’amour de la possession finit par chasser l’amour de Dieu et du prochain.



    Les trois naissances
    L’analyse, même succincte, de la signification des trois promesses fondamentales nous démontre donc qu’il est absurde de chercher à les discuter. C’est pourquoi nous rappellerons simplement l’enseignement des trois naissances que nous a laissé saint Grégoire de Nazianze et qui illustre bien ce que nous avons voulu expliquer ici : « Par la première naissance selon la chair et le sang, les hommes viennent sur la terre et manifestent aussitôt leur présence ; après cela, l’homme naît (deuxième naissance) de l’Esprit pur quand la lumière (d’en haut) illumine ceux qui ont été saisis par l’eau (baptême). La troisième naissance lave en nous par les larmes et les souffrances, l’image de Dieu noircie par le mal. La première naissance provient des parents, la seconde de Dieu ; mais pour ce qui est de la troisième, tu en es toi-même le père, en te manifestant dans le monde comme une lumière bienfaitrice » (Grégoire de Nazianze, P.G. 1458-9).
    Cette troisième naissance est définitive. L’homme qui a reçu la grâce et connu, après la chute, la lumière de la vie divine, se consacre sans retour à la plénitude du bien par son combat lumineux et incessant.
    « Cette transformation s’exprime dans le plus profond de son être, écrit le père Sophrony, par la nostalgie , la soif de Dieu, alors qu’en même temps il se sent insatisfait par tout ce qui est sur la terre » .


    LE SENS DE LA VIE MONASTIQUE
    La vie monastique trouve son sens véritable sur trois principes fondamentaux :


    1. Elle est une vie intérieure, parce qu’elle est un événement à l’intérieur de l’esprit : l’expérience des saints et des mystiques est l’avènement de l’Esprit. Le moine donc cherche Dieu par-dessus tout ; il voit dans ce sens le monde « en Dieu ». L’homme qui reçoit par son acte de foi la révélation, amorce avec Dieu un dialogue liturgique générateur d’unité, à l’image du Christ dans lequel ont convergé, une fois pour toutes, l’expérience de l’homme par Dieu et celle de Dieu par l’homme : c’est cette réalité christique qui précède toute expérience religieuse, qui l’actualise en Christ – « vous êtes en Moi et je suis en vous » – et l’intériorise jusqu’à la proximité divine.
    Cette vocation de vie monastique vient d’en haut. Les Pères ont distingué trois formes d’appel de la part de Dieu :
    - l’appel direct : exemple de saint Antoine,
    - l’appel indirect à travers les épreuves voulues par Dieu qui conduisent à cette vie,
    - cette autre forme d’appel qui au départ, sans grand enthousiasme, prend corps dans la pensée et la raison de l’intéressé.



    2. Elle est une vie de métanoïa : « J’oublie ce qui est en arrière, je m’élance vers ce qui est devant moi… » (Ph 3, 14). La vie monastique est un élan, une tension extrême et ne connaît pas d’arrêt, car dès l’instant où l’homme se considère avoir atteint la perfection, cela signifie au contraire qu’il n’en est rien : Dieu est la seule vérité dont on ne peut jamais se lasser. Le bonheur et la paix existent réellement en Dieu. La paix de Dieu est une paix dynamique et elle seule peut l’être ainsi. « Chercher donc Dieu », signifie le demander sans cesse. Aussi, le moine ne doit jamais s’arrêter sur sa perfection intérieure : « L’on ne peut tenir un homme pour un saint tant qu’il n’a pas rendu toute pure la terre de son corps » (Pseudo-Macaire, Homélies spirituelles).
    Par ailleurs, il ne doit pas espérer voir dans ce moine de façon sensible les résultats concrets de ses efforts. C’est la raison pour laquelle souvent, le monde - puisque le moine ne désire rien pour lui, ni même la vertu, car il ne recherche que Dieu seul - jugera la vie de ce dernier comme non réussie et privée de valeurs combatives.


    3. Elle est une vie de doxologie angélique. Le moine, en effet, qui voit Dieu ne peut pas s’arrêter de Lui rendre louange et gloire : dans ce sens, la vie monastique renouvelle l’esprit et augmente la connaissance. Voir le monde avec les yeux du Christ, en un mot, réaliser pleinement l’union du mystère du Christ dans l’eucharistie et du mystère du Christ dans le pauvre, voilà l’œuvre du moine.
    Les moines ont donné au monde la vraie science : les hymnes liturgiques et leurs méthodes ascétiques qui conduisent directement jusqu’à Dieu. Dès ici-bas, la vie monastique sera un avant-goût de la vie future : le mystère du Christ est un mystère de mort et de résurrection. Le moine meurt à lui-même et au monde pour renaître en Christ et dans le monde de Dieu.
    « Quand bien même nous ne sommes pas capables de nous conformer à l’exemple rigoureux des saints Pères d’Egypte, essayons cependant d’imiter les chameaux du désert : ils se contentent de peu tandis qu’ils ploient au contraire sous de lourdes charges ; leurs genoux sont pleins de callosités à force de s’agenouiller et tout en portant des fardeaux excessifs ils suivent avec humilité le petit âne qui les précède. Ils ont aussi pour règle ceci : ils n’oublient jamais leur bienfaiteur et lui expriment à tout moment leur reconnaissance » (Père Païssios, p.198).


    Bilan de l’expérience du désert
    La tâche du saint, au désert, est de taire ce qu’il a vu : « Sois comme les morts, ne juge personne et apprends à te taire » (Abba Macaire). Le seul enseignement certain des anachorètes est ce silence où, volontairement, ils se sont enfermés. C’est dire qu’il n’est pas commode de dégager le bilan de cette expérience, surtout lorsque l’on sait que le geronda ( ancien ) ou starets a enseigné beaucoup plus par son exemple que par sa parole ou ses écrits.


    « Mourir au monde », but fondamental de l’ascèse au désert, signifie mourir en corps et en esprit. Le corps doit être mort, c'est-à-dire cesser de réagir normalement aux besoins de la chair ; il doit dominer la soif, la faim, la fatigue, le sommeil, cela afin d’atteindre l’apatheia.


    Encore une fois, apatheia signifie littéralement « qui n’a plus de sensibilité ». Il s’agit d’un état physique qui conduit naturellement à un état identique de l’âme. Aussi l’insensibilité devient impassibilité.
    « L’apatheia ne consiste pas à ne point éprouver les passions, mais à ne point les accueillir » (Calliste et Ignace Xanthopoulos, Centuries, in Philocalie).


    C’est donc cet homme apathique que cherche à devenir l’ascète. Dans son Echelle, saint Jean Climaque situe le corps apathique à mi-chemin, en somme, de l’homme et de l’ange.
    C’est uniquement par la possession d’un tel corps que l’on pourra parvenir au terme même de l’ascèse : l’hésychia. Tout comme l’apatheia, l’hésychia est un double état : un état de vie d’abord (tranquillité), et un état correspondant de l’âme. Elle est donc une disponibilité totale de l’âme, due au « silence du cœur et des pensées », une sorte d’inconscience de soi-même comme l’apatheia est une inconscience de son corps.
    « Lorsque tu pries, ne te figure pas la Divinité en toi-même, ne laisse pas ton intelligence accepter l’empreinte d’une forme quelconque ; tiens-toi en immatériel devant l’Immatériel et tu comprendras » (Evagre le Pontique, De la prière)



    Alors l’ascète comprendra que « lorsque l’intellect aura déposé le vieil homme et que la prière l’aura revêtu de l’homme nouveau, il verra son état, au moment de la prière, pareil à un saphir et à la couleur du ciel. C’est ce que les anciens auxquels il se manifesta sur la montagne ont appelé le lieu de Dieu » (Ibid.).


