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    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE

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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:31

    Rappel du premier message :

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE

    ET FRAGMENTS RELATIFS À L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA BIBLE


    Daniel LORTSCH, Agent général de la Société Biblique Britannique et Étrangère

    Préface de M. le pasteur Matthieu LELIÈVRE

    1910 — Texte global

    Le texte publié par Biblique est contient tout le livre original, hormis quelques illustrations, la partie relative au colportage, des remerciements et un sonnet de R.S. ; les errata, corrections et additions publiés à part et séparément, ont été pris en compte (contrairement à une ré-édition récente obtenue par photocopie de la première moitié de l’ouvrage de D. Lortsch).
    Biblique est partage la plupart des opinions de l’auteur, mais pas toutes.




    1 - Préface
    Par Matth. LELIÈVRE, pasteur.

    La Bible en France ! Les deux mots que rapproche le titre de cet ouvrage, mettent en face l'un de l'autre un grand livre et un grand peuple, — un peuple dont l'influence morale dans le monde eût décuplé s'il avait consenti à devenir le peuple de la Bible, — un livre dont l'action sur la race humaine eût été, sans doute, plus grande et plus rapide, s'il avait eu à son service cette incomparable semeuse d'idées qu'est la France. La France avait assurément besoin de la Bible plus que la Bible n'avait besoin de la France ; il n'en est pas moins fâcheux que la cause biblique, qui est la cause même de Dieu, n'ait pas pu s'appuyer, dans sa croisade contre les puissances du mal, sur la civilisation française, restée païenne à tant d'égards sous des dehors chrétiens.

    Il y a pourtant une histoire de la Bible en France, et il faut remercier M. Lortsch d'en avoir rassemblé, avec un soin pieux et un zèle de bénédictin, les fragments épars. Il était bien l'ouvrier tout désigné pour une telle entreprise. Agent général en France de la noble Société biblique britannique et étrangère, et appelé, à ce titre, à diriger les travaux des colporteurs bibliques, il s'est voué, avec un enthousiasme que rien ne lasse, à cette belle tâche : mettre l'âme française en contact avec l'Évangile. Et en y travaillant, il s'est trouvé amené naturellement à rechercher, dans le passé, les tentatives faites dans ce but. C'est de ces recherches qu'est sorti l'ouvrage dont nous écrivons la préface.

    L'accueil fait à ce livre avant même sa publication, par plus de douze cents souscripteurs, suffirait à montrer qu'il y a dans notre pays un public nombreux qui s'intéresse aux destinées de la Bible et a le pressentiment que cette histoire est une mine singulièrement riche à explorer. Il faut remercier l'auteur d'avoir voulu populariser des faits qui semblaient réservés aux érudits et aux spécialistes, et d'avoir arraché à la poussière des bibliothèques tant de vénérables documents, dont l'existence suffirait à attester que la Bible a eu un rôle important dans l'histoire de notre civilisation et de notre langue. Il ne serait peut-être pas difficile d'établir que, pendant le moyen âge, la France a été la plus biblique des nations de l'Europe. Il conviendrait d'ajouter toutefois que cette culture biblique fut forcément superficielle, d'abord parce que, avant la découverte de l'imprimerie, la Bible restait un livre plus ou moins aristocratique et peu accessible au peuple, et ensuite parce que l'Église romaine se défia de bonne heure du livre qu'elle faisait profession de vénérer, mais dans lequel, par un sûr instinct, elle pressentait un ennemi. Les vieilles Bibles enchaînées dans les bibliothèques des monastères, voilà le symbole parlant de la situation faite au livre de Dieu pendant l'époque médiévale. Ce sont nos réformateurs qui ont prononcé la Parole du Christ, sur ce Lazare revenu à la vie : « Déliez-le et laissez-le aller ! »

    Dés lors, les destinées de la Bible sont inséparables de celles de la Réforme. Celle-ci fut la restauration du christianisme primitif et authentique, et en même temps la mise en lumière des Saintes Écritures. Sans s'être concertés et avec un ensemble où l'on reconnaît l'action divine, les réformateurs se montrent au monde, un livre à la main. Wicliffe et Tyndale en Angleterre, Luther et Mélanchthon en Allemagne, Lefèvre d'Étaples, Olivétan et Calvin en France, sont les hommes de la Bible. La mettre à la portée du peuple en la traduisant en langue vulgaire, l'expliquer par la prédication et par le livre, telle est leur tâche. La Bible fut pour eux le pic qui démolit, la truelle qui bâtit, l'épée qui combat. De la Parole écrite, on peut dire ce que dit saint Jean de la Parole vivante : « En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes ». Mais elle aussi naquit pour être « un signe qui provoque la contradiction ».

    Nulle histoire n'est plus tragique et plus glorieuse à la fois que l'histoire de la Bible en France depuis la Réformation ; ailleurs, elle a eu des succès plus grands et a exercé une influence plus étendue ; mais nulle part elle n'a peut-être suscité autant d'amour, fait verser autant de larmes, exigé autant de sacrifices que chez nous. Elle a été le livre d'une minorité, toujours combattue, persécutée, méprisée. Ce caractère de la Bible française explique les dédains dont elle a souffert de la part des distributeurs de la renommée. Tandis que la Bible allemande et la Version anglaise « autorisée » devenaient des monuments littéraires de premier ordre et exerçaient une vraie maîtrise sur la langue nationale, la traduction française d'Olivétan restait, en dépit de révisions successives, le livre d'une minorité, dont le style retardait toujours de cinquante ou de cent ans sur la langue courante. Ce n'est que d'hier que notre Bible a renoncé à son style réfugié, dont les particularités étaient comme les cicatrices du soldat blessé dans maintes batailles.

