La Kaabah
Dans la tradition islamique, La Kaabah (Maison Honorée)est symboliquement le centre et le cœur du monde terrestre . Elle se trouve géographiquement au milieu des cinq continents et est perpendiculaire à la Maison Illuminée (Baïtul Mamur), la Maison du septième Ciel .
Depuis des temps immémoriaux bien avant l’avènement de l’homme sur terre, La Maison Honorée fut construite pour être le centre du pèlerinage (hajj) des anges. Elle fut créée par le Verbe divin (Sois et c’est). Ibn Abbas rapporte que : « Allah fit connaître à Adam l’existence de la Maison Honorée avant qu’il n’y eût été descendu ».
« Au commencement était La Kaabah : c’est à partir d’elle que la terre fut étalée puis affermie par les montagnes. C’est de son argile que furent créés la tête et le front d’Adam.
Retour à ce que la tradition désigne comme « le nombril de la terre », « le centre du monde d’ici-bas », « la mère des cités », le hajj est aussi retour à l’instant ou s’ébranla l’horloge du temps : « Le temps est revenu à son état premier, celui qui était le sien le jour où Dieu créa les cieux et la terre », proclame le Prophète lors du Pèlerinage d’adieu 16 .
Par quoi il faut entendre que l’islam restaure l’ordre originel, la religio perennis (al-dîn al-qayyim, Cor. 12 : 40) dont il est la forme ultime à l’aube de la consommation des siècles. »
Adam eut ainsi le rôle de reconduire le culte de la Maison d'Allâh pour un cycle traditionnel nouveau, spécialement « humain.
La Kaabah
De son côté, le Temple visité (al-Bayt al-Ma'mûr) qui se trouve au Ciel et dans lequel chaque jour entrent 70 000 anges pèlerins qui n'y reviennent plus, jusqu'au Jour de la Résurrection, faisait face d'en haut à la Sainte Kaabah (qui en avait été placée comme le reflet terrestre).
Allâh fît descendre Adam au sol de la Kaaba, lequel trembla comme un navire violemment secoué. Il fit descendre aussi pour Adam la Pierre Noire qui à l'époque brillait comme perle blanche : Adam la serra contre lui recherchant un état d'intimité avec elle. Allâh prit ensuite le pacte écrit qui avait été conclu avec les descendants d'Adam et l'enferma dans la Pierre; puis en faisant descendre du Paradis le Bâton (al-'Asâ)pour Adam, Allâh dit : « Marche maintenant ! » Adam s'avança et le voilà déjà dans l'Inde. Il y resta autant qu'Allâh voulu qu'il y restât. Ensuite comme il ressentait un grand désir du Temple, il lui fut dit : Vas-y en pèlerinage ô Adam !... »
Le pic d'Adam
Le pèlerinage terrestre avait comme raison d'être de constituer un culte qui remplace le culte céleste auquel Adam n'avait plus accès.
Dieu lui envoya du paradis une tente de rubis ainsi que la Pierre qui était alors un diamant éblouissant de lumière. Adam instaura le rite céleste de la circumambulation autour de la Pierre, laquelle devint progressivement noire du fait de l’idolâtrie des hommes. Toujours enchâssée dans un des angles de La Kaaba, la Pierre Noire est un signe tangible de l’Alliance établie entre Dieu et l’humanité.
Après la mort d’Adam, la tente céleste fut élevée au ciel. Ses fils construisirent une Maison sur l’emplacement de la tente, mais le Déluge submergea cette Maison, et son emplacement fut oublié par les hommes.
C’est Abraham, assisté de son fils Ismâ’il, qui sur ordre divin (Cor. 2 : 125-131) construira la première Kaabah faite de main d’homme à l’emplacement sacré où le conduit la Sakîna, la Présence divine, manifestée sous la forme d’un nuage dont l’ombre dessine les contours de l’édifice à bâtir. L’ange Gabriel lui apportera la pierre angulaire, dont les péchés des hommes vont bientôt ternir l’éclat paradisiaque et qui deviendra la Pierre noire (qu’un revêtement vitrifié protège maintenant des excès du zèle pieux). Plus d’un pèlerin tentera en la regardant, d’y percevoir un reflet de sa blancheur primordiale.
La circumambulation à proprement parler, appelée, tawâf « circuit », a lieu à trois reprises pendant le pèlerinage en conformité avec celui effectué par le Prophète lui-même à l'occasion de son « pèlerinage d'adieu » : «une tournée de salutation» ( tawâf at-tahiyya ), «le circuit du débordement» (tawaf al-ifâda), qui a lieu le dix du mois après le retour à La Mecque du Mont 'Arafat et le «circuit d'adieu» (tawâf alwadâ'), qui est le cérémonial final effectué à la conclusion du pèlerinage avant le voyage de retour.
Après avoir procédé à une ablution majeure, le pèlerin signale son entrée dans l'état de sacralité (ihrâm) en se vêtant d'un habit blanc, composé de deux pièces, appelés respectivement le ridâ 'et le izâr; Le grand théologien et mystique al-Ghazālī (1058-1111) précise dans son Ihyâ' 'ulûm ad-ďin que le blanc est la couleur préférée de Dieu en matière d'habits et que ce vêtement solennel rappelle le vêtement ultime du pèlerin, à savoir le linceul : « De même, il rencontrera Dieu après la mort vêtu d'un habit différent de celui qu'il portait dans ce monde. En effet, ce vêtement ressemble aux habits du ihrâm car ces derniers n'ont point de couture à l'instar d'un linceul. ».
