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Les Judéo-Nazaréens et l'islam
Les judéo-nazaréens
Une force sans laquelle l’islam n’aurait pas pu naître, la secte des judéo-nazaréens. Leur existence, très mal connue jusqu’à ces dernières années, a été mise en valeur par Ray A. Pritz dans son étude Nazarene Jewish Christianity…
Rappelons que c’est ce chercheur qui les a baptisés « judéo-nazaréens » pour éviter les ambiguïtés du vocable « nazaréens » sous lequel ils étaient connus jusqu’ici. Il s’agit d’une déviation des chrétiens d’origine juive appartenant à la communauté du premier évêque de Jérusalem, Jacques (l’apôtre Jacques le Mineur ou le « frère de Jésus » Jacques le Juste ? La question est pendante), mort martyr en 62 après J.-C. Ces judéo-nazaréens (avec É.-M. Gallez, adoptons cette dénomination qui, à défaut d’être reconnue par tous les islamisants, a le mérite d’être claire) croient que Jésus n’est pas mort, (il y aurait eu une substitution), mais qu’il est gardé en réserve au ciel dans une perspective politique de conquête du monde.
Parmi les écrits qui expriment cette idéologie politico-religieuse, il faut détacher le Deuxième livre de Baruch ou Livre syriaque de Baruch, un apocryphe datant des années 80 après J.-C. . Tout en prônant l’observation scrupuleuse de la Loi dans le présent, ce texte annonce pour l’avenir un monde nouveau et bien concret, qui viendra sur la terre après les douze époques de cette vallée de larmes.
Alors, le Messie, qui est comparé à une vigne et à une source d’eau vive, régnera sur le monde entier, tandis que Jérusalem sera rebâtie. Ce n’est qu’au terme du règne messianique qu’aura lieu la résurrection des corps : « C’est pour toute la terre que cela arrivera. […]
Dès que sera accompli ce qui doit arriver dans ces parties [du temps], le Messie commencera de se révéler ». Il y a dans ces textes, « une vision dialectique du monde », selon l’expression d’É.-M. Gallez. En effet, les judéo-nazaréens se distinguent de façon polémique des judéo-chrétiens (les chrétiens de Palestine) et des juifs orthodoxes.
Ne reconnaissant que leur seul Évangile, copié de celui de Matthieu, à l’exclusion des autres, ils reprochent aux chrétiens d’avoir contaminé de paganisme la pure tradition juive, le Messie-Jésus ne devant pas être « mêlé » à Dieu.
Aux juifs, ils ne pardonnent pas la lapidation de Jacques le Juste, la non reconnaissance du Messie, et surtout l’introduction, dans le corpus des livres sacrés, de la Mishna et des Talmudin, qui donnent une fausse interprétation de la Torah. Ils se considèrent donc comme les représentants de la vérité entre deux erreurs opposées.
Les judéo-nazaréens étaient coupés du monde religieux juif et chrétien.
La plupart des exégètes sont incapables de les définir clairement. C’est le cas par exemple de "saint Jérôme" qui, en 404, écrit à saint Augustin à leur propos : « Tandis qu’ils veulent tout ensemble être juifs et chrétiens, [ces hérétiques] ne sont ni juifs ni chrétiens. »
En réalité, ils voulaient fortement se distinguer des uns et des autres ! Aussi bien, le petit nombre de documents que nous possédons sur cette secte ne signifie aucunement qu’elle ait cessé d’exister et de prospérer avant le IVe siècle, ni même bien au-delà, contrairement à l’opinion de Ray A. Pritz. En effet, celui-ci ignore un témoignage capital qui n’a pas échappé à un autre chercheur, Simon-Claude Mimouni , à savoir celui du pèlerin anonyme de Plaisance qui, vers 570, visita la Palestine. Il fait état d’une communauté d’Hébreux qui ne s’entendaient pas avec les chrétiens, mais qui n’étaient pas non plus des juifs talmudistes. Il ne pouvait s’agir que de judéo-nazaréens, analyse É.-M. Gallez, qui donne d’autres preuves épigraphiques se trouvant en particulier dans des villages ruinés du plateau du Golan.
Mais le texte capital qui nous fournit la preuve que, au VIIe siècle, les judéo-nazaréens n’avaient nullement disparu, c’est… le Coran lui-même, aussi curieux que cela puisse paraître.
A condition, bien sûr, d’étudier ce Coran non avec les lunettes roses de la légende musulmane, mais avec les outils de l’analyse historique et théologique, comme É.-M. Gallez. En effet, le Coran que nous connaissons mentionne un « coran » auquel il se réfère, et cela soixante-cinq fois.
Comme il ne peut pas se référer à lui-même, il s’agit bien d’un autre texte. Quel est-il ? Pour répondre à la question, il faut faire appel à l’étymologie. Le mot quran vient de qara , verbe hébreu signifiant crier, lire ou réciter en public. C’est également le sens du syriaque qorono qui désignait un florilège chrétien d’extraits bibliques destiné à la lecture publique, appelé aussi « lectionnaire ». Cela s’applique parfaitement à l’usage que les musulmans firent du Coran élaboré par les califes à partir du VIIIe siècle, qui servait à des lectures journalières.
Mais de quel lectionnaire s’agit-il dans les sourates qui parlent du « coran » ? La S. 3, 113 fait allusion à « une communauté debout (umma) [qui] récite les versets de Dieu durant la nuit et ils se prosternent ». Ce n’est évidemment pas la communauté naissante des musulmans, mais une autre, qui est désignée ailleurs (S. 5, 66) : « Parmi eux [les Juifs] il y a une communauté qui va sans dévier ». Cette communauté qui, selon une tradition biblique ancienne, se lève la nuit pour réciter des psaumes, est évidemment celle de l’auteur qui, n’étant pas un Juif orthodoxe (ceux-ci constituent l’autre communauté, qui « dévie »), ne peut que faire partie du groupe judéo-nazaréen qui nous occupe. Des citations de nombreuses autres sourates viennent apporter des arguments supplémentaires à cette analyse d’É.-M. Gallez.
Ainsi, nous avons la preuve que les judéo-nazaréens n’avaient pas du tout disparu au début du VIIe siècle, puisque leur lectionnaire, avec le Pentateuque (torah) et l’Évangile (celui de Matthieu, injil) se retrouve mentionné dans l’actuel Coran.
A partir de ce moment, nous avons une « grille » qui va nous faire avancer dans l’explication des événements qui se sont produits dans la première moitié du VIIe siècle. Cette découverte d’Édouard-Marie Gallez va lui permettre de bâtir une hypothèse scientifique qui « colle » à la réalité géographique et historique.
https://www.dominicainsavrille.fr/le-mystere-des-origines-de-lislam-enfin-eclairci/.