    Et que d'autres cicatrices, glorieuses celles-là, portent nos vieilles Bibles françaises ! Arrêtons-nous avec un respect ému devant ce vénérable in-folio du seizième siècle, qui a réussi à parvenir jusqu'à nous, alors que tant d'autres furent brûlés sur le bûcher ou lacérés par les mains du bourreau ou du prêtre. Cette vieille Bible huguenote, qui s'offre à nos regards avec ses feuillets rongés par l'humidité et souillés par le contact des doigts qui les ont tournés ; avec sa reliure disloquée et noircie par la fumée des grandes cheminées de cuisine, quelles aventures elle raconterait si elle pouvait parler ! Pour la dissimuler aux yeux des malintentionnés et des espions, on la cachait sous un tabouret, ou dans une cachette pratiquée dans l'épaisseur d'un mur, ou à l'intérieur du foyer ; dans les jours les plus mauvais, on l'ensevelissait sous les dalles de la maison, ou même dans une fosse creusée dans un champ, sauf à l'exhumer quand la persécution se calmait. Moins intéressante en apparence, mais d'un usage plus pratique, était la Bible de petit format, ordinairement accompagnée du psautier, du catéchisme et de la liturgie, qui pouvait plus facilement que l'in-folio traverser la frontière, dans la pacotille du colporteur, ou, glissée dans la poche, accompagner le prédicant ou le fidèle aux assemblées du Désert, dans les prisons et sur les bancs des galères.

    On est dans l'admiration devant la forte culture biblique des huguenots du seizième et du dix-septième siècle, même lorsque la persécution proscrivait la Bible et qu'il était presque impossible de se la procurer. On trouvera plus loin (chapitre III, § 3) des preuves de ce fait, en ce qui concerne le seizième siècle, d'après le martyrologe de Crespin. Le fait est tout aussi certain pour l'époque qui suivit la Révocation de l'Édit de Nantes. Ceux qui résistèrent aux dragons et aux prêtres ou qui se relevèrent de leur défaillance momentanée, étaient des hommes et des femmes qui connaissaient leur Bible à fond et pouvaient tenir tête aux adversaires. Les lettres des galériens et des prisonniers montrent que, chez les laïques de toutes les classes, et chez les femmes comme chez les hommes, l'Évangile fut bien, selon le mot de Vinet, « la conscience de la conscience ». On peut même affirmer que la force de résistance fut en raison directe de la connaissance de la Bible, et que plus la piété fut biblique et plus incorruptibles furent les âmes. Les lettres des forçats pour la Foi, Isaac Le Fèvre, Élie Neau, Louis de Marolles, les frères Serres ; les sermons des pasteurs du Désert, Claude Brousson, Antoine Rocher, Paul Rabaut ; les mémoires de Blanche Gamond, l'héroïque prisonnière de l'hôpital de Valence ; les fragments des « témoignages » d'une Isabeau Vincent, la bergère de Crest et d'autres « petits prophètes » des Cévennes ou du Dauphiné, montrent à quel point l'âme huguenote fut saturée de la plus pure quintessence de l'enseignement biblique.

    Du fond des cachots du château d'If, le galérien Céphas Carrière écrivait : « Malgré la vigilance de nos ennemis, nous avons la consolation d'y faire nos exercices de piété, d'y chanter les louanges du Seigneur, d'y lire la sainte Parole, de même qu'on pourrait faire dans une chambre parée et ornée, et nous pencher sur le sein de notre Sauveur et y laisser couler nos larmes. Je m'estime plus heureux dans ces lieux que dans des palais où je n'aurais pas la liberté de servir mon Dieu ».

    C'est aussi du château d'If qu'un autre galérien, Élie Neau, écrivait à des amis qu'il avait pu conserver une Bible anglaise, dont la lecture faisait ses délices : « Ainsi, disait-il, je suis plus riche que mes ennemis ne croient ; dans ma plus grande pauvreté, je suis assuré que je suis plus riche qu'eux. Oh ! s'ils savaient combien un homme est riche lorsqu'il est pénétré des rayons de la face de son Dieu ! »
    Ces témoignages, auxquels on pourrait en joindre beaucoup d'autres, montrent à quelle source nos pères puisèrent leur force et leur sérénité dans la longue affliction à laquelle ils furent soumis. Ils furent des hommes de la Bible, au sens le plus complet de ce mot. On pourrait même dire qu'ils le furent avec excès, surtout lorsqu'ils prirent les armes pour la défense de leur foi et pour tirer vengeance de leurs ennemis. Vivens, Cavalier, Roland et les Camisards, comme les Huguenots du seizième siècle, s'autorisèrent des exemples de l'Ancien Testament pour courir sus à ceux en qui ils voyaient des Amalécites ou des Philistins. Mais le plus souvent ils demandèrent à la Bible des leçons de patience plutôt que de représailles et prirent pour modèle Jésus plutôt que Josué.

    Il n'est pas douteux que l'extrême rareté d'exemplaires des livres saints, pendant le siècle qui va de la Révocation à la Révolution, n'explique en une grande mesure l'état de tiédeur où le protestantisme français retomba, malgré la restauration, plus ecclésiastique que religieuse, dont Antoine Court fut l'instrument. Les Bibles manquaient, et le protestantisme sans la Bible dans toutes les maisons et dans toutes les mains, n'est qu'une protestation stérile et qu'une tradition impuissante.