Le ridâ est effectivement précieusement conservé tout au long de la vie par le pèlerin musulman, auquel il servira de couverture mortuaire dans la tombe. Vêtu de cet habit, et dans un état de pureté rituelle, le pèlerin accomplit un tawâf at-tahiyya «une tournée de salutation», le rite initial effectué lors de l'arrivée à La Mecque. Entrant dans la Grande Mosquée par la porte septentrionale (bab as-salâm) du côté nord-est, il avance vers la Pierre noire incrustée dans le mur de La Kaabah, où il effectue successivement et sans interruption les sept circuits (aswât) dans le sens contraire des aiguilles d'une montre .
La Pierre noire
Selon Abdel-Karim Al-Djili, le disciple le plus proche de 'Ibn 'Arabi, l'accomplissement des sept circuits constitue un rite d'initiation grâce auquel le cheminant s'approprie les attributs divins - sa vie divine devient sienne, la connaissance divine devient sienne, la volonté divine devient sienne, etc., comme il est écrit dans le Hadith de Bukhârî sous la forme suivante : « Mon serviteur se rapproche de Moi par rien qui ne Me soit plus cher que les oeuvres que Je lui ai imposées, et il continue à se rapprocher de Moi par les oeuvres surérogatoires, de telle sorte que Je l'aime ; et quand Je l'aime, Je suis l'ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par laquelle il saisit, le pied par lequel il marche... »
A la conclusion de chaque circuit, il est recommandé de toucher la Pierre noire, ou, si la foule est trop dense, de la saluer au moins de loin. Les trois premiers circuits sont effectués à un pas rapide (ramai) alors que les quatre derniers, pendant lesquels des litanies spéciales sont chantées, sont accomplis à un rythme normal. A la conclusion, le pèlerin se presse contre la partie du mur de La Kaabah située entre la Pierre noire et la porte de La Kaabah .
Chacune de ces stations est accompagnée de formules rituelles.
Le Maqām Ibrāhīm à gauche de l’image, en bas
Enfin, il effectue deux rak'a-s derrière le maqâm Ibrahim et s'imbibe d'une gorgée de l'eau sacrée du puits de Zamzam, dont il est dit qu'il sourd d'en dessous du sanctuaire. Là-dessus le pèlerin prend congé en touchant de nouveau la Pierre noire dans un geste d'adieu. Le tawâf est suivi d'une course septuple (sa’y) entre les deux rochers Safâ et Marwâ,en souvenir de la course effectuée par Hagar à la recherche d’eau en ce même lieu pour son fils Ismaël.
Le pèlerin se résorbe donc dans l’Unicité divine. « Toute chose retourne à Dieu », avertit le Coran (3 : 109). L’annihilation de l’ego humain se matérialise bien évidemment dans le tawâf.
Ainsi, pour Ibn ‘Arabî, les circumambulations du pèlerin autour de la Kaaba sont celles du néant existentiel (al-‘adam) de l’homme autour de la seule Réalité véritable : l’Être de Dieu (al-Wujûd). Mais cette extinction en Dieu, le « fanâ » des soufis, prend toute sa signification à ‘Arafât .
Lors de la « Station » à ‘Arafât pour «le circuit du débordement» (tawaf al-ifâda), la himma y est telle qu’elle provoque, dit-on, la précipitation de la plui] de la Miséricorde .
« Les pèlerins », disait le Prophète, « sont les hôtes de Dieu ». Ils viennent en réponse à l’Appel divin. C’est le sens de la talbiya : « Me voici à Toi, Mon Dieu, me voici à Toi. Tu n’as pas d’associé. La louange, le bienfait, ainsi que la royauté T’appartiennent. Tu n’as pas d’associé ! » Cette formule doit être prononcée à voix haute pour briser l’oubli et l’éloignement qui sont la condition habituelle de l’être humain.
Pour conclure, il faut ajouter que les spirituels de l’islam prennent la Kaaba pour ce qu’elle est, précisément : un simple support d’adoration.
Ainsi, Râbi‘a al-‘Adawiyya, sainte irakienne du IXe siècle, qui, sur la route du Pèlerinage, vit venir à elle la Kaaba. « Ce qu’il me faut à moi, dit-elle, c’est le maître de la Kaaba et non la Kaaba ; qu’ai-je à faire d’elle ? » Et elle ne daigna pas la regarder. Dans une autre occasion, elle s’exclama : « Je suis une brique [non cuite] et la Kaaba est une pierre. Ce qu’il me faut, c’est la contemplation de Ta face ».
Ibn ‘Arabî, quant à lui, traite la Kaaba d’« être mort » et assimile la circumambulation à une « prière faite sur un cadavre ».
Al-Hallâj, soufi mis à mort à Bagdad en 922, déclara dans un de ses vers : « Il est des hommes qui processionnent mais non avec leur corps. Ils processionnent autour de Dieu, qui les a dispensés d’aller au sanctuaire ». Il s’agissait ici d’un dépassement du sens exotérique du Pèlerinage, non de sa négation. Dans la littérature spiritualiste, la Kaaba est souvent identifiée au coeur du croyant, centre de son univers. Le coeur est alors considéré comme une enceinte sacrée que Dieu protège contre le mal.
Le caractère éprouvant du Hajj lui est consubstantiel, puisque celui-ci n’a d’autre but que la purification et la mort initiatique de l’ego humain : « Mourez avant de mourir ! », avait dit le Prophète.
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