    Dans une telle expérience, le merveilleux, le surnaturel, les anges et les démons n’ont plus de place. Ce qui compte avant tout, c’est de purifier le cœur et la pensée, d’en bannir toute imagination et non de se livrer à l’imagination en s’abandonnant aux visions et aux effusions équivoques qu’elle entraîne.


    Mais l’ascèse a aussi ses paradoxes : si l’on meurt au monde, pourquoi alors le redouter ou le désirer ? C’est toute l’évolution du sens de cette fuite qui, en se purifiant, achèvera ce cycle prodigieux né avec le dégoût du monde, poursuivi avec l’amour de la solitude et qui trouve sa fin dans l’extinction de tous les sentiments liés à ce monde.


    « Les plus grands et les meilleurs riches de ce monde sont précisément ceux qui ne possèdent plus de liens matériels et qui sont archi pauvres, tout comme ils sont archi pauvres de passions. Ils ne possèdent rien d’inutile, ni en eux-mêmes ni en dehors d’eux-mêmes. Tout simplement ils possèdent seulement Dieu et ils sont continuellement joyeusement plongés dans la vie paradisiaque dès ici-bas, car là où se trouve Dieu, là aussi se trouve le paradis » (Père Païssios).


    Autrement dit, là où il n’y a plus de place pour la consolation des hommes, là attend Dieu et sa présence inonde de joie infinie le cœur devenu trop petit pour le contenir, de celui qui par sa prière pure a fait du saint Nom de Jésus le centre et l’axe de tout son être.


    La prière perpétuelle devient ainsi un état constant. L’homme se voit léger, détaché de la pesanteur terrestre, détaché de son ego. Le monde où vit l’ascète est le monde de Dieu, étonnamment vivant, car il est le monde des crucifiés, des ressuscités, un face à face étendu à l’éternité quand « Dieu vient dans l’âme et l’âme émigre en Dieu ».
    Tallinn, le 8 mai 2006
    [size=15]+STEPHANOS,
    Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
    [/size]
    [size=15]Ce texte a été publié par les éditions du Monastère de la Dormition de la Mère de Dieu à 05140 La Faurie (France). On peut le commander par téléphone au +33(0)4.92.58.05.84 ou par mail à l'adresse suivante [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien][/size]
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:11

    VIE DE SAINT JUST
    Archevêque de Lyon et moine au désert de Scété (Egypte)


    Saint Just (en latin : Iustus) naquit à Tournon, sur les bords du Rhône, dans la première moitié du IVe siècle. Son père était gouverneur de la province environnante, appelée depuis Vivarais. Lorsque le jeune Just eut atteint l'âge d'étudier, ses parents, qui voulaient lui donner une éducation chrétienne, le mirent sous la conduite de saint Paschasius, archevêque de Vienne, qui fut l'un des plus grands évêques de son temps.
    Ce dernier eut la satisfaction de voir son jeune disciple croître en sagesse et en vertu. Just fit à son école de si grands progrès dans la prière et dans l'étude des Saintes Ecritures que Claudius, le successeur de saint Paschasius, l'ordonna diacre. Peu de temps après, vers 350, à la suite de la mort de Vérissimus, le siège épiscopal de Lyon étant vacant, saint Just y fut élu malgré les vains efforts qu'il fournit pour se soustraire à cet honneur. Il gouverna son peuple avec tant de zèle, d'humilité et de douceur que tous le regardaient comme un ange descendu du ciel. Son zèle le rendit la terreur des démons et des païens. Sa miséricorde était si grande qu'on l'appelait le Père des pauvres, le protecteur des veuves et des orphelins, le refuge des malades. Il était attentif à tous et sa charité s'étendait à toutes les créatures.

    Il participa à deux conciles, celui de Valence en 374, puis celui d'Aquilée en 381, ce dernier fut réuni pour condamner l'hérésie arienne. Deux évêques de ce parti, Palladius et Secondianus, appuyés par Justine, femme de l'empereur Valentinien l'Ancien, demandaient un concile général pour revoir ce qui avait déjà été arrêté et défini. Saint Ambroise de Milan s'y opposa, et consentit seulement à la tenue d'un concile provincial. Néanmoins, l'empereur Gratien laissa à d'autres évêques la liberté d'y assister. Ceux des Gaules furent convoqués, mais, ne voulant pas quitter leurs diocèses, ils se contentèrent d'y envoyer trois députés. Saint Just fut l'un d'eux. Il se rendit à Aquilée et fut l'un des trente-deux évêques qui composèrent le concile, que présidait saint Valérien d'Aquilée. Saint Ambroise ouvrit la séance inaugurale et demanda à saint Just de prendre la parole. Celui-ci déclara, au nom de tous les évêques des Gaules, que celui qui ne confessait pas que le Fils de Dieu était coéternel à son Père devait être anathème. Dès lors, il demanda que l'on destituât Palladius et Secondianus de l'épiscopat et du sacerdoce, comme des blasphémateurs qui suivaient les erreurs impies d'Arius. Cette proposition fut entérinée par l'ensemble du concile. Saint Just sortit de cette assemblée avec la gloire d'avoir soutenu la foi orthodoxe et d'avoir dignement représenté l'épiscopat des Gaules.

    Peu après son retour, alors que l'on espérait le voir diriger son Eglise pendant de nombreuses années encore, un incident imprévu le fit renoncer à sa charge et l'amena à se retirer au désert, pour donner libre cours à son zèle pour la prière et la solitude.

    Un homme en proie à la folie, dans un accès de violence, massacra plusieurs personnes dans les rues de Lyon. On voulut le saisir, mais, revenant à lui, l'homme s'échappa et alla se réfugier dans l'église où il s'enferma. La sainteté du lieu arrêta quelque temps le peuple et l'empêcha de passer outre ; mais le tumulte reprenant peu à peu, on menaça saint Just, qui soutenait l'immunité de cet asile, de briser ou de brûler les portes s'il ne le faisait pas sortir. Il leur expliqua, avec sa douceur et son zèle ordinaires, qu'ils commettraient un grand crime en violant la sainteté du temple de Dieu. Sur ces entrefaites, un magistrat arriva. Il espérait par son adresse apaiser le tumulte. II s'adressa à l'évêque et le pria de lui livrer cet homme pour le conduire en prison, en lui donnant sa parole que, dès que le trouble serait apaisé et les gens dispersés, il le lui ramènerait. L'homme de Dieu lui fit confiance et lui livra le malheureux; mais à peine fut-il sorti de l'église que le peuple l'arracha des mains du magistrat, le traîna par les rues et le fit mourir cruellement.
    Cet événement affecta profondément saint Just ; sans chercher à se justifier en prétextant sa bonne foi et ses bonnes intentions, il se regarda comme responsable de la mort de cet homme. Il n'accusa ni le peuple ni le magistrat, mais se déclara lui-même indigne de l'épiscopat, et se retira dans sa maison natale de Tournon. Tous ses amis, venus l'y visiter, ne parvinrent pas à le faire revenir sur sa décision.

    Une nuit, il partit secrètement de sa demeure accompagné d'un jeune lecteur de son église, nommé Viator. Il prit le chemin d'Arles, puis de Marseille, où il s'embarqua pour l'Egypte.

