PSEUDO-SÉBÉOS, TEXTE ARMÉNIEN
TRADUIT ET ANNOTÉ PAR FRÉDÉRIC MACLER.
Le texte de Sébéos, dans les deux éditions qui en ont été données, a été divisé en trois parties d'inégale longueur et d'inégale importance. La première partie fut traduite par Langlois sous le nom de Pseudo-Agathange. Il y attachait de l'importance, surtout à cause des renseignements inédits que fournissait une source y indiquée, Marabas, et qui ne concordaient pas avec ceux donnés par Moïse de Khoren. La troisième partie, qui constitue à elle seule l'œuvre de Sébéos, évêque de la satrapie des Mamikoniens, a été traduite et annotée par nous dans le courant de l'année dernière.
Reste la deuxième partie, mise, dans les éditions, sous le couvert de Sébéos, et qui peut à la rigueur être de lui. Nous y reviendrons dans un instant.
L'importance de l'œuvre historique de Sébéos, dès sa publication, n'avait échappé à personne. Déjà, en 1862, un orientaliste dont le nom est demeuré assez inconnu, annonçait en ces termes la publication d'une chronique, publication qui devait être entourée de grands mystères, puisque l'auteur n'osait pas donner le nom du chroniqueur, mais dont la description nous semble bien répondre au signalement de l'œuvre de Sébéos : « . . . et très prochainement nous publierons une chronique arménienne inédite d'après un manuscrit qui a été copié sur l'original unique existant à la bibliothèque d'Etchmiadzin. Cet ouvrage est d'un grand intérêt et s'il ne peut être mis, pour le style, sur le même rang que celui de Moïse de Khoren, il lui cède peu du moins pour l'ancienneté et les notions historiques. Cet auteur est du commencement du viie siècle, il est précieux surtout pour les renseignements qu'il donne sur les événements de son temps... » Et quelques lignes plus bas, l'éditeur du Journal asiatique de Constantinople ajoutait : « C'est pour donner un commencement à ce projet que nous allons publier l'ouvrage historique précité; il est un des plus anciens; il est inédit, il sera comme le prodrome de cette collection, et, si nous trouvons de l'encouragement pour ce projet, nous nous mettrons à l'œuvre avec ardeur. »
Il faut croire que l'encouragement désiré fit défaut à Gayol, car il ne donna pas suite à son projet et la chronique annoncée ne vit pas le jour. Il s'agissait, à n'en pas douter, de l'œuvre de Sébéos.
Dans la première édition de Sébéos, donnée à Constantinople en 1851 par Thaddée Mihrtad Mihrtadiantz, le titre : Histoire d'Héraclius par l'évêque Sébéos figure en tête de l'ouvrage et de la première partie (le Pseudo-Agathange de Langlois). Ce titre est reproduit avec une variante en tête de la deuxième partie (notre Pseudo-Sébéos), p. 27 : Histoire de Sébéos évêque ; puis vient le sommaire et la mention de la deuxième partie. Enfin, p. 45, le même titre écourté : Histoire de Sébéos évêque, suivi du sommaire et de la mention : Troisième partie.
Dans l'édition donnée par Patkanian en 1879 à Saint-Pétersbourg, il en va autrement. En tête de l'ouvrage (p. 1) se trouve la mention : Première partie. De même, p. 11, la mention : Deuxième partie. Le titre d'Histoire d'Héraclius par l'évêque Sébéos n'est donné qu'au commencement de la troisième partie. Ceci prouve que Patkanian avait de forts doutes sur l'authenticité de la deuxième partie de l'histoire de Sébéos.
Il en était de même de Brosset, pour qui la deuxième partie du livre imprimé sous son nom [Sébéos] n'est évidemment pas de lui, ou plutôt c'est l'œuvre d'un écrivain très postérieur au viie siècle. Ainsi nous n'avons pas à discuter son témoignage, où se trouve d'ailleurs une erreur manifeste, la 2e année d'Honorius, qui serait l'an 397 de J.-C., fixée comme date de l'extinction des Arsacides» Il n'était du reste pas nécessaire de relever cette erreur chronologique pour mettre en doute l'authenticité de notre deuxième partie. Elle est en effet précédée d'un sommaire où l'on donne comme sources Moïse de Khoren et Etienne de Taron. Or ce dernier écrivain retrace les événements de son temps jusqu'en l'an 1004; il ne saurait donc avoir servi de source à un historien du viie siècle.
