Arlitto Ven 20 Nov 2020 - 15:28
L'Imitation de Jésus-Christ
Livre troisième - De la vie intérieure
41. Du mépris de tous les honneurs du temps
1.Jésus-Christ: Mon fils, n'enviez point les autres si vous les voyez honorés et élevés tandis qu'on vous méprise et qu'on vous humilie.
Elevez votre coeur au ciel vers moi et vous ne vous affligerez point d'être méprisé des hommes sur la terre.
2.Le fidèle: Seigneur, nous sommes aveuglés et la vanité nous séduit bien vite.
Si je me considère attentivement, je reconnais qu'aucune créature ne m'a jamais fait d'injustice, et qu'ainsi je n'ai nul sujet de me plaindre de vous.
Après vous avoir tant offensé et si grièvement, il est juste que toute créature s'arme contre moi.
La honte et le mépris, voilà donc ce qui m'est dû; et à vous la louange, l'honneur et la gloire.
Et si je ne me dispose à souffrir avec joie, à désirer même d'être méprisé, abandonné de toutes les créatures et compté pour rien, je ne puis ni posséder au-dedans de moi une paix solide, ni recevoir la lumière spirituelle, ni être parfaitement uni à vous.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 41
Celui qui s'examine devant Dieu à la lumière de la vérité se méprise souverainement, parce qu'il ne trouve en soi, sans la grâce, qu'un fond immense de corruption: et dès lors, loin de rechercher l'estime, les respects, les honneurs, il se réfugie dans son abjection comme dans le seul asile contre l'orgueil, la plus grande de ses misères.
Si on l'abaisse, si on le dédaigne, il ne se plaint ni ne s'irrite; il reconnaît qu'on lui fait justice, et l'on ne saurait tant l'humilier qu'il ne s'humilie encore davantage intérieurement; car, en tout, c'est Dieu qu'il regarde, et non pas les hommes. Il dit comme Job: Si je veux me justifier, ma bouche me condamnera: et si elle entreprend de montrer mon innocence, elle ne prouvera que mon crime.
Puis, dans l'amertume de son coeur, appelant la miséricorde, il invoque le Père céleste, qui a pitié de sa pauvre créature. J'ai péché: que ferai-je, ô Sauveur des hommes ? Pourquoi avez-vous mis la guerre entre vous et moi, et suis-je devenu à charge à moi-même ? Pourquoi n'ôtez-vous pas mon péché, et n'effacez-vous pas mon iniquité ? Voilà que je dormirai dans la poussière, et quand vous me chercherez le matin, je ne serai plus.
Heureux celui qui s'accuse, car il obtiendra le pardon ! Heureux celui qui choisit la dernière place, car on lui dira: Montez plus haut. 40. Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut se glorifier de rien
1.Le fidèle: Seigneur, qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui ? Et qu'est-ce que le fils de l'homme pour que vous le visitiez ?
Par où l'homme a-t'il pu mériter votre grâce ?
De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre, si vous me délaissez ? Et qu'ai-je à dire si vous ne faites pas ce que je demande ?
Je ne puis certes penser et dire avec vérité que ceci: Seigneur, je ne suis rien, je ne peux rien de moi-même, je n'ai rien de bon, je sens ma faiblesse en tout, et tout m'incline vers le néant.
Si vous ne m'aidez et ne me fortifiez intérieurement, aussitôt je tombe dans la tiédeur et le relâchement.
2.Mais vous, Seigneur, vous êtes toujours le même, et vous demeurez éternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bonté, avec justice, avec sainteté, et disposant tout avec sagesse.
Pour moi, qui ai plus de penchant à m'éloigner du bien qu'à m'en approcher, je ne demeure pas longtemps dans un même état, et je change sept fois le jour.
Cependant je suis moins faible dès que vous le voulez, dès que vous me tendez une main secourable, car vous pouvez seul, sans l'aide de personne, me secourir et m'affermir de telle sorte que je ne sois plus sujet à tous ces changements, et que mon coeur se tourne vers vous seul et s'y repose à jamais.