    A peine arrivé, il se retira au désert de Scété en compagnie des saints moines qui peuplaient alors ces solitudes. Il ne révéla ni son nom ni sa dignité, mais, en compagnie de saint Viator son compagnon, il vécut au désert comme un simple moine ignoré de tous. Il demeura ainsi pendant plusieurs années dans une profonde humilité et une parfaite obéissance. Dieu, cependant, qui ne voulait pas laisser méconnaître une telle sainteté, lui qui élève ceux qui s'humilient, permit qu'un pèlerin lyonnais se fit moine dans le monastère où vivait notre saint. L'ayant reconnu, il fit une métanie devant lui et lui demanda sa bénédiction. Les moines, étonnés, lui demandèrent la raison d'un tel geste. Il leur répondit que cet humble moine qui vivait au milieu d'eux depuis plusieurs années n'était autre que le grand évêque Just, métropolite de Lyon. Pendant que celui-ci se désolait d'avoir été reconnu, l'ensemble de la communauté, confuse de ne pas l'avoir traité selon sa dignité, lui demanda pardon du peu de respect qu'elle lui avait témoigné jusqu'à ce jour, dans l'ignorance qu'elle était de sa dignité. Mais lui les pria de le garder en leur compagnie comme auparavant, sans égard à son rang, ce qu'ils acceptèrent. Il continua donc à vivre comme un simple moine avec la même perfection et la même humilité, se contentant de prier sans cesse pour son troupeau qui était toujours présent à son esprit.

    Quelques années passèrent jusqu'à ce qu'Antiochus, qui devait être le troisième successeur de Just sur le siège épiscopal de Lyon, poussé par l'Esprit, eut le désir de revoir le saint prélat. Il s'embarqua donc à Marseille pour l'Egypte. Saint Just, qui en avait eu la révélation, annonça cette nouvelle à saint Viator, et lui indiquait étape par étape les lieux par où Antiochus passait. Après que ce dernier eut rejoint leur monastère, une fois les salutations achevées, saint Just prit la parole et dit : " Sois le bienvenu, la fin de ma vie approche et Dieu t'a envoyé pour me rendre les devoirs de la sépulture". Antiochus et Viator furent attristés de ces paroles. Le compagnon de Just le lui déclara, mais celui-ci le consola par une autre prédication : " Ne t'attriste pas, mon enfant, de me voir partir de ce monde; tu me suivras bientôt dans la vie éternelle. " En effet, saint Just expira le 2 septembre 390, et son disciple le suivit un mois après.

    Les Lyonnais, ayant appris la mort de leur évêque, envoyèrent quelques uns d'entre eux en Egypte pour aller chercher son corps et le ramener à Lyon, où on l'inhuma dans l'église des Macchabées, qui était à cette époque la cathédrale de la ville.

    Le tombeau de ce grand évêque de Lyon devint l'objet de la vénération de tout le peuple. Chaque année, pour sa fête, des foules nombreuses s'y rassemblaient. Saint Sidoine Apollinaire qui y avait assisté, raconte que l'on marchait en procession avant le jour, et qu'il y avait une si grande affluence de peuple que l'église ne pouvait le contenir en entier. Un nombre infini de cierges étaient allumés. Pendant l'agrypnie, les psaumes étaient chantés alternativement à deux chœurs par les moines, le clergé et les fidèles. A l'issue de cet office, on se retirait jusqu'à l'heure de Tierce à laquelle on se rassemblait pour la Divine liturgie.
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    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:11

    L'EVEQUE PLATON
    SA VIE ET SON MARTYRE

    Par Jüri POSKA

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    L'ARCHIPRETRE PAUL KULBUSCH DE SAINT PETERSBOURG, EST DEVENU PLUS TARD L'EVEQUE PLATON
    La chute du gouvernement autocratique en Russie a encouragé les leaders estoniens à présenter au gouvernement russe une offre pour l'octroi de l'autonomie à l'Estonie.

    Pour appuyer cette revendication, la colonie estonienne de saint Pétersbourg a organisé une puissante démonstration de force devant le Palais Taurides le 8 avril 1917. Plus de 40 000 estoniens ont participé à cette manifestation, parmi eux, 15 000 soldats de l'armée, accompagnés et soutenus avec enthousiasme par 30 orchestres. La manifestation, s'est déroulée dans un ordre parfait, et a fait une impression décisive dans la capitale russe.

    La loi accordant l'autonomie à l'Estonie a été promulguée par le gouvernement le 12 avril 1917. Cette loi stipulait que l'Estonie devait être dirigée par un parlement "Maapäev", dans lequel un député représentait 20 000 habitants et que le pouvoir exécutif devait être placé dans les mains d'un haut commissaire. Le maire de la capitale d'Estonie, Tallinn, Jaan Poska, fut nommé haut commissaire.

    Le prêtre de la paroisse orthodoxe estonienne de saint Pétersbourg était l'archiprêtre Paul Kulbusch, un ami de Jaan Poska, tous les deux avaient été élèves au séminaire de Théologie de Riga. Ils se rencontrèrent souvent par la suite en Estonie pour discuter des questions ecclésiastiques et politiques. l'archiprêtre Paul Kulbusch a travaillé à Saint Pétersbourg pendant 23 ans (1894-1917), où il a fondé la " Fraternité du Martyr Isidore ". Au 16ème siècle Isidore était le prêtre de la paroisse orthodoxe de Tartu (Dorpat), où il a été assassiné par les ennemis du Christ. Le martyr Isidore est nommé et commémoré dans la version estonienne de la divine Liturgie ensemble avec d'autres martyrs orthodoxes.

    La Providence a guidé l'évêque Platon pour être le fondateur de la " Fraternité du Martyr Isidore " et environ 400 ans plus tard il a subit le même sort qu'Isidore et au même endroit, à Tartu (Dorpat), le centre culturel de l'Estonie, où le Roi suédois Gustavus Adolphus avait fondé une université en 1632.
    Avec l'aide accordée par la " Fraternité du Martyr Isidore ", l'évêque Platon, alors l'archiprêtre Paul Kulbusch, a construit une église splendide pour sa paroisse à Saint Pétersbourg, une maison avec deux halls pour les services divins, un hall pour des réunions, des salles de classe pour l'école de la paroisse, des salles de séjour (dortoir, etc.) pour les élèves, des appartements pour le clergé et les enseignants et en plus des chambres pour des voyageurs estoniens.

    Non seulement à Saint Pétersbourg mais aussi ailleurs, l'évêque Platon a agi en " leader " du peuple orthodoxe estonien : il les a réunis dans des paroisses et fût leur doyen pendant 18 ans.

    A Saint Pétersbourg l'évêque Platon était un membre éminent de l'association pour le rapprochement entre les Eglises orthodoxes et anglicanes et comme représentant de la métropole de Saint Pétersbourg il a même visité l'Angleterre.
    LA VIE ET LA CONSECRATION DE L'EVEQUE PLATON
    Le futur évêque d'Estonie, Paul Kulbusch, est né le 13 juillet 1869 à Pootsi, dans le comté de Pärnu, en Estonie, où son père était le chantre de la paroisse orthodoxe locale. Il a étudié à l'école paroissiale d'Arusaare et ensuite à l'école de théologie et au séminaire de Riga. Chaque année il est accordé aux deux meilleurs diplômés, des bourses pour étudier, à l'académie de théologie à Saint Petersbourg et l'évêque Platon fut l'un des deux. Il a terminé ses études à l'académie en 1894.

    En juillet 1917 les délégués des paroisses orthodoxes en Estonie se sont rendus à Saint Petersbourg pour contacter l'archiprêtre Paul Kulbusch et lui demander son consentement afin d'être consacré évêque d'Estonie. On lui avait, en fait, déjà offert un siège épiscopal en Russie, mais il l'avait refusé, parce qu'il sentait que sa vocation première était de servir son peuple orthodoxe d'Estonie.

    La première guerre mondiale durait depuis plus de trois ans et l'incertitude demeurait quant à l'installation de l'évêque à Tallinn. Cependant, l'archiprêtre Paul Kulbusch y a consenti et la cérémonie de sa nomination s'est déroulée en la Cathédrale de la Transfiguration de Christ à Tallinn. Sa consécration a eu lieu en la Cathédrale Alexandre Newski à Tallinn le 31 décembre 1917 par Benjamin métropolite de Saint Petersbourg et Artem, évêque de Luuga.

