Les ANGES et les DEMONS
Saint Michel terrassant le Dragon, 1483-1508. Josse Lifferin. Musée du Petit Palais, Avignon
Dualité et dualisme.
Le Bien et le Mal, ces forces antagonistes qui s’affrontent dans l’Univers, sont des contraires qui ne peuvent exister l’un sans l’autre, comme : la lumière et les ténèbres, la vérité et le mensonge, la vie et la mort, l’attraction et la répulsion, l’amour et la haine, le plaisir et la douleur, la joie et la tristesse, les rires et les pleurs, la beauté et la laideur, le positif et le négatif, le plus et le moins, le côté droit et le côté gauche (senestre # sinistre), la matière et l’antimatière, l’endroit et l’envers, le recto et le verso (les 2 pages d’un même feuillet), le oui et le non, le 1 et le 0 de la numération binaire, le + et le - du courant électrique, etc.
Sont-ce deux aspects contraires (le bon jumeau et le mauvais jumeau présents dans de nombreuses mythologies) d’une Force divine unique, le Verbe (ou la Parole ou le Logos) créateur, dont l’émanation bipolaire imprègne toute chose ? Cette Force aurait-elle un bon et un mauvais côté ? Doit-on maintenir l’équilibre entre ces contraires pour que notre monde matériel continue à exister ? Ou faut-il que le bien absolu l’emporte et que la Matière soit néantisée par l’Esprit ?
Selon Zoroastre (ou Zarathoustra), prophète du mazdéisme (ou parsisme ou zoroastrisme) et réformateur de la religion dualiste des anciens iraniens, tout le Bien procède des émanations d'Ahura Mazda (ou Ormuzd), qui lui donnent forme et existence : le bon jumeau, Spenta Mainyu (l'Esprit saint, la force créative) prend 6 aspects différents (3 masculins et 3 féminins).
Ces aspects deviennent 6 dieux différents (Bon Esprit, Vérité, Pouvoir, Dévotion, Santé et Vie), puis leur nombre s’accroît : par exemple avec Mithra, le dieu du Soleil.
Tout ce qui est Mauvais provient du mauvais jumeau de Spenta Mainyu, Angra Mainyu (Esprit Diabolique ; en persan Ahriman) et de ses assistants.
Les principes fondamentaux de la doctrine de Zarathoustra reposent sur le culte d'Ahura Mazda (le Seigneur de Sagesse ou le Maître du Savoir) et sur un dualisme éthique opposant Vérité (Asha) et Mensonge à travers tout l'Univers.
Les Gathas et quelques éléments tardifs de l’Avesta établissent le caractère monothéiste de la croyance prêchée par Zarathushtra.
La divinité suprême, Ahura Mazda, "désirant le bien, a créé à la fois le bonheur et le malheur" .
L’Esprit mauvais n’est pas l’adversaire du créateur unique, mais seulement de l’Esprit bienfaisant. D’ailleurs, la lutte aura un terme : la victoire ultime du Bien sur le Mal.
Les mithraïstes se représentaient la fin du monde comme une conflagration universelle, la victoire totale du Bien sur le Mal après un combat qui a fait la texture même de l'existence.
De nombreuses sectes gnostiques comme les messaliens et les manichéens prétendaient que Satan était le créateur du monde matériel.
Ce monde matériel était essentiellement mauvais puisque il avait été créé par le Mal.
L’Esprit du Bien finira par l’emporter sur la matière corrompue et corruptrice.
La doctrine fondamentale du manichéisme est sa division dualiste de l'Univers, divisé en royaumes du Bien et du Mal : le royaume de Lumière (esprit) où règne Dieu, et le royaume des Ténèbres (matière) où règne Satan.
À l'origine, les deux royaumes étaient complètement séparés, mais à la suite d'une catastrophe, le royaume des Ténèbres envahit le royaume de Lumière ; ils se mélangèrent et entamèrent une lutte perpétuelle.
La communauté essénienne de Qumrân considérait le monde comme un champ de bataille où luttaient l'Esprit de Vérité et l'Esprit du Mal, ce dernier étant une puissance angélique opposée à Dieu et appelé Bélial.