    La vraie restauration des Églises réformées de France, au sens complet et profond de ce mot, ne date ni d'Antoine Court, ni surtout de Napoléon. Elle date de ce retour à la piété qu'on a appelé le Réveil, et ce retour à la piété fut essentiellement un retour à la Bible. Chez nous, comme en Angleterre et dans d'autres contrées, le Réveil a donc dû se donner cet organe indispensable que sont les Sociétés bibliques. La Réformation du seizième siècle a largement utilisé l'imprimerie pour multiplier les exemplaires des Saintes Écritures ; elle a de plus connu et pratiqué le colportage biblique, et plusieurs de ses colporteurs ont été des héros et des martyrs ; mais elle n'a pas possédé ces puissantes sociétés, qui seules ont pu mettre la Bible entre toutes les mains, en en faisant, non plus un objet de commerce, sur lequel le libraire a son profit légitime, mais un instrument d'évangélisation que l'on livre à prix coûtant, et même gratuitement. Le Réveil a donc ajouté, aux moyens anciens de diffusion de la Bible, la puissance de l'association, cette découverte du dix-neuvième siècle, et il a utilisé toutes les ressources que la science moderne lui a fournies, tant pour la traduction et la révision des livres saints, que pour leur multiplication et leur dissémination rapide sur tous les points du globe.
    La France a participé à ce mouvement d'évangélisation par la Bible, tant par les immenses bienfaits qu'elle a reçus de la Société biblique britannique et étrangère, que par la création de Sociétés françaises, qui tiennent à honneur de la considérer comme leur mère. Cette propagande a atteint des proportions si vastes, que ce n'est peut-être pas exagérer que de supposer que le nombre d'exemplaires de la Bible ou du Nouveau Testament répandus en France en une seule année égale le nombre vendu dans les trois siècles qui ont suivi la Réforme.

    C'est cette histoire de la Bible en France que M. Lortsch raconte dans ce livre, où il a réuni des faits et des documents de grande valeur. Nous sommes assuré d'être l'organe de tous ceux qui le liront en le remerciant d'avoir doté notre littérature protestante d'un ouvrage de premier ordre qui lui manquait.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:52

    22 - Comparaison de quelques versions

    Tableau synoptique de la traduction de deux morceaux du Nouveau Testament dans six versions protestantes et dans deux versions catholiques
    Nous choisissons ces deux morceaux comme étant, le premier, l'un des plus mouvementés, et le second, l'un des plus littéraires du Nouveau Testament. Le texte choisi pour les versions de Lausanne, d'Oltramare, de Segond, de Stapfer, est celui de la révision la plus récente. Nous supprimons la séparation en versets dans Ostervald et dans Sacy.




    2 Corinthiens 11, 17-29


    2 Corinthiens 11, 17-29


    OSTERVALD (1744)


    SACY (1759)



    17 Ce que je dis dans cette confiance avec laquelle je me glorifie, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme par imprudence.
    18 Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je me glorifierai aussi.
    19 Car vous souffrez sans peine les imprudens, parce vous êtes sages.
    20 Même, si quelqu'un vous assujettit, si quelqu'un vous mange, si quelqu'un prend ce qui est à vous, si quelqu'un vous frappe au visage, vous le souffrez.
    21 J'ai honte de le dire, on nous regarde comme si nous n'avions aucun pouvoir, mais de quelque chose que quelqu'un ose se vanter, (je parle en imprudent), j'ose aussi m'en vanter.
    22 Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont-ils Israélites ? Je le suis aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? J'en suis aussi.
    23 Sont-ils Ministres de Christ ?(je parle en imprudent). Je le suis plus qu'eux ; j'ai souffert plus de travaux qu'eux, plus de blessures, plus de prisons ; j'ai été plusieurs fois en danger de mort.
    24 J'ai reçu des Juifs, cinq fois, quarante coups de fouët moins un.
    25 J'ai été battu de verges trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit dans le
    profond de la mer.
    26 J'ai été souvent en voyage ; j'ai été en danger sur les rivières ; en danger de la part des voleurs ; en danger parmi ceux de ma nation ; en danger parmi les Gentils ; en danger dans les Villes ; en danger dans les déserts ; en danger sur la mer ; en danger parmi les faux frères ;
    27 dans les peines, dans les travaux, dans les veilles, dans la faim, dans la soif, dans les jeunes, dans le froid, dans la nudité.
    28 Outre les choses qui me viennent de dehors, je suis comme assiégé tous les jours, par les soucis que me donnent toutes les Églises.
    28 Quelqu'un est-il affligé, que je n'en sois aussi affligé ? Quelqu'un est-il scandalisé, que je n'en sois aussi comme brûlé ?



    17 Croyez, si vous voulez, que ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu ; mais que je fais paraitre de l'imprudence dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier.
    18 Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux.
    19 Car, étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents.
    20 Vous souffrez même qu'on vous asservisse, qu'on vous mange, qu'on prenne votre bien, qu'on vous traite avec hauteur, qu'on vous frappe au visage.
    21 C'est à ma confusion que je le dis, puisque nous passons pour avoir été trop faibles en ce point. Mais puisqu'il y en a qui sont si hardis à parler d'eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi qu'eux.
    22 Sont ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont-ils Israélites ? Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? J'en suis aussi.
    23 Sont-ils ministres de Jésus Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis encore plus qu'eux. J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons ; je me suis souvent vu tout près de la mort.
    24 J'ai reçu des Juifs, cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet.
    25 J'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai fait naufrage trois fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer.
    26 J'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part de ceux de ma nation.
    dans les périls de la part des païens, dans les périls au milieu des villes, dans les périls au milieu des déserts.
    dans les périls sur mer, dans les périls entre les faux frères.
    29 J'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, de fréquentes veilles, la faim, la soif, beaucoup de jeûnes, le froid et la nudité.
    28 Outre ces maux qui ne sont qu'extérieurs, le soin que j'ai de toutes les Églises m'attire une foule d'affaires dont je suis assiégé tous les jours.
    28 Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ?















