Tyr et l’impôt du Temple de Jérusalem
Pour plusieurs lecteurs de la Bible, le lien entre la ville phénicienne et le Temple est illustré par les passages où le roi Hiram fournit des matériaux et des ouvriers à Salomon pour la construction du Temple de Jérusalem (1 R 5,15-32 et 2 Ch 2). Une autre relation entre cette ville et le Temple repose sur la taxe qui a permis la restauration et l’entretien du sanctuaire au tournant de notre ère.
Un peu d’histoire
Le Temple de Salomon a été détruit en 587 avant notre ère par les troupes babyloniennes de Nabuchodonosor. Il a été reconstruit au retour de l’exil et était pleinement fonctionnel dès 515. Mais ce « second » Temple était beaucoup plus modeste que le précédent selon certains passages bibliques (voir Ag 2,3 et Esd 3,12-13).
La nécessité d’une taxe régulière pour l’entretien et le déroulement des activités cultuelles au Temple est difficile à préciser. Elle pourrait remonter à l’époque de Néhémie (Ne 10,33-34) et reposer sur un texte de la Loi (Ex 30,11-16) selon lequel tout homme juif âgé de 20 ans ou plus devait payer annuellement un demi-shekel pour le sanctuaire. Mais puisque la rédaction de ce texte est tardive, plusieurs chercheurs préfèrent repousser l’instauration de cette taxe à l’époque des Maccabées, à la fin du IIe siècle ou même à la fin du Ier siècle. Une chose est certaine, à l’époque d’Hérode le Grand, cette taxe devait être en vigueur car elle était devenue essentielle au financement de son ambitieux projet de restauration et d’agrandissement du Temple. Et cet impôt était payé avec une devise étrangère : le shekel de Tyr.
La monnaie tyrienne
Le shekel et le demi-shekel de Tyr (aussi appelés tetradrachme et didrachme en grec) ont été émis à partir de 126 ou 125 avant notre ère, quand la ville est devenue une cité autonome. Libérée de la domination séleucide, Tyr a été autorisée à frapper ses propres monnaies en argent.
Influencé par les pièces séleucides, on retrouve sur les monnaies tyriennes un aigle sur le revers mais l’inscription exclut toute référence à un roi. On a préféré graver le nom et les titres de la ville : « (de) Tyr la sainte et l’inviolable ». Le chef du panthéon des divinités de la ville, Melkart-Héraclès, remplace le buste royal sur l’avers. Finalement, l’année est inscrite avec une variété de monogrammes dont le sens est souvent difficile à déchiffrer.
Cette description suscite la question suivante : comment les Juifs ont-ils accepté d’utiliser une monnaie étrangère où figure une divinité païenne? Est-ce l’une des raisons qui aurait poussé Jésus à renverser les tables des changeurs (Mc 11,15)?
Avant de répondre à ces questions, il faut d’abord préciser que Jérusalem n’avait pas un statut comparable à celui de la cité phénicienne et qu’elle n’a jamais été autorisée à frapper des monnaies en argent [1]. Les autorités du Temple ont probablement adopté la monnaie tyrienne pour sa pureté et sa stabilité. L’atelier de Tyr était reconnue pour produire des pièces à haute teneur en argent (au moins 90%) et la qualité de sa production étaient contrôlée. Les pièces ont été produites jusqu’en 19 ou 18 de l’ère commune avec des très légères différences au niveau graphique. De plus, Tyr était encore pendant les travaux hérodiens, qui se sont déroulés sur plusieurs décennies, le principal fournisseur des matériaux et de la main-d’œuvre spécialisée nécessaires à la restauration du Temple. Il n’est donc pas étonnant que cette devise ait été adoptée.
La représentation d’un dieu païen ne semble pas avoir posé de problème comme le suggère un passage de la Mishna : la monnaie elle-même n’a rien d’impure mais l’usage qu’on en fait peut conduire à l’impureté (Kelim 12,7).
Jésus devait avoir une opinion semblable par rapport à cette monnaie étrangère et ce n’est probablement pour purifier le Temple qu’il a chassé les marchands et renversé les tables des changeurs [2]. Son geste était prophétique et doit être compris comme un prélude à son annonce de la destruction du Temple (Mc 13,1-4). En d’autres termes, Jésus n’était pas contre le Temple et son geste est en étroite relation avec son annonce du Règne de Dieu [3]. L’arrivée imminente du Règne de Dieu rendait pour lui inutile le prolongement des sacrifices offerts quotidiennement au Temple.
On connait bien la suite de l’histoire. Les autorités religieuses n’ont pas apprécié le geste perçu comme une atteinte à ce qu’elles considéraient probablement comme l’une des pratiques cultuelles essentielles de leur religion. Jésus a été mis à mort et on a continué à offrir dans sacrifices dans le Temple de Jérusalem jusqu’à sa destruction par les Romains en 70 de notre ère. Après cette date, la taxe n’a pas été abolie mais elle a été affectée à une autre finalité : la construction du Capitole, un temple païen érigé en l’honneur de Jupiter à l’emplacement de l’ancien sanctuaire juif.