3.Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour acquérir le ferveur, soit à cause de la nécessité qui me presse de vous chercher, ne trouvant point d'homme qui me console, alors je pourrais tout espérer de votre grâce et me réjouir de nouveau dans les consolations que je recevrais de vous.
4.Grâces vous soient rendues, à vous de qui découle tout ce qui m'arrive de bien.
Pour moi, je ne suis devant vous que vanité et néant, qu'un homme inconstant et fragile.
De quoi donc puis-je me glorifier ? Comment puis-je désirer qu'on m'estime ?
Serait-ce à cause de mon néant ? mais quoi de plus insensé ?
Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanités, et un mal terrible, puisqu'elle nous éloigne de la véritable gloire, et nous dépouille de la grâce céleste.
Car, dès que l'homme se complaît en lui-même, il commence à vous déplaire; et lorsqu'il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie vertu.
5.La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous et non pas en soi; de se réjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu; de ne trouver de plaisir en nulle créature qu'à cause de vous.
Que votre nom soit loué et non le mien; qu'on exalte vos oeuvres et non les miennes; que votre saint nom soit béni, et qu'il ne me revienne rien des louanges des hommes.
Vous êtes ma gloire et la joie de mon coeur.
En vous je me glorifierai; je me réjouirai sans cesse en vous et non pas en moi, si ce n'est dans mes infirmités.
6.Que les Juifs recherchent la gloire qu'on reçoit les uns des autres; pour moi, je ne rechercherai que celle qui vient de Dieu seul.
Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce monde, comparée à votre gloire éternelle, est folie et vanité.
Ô ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu ! Trinité bienheureuse ! à vous seule louange, honneur, gloire, puissance dans les siècles des siècles !
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 40
Si je descends en moi-même, et que je m'interroge sur ce que je suis, que trouvé-je, ô mon Dieu ! Une raison incertaine toujours près de s'égarer: d'inconstantes affections, un mélange inexplicable d'espérances et de craintes vaines, des inclinations viciées, une foule innombrable de désirs qui sans cesse m'agitent et me tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond ennui, je ne sais quel instinct du ciel et de toutes les passions de la terre, une volonté infirme qui tout ensemble veut et ne veut pas, un grand orgueil dans une grande misère; voilà mon état tel que le péché l'a fait, et je sens de plus en moi l'impuissance de relever une nature si profondément déchue.
Il a fallu que Dieu même vint soulever ce poids immense de dégradations: sans un rédempteur divin, l'éternité entière aurait passé sur les ruines de l'homme. Il a paru ce Rédempteur, il a dit: Me voici ! Et son sang a satisfait à la suprême justice, et sa grâce a réparé le désordre de l'intelligence et le désordre du coeur: elle a rétabli l'image de Dieu dans sa créature tombée. Incompréhensible mystère d'amour ! et comment répondre à un tel bienfait ?
Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence; ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donnés gratuitement; rendons la gloire à qui elle appartient, et entrons de toutes les puissances de notre être dans les sentiments du Prophète: Seigneur mon Dieu, je vous ai invoqué, et vous m'avez guéri. Vous avez retiré mon âme de l'enfer, et vous m'avez séparé de ceux qui descendent dans le lac. Chantez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, et célébrez la mémoire de sa sainteté ! 39. Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires
1.Jésus-Christ: Mon fils, remettez-moi toujours vos intérêts; j'en disposerai selon ce qui sera le mieux, au temps convenable.
Attendez ce que j'ordonnerai et vous y trouverez un grand avantage.
2.Le fidèle: Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie, car j'avance bien peu quand je n'ai que mes propres lumières.
Oh ! que ne puis-je, oubliant l'avenir, m'abandonner dès ce moment sans réserve à votre volonté souveraine !
3.Jésus-Christ: Mon fils, souvent l'homme poursuit avec ardeur une chose qu'il désire; l'a-t'il obtenue, il commence à s'en dégoûter, parce qu'il n'y a rien de durable dans ses affections, et qu'elles l'entraînent incessamment d'un objet à un autre.