    2 Corinthiens 11, 17-29


    2 Corinthiens 11, 17-29


    LAUSANNE


    OLTRAMARE


    17 Ce que je dis, en ce sujet que j'ai de me glorifier, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme par imprudence.
    18 Puisque beaucoup se glorifient selon la chair, moi aussi je me glorifierai.
    19 Car, tout prudents que vous êtes, vous supportez volontiers les imprudents.
    20 Car si quelqu'un vous asservit, si quelqu'un vous dévore, si quelqu'un s'empare de vous, si quelqu'un s'élève, si quelqu'un vous déchire au visage, vous le supportez.
    21 Je le dis avec honte ; [c'est] comme si nous avions été sans force. Mais en quoi que ce soit que quelqu'un ait de la hardiesse (je parle avec imprudence), moi aussi j'ai de la hardiesse.
    22 Sont-ils hébreux ? moi aussi. Sont-ils israélites ? moi aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? moi aussi.
    23 Sont-ils serviteurs de Christ ? (je parle en déraisonnant), moi encore plus ; en travaux bien plus ; en blessures, excessivement ; en prison bien plus ; en morts, souvent ;
    24 cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante [coups] moins un ;
    25 trois fois j'ai été battu de verges ; une fois j'ai été lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai passé un jour et une nuit dans la
    haute mer.
    26 Souvent en voyages, en périls sur les fleuves, en périls de la
    part des brigands, en périls de la part
    de ceux de ma race, en périls dans le
    désert, en périls sur la mer, en périls
    parmi les faux frères,
    27 en travail et en peine, souvent en veilles, dans la faim et dans la soif, souvent en jeûnes, dans le froid et la nudité.
    28 Outre ces choses de dehors, l'assaut qui m'est livré chaque jour, c'est le souci de toutes les assemblées.
    29 Qui est affaibli, que je ne sois aussi affaibli ? Qui est scandalisé, que je ne sois aussi brûlé ?


    17 Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme en état de déraison, lorsque j'affiche cette prétention de me glorifier.
    18 Puisque tant de gens se glorifient selon la chair, moi aussi je me glorifierai.
    19 Vous supportez volontiers les insensés, vous, si raisonnables ;
    20 vous supportez qu'on vous traite comme des esclaves, qu'on vous dévore, qu'on vous pille, qu'on vous traite avec hauteur, qu'on vous frappe au visage.
    21 Ah ! pour nous (je le dis à notre honte), nous avons été faible ! Mais de quoi que ce soit que quelqu'un ose se vanter (je parle en insensé), moi aussi, je l'ose.
    22 Ils sont Hébreux ? moi aussi. Ils sont Israélites ? moi aussi. Ils sont de la postérité d'Abraham ? moi aussi.
    23 Ils sont ministres de Christ ? Ah ! je vais parler comme un homme qui ne se possède pas, je le suis plus qu'eux . j'ai supporté plus de fatigues, plus beaucoup de coups et d'emprisonnements ; souvent j'ai vu la mort de prés.
    24 J'ai reçu des Juifs, par cinq fois, quarante coups de fouet moins un ;
    25 j'ai été battu de verges trois fois ; j'ai été lapidé une fois ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit dans l'abime.
    26 Souvent, dans mes voyages, j'ai été en danger sur les fleuves, en danger de la part de ceux de ma nation, en danger de la part des païens, en danger dans les déserts, en danger sur mer, en danger parmi les faux frères.
    27 Fatigue, peine, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et dénûment, j'ai tout enduré,
    28 sans parler du fardeau que m'impose chaque jour le souci de toutes les Églises.
    29 Qui est faible, que je n'en souffre ? Qui trébuche, que je n'en aie la fièvre ?














    2 Corinthiens 11, 17-29


    2 Corinthiens 11, 17-29


    SECOND


    STAPFER


    " Ce que je dis, avec l'assurance
    d'avoir sujet de me glorifier, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme par folie.
    18 Puisqu'il en est plusieurs qui se glorifient selon la chair, je me glorifierai aussi.
    19 Car vous supportez volontiers les insensés, vous qui êtes sages.
    28 Si quelqu'un vous si asservit, quelqu'un vous dévore, si quelqu'un s'empare de vous, si quelqu'un est arrogant, si quelqu'un vous frappe au visage, vous le supportez.
    21 J'ai honte de le dire, nous avons montré le la faiblesse. Cependant tout ce que peut oser quelqu'un, — je parle en insensé, — moi aussi, je l'ose !
    22 Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? Moi aussi.
    23 Sont-ils ministres de Christ ? — Je parle en homme qui extravague. — Je le suis plus encore : par les travaux, bien plus ; par les coups, bien plus ; par les emprisonnements, bien plus.
    24 Souvent en danger de mort, cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups moins un,
    25 trois fois j'ai été battu de verges, une fois j'ai été lapidé, trois fois j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme.
    26 Fréquemment en voyage, j'ai été en péril sur les fleuves, en périls de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation, en péril de la part des païens, en péril dans les villes, en péril dans les déserts, en péril sur la mer, en péril parmi les faux frères.
    27 J'ai été dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim et à la soif, à des jeûnes multipliés, au froid et à la nudité.
    28 Et sans parler d'autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises.
    29 Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ?


    17 Ce que je vais dire, je ne le dirai pas selon le Seigneur, je parlerai comme un « fou » ; j'ai la prétention de chanter ma gloire ;
    18 il y en a tant qui chantent la leur, chantons aussi la nôtre !
    19 Vous qui êtes si sages, vous savez être indulgents pour les fous ;
    20 vous avez une étonnante patience avec ces gens qui vous asservissent, qui vous mangent, qui vous pillent, qui vous regardent de haut en bas, qui vous frappent au visage.
    21 Je suis honteux de le dire, mais nous nous sommes montrés bien faibles. Si ces gens-là se mettent en avant, moi dans ma « folie », je le fais comme eux ;
    22 ils sont Hébreux ? moi aussi je le suis ; ils sont Israélites ? moi aussi je le suis ; ils sont de la race d'Abraham ? moi aussi j'en suis.
    23 Ils sont ministres de Christ ? (ici ma « folie » dépasse toute mesure), je le suis bien plus qu'eux, par mes immenses travaux, par les innombrables coups que j'ai reçus, par mes emprisonnements multiples, par les mille morts que j'ai souffertes !
    24 Cinq fois les Juifs m'ont appliqué leurs « quarante coups moins un » ;
    25 trois fois j'ai été bâtonné, une fois j'ai été lapidé, trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai passé toute une nuit et un jour dans l'abîme ;
    26 et les voyages sans nombre, et les dangers en passant les fleuves, et les dangers du côté des voleurs, et les dangers du côté des Juifs, et les dangers du côté des païens, et les dangers dans les villes, et les dangers dans la solitude, et les dangers sur mer, et les dangers chez les faux frères,
    27 et les labeurs et les fatigues, et les veilles répétées, et la faim, et la soif, et les jeûnes répétés, et le froid et le dénûment !
    26 Et, sans parler du reste, mes préoccupations quotidiennes ! le souci de toutes les Églises !
    21 Qui vient à faiblir que je n'en souffre ! Qui vient à tomber sans que j'en aie la fièvre !














