Des travaux et des jours : le calendrier de Gézèr
L’objet de la présente chronique n’est pas une découverte récente, mais il mérite qu’on s’y arrête encore quelques instants, tant pour son contenu que pour ce qu’il représente!
En 1908, R.A.S. Macalister, un des premiers grands archéologues de Palestine, découvrit dans ses fouilles de Gézèr une petite tablette de calcaire tendre longue de 7 à 11 cm et large de 7,2 cm. Elle était inscrite sur une seule de ses faces; sept lignes d’une écriture hésitante étaient clairement visibles, bien que parfois difficilement lisibles. Avec les années et la découverte d’autres inscriptions à l’écriture semblable, nous sommes sûrs, à l’heure actuelle, de sa lecture à peu près intégrale.
Voici la traduction de ce texte que je crois à peu de choses près définitive :
Si nous respectons bien le vocabulaire utilisé dans ce curieux de petit texte, qui de toute évidence fait référence aux travaux du paysan, nous recueillons les informations suivantes. Le premier travail (asif) est bien connu dans l’Ancien Testament : il s’agit de la cueillette des fruits, surtout des olives, qui a lieu en septembre et octobre, en Palestine (Ex 23,16; 34,22; etc.). Il est suivi de celui des semailles (zerà), très connu aussi, et qui se passe en novembre et décembre. L’occupation des mois suivants est plus difficile à préciser : le mot qui la désigne (léqèsh) n’est connu qu’en Am 7,1 : le prophète voit une invasion de sauterelles qui dévorent ce qui a repoussé après les « coupes du roi »! Si nous tenons compte du sens de la racine (« être tardif ») de ce substantif et de ce qui suit la coupe des foins qui servaient à l’entretien des cavaleries royales! Nous sommes alors en janvier et février. Le quatrième travail ne pose pas de difficulté : le verbe exprimant l’action (atsad) n’est pas connu dans l’Ancien Testament, mais d’après d’autres langues voisines (babylonien et arabe) il fait référence à la coupe des grains. Ce qui est coupé ou moissonné, c’est le lin (péshèt); ce travail ne dure guère plus d’un mois, en mars-avril. Cette coupe de lin est suivie de la moisson des orges, que nous trouvons aussi associées en Ex 9,31-32; le même vocabulaire est utilisé en 2 S 21,9 et Rt 1,22; 2,23. Nous sommes ici en avril-mai, et ce travail ne dépasse jamais la durée d’un mois.
L’occupation mentionnée à la ligne 5 fait toutefois difficulté. Le premier terme est le même que celui qui désigne les orges, soit la moisson (qatsir); mais la moisson de quel grain? Le terme clairement écrit ne fait référence à aucun grain dans les langues connues, et de plus, comme il est lié à celui de « moisson » par la conjonction « et », il évoque donc une activité qui s’ajoute ou suit immédiatement celle de moissonner. En tenant compte du sens de la racine, bien attestée en hébreu, en cananéen et en arabe (kûl), l’idée de mesurer doit être comprise ici; ainsi, le mois suivant la moisson des orges est rempli par la moisson des blés et de leur mesurage (orges et blés) pour évaluer le rendement de la récolte en vue de payer les taxes ou la dîme. L’opération est effectuée en mai-juin, et correspond tout-à-fait à l’ordre des moissons (orges-blés) en Palestine. Le travail de la ligne 6 fait aussi difficulté : à quelle activité peut bien correspondre le mot zémèr, ou mieux zâmîr? On discute encore de son sens. En tablant sur le sens de la racine (« couper »), la majorité des savants pensent à l’opération de 1’« émondage » des vignes. Il est alors difficile de comprendre qu’on puisse émonder la vigne en plein été, quand elle regorge de raisins, puisque c’est en juillet et août qu’on devrait le faire, si le texte énumère les travaux agricoles selon le déroulement des saisons. Quelques auteurs toutefois proposent plutôt de traduire par vendanges, ce qui correspond bien aux mois d’été mentionnés; la seule attestation du mot dans l’Ancien Testament, en Ct 2,12, vient appuyer une telle compréhension de cette occupation : le contexte du passage nous oriente bien en ce sens, puisque l’hiver est passé (v. 11), les figues sont déjà à mûres (v. 13), et que les petits renards sont déjà à « bouffer » les raisins (v. 15), d’où la nécessité de garder les vignes à ce moment, ce que le fiancé fait d’ailleurs (1,6). Le dernier travail mentionné, qui n’occupe qu’un mois, est désigné par le terme qayits, dont la racine signifie « fin », et dont il est fait allusion en Am 8,1-3 : une corbeille de fruits de la « fin de l’été » fait surgir dans la pensée du prophète que le peuple de Yahvé est mûr pour sa « fin » (qets). Nous sommes alors en septembre-octobre.
