CONAN DOYLE ET LE SPIRITISME
CONAN DOYLE
le père de Sherlock Holmes
nous expose sa foi
dans la vérité spirite
Les amis de Sir Arthur Conan Doyle, comme tous ceux qui ont la chance d’approcher et de bien connaître l’auteur de
Sherlock Holmes,
le présentent généralement comme le « personnage le plus extraordinaire de son temps, c’est-à-dire celui qui est le plus éloigné de la formule-type de l’homme moyen. » Il convient, je crois, d’accepter cette opinion-là sans réserves ; mais aussi bien est-on en droit d’estimer que nous n’avions pas besoin d’avis autorisés pour voir et comprendre tout ce qu’il y a d’exceptionnel dans la personne de Sir Arthur. Nous n’avions même pas besoin de la légende. L’histoire nous suffit amplement ; l’histoire et les mille anecdotes piquantes que tous les journaux du monde ont recueillies.
Est-il assez exceptionnel, l’exemple de ce petit garçon de six ans, qui abandonnait un beau jour ses poupées et ses jeux pour élaborer et
terminer un vaste roman d’idées avec une armée de personnages et des « circonstances » compliquées ? Et l’aventure de ce médecin, appliqué, ponctuel, grave, qui ferma tout à coup les portes de sa clinique et se mit à fabriquer, dans la quiétude de son cabinet, la plus prodigieuse notion qui fut jamais offerte aux hommes de sa génération ?
Sherlock Holmes confondit son ami Watson, stupéfia le monde. Mais le père du positiviste policier avait de secrets soucis tout différents de ceux qui hantaient le cerveau de son héros. Le matérialisme, qui avait été la doctrine de toute sa jeunesse, tout à coup ne le satisfaisait plus. Et c’est alors que la « révélation » se fit. Vivement sollicité par le spiritisme, Conan Doyle, un beau jour, « vit et crut. »
Avec une ardeur de néophyte, qui ne trouve jamais assez d’auditoires à convertir,
il se mit à publier sa foi.Mais le monde de « l’Au-delà vivant » devait apparaître à Conan Doyle beaucoup plus vaste qu’à tous les autres croyants. Il ne se contenta pas de la « compagnie délicieuse » de ceux qu’il est convenu d’appeler les morts ; mais, confiant dans l’existence des fées, il se mit à les poursuivre dans le mystère des petits matins.
Et l’on commença de voir, dans les prairies de Bignell Wood, l’illustre écrivain, armé d’un appareil photographique, essayer de surprendre « les petits esprits » qu’attirait une boîte à musique…
C’est là, c’est à Bignell Wood, dans la « chasse des fées, » que le roi George V fit demander à Sir Arthur une histoire de la grande guerre, « destinée aux générations présentes et à venir. » Abandonnant pour quelque temps Sherlock Holmes, ses fantômes et ses fées, Conan Doyle se mit au travail et remit à son souverain l’un des documents les plus précis, les plus scrupuleusement exacts, les plus sévèrement historiques que nous possédions sur les années de guerre.
*
Quand on a la chance d’être reçu par Sir Arthur Conan Doyle, on ne peut se défendre, en attendant le maître, d’une certaine appréhension.
On surprend, tout au fond de son cœur, une vague inquiétude qui pourrait bien avoir quelque lointaine parenté avec la peur…
Mais soudain une porte s’ouvre, Sir Arthur paraît et l’on ne songe plus qu’à répondre à l’admirable sourire qui vous accueille.
Conan Doyle déclare renoncer pour toujours
à la littérature d’imagination
Taille de doux géant souple et nonchalant, épaisse moustache blanche barrant un visage sanguin de bon vivant, larges yeux pâles où danse en permanence une flamme enfantine : le personnage est exactement à l’opposé de celui que tout homme raisonnable, tout lecteur anonyme de
Sherlock Holmes ou de l’
Avènement des fées, serait en droit de se représenter.
Dans un salon du palace parisien où il a élu domicile pour quelques jours, j’ai vu, ce matin, Conan Doyle. Inclinant avec bienveillance sa haute taille, il a patiemment écouté mes questions. Puis, scandant les mots et donnant ainsi plus de poids à ses affirmations :
« En Afrique du Sud, d’où je viens, m’a-t-il dit, je n’ai fait que redire, à ceux qui ont bien voulu m’entendre, la grande vérité que depuis vingt années je m’en vais répétant de ville en ville, de pays en pays, de continent en continent.