    2 Corinthiens 11, 17-29


    2 Corinthiens 11, 17-29


    VERSION SYNODALE


    CRAMPON


    17 Ce que je dis, quand je me glorifie avec une telle assurance, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme un insensé.
    18 Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, moi aussi, je vais me glorifier.
    19 Car vous supportez volontiers les insensés, vous qui êtes des sages.
    20 Oui, vous supportez qu'on vous asservisse, qu'on vous dévore, qu'on vous pille, qu'on vous traite avec hauteur, qu'on vous frappe au visage.
    21 Je le dis à notre honte, nous avons montré de la faiblesse. Et cependant, si quelqu'un ose se vanter de quelque chose, — je parle en insensé, — moi aussi, je l'oserai.
    22 Ils sont Hébreux ? Moi aussi. Ils sont Israélites ? Moi aussi. Ils sont de la postérité d'Abraham ? Moi aussi.
    23 Ils sont ministres de Christ ? Eh bien, — je parle comme un insensé, — je le suis davantage : j'ai eu à supporter plus de travaux, plus d'emprisonnements, infiniment plus de coups ; souvent, j'ai été en danger de mort ;
    24 cinq fois, j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ;
    25 j'ai été battu de verges trois fois : j'ai été lapidé une fois ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme ;
    26 j'ai été souvent en voyage, en danger sur les rivières, en danger de la part des voleurs, en
    danger de la part de ma nation, en danger de la part des Gentils, en danger dans les villes, en danger dans les déserts, en danger sur la mer, en danger parmi les faux frères ;
    27 dans le travail et la peine, souvent dans les veilles, dans la faim et la soif, souvent dans les jeûnes, dans le froid et la nudité.
    28 Sans parler de tout le reste, chaque jour je suis assiégé par le souci de toutes les Églises.
    29 Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à broncher, que je n'en aie la fièvre ?


    17 Ce que je vais dire, avec cette
    assurance d'avoir sujet de me glorifier, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme si j'étais en état de folie.
    18 Puisque tant de gens se glorifient selon la chair, je me glorifierai aussi.
    19 Et vous qui êtes sensés, vous supportez volontiers les insensés.
    20 Vous supportez bien qu'on vous asservisse, qu'on vous dévore, qu'on vous pille, qu'on vous traite avec arrogance, qu'on vous frappe au visage.
    21 Je le dis à ma honte, nous avons été bien faibles !
    Cependant, de quoi que ce soit qu'on ose se vanter, — je parle en insensé, — moi aussi je l'ose.
    22 Sont-ils Hébreux ? Moi aussi, je le suis. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? Moi aussi.
    23 Sont-ils ministres du Christ ? — Ah ! je vais parler en homme hors de sens : — je le suis plus qu'eux : bien plus qu'eux par les travaux, bien plus par les coups, infiniment plus par les emprisonnements ; souvent j'ai vu de près la mort ;
    24 cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ;
    25 trois fois j'ai été battu de verges ; une fois j'ai été lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai passé un jour et une nuit dans l'abime.
    26 Et mes voyages sans nombre, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, les périls de la part de ceux de ma nation, les périls de la part des gentils, les périls dans les villes, les périls dans les déserts, les périls sur la mer, les périls de la part des faux frères,
    27 les labeurs et les peines, les nombreuses veilles, la faim, la soif, les jeûnes multipliés, le froid, la nudité !
    28 Et, sans parler de tant d'autres choses, rappellerai-je mes soucis de chaque jour, la solli citude de toutes les Églises ?
    29 Qui est faible que je ne sois faible aussi ? Qui vient à tomber sans qu'un feu me dévore ?














    Jacques 3, 1-12


    Jacques 3, 1-12


    OSTERVALD (1744)


    SACY (1759)


    1 Mes Frères, qu'il n'y ait pas plusieurs Maîtres parmi vous ; sachant que nous en recevrons une plus grande condamnation.
    2 Car nous bronchons tous en plusieurs choses. Si quelqu'un ne bronche point en parole, c'est un homme parfait, et il peut tenir tout le corps en bride.
    3 Voilà, nous mettons des mords dans la bouche des chevaux, afin qu'ils nous obéissent, & nous menons çà & là tout leur corps.
    4 Voila aussi les navires, quoi qu'ils soient si grands, & qu'ils soient poussés par des vents violens, ils sont menés de côté & d'autre avec un petit gouvernail, selon la volonté de celui qui les gouverne.
    5 Ainsi la langue est un petit membre, & elle se vante de grandes choses ; voyez combien de bois un petit feu peut allumer.
    6 La langue est aussi un feu, un monde d'iniquité ; la langue est posée entre nos membres d'une manière qu'elle souille tout le corps ; elle enflamme tout le corps ; elle enflamme tout le cours de nôtre vie, et elle est enflammée du feu de la géhenne.
    7 Toutes sortes de bêtes sauvages, & d'oiseaux, & de reptiles, & de poissons de mer, se domptent, & ont été domptés par la nature humaine :
    8 Mais aucun homme ne peut dompter la langue ; c'est un mal qu'on ne peut réprimer ; elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Par elle, nous bénissons Dieu nôtre Père ; & par elle nous maudissons les hommes qui sont faits à l'image de Dieu.
    10 D'une même bouche sort la béné diction & la malédiction. Mes Frères, il ne faut point que cela soit ainsi.
    11 Une fontaine jette-t-elle par une même ouverture de l'eau douce, & de l'eau amère ?
    12 Mes Frères, un figuier peut-il porter des olives, ou
    une vigne des figues ? Ainsi aucune fontaine ne peut jetter de l'eau salée & de l'eau douce.


