Les fous de dieu. "Le djihad prêche la conquète ; la croisade, la reconquète"Trois questions à Jean Flori, historien médiéviste, spécialiste des relations entre chrétienté et islam, auteur de
Guerre sainte, jihad, croisade (Seuil, 2002)
Qui a inventé le concept de guerre sainte ?Le judaïsme et l’islam sont des sociétés théocratiques dans lesquelles on admet que Dieu peut ordonner à ses fidèles de faire la guerre, et récompenser de la couronne du martyre ceux qui perdent la vie en combattant. C’est manifeste dans l’islam, puisque le Prophète est à la fois porte-parole de la Révélation divine, chef d’État et chef de guerre. Au contraire, dans le christianisme des origines, les premiers chrétiens, à l’imitation de Jésus de Nazareth, rejetaient l’usage des armes, fût-ce pour se défendre, préférant périr par les armes que de s’en servir. La notion de guerre sainte, dans leur cas, n’a évidemment aucun sens. Ce concept apparaît dans l’Occident catholique romain lorsque se crée une forme inédite de théocratie grâce à la collusion du pouvoir civil (l’empereur) et du pouvoir religieux (le pape). Cette évolution se poursuit seulement là, au prix d’une révolution doctrinale qui aboutit à la croisade : la guerre ordonnée par le pape au nom de Dieu sanctifie ceux qui meurent au combat, mais aussi ceux qui tuent les « infidèles ».
Qu’est-ce qui distingue la guerre sainte chrétienne du djihad ?En 1095, lorsque le pape prêche la croisade, on peut dire que la guerre sainte, dans la chrétienté latine, a rejoint le djihad musulman. Il n’en va pas de même dans les Églises orientales, bien plus anciennes. Lors des invasions musulmanes (au début du VIIe siècle), ces Églises admettent bien que les chrétiens se défendent par les armes, mais refusent d’accorder la couronne des martyrs à ceux qui meurent au combat. Sans vouloir justifier la croisade occidentale et ses monstruosités, on peut relever quelques différences entre croisade et djihad. Le djihad prêche la conquête ; la croisade, la reconquête de territoires massivement chrétiens. Le but de la croisade est de libérer Jérusalem, premier des lieux saints du christianisme, et seulement troisième des lieux saints de l’islam. À l’époque où le pèlerinage prend dans la spiritualité une place grandissante, le « scandale » de l’occupation de Jérusalem par les musulmans était comparable à celui qu’aurait eu, pour ceux-ci, l’occupation de La Mecque par les « infidèles ».
La réelle motivation de ce type de conflit n’est-elle pas plutôt de nature politique ?Pour nos esprits sécularisés, la motivation la plus plausible des conflits de ce genre est d’ordre économique ou politique. Et il est vrai, par ailleurs, qu’il y avait une dimension politique dans la croisade comme dans le djihad. Toutefois, dans les mentalités des masses populaires, particulièrement dans les pays musulmans du Proche-Orient, la dimension religieuse demeure primordiale.
Cette dimension, que nous jugeons « médiévale », rendait depuis toujours très précaire la situation des chrétiens orientaux, Araméens, Chaldéens, populations autochtones dont la présence en ces lieux est bien antérieures aux conquêtes musulmanes. Seule leur religion fait d’eux « des hommes en trop », selon l’expression de l’essayiste Jean-François Colosimo ; des populations isolées dans un environnement devenu totalement musulman, vouées à disparaître. Les monstrueuses exactions des djihadistes actuels ne font qu’accélérer leur massacre programmé, dans l’indifférence générale.
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