Les cathares, manichéens, croyaient que toute l'existence était déterminée par la lutte entre 2 dieux : le dieu de la Lumière, de la Bonté et de l'Esprit, généralement associé à Jésus-Christ et au Dieu du Nouveau Testament, et le dieu du Mal, de l'Obscurité et de la Matière, associé à Satan et au Dieu de l'Ancien Testament.
Pour le néo-platonicien Plotin, les deux principes antagonistes sont l'Etre et le non-Etre, le Tout et le Rien ; pour Empédocle, ce sont l'Amour et la Haine : "Entre les deux forces cosmiques, un combat gigantesque se livre. Les adversaires tantôt s'étreignent et tantôt s'écartent, afin de reprendre haleine." 6
Dans le symbolisme chrétien, le Bien et le Mal sont personnifiés respectivement par la sainte Trinité et par Satan le père de la tromperie ; des récompenses sont promises à ceux qui font le bien, alors que des tourments éternels attendent ceux qui font le mal.
Selon le principe oriental du karma (ou karman), chaque être vivant dispose d’un nombre illimité de chances (chaîne de vies : samsara) pour parvenir à sa libération. Voir Bouddhisme, Hindouisme.
Dans le symbole chinois du taiji, l’union du yang (clair, masculin, céleste) et du yin (sombre, féminin, terrestre) représente l’équilibre des contraires nécessaire pour qu’apparaisse le monde des formes. Chacun n’existe que par rapport à l’autre, dont il porte en lui l’embryon, et peut se transformer en son inverse. Voir Taoïsme.
Pour Confucius, "la conscience est la lumière de l'intelligence pour distinguer le bien du mal".
La plupart des traditions ésotériques rejettent l’idée d’un Mal et d’un Bien absolus et opposés, et enseignent que toute action est à la fois bonne et mauvaise.
Les philosophes et les théologiens placent généralement Dieu "au-delà du Bien et du Mal".
Génies et démons
A l'origine, le daimon grec est un génie (quand il est franchement mauvais, on le nomme cacodémon : mauvais démon), tel que le genius des latins, le Géant Vert des traditions celtes (dangereux mais positif quand on arrive à le maîtriser) ou le djinn (génie) islamique ; il désigna plus tard un dieu inférieur, puis un esprit malfaisant.
Pour beaucoup de populations primitives, les démons sont les âmes des défunts, génies tutélaires ou redoutables, intermédiaires entre les dieux immortels et les hommes vivants, mais mortels.
Un génie est attaché à chaque homme et joue le rôle de conseiller secret.
Il y a un démon intérieur qui joue parfois à l’ange gardien et la foule des démons, êtres innombrables, tourbillonnant partout pour le meilleur et pour le pire.
La révolte des anges.
Avant de créer l'Homme, "selon sa ressemblance" (Genèse 1 : 26) 20, et l'univers matériel, Dieu avait créé une multitude d'esprits purs, doués d'une intelligence incomparablement supérieure à la nôtre : les anges.
Mais cette perfection fut leur plus grande épreuve : elle fascina certains anges qui refusèrent alors d'adorer Dieu Tout Puissant et de se soumettre à lui.
Lucifer, nom ancien de la planète Vénus, signifie "porteur de lumière". Lucifer, le plus beau de tous les esprits purs, un séraphin ou un chérubin, prit la tête de cette révolte : il voulait être heureux en lui-même par ses propres forces.
Lucifer, c’est Satan, le Diable, Azazel, Samaël, Bélial, Mastéma, etc.
Pour Zoroastre, c’est l’un des fils d’Ahura Mazda, Ahriman, le "mauvais jumeau", qui a opté pour le mal et choisi le "Mensonge" contre la "Vérité".
Pour Eliphas Lévi, le diable est "le magnétisme du mal, la force fatale que Dieu a voulue, quand il a voulu la liberté". 30
L'islam considère Iblis (Lucifer, Satan, le Diable) comme le chef des démons. Seul ange à avoir refusé de se prosterner devant Adam après que Dieu l’eut créé de l’argile, il fut maudit par Allah qui le laissa libre de tenter les faibles (à commencer par Eve).