    1 Mes frères, qu'il n'y ait point parmi vous tant de gens qui se mêlent d'enseigner : car vous devez savoir que par là on s'expose à un jugement plus sévère.
    2 En effet, nous faisons tous beaucoup de fautes ; et si quelqu'un ne fait point de faute en parlant, c'est un homme parfait ; il peut tenir tout le corps en bride.
    3 Ne voyez-vous pas que nous mettons des mors dans la bouche des chevaux, afin qu'ils nous obéissent, et qu'ainsi nous faisons tourner tout leur corps où nous voulons ? Ne voyez-vous pas aussi qu'encore que les vaisseaux soient si grands, et qu'ils soient poussés par les vents impétueux, ils sont tournés néanmoins de tous côtés avec un très petit gouvernail, selon la volonté du pilote qui les conduit ?
    5 Ainsi la langue n'est qu'une petite partie du corps ; et cependant combien peut-elle se vanter de faire de grandes choses ! Ne voyez-vous pas combien un petit feu est capable d'allumer de bois ?
    6 La langue aussi est un feu ; c'est un monde d'iniquité ; et n'étant qu'un de nos membres, elle infecte tout notre corps ; elle enflamme tout le cercle et tout le cours de notre vie, et est elle-même enflammée du feu de l'enfer.
    7 Car la nature de l'homme est capable de dompter, et a dompté en effet toutes sortes d'animaux, les bêtes de la terre, les oiseaux, les reptiles, et les poissons de la mer.
    8 Mais nul homme ne peut dompter la langue : c'est un mal inquiet et intraitable ; elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Par elle, nous bénissons Dieu notre Père ; et par elle nous maudissons les hommes qui sont créés à l'image de Dieu.
    10 La bénédiction et la malédiction partent de la même bouche. Ce n'est pas ainsi, mes frères, qu'il faut agir,
    11 Une fontaine jette-t-elle par une même ouverture de l'eau douce et de l'eau amère ?
    12 Mes frères, un figuier peut-il porter des raisins, ou une vigne des figues ? Ainsi nulle fontaine d'eau salée ne peut jeter de l'eau douce.














    Jacques 3, 1-12


    Jacques 3, 1-12


    VERSION DE LAUSANNE


    OLTRAMARE


    1 Ne soyez pas beaucoup de docteurs, mes frères, sachant que nous en subirons un plus grand jugement ;
    2 car nous bronchons tous en beaucoup de choses. Si quelqu'un ne bronche pas en parole, c'est un homme parfait, qui peut tenir en bride même tout le corps.
    3 Voici que nous mettons des mors à la bouche des chevaux pour qu'ils nous obéissent, et nous conduisons çà et là tout leur corps ;
    4 voici que les vaisseaux même, quelque grands qu'ils soient et bien que poussés par des vents violents, sont conduits çà et là par un très petit gouvernail, partout où le veut l'impulsion de celui qui dirige ;
    5 de même, la langue est un petit membre, et elle se vante de
    grandes choses. Voyez quel petit feu embrase une grande forêt !
    6 La langue aussi est un feu ; c'est le monde de l'iniquité. Ainsi est placée parmi nos membres la langue, qui souille tout le corps, et qui enflamme le cours de l'existence, et qui est enflammée par la géhenne.
    7 Car toute nature de bêtes sauvages et d'oiseaux, de reptiles et de poissons, se dompte et a été domptée par la nature humaine ;
    8 mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c'est un mal qu'on ne peut arrêter ; [elle est] pleine d'un venin mortel.
    9 Par elle, nous bénissons celui qui est Dieu et Père ; et par elle, nous maudissons les hommes qui ont été faits à la ressemblance de Dieu ;
    10 de la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction ! Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.
    11 Une fontaine jette-t-elle par la même ouverture le doux et l'amer ?
    12 Mes frères, un figuier peut-il produire des olives, ou une vigne des figues ? De même, aucune fontaine ne peut donner de l'eau salée et [de la] douce.


    1 Mes frères, qu'il n'y ait pas parmi vous tant de gens qui s'érigent en docteurs ; vous savez que nous nous exposons à un jugement d'autant plus sévère.
    2 Tous en effet, nous bronchons souvent. Si quelqu'un ne bronche pas en paroles, c'est un homme parfait, capable de tenir en bride son corps tout entier.
    3 Pour nous faire obéir des chevaux, nous leur mettons un mors dans la bouche, et nous gouvernons ainsi leur corps tout entier
    4 Voyez encore les navires : tout grands qu'ils sont, et quoique poussés par des vents violents, ils sont dirigés au gré du pilote, par un bien petit gouvernail.
    5 De même aussi la langue est un petit membre, et elle peut se vanter de grandes choses. Voyez quelle grande masse de bois un petit feu peut embraser !
    6 La langue aussi est un feu, c'est un monde d'iniquité : la langue est installée parmi nos membres, souillant le corps tout entier, et enflammant tout le cours de la vie, enflammée elle-même du feu de la Géhenne.
    7 Toute espèce de bêtes sauvages et d'oiseaux, de reptiles et d'animaux marins peuvent être domptés, et ont été domptés par l'espèce humaine ;
    8 mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c'est un fléau qu'on ne peut arrêter ; elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Avec elle, nous bénissons le Seigneur, notre Père ; et avec elle, nous maudissons les hommes qui sont faits à la ressemblance de Dieu :
    10 de la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction ! Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.
    11 Une source donne-t-elle par la même ou verture de l'eau douce et de l'eau amère ?
    12 Un figuier, mes Frères, peut-il donner des olives, ou une vigne des figues ? Une source salée ne peut pas non plus donner de l'eau douce.