Si nous additionnons le nombre de mois, nous arrivons au chiffre douze, et si nous considérons la suite des travaux, ils correspondent tout à fait à l’ordre des occupations du paysan palestinien, plus précisément du paysan de la plaine le long de la Méditerranée, où ces opérations devancent un peu celles des régions montagneuses au centre du pays. Nous ne pouvons pas parler de « calendrier », car aucun de ces termes ne sont des noms de mois; c’est plutôt le déroulement des « Travaux et des Jours » de Palestine, en évoquant l’œuvre poétique bien connue du poète grec Hésiode.
En tenant compte de la forme des lettres, cette tablette doit être datée de la fin du Xe siècle avant J.-C. Mais en tenant compte surtout du caractère très hésitant de la calligraphie, et de plusieurs gaucheries dans la formation de certaines lettres, nous sommes fortement invités à lire ce texte comme l’exercice d’écriture d’un jeune écolier israélite, ce qui laisse supposer que le roi Salomon avait établi une école de scribes à Gézèr, ville côtière qu’il avait désignée comme chef-lieu de cette région de son royaume (1 R 9,15).
Et nous savons que cet écolier portait le nom d’Abiyah (ou Abiyahu), puisqu’il signa son devoir dans le coin gauche, en bas!
L’objet de la présente chronique n’est pas une découverte récente, mais il mérite qu’on s’y arrête encore quelques instants, tant pour son contenu que pour ce qu’il représente!
En 1908, R.A.S. Macalister, un des premiers grands archéologues de Palestine, découvrit dans ses fouilles de Gézèr une petite tablette de calcaire tendre longue de 7 à 11 cm et large de 7,2 cm. Elle était inscrite sur une seule de ses faces; sept lignes d’une écriture hésitante étaient clairement visibles, bien que parfois difficilement lisibles. Avec les années et la découverte d’autres inscriptions à l’écriture semblable, nous sommes sûrs, à l’heure actuelle, de sa lecture à peu près intégrale.
Voici la traduction de ce texte que je crois à peu de choses près définitive :
- Deux mois de cueillette. Deux mois.
- de semailles. Deux mois d’herbe tardive.
- Un mois de coupage du lin.
- Un mois de moisson des orges.
- Un mois de moisson et de mesurage.
- Deux mois de vendange.
- Un mois de fruits tardifs.
Si nous respectons bien le vocabulaire utilisé dans ce curieux de petit texte, qui de toute évidence fait référence aux travaux du paysan, nous recueillons les informations suivantes. Le premier travail (asif) est bien connu dans l’Ancien Testament : il s’agit de la cueillette des fruits, surtout des olives, qui a lieu en septembre et octobre, en Palestine (Ex 23,16; 34,22; etc.). Il est suivi de celui des semailles (zerà), très connu aussi, et qui se passe en novembre et décembre. L’occupation des mois suivants est plus difficile à préciser : le mot qui la désigne (léqèsh) n’est connu qu’en Am 7,1 : le prophète voit une invasion de sauterelles qui dévorent ce qui a repoussé après les « coupes du roi »! Si nous tenons compte du sens de la racine (« être tardif ») de ce substantif et de ce qui suit la coupe des foins qui servaient à l’entretien des cavaleries royales! Nous sommes alors en janvier et février. Le quatrième travail ne pose pas de difficulté : le verbe exprimant l’action (atsad) n’est pas connu dans l’Ancien Testament, mais d’après d’autres langues voisines (babylonien et arabe) il fait référence à la coupe des grains. Ce qui est coupé ou moissonné, c’est le lin (péshèt); ce travail ne dure guère plus d’un mois, en mars-avril. Cette coupe de lin est suivie de la moisson des orges, que nous trouvons aussi associées en Ex 9,31-32; le même vocabulaire est utilisé en 2 S 21,9 et Rt 1,22; 2,23. Nous sommes ici en avril-mai, et ce travail ne dépasse jamais la durée d’un mois.