Ce n'est donc pas peu de se renoncer soi-même dans les plus petites choses.
4.Le vrai progrès de l'homme est l'abnégation de soi-même; et l'homme qui ne tient plus à soi est libre et en assurance.
Cependant l'ancien ennemi, qui s'oppose à tout bien, ne cesse pas de le tenter; il lui dresse nuit et jour des embûches, et s'efforce de le surprendre pour le faire tomber dans ses pièges.
Veillez et priez, dit le Seigneur, afin que vous n'entriez point en tentation.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 39
Il y a dans les affaires un danger terrible pour l'âme, lorsqu'elle ne veille pas sur elle-même attentivement. Nous ne parlons point des tentations de l'intérêt, si vives pourtant, si multipliées, et qui finissent ordinairement par affaiblir la conscience. Alors même qu'elles ne produisent pas ce triste effet, elles dessèchent le coeur, préoccupent l'esprit, le détournent de Dieu et de la grande pensée du salut.
Il y a toujours quelque chose qui presse, qu'on ne peut laisser en retard; et sous ce prétexte, sans dessein formé, par le seul entraînement des occupations qu'on s'est faites, on abandonne peu à peu les exercices qui nourrissent la piété, les lectures saintes, la prière, les devoirs indispensables de la religion; et ainsi la vie s'écoule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans l'oubli de la seule chose nécessaire. Les maladies même ne réveillent pas: aucun avertissement n'est écouté.
Enfin la mort vient, saisit cet homme, le présente au Juge qui l'interroge: Qu'as-tu fait du temps que je t'ai accordé? L'infortuné voit d'un coup d'oil trente, quarante, soixante années consumées tout entières dans les soins de la terre, et il ne voit que cela. Son âme, il n'y a point songé. Il est trop tard en ce moment pour commencer à s'occuper d'elle, et son sort est fixé irrévocablement.
Ah ! Pensez avant tout à ce qui ne doit jamais finir. Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. Eteindre en soi le désir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir que ce qu'elle veut, comme elle le veut, et quand elle le veut, c'est la voie de la paix et le seul fondement solide d'espérance à la dernière heure. 38. Comment il faut se conduire dans les choses extérieures, et recourir à Dieu dans les périls
1.Jésus-Christ: Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout ce qui vous occupe au-dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre intérieurement et maître de vous-même, de sorte que tout vous soit assujetti et que vous ne le soyez à rien.
Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le maître et non pas l'esclave.
Tel qu'un vrai Israélite, affranchi de toute servitude, entrez dans le partage et dans la liberté des enfants de Dieu qui, élevés au-dessus des choses présentes, contemplent celles de l'éternité; qui donnent à peine un regard à ce qui passe et ne détachent jamais leurs yeux de ce qui durera toujours; qui, supérieurs aux biens du temps, ne cèdent point à leur attrait mais plutôt les forcent de servir au bien, selon l'ordre établi par Dieu, le régulateur suprême, qui n'a rien laissé de désordonné dans ses oeuvres.
2.Si dans tous les évènements, vous ne vous arrêtez point aux apparences et n'en croyez point les yeux de la chair sur ce que vous voyez et entendez; si vous entrez d'abord, comme Moïse, dans le tabernacle pour consulter le Seigneur, vous recevrez quelquefois sa divine réponse et vous reviendrez instruit de beaucoup de choses sur le présent et l'avenir.
Car c'était toujours dans le tabernacle que Moïse allait chercher l'éclaircissement de ses difficultés et de ses doutes; et la prière était son unique recours contre la malice et les pièges des hommes.
Ainsi vous devez vous réfugier dans le secret de votre coeur pour implorer le secours de Dieu avec plus d'instance.