    Jacques 3, 1-12


    Jacques 3, 1-12


    SEGOND


    STAPFER


    1 Mes frères, qu'il n'y ait pas parmi vous un grand nombre de personnes qui se mettent à enseigner, car vous savez que nous serons jugés plus sévèrement.
    2 Nous bronchons tous de plusieurs manières. Si quelqu'un ne bronche point en paroles, c'est un homme parfait, capable de tenir tout son corps en bride.
    3 Si nous mettons le mors dans la bouche des chevaux pour qu'ils nous obéissent, nous dirigeons aussi leur corps tout entier.
    4 Voici, même les navires, qui sont si grands et que poussent des vents impétueux, sont dirigés par un très petit gouvernail, au gré du pilote.
    5 De même, la langue est un petit membre, et elle se vante de grandes choses. Voici, comme un petit feu peut embraser une grande forêt !
    6 La langue aussi est un feu, c'est le monde de l'iniquité. La langue est placée parmi nos membres, souillant tout le corps, et enflammant le cours de la vie, étant elle-même enflammée par la géhenne.
    7 Toutes les espèces de bêtes et d'oiseaux, de reptiles et d'animaux marins, sont domptés et ont été domptés par la nature humaine ;
    8 mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c'est un mal qu'on ne peut réprimer ; elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Par elle nous bénissons le Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l'image de Dieu.
    10 De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction. Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.
    11 La source fait-elle jaillir par la même ouverture l'eau douce et l'eau amère ?
    12 Un figuier, mes frères, peut-il produire des olives, ou une vigne des figues ? De l'eau salée ne peut pas non plus produire de l'eau douce.


    Ne soyez pas nombreux à vous ériger en docteurs, mes frères, vous savez que nous serons jugés d'autant plus sévèrement.
    2 Nous bronchons tous et de bien des manières, et si quelqu'un ne bronche pas dans ses paroles, c'est un homme parfait, capable de tenir en bride son corps tout entier.
    3 Quand nous mettons un mors dans la bouche des chevaux pour nous en faire obéir, nous conduisons en même temps leur corps tout entier.
    4 Voyez aussi les navires : qu'ils sont grands ! combien sont violents les vents qui les agitent ! Et c'est avec un tout petit gouvernail que le pilote les mène à volonté dans toutes les directions.
    5 Il en est de même de la langue, petit membre qui a de grandes prétentions ! Un bien petit feu peut embraser une bien grande forêt !
    6 La langue aussi est un feu ; elle est le monde de l'iniquité, la langue, installée parmi nos autres membres, souillant le corps tout entier, enflammant le cours de la vie, et enflammée elle-même par le feu de la Géhenne !
    7 Toute espèce d'animaux sauvages, d'oiseaux, de reptiles, de poissons, peuvent être domptés ou ont été domptés par l'espèce humaine,
    8 mais la langue, il n'est pas d'homme qui puisse la dompter ; mal impossible à arrêter, elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Avec elle, nous bénissons le Seigneur notre Père, et avec elle nous maudissons les hommes créés à l'image de Dieu.
    10 De la même bouche, sortent bénédiction et malédiction ! Il ne doit pas en être ainsi, mes frères !
    11 La source donne-t-elle, par la même ouverture, de l'eau douce et de l'eau saumâtre ?
    12 Un figuier, mes frères, peut-il donner des olives ? Une vigne, des figues ? Une source d'eau salée ne peut pas davantage donner de l'eau douce.














    Jacques 3, 1-12


    Jacques 3, 1-12


    VERSION SYNODALE


    CRAMPON


    1 Mes frères, qu'il n'y en ait pas beaucoup parmi vous qui s'érigent en docteurs, car vous savez qu'on s'expose ainsi à un jugement plus sévère.
    2 Nous bronchons tous de bien des manières. Si quelqu'un ne bronche pas dans ses paroles, c'est un homme parfait, capable de tenir tout son corps en bride.
    3 Nous mettons un mors dans la bouche des chevaux pour nous en faire obéir, et ainsi nous dirigeons tout leur corps.
    4 Voyez aussi les navires : quelque grands qu'ils soient, et bien que poussés par des vents violents, ils sont dirigés par un très petit gouvernail, suivant la volonté de celui qui les gouverne.
    5 De même, la langue est un petit membre, et elle peut se vanter de grandes choses. Voyez quelle grande forêt un petit feu peut embraser !
    6 La langue aussi est un feu ; c'est le monde de l'iniquité. La langue, placée comme elle l'est parmi nos membres, souille tout le corps et enflamme tout le cours de la vie, étant elle-même enflammée du feu de la géhenne.
    7 Toute espèce de bêtes sauvages, d'oiseaux, de reptiles et d'animaux marins peuvent être et ont été domptés par l'espèce humaine ;
    8 mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c'est un mal qu'on ne peut réprimer ; elle est pleine d'un venin mortel.
    9 Par elle, nous bénissons le Seigneur, notre Père, et par elle nous maudissons les hommes, faits à l'image de Dieu.
    10 De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction ! Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.
    11 Est-ce qu'une fontaine jette par la même ouverture de l'eau douce et de l'eau amère ?
    12 Mes frères, un figuier peut-il porter des olives, ou une vigne, des figues ? Une source d'eau salée ne peut pas non plus donner de l'eau douce.


    1 Mes frères, qu'il n'y en ait pas tant, parmi vous, qui s'érigent en docteurs, sachant que nous serons jugés plus sévèrement.
    2 Car nous péchons tous en beaucoup de choses. Si quelqu'un ne pèche pas en parole, c'est un homme parfait, capable de tenir aussi tout le corps en bride.
    3 Si nous mettons aux chevaux un mors dans la bouche pour nous en faire obéir, nous gouvernons aussi leur corps tout entier.
    4 Voyez encore les vaisseaux : tout grands qu'ils sont, et quoique poussés par des vents impétueux, ils sont conduits par un très petit gouvernail au gré du pilote qui les dirige.
    5 Ainsi, la langue est un tout petit membre ; mais de quelles grandes choses elle peut se vanter ! Voyez, une étincelle petit embraser une grande forêt !
    6 La langue aussi est un feu, un monde d'iniquité. N'étant qu'un de nos membres, la langue est capable d'infecter tout le corps ; elle enflamme le cours de notre vie, enflammée qu'elle est elle-même du feu de l'enfer.
    7 Toutes les espèces de quadrupèdes, d'oiseaux, de reptiles et d'animaux marins peuvent se dompter, et ont été domptés par l'homme.
    8 Mais la langue, aucun homme ne peut la dompter : c'est un fléau qu'on ne peut arrêter ; elle est remplie d'un venin mortel.
    9 Par elle, nous bénissons le Seigneur et notre Père, et par elle nous maudissons les hommes qui ont été faits à l'image de Dieu.
    10 De la même bouche, sortent la malédiction et la bénédiction ! Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.
    11 Est-ce que de la même ouverture, la source fait jaillir le doux et l'amer ?
    12 Est-ce qu'un figuier, mes frères, peut produire des olives, ou la vigne des figues ? Ainsi une source salée ne peut donner de l'eau douce.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:53