Pour plusieurs lecteurs de la Bible, le lien entre la ville phénicienne et le Temple est illustré par les passages où le roi Hiram fournit des matériaux et des ouvriers à Salomon pour la construction du Temple de Jérusalem (1 R 5,15-32 et 2 Ch 2). Une autre relation entre cette ville et le Temple repose sur la taxe qui a permis la restauration et l’entretien du sanctuaire au tournant de notre ère.
Un peu d’histoire
Le Temple de Salomon a été détruit en 587 avant notre ère par les troupes babyloniennes de Nabuchodonosor. Il a été reconstruit au retour de l’exil et était pleinement fonctionnel dès 515. Mais ce « second » Temple était beaucoup plus modeste que le précédent selon certains passages bibliques (voir Ag 2,3 et Esd 3,12-13).
La nécessité d’une taxe régulière pour l’entretien et le déroulement des activités cultuelles au Temple est difficile à préciser. Elle pourrait remonter à l’époque de Néhémie (Ne 10,33-34) et reposer sur un texte de la Loi (Ex 30,11-16) selon lequel tout homme juif âgé de 20 ans ou plus devait payer annuellement un demi-shekel pour le sanctuaire. Mais puisque la rédaction de ce texte est tardive, plusieurs chercheurs préfèrent repousser l’instauration de cette taxe à l’époque des Maccabées, à la fin du IIe siècle ou même à la fin du Ier siècle. Une chose est certaine, à l’époque d’Hérode le Grand, cette taxe devait être en vigueur car elle était devenue essentielle au financement de son ambitieux projet de restauration et d’agrandissement du Temple. Et cet impôt était payé avec une devise étrangère : le shekel de Tyr.
La monnaie tyrienne
Le shekel et le demi-shekel de Tyr (aussi appelés tetradrachme et didrachme en grec) ont été émis à partir de 126 ou 125 avant notre ère, quand la ville est devenue une cité autonome. Libérée de la domination séleucide, Tyr a été autorisée à frapper ses propres monnaies en argent.
Shekel de Tyr
Influencé par les pièces séleucides, on retrouve sur les monnaies tyriennes un aigle sur le revers mais l’inscription exclut toute référence à un roi. On a préféré graver le nom et les titres de la ville : « (de) Tyr la sainte et l’inviolable ». Le chef du panthéon des divinités de la ville, Melkart-Héraclès, remplace le buste royal sur l’avers. Finalement, l’année est inscrite avec une variété de monogrammes dont le sens est souvent difficile à déchiffrer.
Cette description suscite la question suivante : comment les Juifs ont-ils accepté d’utiliser une monnaie étrangère où figure une divinité païenne? Est-ce l’une des raisons qui aurait poussé Jésus à renverser les tables des changeurs (Mc 11,15)?
Avant de répondre à ces questions, il faut d’abord préciser que Jérusalem n’avait pas un statut comparable à celui de la cité phénicienne et qu’elle n’a jamais été autorisée à frapper des monnaies en argent [1]. Les autorités du Temple ont probablement adopté la monnaie tyrienne pour sa pureté et sa stabilité. L’atelier de Tyr était reconnue pour produire des pièces à haute teneur en argent (au moins 90%) et la qualité de sa production étaient contrôlée. Les pièces ont été produites jusqu’en 19 ou 18 de l’ère commune avec des très légères différences au niveau graphique. De plus, Tyr était encore pendant les travaux hérodiens, qui se sont déroulés sur plusieurs décennies, le principal fournisseur des matériaux et de la main-d’œuvre spécialisée nécessaires à la restauration du Temple. Il n’est donc pas étonnant que cette devise ait été adoptée.
La représentation d’un dieu païen ne semble pas avoir posé de problème comme le suggère un passage de la Mishna : la monnaie elle-même n’a rien d’impure mais l’usage qu’on en fait peut conduire à l’impureté (Kelim 12,7).
Jésus devait avoir une opinion semblable par rapport à cette monnaie étrangère et ce n’est probablement pour purifier le Temple qu’il a chassé les marchands et renversé les tables des changeurs [2]. Son geste était prophétique et doit être compris comme un prélude à son annonce de la destruction du Temple (Mc 13,1-4). En d’autres termes, Jésus n’était pas contre le Temple et son geste est en étroite relation avec son annonce du Règne de Dieu [3]. L’arrivée imminente du Règne de Dieu rendait pour lui inutile le prolongement des sacrifices offerts quotidiennement au Temple.
On connait bien la suite de l’histoire. Les autorités religieuses n’ont pas apprécié le geste perçu comme une atteinte à ce qu’elles considéraient probablement comme l’une des pratiques cultuelles essentielles de leur religion. Jésus a été mis à mort et on a continué à offrir dans sacrifices dans le Temple de Jérusalem jusqu’à sa destruction par les Romains en 70 de notre ère. Après cette date, la taxe n’a pas été abolie mais elle a été affectée à une autre finalité : la construction du Capitole, un temple païen érigé en l’honneur de Jupiter à l’emplacement de l’ancien sanctuaire juif.
[1] Des shekels juifs ont été frappé pendant la première grande Révolte juive mais pendant une très courte période.
[2] C’est toutefois une interprétation commune du récit de Mc 11,15-19.
[3] Voir Chrystian Boyer, Jésus contre le Temple? Analyse historico-critique des textes, Montréal, Fides (Héritage et projet, 68), 2005, 159 p.