Nous lisons que Josué et les enfants d'Israël furent trompés par les Gabaonites, parce qu'ils n'avaient point auparavant consulté le Seigneur, et que, trop crédules à leurs flatteuses paroles, ils se laissèrent séduire par une fausse piété.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 38
La plupart des hommes, dominés par les premières impressions, agissent sans consulter Dieu, et passent leur vie à se repentir le soir de ce qu'ils ont fait le matin. On doit travailler continuellement à vaincre une faiblesse si déplorable, en s'efforçant de résister aux mouvements soudains qui s'élèvent en nous. Celui qui n'est pas maître de soi court un grand péril; il est à chaque instant près de tomber. Il faut s'exercer à vouloir, à dompter l'imagination qui emporte l'âme, à soumettre le coeur et ses désirs à une règle inflexible.
Mais que ferons-nous, pauvres infirmes, si nous ne sommes aidés, secourus ! De nous-mêmes nous ne pouvons rien. Le Seigneur est notre seule force; implorons-le donc avec confiance, implorons-le sans cesse; la prière de l'humble pénètre le ciel. Levons les yeux sur la montagne d'où nous viendra le secours. Seigneur, Dieu de mon salut, j'ai crié devant vous le jour et la nuit; ce pauvre a crié, et le Seigneur l'a exaucé, et il l'a sauvé de toutes ses tribulations. Béni soit le Seigneur, parce qu'il a entendu la voix de ma prière ! Le Seigneur est mon aide et mon protecteur; mon coeur a espéré en lui, et il m'a secouru, et ma chair a refleuri, et du fond de ma volonté je le louerai. Tous mes os diront: Seigneur, qui est semblable à vous !
37. Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour obtenir la liberté du cœur
1.Jésus-Christ: Mon fils, quittez-vous et vous me trouverez.
N'ayez rien à vous, pas même votre volonté, vous y gagnerez constamment.
Car vous recevrez une grâce plus abondante dès que vous aurez renoncé à vous-même sans retour.
2.Le fidèle: Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois ?
3.Jésus-Christ: Toujours et à toute heure, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Je n'excepte rien et j'exige de vous un dépouillement sans réserve.
Comment pouvez-vous être à moi et comment pourrai-je être à vous si vous n'êtes pas libre, au-dedans et au-dehors, de toute volonté propre ?
Plus vous vous hâterez d'accomplir ce renoncement, plus vous aurez de paix; et plus il sera parfait et sincère, plus vous me serez agréable et plus vous obtiendrez de moi.
4.Il y en a qui renoncent à eux-mêmes, mais avec quelque réserve, et parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore s'occuper de ce qui les touche.
Quelques-uns offrent tout d'abord; mais, la tentation survenant, ils reprennent ce qu'ils avaient donné, et c'est pourquoi ils ne font presque aucun progrès dans la vertu.
Ni les uns ni les autres ne parviendront jamais à la vraie liberté d'un coeur pur, jamais ils ne seront admis à ma douce familiarité qu'après un entier abandon et un continuel sacrifice d'eux-mêmes, sans lequel on ne peut ni jouir de moi, ni s'unir à moi.
5.Je vous l'ai dit bien des fois et je vous le redis encore: Quittez-vous, renoncez à vous, et vous jouirez d'une grande paix intérieure.
Donnez tout pour trouver tout; ne recherchez, ne demandez rien, demeurez fortement attaché à moi seul, et vous me posséderez.
Votre coeur sera libre et dégagé des ténèbres qui l'obscurcissent.
Que vos efforts, vos prières, vos désirs n'aient qu'un seul objet: d'être dépouillé de tout intérêt propre, de suivre nu Jésus-Christ nu, de mourir à vous-même, afin de vivre pour moi éternellement.
Alors s'évanouiront toutes les pensées vaines, les pénibles inquiétudes, les soins superflus.
Alors aussi s'éloigneront de vous les craintes excessives, et l'amour déréglé mourra en vous.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 37
Vous l'avez dit, ô mon Jésus: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive; et encore: Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple. Il n'y a donc point à hésiter; il faut choisir entre le monde et vous; on ne saurait servir deux maîtres et vous ne voulez point de partage.