L’occupation mentionnée à la ligne 5 fait toutefois difficulté. Le premier terme est le même que celui qui désigne les orges, soit la moisson (qatsir); mais la moisson de quel grain? Le terme clairement écrit ne fait référence à aucun grain dans les langues connues, et de plus, comme il est lié à celui de « moisson » par la conjonction « et », il évoque donc une activité qui s’ajoute ou suit immédiatement celle de moissonner. En tenant compte du sens de la racine, bien attestée en hébreu, en cananéen et en arabe (kûl), l’idée de mesurer doit être comprise ici; ainsi, le mois suivant la moisson des orges est rempli par la moisson des blés et de leur mesurage (orges et blés) pour évaluer le rendement de la récolte en vue de payer les taxes ou la dîme. L’opération est effectuée en mai-juin, et correspond tout-à-fait à l’ordre des moissons (orges-blés) en Palestine. Le travail de la ligne 6 fait aussi difficulté : à quelle activité peut bien correspondre le mot zémèr, ou mieux zâmîr? On discute encore de son sens. En tablant sur le sens de la racine (« couper »), la majorité des savants pensent à l’opération de 1’« émondage » des vignes. Il est alors difficile de comprendre qu’on puisse émonder la vigne en plein été, quand elle regorge de raisins, puisque c’est en juillet et août qu’on devrait le faire, si le texte énumère les travaux agricoles selon le déroulement des saisons. Quelques auteurs toutefois proposent plutôt de traduire par vendanges, ce qui correspond bien aux mois d’été mentionnés; la seule attestation du mot dans l’Ancien Testament, en Ct 2,12, vient appuyer une telle compréhension de cette occupation : le contexte du passage nous oriente bien en ce sens, puisque l’hiver est passé (v. 11), les figues sont déjà à mûres (v. 13), et que les petits renards sont déjà à « bouffer » les raisins (v. 15), d’où la nécessité de garder les vignes à ce moment, ce que le fiancé fait d’ailleurs (1,6). Le dernier travail mentionné, qui n’occupe qu’un mois, est désigné par le terme qayits, dont la racine signifie « fin », et dont il est fait allusion en Am 8,1-3 : une corbeille de fruits de la « fin de l’été » fait surgir dans la pensée du prophète que le peuple de Yahvé est mûr pour sa « fin » (qets). Nous sommes alors en septembre-octobre.
Si nous additionnons le nombre de mois, nous arrivons au chiffre douze, et si nous considérons la suite des travaux, ils correspondent tout à fait à l’ordre des occupations du paysan palestinien, plus précisément du paysan de la plaine le long de la Méditerranée, où ces opérations devancent un peu celles des régions montagneuses au centre du pays. Nous ne pouvons pas parler de « calendrier », car aucun de ces termes ne sont des noms de mois; c’est plutôt le déroulement des « Travaux et des Jours » de Palestine, en évoquant l’œuvre poétique bien connue du poète grec Hésiode.
En tenant compte de la forme des lettres, cette tablette doit être datée de la fin du Xe siècle avant J.-C. Mais en tenant compte surtout du caractère très hésitant de la calligraphie, et de plusieurs gaucheries dans la formation de certaines lettres, nous sommes fortement invités à lire ce texte comme l’exercice d’écriture d’un jeune écolier israélite, ce qui laisse supposer que le roi Salomon avait établi une école de scribes à Gézèr, ville côtière qu’il avait désignée comme chef-lieu de cette région de son royaume (1 R 9,15).
Et nous savons que cet écolier portait le nom d’Abiyah (ou Abiyahu), puisqu’il signa son devoir dans le coin gauche, en bas!