    L'évêque Platon a célébré sa première liturgie pontificale la nuit du nouvel an, le 1er janvier 1918, à la Cathédrale de la Transfiguration. Les dames de Tallinn avaient présenté à l'évêque un vêtement de cérémonie aux couleurs du drapeau estonien : le vêtement lui-même était blanc et il était décoré de croix bleues et noires.

    On doit se rappeler que moins de deux mois après la consécration, les troupes allemandes occupaient l'Estonie. Voyager n'était pas une entreprise aisée en ces temps, mais cela n'a pas empêché l'évêque de visiter, en un seul été, presque toutes les paroisses orthodoxes en Estonie. La photo de l'évêque Platon en haut de ce texte est un agrandissement d'une photo de groupe prise lors d'une des visites de l'évêque. Pour cette photo nous sommes redevables au sous-diacre de l'évêque Platon, le moine Johannes Jürgenson, qui a accompagné l'évêque pendant tous ses voyages et qui a tenu le bâton pastoral personnel de l'évêque Platon à la consécration. Pendant l'emprisonnement de l'évêque Platon le moine Johannes lui a apporté de la nourriture, qu'il passait par la fenêtre de la prison. Plus tard, il fut le premier à identifier le corps de l'évêque.

    Les Allemands n'accordaient pas facilement des autorisations pour voyager, pourtant à l'automne 1918 l'évêque Platon y parvint et il put visiter, à cheval, 35 paroisses. Ses compagnons ont rapporté combien il était intéressant de voyager avec l'évêque pendant la nuit à la lumière des étoiles. L'évêque Platon était un excellent astronome et décrivait souvent en détail les différentes étoiles qui brillaient dans le ciel.

    Partout la visite de l'évêque commençait par un service divin suivi des prières pour les morts dans le cimetière. Puis des discussions se tenaient avec les membres des conseils paroissiaux, dans lesquelles l'évêque s'informait des difficultés des paroisses. Il prodiguait conseils et encouragements à son peuple et partout, on se rappelait les visites de l'évêque Platon comme des événements essentiels dans la vie locale.

    Au printemps de 1918 l'évêque est arrivé à Tartu (Dorpat) où il a consacré le maître-autel de l'église paroissiale St Alexandre, un événement qui apporta un grand encouragement et réconfort aux gens. Le même jour le 21 avril, à Tartu, se tint une grande réunion regroupant 40 délégués de diverses paroisses et placée sous la présidence de l'évêque Platon. Le fardeau de l'occupation allemande était particulièrement lourd pour les orthodoxes et par l'intermédiaire de professeur Antonius Piip, l'évêque Platon envoya un mémorandum à l'archevêque du Cantorbéry à Londres, se plaignant de l'oppression allemande en Estonie.

    Les Russes, particulièrement à Riga, étaient fortement opposés à la création d'une juridiction épiscopale spéciale pour l'Estonie, puisque l'Estonie avait appartenu jusqu'ici à l'archevêché de Riga. La question a même été discutée au Conseil de l'église russe à Moscou. Les Estoniens y ont obtenu une décision en leur faveur, principalement parce que leur point de vue avait été soutenu par le Patriarche Tikhon. Mais les activités des Russes en Estonie n'ont pas cessé. Ils ont envoyé un délégué à Moscou pour se plaindre de l'évêque Platon, à cause de son utilisation du drapeau estonien, bleu, noir et blanc et à cause de son appel au peuple estonien pour obéir aux ordres et aux instructions du gouvernement provisoire d'Estonie, agissant dans la clandestinité.

    L'évêque fut inquiété et déclara : "Ils ne me laisseront pas en paix, tant que je ne serai pas transféré à Irkoutsk. Mais je n'irai pas, je resterai en Estonie".
    On doit garder à l'esprit qu'à la fois la Russie et l'Allemagne revendiquaient le territoire d'Estonie. C'est pourquoi la proclamation de l'indépendance, la formation du gouvernement provisoire et la création d'un drapeau estonien, étaient des actions que les Allemands et les communistes russes non seulement réprouvaient, mais qu'ils ont essayé de détruire par la guerre.

    L'évêque Platon contribua, de tout le poids de son autorité et de son patriotisme, à la lutte pour l'indépendance de l'Estonie. L'évêque se rendit de Tartu à Tallinn où il a célébré la divine Liturgie dans la cathédrale de la Transfiguration les 17 et 24 novembre, ces services ont été suivis par des foules énormes. Il a participé à la session du parlement estonien (Maapäev) et a étendu aux délégués assemblés les salutations de l'évêché d'Estonie.

    Avant Noël l'évêque eut l'intention de visiter Riga pour essayer de contribuer au règlement de certaines questions ecclésiastiques. En chemin, l'évêque tomba malade et il resta à Tartu. Les docteurs ont diagnostiqué une pneumonie. Après la réception de la sainte communion, cependant, l'évêque se remit et convoqua les membres du conseil épiscopal à son chevet, il a écouté ses collaborateurs et leur prodigua des conseils.
    LES TROUPES COMMUNISTES ENVAHISSENT TARTU (DORPAT)
    Avant l'occupation soviétique de 1940, Tartu avait été aux mains des communistes à deux reprises, de la révolution d'octobre jusqu'au 24 février 1918 et à partir du 21 décembre 1918 jusqu'au 14 janvier suivant.

    Le dimanche 21 décembre 1918 un drapeau rouge a été hissé au-dessus de l'Hôtel de ville. L'Estonie avait été envahie par les troupes de l'Armée Rouge qui avaient progressé de Narva à Tartu. Les troupes estoniennes sous le commandement du Général Sir Johan Laidoner ont été déployées autour de Tallinn pour protéger la capitale.
    Le peuple de Tartu décida, cependant, de célébrer la Nativité du Christ comme d'habitude. Ils n'ont pas été effrayés par les rumeurs disant que les bolcheviks avaient l'intention de jeter des grenades à mains parmi les fidèles dans les églises.

    Le 29 décembre tous les services divins et tout acte rituel furent interdits sous peine de mort. A la veille de la nouvelle année une cérémonie communiste se tint en l'église St Pierre. Sur l'orgue fut joué "la Marseillaise". La chaire recouverte de drapeaux rouges, un discours y fut prononcé par le Ministre communiste de l'éducation nationale, A. Wallner, qui déclara : "tout ce qui a été dit auparavant depuis cette chaire, était un mensonge".
    LE MARTYRE DE L'EVEQUE PLATON
    Dans ces circonstances, les clergés orthodoxe, protestant, catholique romain et juif ont décidé d'agir en commun. Cette initiative a été prise par le pasteur D. Traugott Hahn, professeur de théologie à l'université de Tartu (Dorpat).

    La délégation a été reçue par l'évêque Platon avec une profonde satisfaction, bien qu'il soit toujours malade et alité. L'évêque donna son accord : "nous ne pourrons être soumis que par la force brute. Nous servirons l'Eglise et nos paroisses et s'il arrivait que nous, ensemble avec nos frères dans le sacerdoce, devions faire face à l'exil ou à la mort, cela ne ferait aucune différence". Après le b..... de paix et des bénédictions, les ecclésiastiques se séparèrent et l'évêque conclut : "Si sévères puissent être les temps que Dieu nous ait envoyé, encore sont-ils toujours emplis de bénédictions, parce que maintenant nous comprenons mieux qu'auparavant, ce que nous aurions dû comprendre il y a longtemps, à savoir que les différences entre les diverses dénominations ne sont rien d'autre que des murs construits par des hommes, tandis que bien au-dessus de ces murs Dieu trône, Notre Père céleste à tous".