Se rechercher, c'est s'éloigner de vous. Là où il reste encore quelque attache aux choses de la terre, quelque volonté propre, quelque secrète complaisance dans les dons, soit de la nature, soit de la grâce, vous ne régnez pas pleinement, Seigneur, et votre amour est en souffrance. Hélas ! comment peut-on, après avoir goûté la joie de votre union, refuser de s'unir plus intimement à vous ? O faiblesse et folie incompréhensible du coeur humain ! Est-il donc, ô mon Dieu, si difficile de reconnaître le néant de tout ce qui n'est pas vous, l'incertitude de nos projets, la vanité de nos désirs, et de laisser là je ne sais quels biens stériles et misérables, une heure avant que la mort nous en dépouille sans retour ? Quelles seront nos pensées à ce moment où toutes les illusions s'évanouissent ? Que nous feront les choses du temps, lorsque le temps finira pour nous ?
C'en est fait, Seigneur, je suis résolu à consommer le sacrifice que vous exigez de ceux qui veulent vous appartenir. Qu'on ne me parle plus du monde ni de moi-même: j'ai rompu mes derniers liens: je suis mort, je ne vis désormais que de la vie de Jésus-Christ en moi; ce corps est comme le suaire qui m'enveloppe; me voilà étendu dans le tombeau, enseveli avec Jésus-Christ en Dieu.
Amen, qu'il soit ainsi ! 36. Contre les vains jugements des hommes
1.Jésus-Christ: Mon fils, ne cherchez qu'en Dieu le repos de votre coeur, et ne craignez point les jugements des hommes quand votre conscience vous rend témoignage de votre innocence et de votre piété.
Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi; et ce ne sera point chose pénible pour le coeur humble qui se confie en Dieu plus qu'en lui-même.
On parle tant qu'on doit ajouter peu de foi à ce qui se dit.
Comment, d'ailleurs, contenter tout le monde ? cela ne se peut.
Bien que Paul s'efforçât de plaire à tous dans le Seigneur, et qu'il se fît tout à tous, il ne laissait pas d'être fort indifférent aux jugements des hommes.
2.Il a fait tout ce qui était en lui pour l'édification et le salut des autres; car il n'a pu empêcher qu'ils ne l'aient quelquefois condamné ou méprisé.
C'est pourquoi il a remis tout à Dieu, qui connaît tout, et il n'a opposé que l'humilité et la patience aux reproches injustes, aux faux soupçons et aux mensonges de ceux qui se livraient dans leurs discours à tout ce que leur suggérait la passion.
Il s'est cependant justifié quelquefois, de peur que son silence ne causât du scandale aux faibles.
3.Qu'avez-vous à craindre d'un homme mortel ? Il est aujourd'hui, et demain il aura disparu.
Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes.
Que peut contre vous un homme par des paroles et des outrages ? Il se nuit plus qu'à vous et, quel qu'il soit, il n'évitera pas le jugement de Dieu.
Ayez Dieu toujours présent et laissez là les contestations et les plaintes.
Que si vous paraissez succomber maintenant et souffrir une confusion que vous ne méritez pas, n'en murmurez point et ne diminuez pas votre couronne par votre impatience.
Levez plutôt vos regards au ciel, vers moi qui suis assez puissant pour vous délivrer de l'opprobre et de l'injure, et pour rendre à chacun selon ses oeuvres.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 36
Pourquoi vous inquiéter des jugements des hommes, et que vous font leurs vaines pensées ? ils ne voient tout au plus que les dehors; leur oeil ne pénètre point au fond de l'âme, là où sont cachés le bien et le mal. Ne vous affligez donc point s'ils vous condamnent, et ne vous élevez point s'ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et dites-lui: Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquités, qui soutiendra votre regard ?