La difficulté n'avait pas échappé à Mihrtadiantz, le premier éditeur de Sébéos. Dans son introduction, il donne quelques renseignements sur la découverte du ou plutôt des manuscrits qui renfermaient le texte de Sébéos. Il en mentionne un premier, dans lequel ne figurait pas la préface; il était écrit en bolorgir, sur papier de coton, et paraissait être du xvie siècle. Au milieu, il y avait une prière de saint Jacques de Mdzbin pour le moment de la mort. A la fin, il y avait : « fut écrit . . . en l'an 1017 [de l’ère arménienne]... au couvent de Marmasên . . . par la main . . . du père Yusik... etc. » Et le titre était : « Histoire de Sébéos sur Héraclius. »
L'autre manuscrit qui servit à Mihrtadiantz pour établir son texte fut écrit en l'an 1121 de l'ère arménienne à Balês (Bitlis), dans le couvent de saint Jean Karapet. Au commencement, la mention : « De Sébéos évêque, sur Héraclius » et Mihrtadiantz ajouta, pour compléter le titre : Histoire (patmuthiun). Puis il en arrive à expliquer comment Etienne de Taron peut servir de source à Sébéos : On ne connaît qu'un Etienne de Taron, surnommé Asolik; il est du commencement du xie siècle. Qui est alors le Taronatsi mentionné dans le sommaire de Pseudo-Sébéos? Si c'est Asolik, Sébéos ne peut pas être du viie siècle; il serait au plus tôt du xiie. Mais ce n'est pas possible, puisqu'il raconte, en témoin oculaire, ce qui s'est passé au viie siècle. Mihrtadiantz se tire d'affaire en supposant qu'il y a deux Etienne de Taron, l'un surnommé Asolik, du xie siècle, celui que nous connaissons par son Histoire universelle; l'autre, parfaitement inconnu jusqu'à présent, aurait servi de source à Pseudo-Sébéos et serait donc antérieur au viie siècle; mais cette solution ne parait pas satisfaisante à Mihrtadiantz, et il propose encore de voir dans Sébéos et dans le premier Etienne de Taron un seul et même personnage.
La deuxième partie de Sébéos, que nous dénommerons dès maintenant Pseudo-Sébéos, est précédée d'un sommaire où l'on mentionne Moïse de Khoren et Etienne de Taron comme sources véridiques et dignes de foi. Si le renseignement est exact, Pseudo-Sébéos serait donc un auteur du xie ou du xiie siècle, et son œuvre serait à rapprocher du genre de χρονογραφειον συντομον dont Schoene a donné des exemples dans son édition de la Chronique d'Eusèbe; ce serait simplement une compilation des deux auteurs précités, comme l'a déjà fait observer Baumgartner. C'est possible. Mais il est à remarquer que les sommaires placés en tête des chapitres font défaut dans le manuscrit de l'Académie [de Saint-Pétersbourg?].Si l'on fait abstraction du sommaire, Pseudo-Sébéos ne cite qu'une source, à laquelle il a puisé quelques renseignements : l'histoire ecclésiastique de Socrate.
Il ne faut pas perdre de vue que Pseudo-Sébéos ne poursuit pas sa Chronographie jusqu'au xi' siècle. s'arrête exactement à l'endroit où s'achève l'ouvrage de Sébéos, c'est-à-dire à la chute des Sassanides et à la conquête des Arabes dans la Syrie septentrionale. D'autre part, les rapprochements littéraires, les membres de phrase identiques ne manquent pas chez Pseudo-Sébéos, qui se retrouvent les mêmes chez Etienne de Taron. Serait-ce alors ce dernier qui copierait Pseudo-Sébéos, et un copiste postérieur, frappé de cette quasi-identité et croyant vraiment que Pseudo-Sébéos est l'œuvre de Sébéos, aurait-il ajouté le sommaire en question ?
Jusqu'à preuve plus convaincante, la discussion reste encore ouverte, bien que nous penchions à dater Pseudo-Sébéos du viie siècle, c'est-à-dire de l'époque à laquelle s'arrête son récit.
Pseudo-Sébéos est renfermé dans les pages 11-21 de l'édition de Sébéos donnée par Patkanian. Il se compose de quatre parties distinctes : 1° une liste des Arsacides de Perse; 2° un document sur l'origine des Mamikoniens, que l’on peut à la rigueur considérer comme une intercalation ; 3° le synchronisme des Sassanides, des rois d'Arménie et des empereurs de Byzance, jusqu'à la fin du royaume d'Arménie; 4° le synchronisme des rois de Perse et des empereurs de Byzance, jusqu'à la chute des Sassanides. On remarquera la ressemblance de certaines données de ce document avec la fin de la première partie (Pseudo-Agathange de Langlois); le fragment extrait du livre de Mar Abas dans Pseudo-Agathange (Sébéos, éd. Patkan., p. 9, l. 28 et suiv.) s'arrête vraisemblablement avant la liste des Arsacides; on aura complété plus tard, d'une manière assez fantaisiste, la liste des Arsacides de Perse, en la faisant suivre d'une liste des rois arsacides d'Arménie.
La partie la plus importante de Pseudo-Sébéos est le triple synchronisme des Sassanides, des rois d'Arménie et des empereurs de Byzance ; nous croyons utile de dresser dans un tableau placé à la fin de cet article les données fournies par ce document, jusqu'à présent utilisable par les seuls arménisants.
La dernière partie de Pseudo-Sébéos donne le synchronisme des rois de Perse et des empereurs byzantins, jusqu'à la chute des Sassanides. Il serait dès lors loisible de dresser un tableau dans le genre de celui mentionné ci-dessus. Nous ne l'avons pas fait, pour ne pas abuser de la place qui nous est accordée dans les colonnes de ce Journal.
Avec ses variantes, le texte de Pseudo-Sébéos apparaît comme une petite chronique (χρονογραφειον) dont les divergences avec les textes similaires sont plus apparentes que réelles. Il en est de l'arménien comme du syriaque et des autres langues, où les lettres de l'alphabet servent également de chiffres ; une lettre mal lue, un moment d'inattention du copiste peuvent produire des écarts de plusieurs années. La faute d'un scribe n'infirme en rien l'importance du document transmis par lui aux âges suivants.