    Dans la soirée du 2 janvier l'évêque Platon a été arrêté dans une rue de Tartu (Dorpat) en compagnie de son protodiacre Dorin, à quelques dizaines de mètres de sa maison. Une garde de 30 hommes armés les emmenèrent au quartier général de la milice. Là les communistes poussèrent des cris de joie quand ils ont entendu dire qu'un de ceux qu'ils avaient arrêtés était l'évêque orthodoxe d'Estonie, Platon. Les gardes rouges crièrent : "C'est le diable que nous recherchions". Le commissaire a même ordonné à l'évêque d'ôter ses chaussures, dans l'espoir d'y trouver de l'or. Ainsi commença l'emprisonnement de l'évêque Platon qui dura 12 jours. Puisque l'évêque niait toutes les accusations et qu'il a même refusé de signer le protocole de son interrogatoire, il a été emmené dans la cave de la Banque de la Noblesse, au N°5 de la rue Kompani, que les autorités communistes utilisaient comme prison. Pendant son emprisonnement l'évêque Platon consola et encouragea tous les autres prisonniers. L'évêque plaça sa panaghia sous sa chemise pour qu'il puisse être reconnu, s'il devait être exécuté.

    En prison l'évêque Platon a été forcé de nettoyer les toilettes des prisonniers avec ses mains nues. C'était le dimanche 12 janvier. Le même soir l'évêque était convaincu de sa mise à mort. Il a dit à ses compagnons de cellule qui si cela arrivait, ils devaient transmettre sa dernière bénédiction à tout le peuple orthodoxe et aux paroisses : il leur a recommandé vivement de fuir, si possible, la terreur communiste, mais à la première occasion de revenir. Pendant son emprisonnement l'évêque Platon lisait souvent l'évangile en grec, particulièrement le chapitre 24 de St Matthieu. Une demi-heure avant sa mort l'évêque, avec le pasteur Hahn, lut la passion de Christ dans St. Marc, chapitre 15.

    Le 14 janvier 1919, à 10 heures du matin, environ, un commissaire avec deux gardes rouges commandèrent à l'évêque Platon de sortir. Pendant un interrogatoire précédent le commissaire avait insisté pour que l'évêque cessa de prêcher l'évangile. L'évêque Platon lui a répondu, "Dès que je serai remis en liberté, je louerai Dieu".

    Après quelque temps les prisonniers ont entendu des coups de feu provenant de la cave. Alors on ordonna à l'Archiprêtre Nikolaï Beschanitzki, l'Archiprêtre Michel Bleive et au professeur Hahn, de sortir. Un témoin, qui travaillait alors au magasin de vêtements des prisonniers, déclara avoir vu de la fenêtre comment les prisonniers étaient emmenés dans la cave où ils étaient assassinés. Il a entendu comment l'évêque Platon a été battu, mais aucun cri n'est sorti de ses lèvres. Un quart d'heure plus tard il a entendu des coups de feu de la cave, où les prisonniers avaient été conduits en sous-vêtements.

    Après que l'évêque Platon ait été tué, l'Archiprêtre Nikolaï Beschanitzki, l'Archiprêtre Michel Bleive, le pasteur Traugott Hahn, le pasteur Wilhelm Schwartz et 14 notables de Tartu (Dorpat) ont aussi été assassinés.

    Au même moment, après des combats acharnés, les troupes estoniennes atteignirent le centre de Tartu. Les portes de la prison furent mises en pièces à coups de hache, et les soldats ont crié, "Vous êtes libres".

    La joie de libération s'est changée en horreur quand ils ont découvert dans la cave les corps de ceux qui étaient tombés aux mains des commissaires et des gardes rouges.

    Dans son rapport le docteur Wolfgang Reyher, qui était le premier à entrer dans la cave, raconte que le plancher entier était couvert de cadavres dans des positions les plus artificielles, causées par une mort soudaine et violente. Au centre de la cave les corps étaient allongés en trois rangs. Les coups de feu avaient été tirés à bout portant dans les crânes. Les cadavres ont été transportés au département d'anatomie de l'université, où les parents des victimes pourraient les identifier.

    Sur la poitrine de l'évêque Platon, sous sa chemise, on a trouvé sa panaghia, emblème de sa charge épiscopale. Plus tard elle fut portée par ses successeurs, le métropolite Alexandre et l'évêque Jüri de Ravenna et elle est vénérée comme la relique d'un saint par le peuple orthodoxe estonien.

    L'examen médical et légal établit que l'évêque Platon avait été poignardé avec une baïonnette : sept blessures infligées par cette arme furent trouvées sur sa poitrine. Des balles avaient été tirées dans sa poitrine, une a traversé l'épaule gauche et une autre l'œil droit. La partie arrière de son crâne avait été frappée. Il était évident que l'Evêque avait été torturé avant d'être mis à mort.

    Les troupes qui ont libéré Tartu étaient placées sous le commandement du héros de la guerre de libération d'Estonie, le lieutenant Julius Kuperjanov. De Tartu il a marché pour libérer la ville de Walk, où il reçut une blessure fatale pendant le combat et il est mort à Tartu le 2 février.

    Les meurtres de l'évêque Platon et des autres victimes avaient été commandés et exécutés par les commissaires Kull, Rätsep et Otter, qui s'étaient enfuis en grande panique à l'arrivée de Kuperjanov.

    Dès que les nouvelles du carnage de Tartu atteignirent Paris (France), l'attaché de presse de la délégation estonienne à la conférence de paix de Paris, Ed. Laaman, envoya tous les détails aux représentants de tous les grands quotidiens : mais seul le "New York Herald" publia cette information.

    Le chef de la délégation estonienne, le ministre des affaires étrangères Jaan Poska, a pris des mesures pour qu'un pannichide fut célébrée à la cathédrale orthodoxe grecque de Paris à la mémoire de l'évêque Platon et des autres victimes. La cérémonie a été suivie par tous les membres de la délégation estonienne, menée par Jaan Poska.
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    La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 2 Empty Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

    Message  Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 16:12

    Les Traditions

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    Illustration d'un livre du 14ème siècle, évoque sur la même page des paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament.


    TRADITIONS AUTOUR DE NOEL EN EUROPE
    1.- L'AVENT
    Les longues nuits froides, de la fin de l'automne à l'hiver, faisaient naître les pires craintes dans un monde rural où mauvais temps, insectes, rongeurs, maladie étaient synonymes de famine. Aussi les croyances et superstitions anciennes visaient à conjurer ces menaces et s'assurer que les beaux jours reviendraient, que la lumière reprendrait le dessus, que la végétation renaîtrait, que les semis lèveraient dans les champs, que le bétail serait épargné par la maladie et que les enfants nombreux, garantiraient l'avenir. Sapin, fruits, bougies, guirlandes, bûches sont les vestiges des symboles de ces rites agraires associant culte solaire, culte de la fertilité et du renouveau et exorcisme des peurs nocturnes. La période de l'Avent, qui doit ses références à la religion chrétienne n'a pas totalement rompu avec ces traditions, au premier rang desquelles on trouve le chant.

    Avec le retour des nuits noires et longues revenaient les peurs et croyances anciennes. Lors de Samain, la nuit du 31 octobre au 1er novembre, les Celtes fêtaient le retour de la saison froide. Ils ne connaissaient que deux saisons, la saison des mois "jaunes", dont le retour avait lieu la nuit du 30 avril au 1er mai, et la saison des mois "noirs". Cette nuit de Samain était réputée mettre en contact le monde des morts et des esprits et celui des vivants. La Toussaint, surtout le jour des morts, de même que la fête anglo-saxonne d'Halloween témoignent encore de ces craintes ancestrales.