Quelques-uns s'exagèrent l'importance de ce qu'ils appellent leur réputation, et dans l'excessive chaleur avec laquelle ils la défendent, il y a souvent plus d'amour-propre que de zèle véritable. Jésus-Christ, chargé d'outrages, nous a donné un autre exemple, il s'est tu et n'a point ouvert la bouche. Tous les saints ont été comme lui persécutés et calomniés. Quand on a fait ce qui dépendait de soi pour ne pas scandaliser ses frères, la conscience doit être tranquille: il ne reste plus qu'à demeurer en paix dans l'humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit.
J'estime, écrivait saint Paul aux Corinthiens, j'estime que ce m'est peu de choses d'être jugé par vous, ou par aucun tribunal humain, je ne me juge pas moi-même: celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne jugez donc point avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne: il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, il manifestera les conseils des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mérite. 35. Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation
1.Jésus-Christ: Mon fils, vous n'aurez jamais de sécurité dans cette vie, mais tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours nécessaires.
Vous êtes environné d'ennemis: ils vous attaquent à droite et à gauche.
Si vous ne vous couvrez donc de tous côtés du bouclier de la patience, vous ne serez pas longtemps sans blessures.
Si de plus votre coeur ne se fixe pas irrévocablement en moi, avec la ferme volonté de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez jamais la violence de ce combat, et vous n'obtiendrez point la palme des bienheureux.
Il faut donc passer à travers tous les obstacles et lever un bras tout-puissant contre tout ce qui s'oppose à vous.
Car la manne est donnée aux victorieux, et une grande misère est le partage du lâche.
2.Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au repos éternel ?
Ne vous préparez pas à beaucoup de repos, mais à beaucoup de patience.
Cherchez la véritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non dans les hommes ni dans aucune créature, mais en Dieu seul.
Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu: les travaux, les douleurs, les tentations, les persécutions, les angoisses, les besoins, les infirmités, les injures, les médisances, les reproches, les humiliations, les affronts, les corrections, le mépris.
C'est là ce qui exerce à la vertu, ce qui éprouve le nouveau soldat de Jésus-Christ, ce qui forme la couronne céleste.
Pour un court travail, je donnerai une récompense éternelle, et une gloire infinie pour une humiliation passagère.
3.Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre désir, les consolations spirituelles ?
Mes saints n'en ont pas joui constamment, mais ils ont eu beaucoup de peines, des tentations diverses, de grandes désolations.
Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils se sont soutenus par la patience au milieu de toutes ces épreuves, sachant que les souffrances du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en être le prix.
Voulez-vous avoir dès le premier moment ce que tant d'autres ont à peine obtenu après beaucoup de larmes et d'immenses travaux ?
Attendez le Seigneur, combattez avec courage, soyez ferme, ne craignez point, ne reculez point, mais exposez généreusement votre vie pour la gloire de Dieu.
Je vous récompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos tribulations.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 35
Gardez-vous d'attendre ici-bas un repos qui n'y est point; on ne peut gagner le ciel qu'avec beaucoup de travail, et pendant que vous serez sur la terre, vous aurez toujours à combattre. Ne vous lassez donc point; renouvelez en vous l'esprit intérieur; recourez à Dieu, qui seul vous soutient; humiliez-vous en sa présence; veillez et priez afin que vous n'entriez point en tentation; je vous le répète, veillez et priez continuellement; demeurez ferme dans la foi, agissez avec courage, et soyez forts.
Il y en a qui, après avoir lutté généreusement, fléchissent tout à coup, tombent dans l'abattement, et abandonnent lâchement la victoire: et c'est qu'ayant compté sur eux-mêmes, Dieu les délaisse en punition de leur orgueil. Il ne suffit pas de résister un jour, deux jours: il faut combattre sans relâche jusqu'au bout. Qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. Et ne dites point: Cette guerre est bien longue ! Rien n'est long de ce qui finit: vous touchez au terme; car le temps est court, et la figure de ce monde passe.
Encore un moment, dit le Sauveur, et le monde ne me verra plus; mais vous me verrez, parce que je vis, et que vous vivez en moi. Et l'esprit et l'époux disent: Venez. Et que celui qui entend, dise: Venez. Voilà que je viens. Ainsi soit-il. Venez, Seigneur Jésus. 34. Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes choses, quand on l'aime véritablement.