Là-bas, dans la brousse, j’ai parlé pour des auditoires composés de nègres incultes. J’ai dit à ces malheureux : «
Nous apportons un nouvel espoir, une nouvelle inspiration de la source sacrée de laquelle viennent de temps en temps des messages divins à la pauvre humanité.Il existe ici-bas une grande et profonde philosophie,
une religion bâtie sur des faits, qui peut expliquer les mystères, qui peut éclairer notre futur, abattre la peur de la mort et fournir une vue raisonnable de la vie et de la destinée humaines. »
– Ne vous est-il pas arrivé, maître, de n’être pas toujours bien compris ? N’a-t-on pas affirmé que vous aviez été la victime, au cours de ce dernier voyage, de quelques grossières plaisanteries de simulateurs ?
– C’est absolument exact.
Il m’est, arrivé, comme d’ailleurs à presque tous les spirites convaincus, d’être trompé par quelques adroites supercheries. Les fantômes porteurs de bretelles, voyez-vous, ne se montrent pas tous à Mantes-la-Jolie. On en rencontre dans le monde entier.Mais il ne peut s’agir là que d’erreurs passagères. Les farceurs, les mauvais plaisants, n’ont plus les moyens de tromper les contrôles rigoureux que nous exerçons.
Car, dans l’histoire du spiritisme, l’âge de la foi est passé ; l’âge du savoir est arrivé. La foi est trop nébuleuse pour notre raison. Il faut des preuves.– Et ces preuves, maître, vous croyez pouvoir…
–
Elles pullulent, monsieur ; nous en avons trop ! Voyez plutôt ces photographies spirites qui ont été développées dans des conditions qui rendent, de la part des médiums, toute supercherie impossible. Je les ai montrées aux plus sceptiques et ils ont été confondus. »Les photos spirites de Conan Doyle sont connues pour avoir été présentées au cours de maintes conférences publiques. Leur cas a été discuté cent fois ; il le sera encore. Et c’est sans doute de la controverse qu’elles entretiennent que naît leur intérêt.
Un cliché fameux montre des foules en prières ; sur les têtes passe une masse sombre « formée par le rassemblement des forces psychiques, » explique Conan Doyle. Sur une autre plaque, on peut distinguer avec assez de netteté un véritable nuage de faces humaines, un amalgame de visages aux traits douloureux.Mais cet examen minutieux de ses chers documents a le don de mettre Sir Arthur dans un état d’exaltation extrême.
« Osez, me crie-t-il, osez nier que ce sont là des preuves, des preuves irréfutables !… »
Et, d’un doigt tremblant, il me désigne sa propre image à côté de celle d’un jeune homme :
« Mon fils mort à la guerre. C’est moi-même qui ai pris cette photo. Par conséquent, pas de tricherie possible !Mon fils qui me rend de quotidiennes visites. Sa vie est intimement mêlée à la mienne. Il me conseille, me guide, s’intéresse aux moindres détails de mon existence. Hier soir encore, il se réjouissait de l’achat heureux d’une œuvre d’art.
– Pouvez-vous m’expliquer, maître, comment il arrive que Napoléon Ier, Victor Hugo, ou Jeanne d’Arc disent parfois tant de sottises par le truchement des médiums ?
–
Nous n’avons que les anges que nous méritons, et si les messages de l’au-delà sont grossiers, c’est que nous les y forçons.– Permettez-moi une question encore. Reverra-t-on un jour Sherlock Holmes ?…
– Fini. Mort, celui-là, et bien mort depuis deux ans. Mes travaux littéraires sont terminés. Je laisse à d’autres le soin de s’occuper des choses de l’imagination. »
Et, en me donnant un vigoureux shake-hand, Sir Arthur Conan Doyle rit largement de mon dépit.
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(Jean Masson, in Le Journal, jeudi 11 avril 1929)
Photographie spirite d’Arthur Conan Doyle avec la figure qu’il identifia comme étant celle de son fils Kingsley, 1920
Inscription au verso : « C’est la figure de mon fils, paraissant environ 7 ans plus jeune qu’à l’heure de sa mort. Toutes les précautions ont été prises et, pour autant que je puisse en juger, aucune main, excepté la mienne, n’a été en contact avec la plaque photographique… »
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Photo léguée à Denis Conan Doyle par son père Sir Arthur, et mise aux enchères en 1981-82 par sa veuve, la princesse Midivani. Source : Toronto Public Library
https://laporteouverte.me/2017/05/29/conan-doyle-et-le-spiritisme/