Le mythe du dragon à travers les âges
Les légendes de dragons ne semblent guère avoir été inspirées par les grands reptiles ou par les restes de dinosaures, qui étaient d'ailleurs, jadis, mal interprétés. Les dragons sont plutôt les incarnations des forces obscures de la nature ou de calamités naturelles: volcans dans le cas de la Chimère, crues du Rhône dans celui de la tarasque. Il est à noter que le dragon qui est très généralement présenté comme un symbole du Mal, est au contraire considéré comme bienfaisant dans la culture chinoise où il incarne le yang, principe mâle du cosmos.
D'ailleurs, il est fait mention du dragon dans les mythologies primordiales, il y a plus de 5000 ans avant notre ère, où il est déjà un serpent énorme et doté d'un grand esprit. Il est un dieu, à l'origine même du monde. La mythologie assyro-babylonienne nous présente le dragon sous cette forme. L’eau est l’élément primordial, et c’est de la fusion de l’eau douce (Apsou) et de l’eau salée (Tiamat), incarnés par deux dragons que naissent tous les êtres et les dieux qui suivent. Ainsi les premières divinités qu’ils engendrent sont Lahmou et Iahamou, qui eux-mêmes engendreront les principes mâle (céleste) et femelle (terrestre) qui donneront vie à de grands dieux puis à l'humanité.
Dans la continuité de la cosmogonie assyrienne, Apsou se plaignit que les nouveaux dieux, plus perfectionnés et habiles, prissent le pouvoir, et complota avec son épouse Tiamat pour éliminer leur descendance. Les deux dragons primordiaux furent assassinés l’un après l’autre en combat singulier, et le corps de Tiamat la sorcière découpé en deux moitiés : l’une fit la voûte du ciel, et l’autre le monde terrestre.
Curieusement, dans de nombreux récits de la création du monde, les dragons occupent une place essentielle dans la formation de la cosmogonie, et de ce qui devient la Terre. Bien avant la vision terrible qu’en présentent les Livres saints de notre cosmogonie contemporaine (celle des religions les plus récentes, le Judaïsme, l’Islam et la Chrétienté, qui ont des racines identiques), l’image d’un tentateur ou d’un monstre dangereux ennemi des hommes, le dragon a été vu comme une créature puissante et respectable, symbole mystique d’une union entre le Ciel et la Terre.
Pour certains, les dragons était le nom donné à la race supérieure des Atlantes, ces hommes que Platon décrivait comme antérieurs à l’homme de la Terre et dotés par les dieux d’un pouvoir surhumain ainsi que d’une grande science. En héraldique, le dragon est un emblème noble à rapprocher de la bravoure ; et n’oublions que, bien qu’il soit la créature à abattre par excellence, la rencontre du héros avec le dragon détermine ne sort de celui-ci dans l’aventure et sa quête de gloire ! Quant aux Hindous, ils parlent des Nagas, ces êtres féériques qui se parent d’écailles et de plumes d’oiseau, et dont le chant merveilleux emplit les cœurs d’amour et de tristesse… Selon les Aztèques encore, les dieux frères Tezcatlipoca et Quetzalcoatl s’affrontent sans cesse pour la domination du monde. Le premier est un jaguar, dieu guerrier et avide de sacrifices ; l’autre est un serpent à plume, sage, pacifique et avisé.
On peut trouver maintes explications à la fascination des hommes de toutes les époques et de toutes les religions pour cet animal fantastique. Assurément, l’aspect du serpent, à la fois lisse et froid, glissant comme sur de l’eau et sinueux comme un mensonge, a inspiré nombre de conteurs ; sa morsure parfois mortelle a dû impressionner plus d’un homme, pour faire entre tous de cet animal le symbole du péché. Cette métaphore aisée, qui le compare d’ailleurs à une femme, n’est pas si éloignée de la conception d’un dragon bénéfique et conseiller, tel qu’il est vu dans la philosophie chinoise notamment. De nombreuses légendes rapportent des transformations de femmes en serpents, et de serpents en femmes ; il y eu des Mélusine et des vouivres dans toutes les civilisations. Cela étant sans doute lié à l'apparence ambiguë du serpent : un animal terrien mais qui se déplace sans membres, qui peut se faire amphibie à l’occasion et dont le sillon sablonneux ressemble à s’y méprendre au sillage tracé dans l’eau. Nul doute que c’est le serpent qui a inspiré cette vision fabuleuse d’un être monstrueux associé à la puissance et à la peur. En dépit de ces origines communes, le dragon diffère d’aspect selon les mythologies. Il est terrestre selon le folklore amérindien, sans doute apparenté au varan puisqu’il se déplace au sol et dévore le gibier ; aquatique et ophidien pour les légendes marines ; aquatique et aérien d’après les mythes asiatiques, qui le munissent d’ailes et lui font parfois cracher le feu ; aérien et terrestre en Europe où il crache souvent le feu, manifestant un caractère des plus belliqueux.
Le mythe du dragon en soi est si complexe, et soumis à tant de conjectures qu'il ne sera pas étudié complètement ici. Ce qui serait de toute façon impossible en quelques pages, et c'est pourquoi seules les mythologies chinoise et scandinaves seront étudiées, elles qui ont engendré presque toutes les autres en Orient et dans le Septentrion. En effet, de la culture indo-européenne ont découlé les principales civilisations antiques, dont ces cosmogonies légendaires présentent beaucoup de caractéristiques. Il sera laissé à la volonté et au goût du lecteur de s'orienter vers des études et des récits par exemple grecs, égyptiens ou d'Europe de l'Ouest (l'histoire médiévale recelant de nombreuses légendes et interprétations à ce sujet, principalement bibliques)…
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