1.Le fidèle: Voilà mon Dieu et mon tout ! Que voudrai-je de plus ? et quelle plus grande félicité puis-je désirer ?
Ô ravissante parole ! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le monde, ni rien de ce qui est du monde.
Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire à qui l'entend, et le redire sans cesse est doux à celui qui aime.
Vous présent, tout est délectable; en votre absence, tout devient amer.
Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie inénarrable.
Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire, rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de douceur sans l'impression de votre grâce et l'onction de votre sagesse.
2.Que ne goûtera point celui qui vous goûte, et que trouvera d'agréable celui qui ne vous goûte point ?
Les sages du monde, qui n'ont de goût que pour les voluptés de la chair, s'évanouissent dans leur sagesse, car on ne trouve là qu'un vide immense, que la mort.
Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la chair, se montrent vraiment sages, car ils quittent le mensonge pour la vérité, et la chair pour l'esprit.
Ceux-là savent goûter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur.
Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de la créature, du temps et de l'éternité, de la lumière incréée et de celle qui n'en est qu'un faible reflet.
3.Ô lumière éternelle ! infiniment élevée au-dessus de toute lumière créée, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et pénètre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur.
Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, pour qu'elle s'unisse à vous dans des transports de joie.
Oh ! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me rassasierez de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses ?
Jusque-là je n'aurai point de joie parfaite.
Hélas ! le vieil homme vit encore en moi: il n'est pas tout crucifié, il n'est pas mort entièrement.
Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite en moi des guerres intestines et ne souffre point que l'âme règne en paix.
4.Mais vous qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots, levez-vous, secourez-moi.
Dissipez les nations qui veulent la guerre, et brisez-les dans votre puissance.
Faites, je vous en conjure, éclater vos merveilles, et signalez la force de votre bras, car je n'ai point d'autre espérance ni d'autre refuge que vous, ô mon Dieu !
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 34
Il est étrange que, connaissant Dieu, toute notre âme ne soit pas absorbée dans son amour; qu'elle s'arrête encore aux créatures, au lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien. Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'amour ? et qu'est-ce que le bonheur infini, sinon un amour sans bornes ? il faut donc à notre coeur un objet infini, il faut Dieu. Rien de créé ne saurait le satisfaire jamais.
Que me veut le monde ? qu'ai-je besoin de lui ? que peut-il me donner ? mon coeur est plus grand que tous ses biens, et Dieu seul est plus grand que mon coeur. Dieu seul donc, Dieu seul maintenant et toujours, éternellement Dieu seul. 33. De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin
1.Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous; maintenant vous êtes affecté d'une certaine manière, vous le serez d'une autre le moment d'après.
Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous; tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède; tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger.
Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'élève au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu'il éprouve en soi, ni de quel côté l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrête toute son attention sur la fin bienheureuse à laquelle il doit tendre.
C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même.
2.Plus l'oeil de l'âme est pur et son intention droite, moins on est agité par les tempêtes.
Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers chaque objet agréable qui se présente.
Car il est rare de trouver quelqu'un tout à fait exempt de la honteuse recherche de soi-même.
Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, non pour Jésus seul, mais pour voir Lazare.
Il faut donc [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] l'intention afin que, simple et droite, elle se dirige constamment vers moi, sans s'arrêter jamais aux objets inférieurs.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 33
L'esprit de l'homme va et vient sans se reposer jamais, et le coeur est emporté par la même inconstance. Or ces changements qui surviennent en nous, quelquefois malgré nous, sont ou des tentations, que l'on doit combattre, ou des misères qu'il faut supporter, ou des épreuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c'est pourquoi il est nécessaire de travailler sans relâche à [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] notre volonté, qui seule dépend de nous, autrement nous succomberons bien vite ou dans le péché, ou dans le trouble, ou dans les deux à la fois.