    Des tournées bienfaisantes
    Lors d'Halloween, littéralement "veille de la Toussaint", les enfants américains vont frapper aux portes des maisons en faisant la quête et en menaçant " Trick or treat ! " (un bonbon sinon un mauvais tour). Aux seuils des maisons ou aux fenêtres, vacille une petite lumière placée dans une citrouille évidée et taillée de manière à évoquer une figure grimaçante. La présence du légume, fréquente dans d'autres tournées du moment révèle d'anciennes préoccupations agraires, tout comme les enfants, déguisés en sorcières, en squelettes, en fantômes, témoignent de ces peurs d'autrefois ; même si ces costumes amusent et que cette mise en scène ne fait que mettre en dérision une nuit qui n'est plus vraiment inquiétante. Ces coutumes, comme toutes celles qui s'attachent à ces nuits qui marquent cette période de l'hiver étaient autrefois investies des symboles des croyances anciennes, symboles solaires, rites de fertilité qui côtoyaient les peurs de la longue nuit d'hiver peuplées de personnages démoniaques. Christianisées, elles s'appellent maintenant "Saint-Martin", "Saint-Nicolas", ou "Sainte-Lucie".


    Des tournées d'enfants, annonciatrices d'espoirs, y avaient leur place ; et leurs musiques, leurs comptines ou leurs chants traduisaient vœux et promesses. Ces tournées soudaient entre eux les enfants d'un même quartier ou d'un même village, et c'était l'occasion pour eux d'être reconnus des habitants. Cette véritable agrégation sociale était plus importante qu'elle n'en avait l'air. Le groupe était vu, autant qu'il était écouté. A côté de cette fonction sociale, les tournées avaient aussi un but magique et protecteur, comme les étrennes que l'on distribuait aux chanteurs pour les remercier.

    Malheur à celui qui n'ouvrait pas sa porte : il s'assurait une année bien peu prospère ! Les enfants ne sont-ils pas les dépositaires de l'avenir ? On offrait aux petits quêteurs, pour le remercier, une poignée de noix, de noisettes ou une pomme. En échange, on se mettait l'avenir de son côté. Sans doute est-ce là l'une des origines des cadeaux que l'on aime toujours échanger la nuit de Noël au pied de l'arbre, même s'ils ont maintenant la forme de jouets. Ces nuits étaient marquées aussi par des défilés que l'on connaît encore dans certaines régions, avec des personnages grimaçants et bruyants tels les Pères Fouettards qui personnalisaient l'hiver, et d'autres, beaux et lumineux à l'image de Martin, Nicolas ou Lucie qui symbolisaient l'espoir des beaux jours, le retour de la lumière et de la paix. La vie agricole ralentissait avec le retour de l'hiver et les occupations étaient plus tournées vers les travaux domestiques. Les journées passaient plus lentement peut-être, mais elles n'étaient pas inoccupées pour autant. Il fallait réparer les outils, filer la laine... A partir de la Saint-Martin, on tuait le cochon, ce qui entraînait de joyeuses agapes en famille ou entre voisins. Cette fête d'abondance, comme celles qui terminent les moissons ou les vendanges, portait à la joie : on riait et on chantait autour des tables. En cette période plus tranquille, on prenait le temps de se réunir aux veillées. Tous y chantaient aussi. Ce n'était plus autour d'une table, mais auprès de la cheminée. Les plus vieux racontaient des histoires, des légendes entendues de leurs grands-parents ou d'édifiants souvenirs d'enfance. Ces moments de convivialité n'ont pas complètement disparu et ils marquent encore nos réunions familiales de ce moment de Noël.

    Des tournées d'enfants ont toujours lieu dans beaucoup de pays de l'Avent jusqu'aux Rois. Par petits groupes, ils chantent la joie de Noël et leurs vœux dans de célèbres Christmas Carols en Grande-Bretagne ou en Amérique du Nord, à partir de la Saint-Thomas dit-on, le 21 décembre, ou des villancicos en Espagne, Weilnachtslieder en Allemagne ou en Autriche, Regolë en Hongrie, Colinde en Roumanie ou Kallenda en Grèce... Cette coutume est très répandue et partout, les enfants sont récompensés de friandises ou de piécettes qu'ils gardent ou distribuent au profit d'une bonne œuvre. Partout aussi, les injures et malédictions pleuvent sur ceux qui n'ouvrent pas leur porte. Ils sont accompagnés parfois d'un petit orchestre de guitares, tambourins et clochettes comme en Espagne, ou d'un seul joueur qui agite en mesure son instrument, tel l'ancien Rommelpot (pot à vacarme). Cet instrument rudimentaire consistait en un pot recouvert d'une vessie de porc et contenant un bâton qu'on faisait vibrer. Les enfants sont parfois déguisés en bergers ou en anges en présentant leurs cantiques ; ils peuvent également jouer des saynètes autour du thème de la Nativité, ou encore promener une simple étoile. Des tournées semblables ont lieu au moment du Nouvel An et des Rois, où les enfants sont alors déguisés en Mages.



    La Saint-Nicolas. le 6 décembre
    La fête de la Saint-Nicolas, célébrée le soir du 5 décembre et dans la journée du 6, est chère au cœur de bien des enfants dans le Nord et l'Est de la France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, et dans certaines régions d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse. Elle aussi engendre un scénario qui se renouvelle chaque année à leur grand plaisir. Saint Nicolas en personne leur rend visite. Mais la présence du Père Fouettard à ses côtés est inquiétante.

    Pourtant, le bon évêque n'est pas originaire de ces régions germaniques. Comment expliquer que son culte ait pu gagner ainsi le cœur de tous ces petits étrangers ? Nicolas est en effet né au 3ème siècle loin de là, à Myre en Asie Mineure, et s'est illustré par de nombreux gestes de générosité au cours de sa vie. Certains appartiennent sans doute plus à la légende qu'à la réalité. La réputation de ce "pourvoyeur d'abondance" était grande et elle l'est restée ! On disait qu'il avait sauvé sa ville de la famine ainsi que d'autres, plus éloignées, qu'il avait rejointes au moyen d'un bateau chargé de vivres, alors que la nuit était déjà tombée. Par ailleurs, il est devenu le patron des marchands et des marins qu'il aurait à plusieurs reprises sauvés de la tempête. La ville maritime de Myre étant un passage connu en Méditerranée, la popularité du saint ne fit que s'étendre en Orient et en Occident. Il est aussi le patron des prisonniers, pour en avoir libéré plusieurs, et avec saint Yves, il partage le patronage des avocats. De plus, pour avoir doté trois jeunes filles pauvres que le père vouait à la débauche, en jetant trois nuits de suite des bourses d'or par la fenêtre, il est devenu le patron des fiancés. Mais son "miracle" le plus célèbre - et sans doute


