Mémoire
Le génocide méconnu des Assyro-chaldéens sous l’Empire ottoman
Propos recueillis par Matthieu Stricot - publié le 21/05/2015
Le 24 avril dernier a donné lieu à de nombreuses commémorations pour les 100 ans du génocide arménien. Si la Turquie n’a toujours pas reconnu ces faits historiques, elle n’a pas non plus reconnu le génocide d’une autre communauté chrétienne par l’Empire ottoman, à la même époque. Plus de 250 000 Assyro-chaldéens sont morts entre 1915 et 1918. Joseph Yacoub, professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, nous éclaire sur ce drame encore méconnu.
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Nous commémorons cette année les 100 ans du génocide arménien. Mais le génocide assyro-chaldéen, au même moment, est beaucoup moins connu. Pourquoi ?
Entre 250 000 et 350 000 Assyro-chaldéens, soit plus de la moitié de la communauté, ont péri entre 1915 et 1918. Ceux qui n’ont pas été tués sont morts de faim, de maladie, d’épuisement sur les routes.... Ces massacres ont eu lieu sur un périmètre très large : en Anatolie orientale, au Hakkari, au nord de l’Iran et dans la province de Mossoul. Entre 1915 et 1925, le génocide assyro-chaldéen était un problème international ; après 1925, une chape de plomb a recouvert cette tragédie. Grâce à la diaspora, la question a rejailli à partir de 1980. La France y a joué un rôle important. Dimanche 26 avril, 5 000 Assyro-chaldéens ont participé au ravivage de la flamme du Soldat inconnu, à l’initiative du député-maire de Sarcelles, François Pupponi. La question reprend aujourd’hui toute sa place sur la scène internationale. Une autre lueur d’espoir vient du pape François. Dans son discours sur le génocide arménien, le 12 avril dernier, le souverain pontife a aussi reconnu le génocide syriaque, assyrien et chaldéen.
Ce génocide était-il planifié ?
Plusieurs documents prouvent qu’il s’agissait d’une stratégie élaborée par le pouvoir ottoman des Jeunes Turcs. En 1920, Joseph Naayem a publié Les Assyro-chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs. On y trouve des témoignages accablants pour l’Empire ottoman. Les Assyro-chaldéens n’étaient pas des victimes collatérales du génocide arménien. Ils étaient visés dans leur humanité, car ils n’étaient ni Turcs ni musulmans. Beaucoup de poèmes, de lamentations, ont été écrits par des témoins oculaires des massacres. Tous ces poèmes concordent pour dire que la décision a été prise à Istanbul. À cela s’ajoutent des témoignages de missionnaires dominicains : le frère Hyacinthe Simon affirmait que cette politique avait été planifiée au plus haut niveau de l’État.
Pourquoi vouloir éliminer cette population ?
Les causes remontent au XIXe siècle. Depuis le Congrès de Berlin, en 1878, l’Empire ottoman perdait successivement des territoires en Europe. Après les guerres balkaniques de 1912-1913, il avait tout perdu à l’ouest. Il s’est alors replié sur la partie orientale de son territoire : l’Anatolie et les pays arabes. En déclarant le djihad, les Jeunes Turcs espéraient que le monde musulman se révolte et les rejoigne. Mais les musulmans n’ont pas réagi. Les Arabes se sont soulevés pour se soustraire à la juridiction de l’Empire ottoman. Les Jeunes Turcs ont alors déclenché un mouvement d’exactions contre les populations arménienne et assyro-chaldéenne, qu’ils considéraient comme un obstacle à la turquification du pays. En 1915, plus de 20 % de la population turque appartenait à des minorités ethniques (Arméniens, Grecs pontiques, Assyro-chaldéens, Syriaques…). Cent ans plus tard, leur nombre ne dépasse pas 0,001 % de la population. Ceux qui n’ont pas été éliminés ont pris le chemin de l’exil.
Ce génocide physique s’est-il accompagné d’un génocide culturel ?