Des théologiens chrétiens disent que les anges furent éprouvés par la révélation de l'Incarnation de la deuxième Personne de la Sainte Trinité : Jésus-Christ, le Fils de Dieu.
En effet pour ces purs esprits, il était inconcevable de s'abaisser devant un homme, créature infirme et débile en comparaison de leurs facultés angéliques prodigieuses.
De plus, ils allaient devoir reconnaître pour reine (Regina angelorum : Reine des anges) une femme, la Vierge Marie, qui ne pouvait comme Jésus-Christ se prévaloir de la nature divine.
Lucifer, "le porteur de lumière", se révolta et entraîna le tiers des anges à sa suite ; il devint Satan (l'adversaire) ou le Diable (le diviseur).
La guerre incessante
L’archange Michel alla au combat avec les milices célestes et, au cri de « Qui est comme Dieu ? » (MI-KA-EL), remporta la première bataille de la création. Depuis, le combat n'a cessé de faire rage entre les forces de l'enfer et les armées célestes, ayant pour enjeu la perte ou le salut des âmes.
« Le mal n’est pas une simple absence de bien, c’est une force qui asservit l’homme et corrompt l’univers. Dieu ne l’a pas créé, mais maintenant qu’il est apparu, il s’oppose à lui. Une guerre incessante commence, qui durera aussi longtemps que l’Histoire : pour sauver l’homme, le Dieu tout-puissant devra triompher du Mal et du Mauvais ». 3
Détruire le Mal c’est faire disparaître la Mort, la Maladie, le Malheur... Par la faute de l'homme, le Péché est entré dans le monde, et par le Péché, la Mort (Romains 5,12-17 ; I Corinthiens 15,21).
« Voici donc comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ; pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen ! » (Mathieu 6, 9-13, 7).
Tous des Anges ?
Il existe une théorie selon laquelle :
- une fraction des anges choisit de soutenir Lucifer
- une autre suivit Michel et resta fidèle à Dieu
- une autre n’osa pas prendre parti. Ces esprits lâches ou indécis furent emprisonnés par Dieu dans des corps humains, afin que, disposant de leur libre arbitre, ils pussent enfin choisir leur camp…
La règle d'or.
Qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui est mal ? Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît et vous ne ferez pas de mal. Faites pour les autres ce que vous aimeriez qu'ils fissent pour vous et vous ferez le bien.
"Tout ce qui te répugne, ne le fais pas non plus aux autres" (Shayast-na-Shayast 13, 29 ; vers 1000 avant JC) ;
"La nature (humaine) est bonne seulement lorsqu'elle ne fait pas à autrui ce qui n'est pas bon pour elle-même" (Dadistan-i Dinik, 94 : 5, vers 800 avant JC) : écrits mazdéens (Perse).
"Ne blesse pas les autres par des moyens que tu trouverais toi-même blessants". (Bouddha, 560-480 avant JC ; Udana-Varga, 5 : 18)
"Jugez des autres par vous-même et agissez envers eux comme vous aimeriez qu'ils agissent envers vous" ; "Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même" ; "N'inflige pas aux autres ce à quoi tu n'aspires pas toi-même". (Confucius, v. 551-479 av. J.-C. Livre des Sentences V 11 ; VI 28 ; Analectes, XV 23 ; (Enseignement de la Voie du Milieu 13, 3)
"L'homme devrait (...) traiter toutes les créatures de ce monde comme il aimerait être traité lui-même". (Sutrakritanga I.11.33, vers 500 avant JC ; voir jaïnisme)
"Ceci est la somme de toute véritable droiture : traite les autres comme tu voudrais toi-même être traité. Ne fais rien à ton voisin que tu ne voudrais pas le voir faire à ton égard par la suite" ; "On ne doit pas se comporter envers les autres d'une manière qui nous répugne nous-mêmes". (Mahâbhârata 5, 1517 ; 114, 8 ; vers 400 av. J.-C. ; voir hindouisme)
"Il faut se conduire avec ses amis comme on voudrait les voir se conduire avec soi." (Aristote, IV e siècle av. J.-C.)