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    légendaire - reproduit par de nombreux artistes, est celui d'avoir ressuscité "trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs", qu'un méchant boucher avait découpés en morceaux et "mis au saloir comme pourceaux". Tout cela ne pouvait que rendre le bon évêque extrêmement populaire et s'il est l'un des saints les plus représentés dans l'iconographie religieuse, il l'est aussi dans les chansons. La fête de saint Nicolas fut célébrée le 6 décembre, date présumée de sa mort en 343. En 1087, des marchands italiens transportèrent les restes de l'évêque à Bari dans les Pouilles, afin de les substituer aux Turcs infidèles. A la fin du 11ème siècle, un pieux Lorrain déposa une phalange du saint à Port en Meurthe-et-Moselle, et cela permit à son culte de s'étendre en Europe. D'illustres pèlerins, dont Jeanne d'Arc et plusieurs rois de France, sont venus prier dans la "grande église" qu'on y construisit. Par les marchands de la Mer du Nord ou du Rhin, la dévotion pour le généreux personnage grandit encore et vint probablement couvrir d'autres coutumes pré-chrétiennes. Le bon évêque fut ainsi vénéré dans ces pays germaniques où l'ancienne religion obéissait à Odin, appelé aussi Wotan. Ce dieu Odin, chef des dieux germains, dieu fondateur, avait la particularité de se déplacer dans les airs sur son cheval à huit jambes, Sleipnir, en compagnie de deux corbeaux. Il était assimilé au redouté "Chasseur sauvage" qui conduisait, lors des nuits de tempête et pendant les douze jours, un bruyant attelage fait des Walkyries ses messagères, de Perchta, ancienne déesse de la Fécondité muée en démon, et d'une armée de morts. L'image du saint évêque habillé de rouge ou de violet, avec sa grande barbe blanche lui conférant sagesse et dignité, se superposa progressivement à celles du dieu et des personnifications prometteuses de certaines tournées d'hiver que l'on appelait "beaux masqués". La figure du Père Noël, qui tient beaucoup de lui, se dessine déjà. Nicolas fut tout naturellement affublé d'un vilain acolyte à la face noircie, criant, gesticulant et menaçant de ses fouets, image survivante des personnages laids des mêmes tournées hivernales. Ces deux sortes de masqués aux costumes si opposés symbolisaient la saison stérile et affreuse, ou au contraire le retour attendu des beaux jours. Dans les tournées suisses de l'Appenzell, les Sylvesterkläuse ("Nicolas de la Saint-Sylvestre") continuent de symboliser ces contrastes au moment du Nouvel An des calendriers grégorien (le 31 décembre) et julien (le 12 janvier). On prête parfois au Père Fouettard, appelé aussi Hans Trapp en Alsace, Knecht Ruprecht en Allemagne ou Krampus en Autriche, des origine récentes inspirées de certains personnages historiques. Pour d'autres, il ne serait qu'une invention pédagogique du 18ème siècle, pour faire peur aux écoliers. Qu'il existe pour faire peur, cela est certain, mais sa création est sûrement antérieure. Les croquemitaines, tel le boucher de la chanson, ont toujours été des figures très présentes dans l'éducation des enfants, dès leur plus jeune âge. Les deux personnages si opposés que sont saint Nicolas et le Père Fouettard allaient donc ensemble dans les familles, le soir du 5 décembre, questionner les enfants. Les petits répondaient avec crainte et l'évêque ne manquait pas de leur distribuer quelques douceurs, pendant que le sombre compagnon les menaçait de ses verges. Mais le scénario s'est transformé, car les visites du saint et de son valet sont maintenant collectives : elles ont lieu à l'école par exemple. Cela soulage les enfants qui ne sont plus attaqués personnellement par le méchant Père Fouettard ! Ils n'oublient pas, ce soir-là, de déposer leur soulier dans la cheminée, avec du foin ou des carottes pour l'âne (pour le cheval aux Pays-Bas), et ils y trouvent le lendemain matin des pains d'épices, des spéculoos ou des massepains, ainsi que de menus jouets. Avant de s'endormir, ils invoquent le généreux saint dans des comptines qui, dans leur bouche, ne sont pas très éloignées de la prière.

    D'ailleurs, à l'image de saint Nicolas, les distributeurs de cadeaux sont parfois religieux, comme l'Enfant Jésus allemand ou autrichien, ou comme les Rois Mages espagnols. Ces personnages mythiques sont très proches des enfants et ils restent très abordables dans leur esprit, comme peut l'être le Père Noël.

    Au 16ème siècle, saint Nicolas, jugé trop papiste par la Réforme qui condamnait le culte des saints, fut remplacé dans les régions protestantes par l'Enfant-Jésus (le Christkindel ) symbolisé par une jeune fille vêtue de blanc. Des régions très catholiques comme l'Autriche et la Bavière allaient à leur tour adopter l'image angélique de ce Christkindel. De plus en plus souvent, le cortège de saint Nicolas est officiel et c'est toute la ville, avertie par la presse, qui vient à sa rencontre sur une place principale. La " ferveur" des jeunes assistants reste la même ! Le Père Fouettard y est toujours présent, mais les enfants, même s'ils continuent de le craindre, ne se sentent plus menacés individuellement. Ces cortèges ont lieu le samedi ou le dimanche le plus proche du 6 décembre.

    Aux Pays-Bas, l'évêque arrive par bateau dès la mi-Novembre. II vient d'Espagne, dit-on, en compagnie de plusieurs Pierre le Noir, des pages qui sont plus amusants que menaçants avec leurs acrobaties. Tous les enfants guettent leur arrivée et chantent : 

    Voilà le navire qui nous vient d'Espagne
    Voilà Saint Nicolas, nos vœux l'accompagnent...


    Jusqu'au 6 décembre, saint Nicolas va visiter avec son cortège hôpitaux, maisons de retraite et écoles, où il est toujours très bien reçu.

    Entrez Bon Saint Nicolas, grand saint mitré,
    Nous sommes tous assis, les bras croisés,..
    Et nous chantons, et nous dansons, nous sommes si contents
    Les enfants sont tous obéissants !


    Le soir du 5 décembre, les familles hollandaises se réunissent et ouvrent les paquets déposés dans un carton par le saint ou par l'un de ses valets qui a cogné à la porte. Personne n'a eu le temps de le voir : cela va si vite ! Chacun déballe son cadeau dans une grande gaieté, car les emballages, très étudiés, doivent être compliqués. Ils importent plus que ce qu'ils contiennent. Dans le bout rimé qui accompagne le petit cadeau, les bonnes plaisanteries sont de rigueur. On chante encore, et tous ces chants sont l'expression d'un moment sacré de joie simple, toute familiale.

    Oh ! la lune luit dans les branchages
    Arrêtez tous votre tapage.
    Dans le silence de ce beau soir
    Saint Nicolas vient nous voir.

    Le temps liturgique
    L'Avent est une période d'attente joyeuse dans la liturgie, comme dans les cœurs. Les fidèles y reprennent avec joie les chants aimés, appris dans l'enfance et réservés à la période de Noël. Ces chants, qui portent le nom de "noëls" (avec un n minuscule) ne sont pas des cantiques. Pourtant, ils furent comme eux inspirés par la liturgie. L'Avent tient son nom du latin Adventus ("avènement", "venue"). Il précède Noël, fête de la Nativité, où les Chrétiens célèbrent la venue de l'Enfant-Jésus à Bethléem en Judée et l'avènement de son retour glorieux. L'Avent débute le dimanche le plus proche de la Saint-André, au plus tôt le 27 novembre et au plus tard le 3 décembre, et il comprend quatre dimanches. Il durait autrefois six semaines. C'était à ses débuts une période austère, appelée "petit Carême" où les restrictions concernaient aussi bien la nourriture que certaines activités quotidiennes, comme celles de laver ou de filer.

    L'Avent a été institué au 6ème siècle, à Rome reprenant, semble-t-il, un temps de jeûne qui précédait la Nativité dès le 4ème siècle en Espagne et en Gaule. Ce n'est d'ailleurs qu'à partir de la moitié du 4ème siècle que les premières mentions de la fête de Noël apparaissent à Rome dans un chronographe de 354 (sorte d'almanach). L'Avent, loin d'être austère comme il l'était à l'origine, est devenu une période d'attente joyeuse.