Celui qui veut sincèrement être à Dieu et n'être qu'à lui, ne craint pas les attaques de l'enfer, parce qu'il sait qu'il est invincible en Celui qui le fortifie. Il ne s'irrite point contre lui-même, il voit en paix ses infirmités, il s'en glorifie comme l'Apôtre, parce qu'elles perfectionnent la vertu, et ajoutent au prix de la victoire. Que si Dieu l'éprouve, il s'humilie, il se reconnaît indigne de ses consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est présentée. Tranquille sur cette croix, dans la tristesse, dans la souffrance et l'abandonnement, il n'a que cette parole, et elle lui suffit: J'ai espéré en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement. 32. De l'abnégation de soi-même
1.Jésus-Christ: Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une liberté parfaite si vous ne vous renoncez entièrement.
Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment et qui veulent être à eux-mêmes. On les voit avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce qui flatte leurs sens et non ce qui me plaît, se repaître d'illusions et former mille projets qui se dissipent.
Car tout ce qui ne vient pas de Dieu périra.
Retenez bien cette courte et profonde parole: Quittez tout, et vous trouverez tout. Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos.
Méditez ce précepte, et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout.
2.Le fidèle: Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants; cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse.
3.Jésus-Christ: Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage lorsqu'on vous montre la voix des parfaits, mais plutôt vous efforcer de parvenir à cet état sublime, ou au moins y aspirer de tous vos désirs.
Ah ! s'il en était ainsi de vous ! si vous en étiez venu jusqu'à ne plus vous aimer vous-même, soumis à moi sans réserve, et au supérieur que je vous ai donné, alors j'arrêterais sur vous mes regards avec complaisance et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la joie.
Il vous reste encore bien des choses à quitter, et à moins que vous n'y renonciez entièrement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous demandez.
Ecoutez mes conseils et, pour acquérir de vraies richesses, achetez de moi l'or éprouvé par le feu, c'est-à-dire la sagesse céleste qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas.
Qu'elle vous soit plus chère que la sagesse du siècle et que tout ce qui plaît aux hommes ou nous plaît en nous-mêmes.
4.Je vous le dis: échangez ce qu'il y a de grand et de précieux dans les choses humaines contre une chose vile.
Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entièrement cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'élève point en elle-même et qui ne cherche point à être admirée sur la terre. Plusieurs ont ses louanges à la bouche: mais ils s'éloignent d'elle par leur vie. C'est cependant cette perle précieuse qui est cachée au plus grand nombre.
Réflexion de Lamennais - Livre 3, Chapitre 32
Qu'est-ce que l'homme livré à lui-même, à son esprit dépourvu de règle, à ses désirs, à ses penchants ? esclave des erreurs diverses qui le séduisent tour à tour, esclave de ses convoitises et des objets de ses convoitises, est-il une servitude plus profonde que la sienne ? Et voilà, ô mon Dieu ! l'état de toute créature qui refuse de se soumettre entièrement à vous.
Pour être libre, il faut obéir. La parfaite liberté n'est que l'accomplissement parfait des préceptes et des conseils évangéliques, et tous les préceptes et tous les conseils se réduisent au renoncement de soi-même: car, en renonçant à sa raison propre, on possède dans sa plénitude et sans aucun mélange la vérité de Dieu; en renonçant à l'amour de soi, corrompu en Adam, l'amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, lequel est le sommaire de la loi, demeure seul au fond du coeur; en renonçant à sa volonté, l'on n'agit plus que d'après la volonté de Dieu, qui est l'ordre par excellence.
Et l'homme alors est libre comme Dieu même, dont il devient la fidèle image; il est libre, car cette abnégation absolue de lui-même l'affranchit du double esclavage de l'erreur et des passions. Nous avons été dit saint Paul, délivrés par Jésus-Christ, et appelés par lui à la liberté, c'est-à-dire à la connaissance de la loi évangélique, loi parfaite de liberté, qui, après avoir délivré ceux qui s'y attachent fidèlement de la servitude de la corruption, les conduit enfin à la liberté de la gloire promise aux enfants de Dieu. Traduction de Lamennais