"Ce que tu serais fâché qu'on te fît, aie soin de ne le faire jamais à un autre." (Tobie IV 16, premier ou deuxième siècle avant J.-C.)
Pour le docteur juif, Hillel l’Ancien (v. 70 av. J.-C. - v. 10 ap. J.-C.) : "Ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît, ne l'inflige pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire. Maintenant, va et étudie" 8. Le même Hillel déclare : "Crois en Dieu et aime ton prochain comme toi-même (Lévitique 19,18, ndlr), le reste n’est que commentaire". Le Talmud reprend : "Ce qui t'est haïssable, ne le fais pas à ton prochain. C'est là la loi entière, tout le reste n'est que commentaire". (Shabbat, 31a)
Jésus rappelle la règle : "Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes" (Matthieu 7,12) ; "Et ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux" (Luc 6, 31) ; "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés" (Jean 13,34) ; "A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples ; à cet amour que vous aurez les uns pour les autres" (Jean 13,35).
"Aucun d'entre vous n'est véritable croyant tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même." (Mahomet, vers 570-632, 13e des 40 Hadiths de Nawawi, rapporté par al-Bukhari et Muslim) 23.
Citations
Écoutons la fin du discours : Crains Dieu et observe ses commandements. C'est là ce que doit faire tout homme. Car Dieu amènera toute œuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal (Ecclésiaste, 12,13 ou 12,15 ; 12,14 ou 12,16)
Le beau dans ses rapports avec le faux et le mal, le beau séparé de Dieu ou correspondant à l'individualité pure, a son type dans Satan, la plus parfaite des natures créées, mais la plus éloignée de Dieu, la plus perverse, la plus souffrante. La forme reste avec sa beauté essentielle, impérissable, et l'on frémit en la voyant. Le mal est là, l'idéal du mal incarné dans cette forme. Les ténèbres rayonnent de cette face ; la haine scintille dans ces yeux ; l'orgueil inflexible siège sur ce front. Cette forme ravissante, isolée du Créateur, isolée de la création, est suspendue dans le vide comme un météore effrayant. (Lamennais 1782-1854)
La science de Satan répond à sa puissance. La science de tous les hommes réunis n'approche pas de la sienne. L'homme en péchant n'a pas perdu l'exercice de ses facultés naturelles ; il a été seulement blessé, comme parle le concile de Trente, dans ses facultés et surtout dans sa volonté ; ainsi Satan, en se révoltant contre Dieu, n'a pas perdu entièrement cette intelligence élevée et subtile que son créateur lui avait donnée. Satan, par cette pénétration naturelle, connaît une foule de choses dont nous n'avons pas seulement l'idée. Il connaît les choses passées, les présentes et pronostique avec une certaine assurance l'avenir 9. (Abbé Pascal, 1859)
Quand on affirme que "Dieu est au-delà de l'opposition entre le bien et le mal", cela signifie, non que pour Dieu le mal n'existe pas en tant que tel, mais que Dieu voit les choses sous tous les rapports les concernant et que par conséquent le mal n'est pour Dieu qu'un aspect fragmentaire, provisoire et tout extrinsèque d'un bien qui le compense et finalement l'anéantit 10. (Frithjof Schuon 1907-1998)
La foi parle d'un double mystère, celui de la lumière et celui de l'obscurité, lequel est toutefois compris dans le premier. La foi dit qu'il n'y a pas deux principes, un bon et un mauvais, mais un seul qui est Dieu créateur, seulement bon et sans ombre de mal. C'est ce que la foi annonce, une unique source qui est bonne (...) Certes, il existe un mystère du mal mais il ne découle pas de l'être et il n'est pas original. Il vient de la liberté créée dont on abuse. (Benoît XVI, 3 décembre 2008)
Le relativisme relativise tout et à la fin, on n’arrive plus à distinguer le bien du mal. (Benoît XVI)
"Pur esprit" ne veut pas dire forcément "esprit pur". (Jean-Paul Coudeyrette, Autocitations)
Le taiji
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