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    Adoration des rois mages
    Peinture murale de l'église de Gargilesse


    Les chants de la Nativité
    Les hymnes des liturgies des églises d'Orient et d'Occident vont s'inspirer de la Nativité dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle. La première mention des trois messes de Noël remonte à saint Grégoire le Grand. La tradition sacrée s'intégrera plus tard à la tradition profane avec ses chants et ses cortèges accompagnant les fêtes de la période hivernale.
    Les tournées de l'Avent, comme celles de "l'An Neuf " ou des Rois, sont antérieures aux noëls de l'église. Les noëls ne sont pas des prières pour autant, ni des chants de louanges. Il ne s'agit plus de "quérir" Noël de maison en maison, mais de chanter la joie de la Nativité ensemble à l'église ou chez soi. On assiste maintenant à une confusion de deux genres et les enfants entonnent volontiers ces noëls dans leurs tournées. Les Evangiles de saint Luc et de saint Mathieu, les seuls à l'évoquer, sont très sobres sur le sujet de la Nativité. L'imagination populaire s'est plue à rajouter des éléments inspirés de prophéties de l'Ancien Testament et surtout des Evangiles apocryphes, écrits pour combler cette soif de détails merveilleux autour de la vie du Christ. C'est ainsi qu'apparaissent l'âne et le bœuf, la grotte de Bethléem ou que les Mages deviennent les trois Rois que l'on sait. Dans la divine naissance, la Vierge est à la fois une femme et une mère, ce qui ne pouvait que plaire aux gens du peuple qui s'identifiaient aux modestes bergers avertis les premiers par les anges.

    Les nombreux artistes, copistes, sculpteurs, maîtres-verriers, peintres, musiciens... y trouveront là matière à variations pour alimenter leurs œuvres que l'on rencontre des miniatures des manuscrits, aux tympans des cathédrales et aux vitraux.

    La Messe de Minuit
    Dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle, des hymnes accompagnent les liturgies des églises d'Orient et d'Occident. La Nativité inspire les premiers poèmes aux docteurs orientaux. L'une des hymnes de saint Ephrem le Syrien introduit déjà les artisans aux côtés des bergers accourus à la crèche : " Salut Ô Toi, qui est appelé à cultiver nos champs. Tu fertiliseras le froment dans le grenier de la vie ". Au même siècle, saint Ambroise, évêque de Milan, considéré comme le père du chant choral, et son contemporain saint Hilaire de Poitiers donnent à leur tour l'impulsion à la liturgie romaine en créant sur le thème de la Nativité, des chants latins connus encore maintenant.

    La première mention des trois messes de Noël remonte à Saint Grégoire le Grand (mort en 604) qui le précise dans une homélie sur la Nativité, et ces messes sont précédées de celle de la vigile le soir du 24. Ces trois messes, selon l'usage papal, ont lieu dans trois églises différentes de Rome : messe de la nuit (et non "messe de Minuit" comme le dit l'expression populaire) à Sainte-Marie-Majeure sur l'Esquilin, messe de l'aurore à Sainte Anastasie au pied du Palatin, et messe du jour à Saint-Pierre. Lors de ces messes, la liturgie chantée sous des formes latines alternées, atteint son apogée aux 9ème et 10ème siècles avec la création des tropes. Ces variations sur des textes sacrés sont des antiennes dialoguées et ne sont pas considérées comme liturgiques. Ces tropes sont nombreux à Noël, à l'exemple de celui du moine Tutilon de l'abbaye de Saint-Gall " Hodie cantandus est " (Aujourd'hui, il nous faut chanter), l'un des premiers. Tolérés, ils prennent place à certains moments de la liturgie afin de la rendre plus animée, et présentent déjà un tour dramatique. Les "épîtres farcies" où latin et langue usuelle alternent, les antiennes dialoguées et les tropes se renforcent de gestes et donnent naissance à des jeux scéniques.
    A partir du 11ème siècle, le clergé associe le peuple aux chants de la liturgie. La "prose" (hymne) " Laetabandus " du 11ème siècle, attribuée à tort à saint Bernard, est considérée comme l'un des facteurs les plus actifs des noëls populaires au Moyen Age. Son air sera souvent repris, tant pour les chansons à boire que pour des pamphlets protestants. Les chants de Noël aux accents liturgiques vont se multiplier en Europe. En Pologne, un premier noël daterait des environs de l'an mille. A la cour d'Angleterre, un chant de noël est attesté dès 1170. En langue allemande, le " Sys willekommen, heire Kerst ". (Sois le bienvenu, Seigneur Christ) est du 12ème siècle. Chaque couplet se termine par le répons populaire " Kyrieleys", de " Kyrie eleison ". Chanter des noëls en allemand se disait "chanter les Quempas", abréviation du nom d'un chant latin du 14ème siècle " Quem pastores laudavere ". Les chants grégoriens du mystère de l'Incarnation rendent les messes de minuit et du jour toujours très appréciées dans les abbayes. Les hymnes liturgiques, graves, sont très belles. Certaines datent des 9ème et 10ème siècles (Ecce nomen Domini ). Si les pièces chantées se réjouissent, comme dans les noëls, de la présence de l'Enfant-Jésus, elles soulignent que cet Enfant est le Fils de Dieu. Elles sont empreintes de révérence, de majesté et d'enthousiasme. Chez les orthodoxes également, voix et chœurs retentissent dans les monastères russes, arméniens, ou grecs. Cela a lieu treize jours plus tard, le 7 janvier, les fêtes religieuses orthodoxes (russes et slaves) suivant le calendrier julien. Mais ces chants liturgiques ne rentrent pas dans la catégorie populaire des noëls. Certains motets latins de plain-chant composés au début du Moven-Age sont encore chantés, mais ils relèvent aussi de la liturgie et en cela, sont très différents des noëls, nés eux, seulement à partir des jeux semi-liturgiques à la fin du XVe siècle.

    Les crèches et les pastorales
    Les noëls et leur mise en scène de bergers et de gens de petits métiers inspirent eux-mêmes en partie les représentations plastiques des crèches qui apparaissent dès le 16ème siècle crèches d'églises d'abord, puis crèches familiales à partir du XVIlIe siècle. De la même façon qu'ils sont nés de spectacles, ils engendrent à leur tour les crèches parlantes puis les Pastorales. Les sujets restent liés à la Nativité, mais en réalité, ils n'ont plus rien à voir avec l'Eglise. Ces spectacles sont publics, comme le sont nos modernes séances de marionnettes ou de théâtre, mais leur auditoire y va avec une grande piété. Ils sont joués de la fin du 18ème jusqu'au début du 20ème siècle "crèches parlantes" et mécaniques, avec jeux de marionnettes où les aspects comiques et satiriques ne sont pas oubliés, comme dans celles d'Autriche, de Belgique, ou de France, en Franche-Comté ou en Provence. Les crèches parlantes mettent la Nativité en scène sur différents tableaux. Les noëls en patois de Besançon, composés au début du 18ème siècle laissent déjà entrevoir le spectacle de la Crèche Bisontine qui connaît son apogée au 19ème siècle. Ce spectacle reproduit les dialogues en français entre saint Joseph, l'avocat et les médecins, ceux en patois des ouvriers, et d'un vigneron Barbizier qui présente les personnages. Tout se passe la nuit de Noël et, avec humour, les uns et les autres se rendent à la crèche. Les défauts des hommes et une satire "politique" ne manquent jamais d'être mis en évidence, évidemment ! A l'heure actuelle, la formule n'en est pas abandonnée : les théâtres de marionnettes continuent de présenter leurs spectacles, par exemple en Belgique, à Liège ou à Verviers, ou en France, à Besançon. En Europe Centrale, des "montreurs de crèches" itinérants vont toujours présenter de porte en porte ou de quartiers en quartiers un spectacle où la critique des évènements de l'année va bon train sur un ton badin. Les plus célèbres, en France, sont la Pastorale Maurel qui date de 1844, et une plus récente de 1957, La Pastorale des Santons de Provence d'Yvan Audouard. Bien des santons de la crèche se sont inspirés aussi des personnages comiques de ces pastorales, qui ont elles-mêmes puisé dans le répertoire des noëls provençaux, puis dans celui des crèches mécaniques. Les Pastorales font actuellement en Provence l'objet d'un Festival, à Gordes dans le Vaucluse entre les 26 décembre et 4 janvier. Ces spectacles ne sont pas donnés dans les églises, mais dans des salles paroissiales ou municipales.


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