Le sens donné au terme de génocide ne prend pas seulement en compte l’éradication physique. L’inventeur du concept de génocide, Raphael Lemkin, inclut les dimensions architecturale, environnementale et culturelle d’un groupe. Les anthropologues ont, eux, forgé le terme d’ethnocide. Il s’agit d’éliminer les traces d’une communauté. J’ai recensé la destruction d’environ 400 églises, monastères et lieux de culte des Églises assyrienne nestorienne, chaldéenne catholique, syriaque orthodoxe et syriaque catholique. La province du Hakkari (au sud-est de la Turquie) comptait à elle seule plus 200 lieux de culte. Ils sont tous en ruines aujourd’hui.
Y avait-il eu alors des réactions dans la communauté internationale ?
Il y a d’abord eu des réactions dans la presse : le New York Times, dès mars 1915, publiait plusieurs articles de ses correspondants, attirant l’attention sur ces massacres. De même en Grande-Bretagne, mais aussi en France, dans des quotidiens comme Le Gaulois, Le Petit Parisien, le Parisien, la Presse ou le Figaro. Les leaders politiques français étaient informés de ces massacres. En 1919, des délégations assyro-chaldéennes sont venues à la Conférence de paix de Paris. L’Œuvre d’orient, l’Église catholique de France, l’Église anglicane et le Vatican avaient apporté une aide humanitaire à la communauté.
Pensez-vous qu’il est important d’établir une nouvelle loi mémorielle, comme celle sur laquelle travaillent les députés François Pupponi et Jean-Pierre Blazy ?
Le Parlement arménien a reconnu le génocide assyro-chaldéen à l’unanimité. La France s’apprête à le faire. En présentant le projet de loi sur le génocide assyro-chaldéen, le député-maire de Gonnesse, Jean-Pierre Blazy, évoquait toutes les lois mémorielles (notamment sur la Shoah et le génocide arménien) adoptées par le Parlement français. La communauté assyro-chaldéenne espère que l’initiative prolongera les lois mémorielles existantes par une loi sur le génocide assyro-chaldéen. Il est important de nous souvenir de ces victimes tombées, longtemps oubliées... Je trouve que la déclaration du président allemand Joachim Gauck, le 23 avril dernier, dans une église protestante de Berlin, était remarquable. Il y a reconnu les génocides arménien, assyrien-araméen et grec pontique, ainsi que la part de responsabilité de l'Allemagne, les deux Empires étant alliés lors de la Première Guerre mondiale. C'est un texte positif et prometteur, qui met la Turquie au pied du mur.
Aujourd’hui, les Assyro-chaldéens, comme les autres Églises chrétiennes d’Orient, font face à la menace djihadiste. Le christianisme risque-t-il de disparaître de la région après près de 2000 ans d’Histoire ?
J’espère que non. Des menaces pèsent aujourd’hui dans la province de Mossoul en Irak et dans la province du Khabour en Syrie. Ironie du sort, ceux du Khabour sont les enfants des déportés des massacres d'Irak de 1933, eux-mêmes rescapés du génocide de 1915 sous l'Empire ottoman. Mais peut-on aller jusqu’à dire qu’il y aurait extinction ? Je ne pense pas. Le génocide de 1915 a été un moment tragique pour la communauté. Mais elle n’a pas disparu pour autant. Des Assyro-chaldéens, vivant aujourd’hui en diaspora, vont reconstruire leurs villages et restaurer des églises. L’attachement à ces terres de Mésopotamie est immense. En témoignent les Assyro-chaldéens qui avaient fui pour s’installer dans des villages du Caucase, dans l’actuelle Arménie et l’actuelle Géorgie. À Verin Dvin (Arménie), les persécutions et le régime communiste ont entraîné une rupture totale avec le pays. L’athéisme a provoqué la fermeture de tous les lieux de culte. Malgré cela, ils parlent tous aujourd’hui l’araméen et ont rouvert leurs églises. La maire du village est assyro-chaldéenne. La moitié des rues porte des noms assyriens. Malgré les difficultés, la communauté reste attachée à sa terre et à son identité.
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