    23 - Sonnets pour servir d'Introduction aux Fragments et à l'Aperçu sur le colportage biblique

    23.1 - Les copistes

    Gloire à ces travailleurs modestes
    Qui gardaient le Livre de Dieu,
    Lampe d'or brillant au saint lieu
    En dépit des souffles funestes !

    Ils déchiffraient les palimpsestes,
    Puis, sur le vélin précieux,
    Traçaient les paroles célestes
    Avec un art religieux.

    Et lorsque, au milieu d'une page,
    La mort interrompait l'ouvrage,
    Il s'achevait par d'autres mains.

    Devant ces nobles parchemins,
    S'incline, ouvriers anonymes,
    Un fils de vos labeurs sublimes !

    23.2 - Les imprimeurs

    Gutenberg, Elzévir, Estienne,
    Inventeurs du plus noble outil,
    Vos mains habiles ont serti
    Dans l'or nouveau la perle ancienne.

    Grâce à vous l'immortel Écrit,
    Sans autre beauté que la sienne,
    Redevint, pour l'âme chrétienne,
    Le pur joyau du Saint-Esprit !

    Son orient incomparable
    Charma les yeux du misérable,
    Éblouissant même les rois.

    Dans leur indigence commune
    Ce livre devint la fortune
    De tous les peuples à la fois !

    23.3 - Les traducteurs

    À l'humanité fut donnée
    La parole, attribut de Dieu :
    Par le péché, maître en tout lieu,
    Au blasphème elle est condamnée.

    La langue humaine est profanée
    Et fait entendre, sous les cieux,
    Non plus le verbe harmonieux,
    Mais des cris de bête enchaînée.

    Vous dont les patients travaux
    Forcent à des accents nouveaux
    Le langage le plus rebelle,

    Vous faites du Livre divin
    La grammaire où le genre humain
    Apprend la langue universelle !

    23.4 - Les colporteurs

    Debout, les vaillants serviteurs !
    Pour vous la besogne commence ;
    Les scribes et les traducteurs
    Vous ont préparé la semence ;

    Dans sa misère et sa démence,
    La terre attend ses bienfaiteurs ;
    Vous êtes peu, l'oeuvre est immense :
    En avant, hardis colporteurs !

    Le sol où votre pied se lasse
    Ne gardera pas votre trace,
    Mais Dieu la suit avec amour.

    Il rend sa Parole féconde :
    Semeurs, ensemencez le monde,
    Et vous moissonnerez un jour !

    23.5 - Le nerf de la guerre

    Il n'est pas une pièce d'or
    Qui soit nette du sang des hommes :
    Au total de toutes les sommes
    S'ajoute la honte ou la mort…

    Ô toi qui sais comment se nomme
    Celui qui venge tous les torts,
    Sois, pour tout le reste, économe,
    Mais prodigue pour ses trésors,

    Afin qu'en tout lieu se répande
    De Dieu la magnifique offrande :
    Le sang précieux de Jésus,

    Qui sauve, rachète et répare
    Même les crimes de l'avare
    Quand l'or ne le possède plus !

    Ruben Saillens
    Arlitto
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:53

    24 - Fragments relatifs à l’Histoire générale de la Bible (Les Textes Originaux)

    24.1 - Les trois plus vieilles Bibles du monde

    Avant l'invention de l'imprimerie, tout nouvel exemplaire des livres saints devait être copié à la main. Or, il était impossible que dans la copie d'un long manuscrit il ne se glissât pas des erreurs, et que dans une copie de cette copie il ne s'en glissât pas de nouvelles (*). On comprend donc que les manuscrits du quinzième siècle devaient être passablement fautifs. Il est vrai que ces erreurs sont généralement insignifiantes. Mais pour avoir, le plus exactement possible, le texte sacré original, une révision du texte des Bibles imprimées d'après ces manuscrits du quinzième siècle est indispensable.

    (*) Voir, sur les variantes, point 24.3.2.2 du texte global = point 1.3.2.2 de la Partie 4 « Les textes originaux et les traductions anciennes »

    Comment cette révision est-elle possible ? On a trois sources d'information :


    • Les manuscrits de la Bible dans les langues originales.

    • Les anciennes versions de la Bible, dont l'une, les Septante, est antérieure à Jésus-Christ, dont d'autres sont de très peu postérieures aux temps apostoliques. Nous rejoignons ainsi par elles un texte très ancien,

    • Les très abondantes citations des Écritures dans les écrits des Pères de l'Église, qui datent principalement des deuxième, troisième et quatrième siècles.




    En comparant les données de ces trois sources d'information, inconnues, ou à peu près, au quinzième siècle, on peut arriver à établir un texte plus sûr que celui des manuscrits récents, où les erreurs ont pu s'accumuler, et d'après lesquels ont été imprimées nos premières Bibles protestantes.
    La science qui étudie ces données s'appelle la critique du texte, ou « basse critique », comme on dit dans d'autres pays, par opposition à la « haute critique » qui s'occupe des questions, plus importantes, d'auteur, de date, d'authenticité.
    Arrêtons-nous un peu sur la première de ces sources d'information.
    La valeur d'un manuscrit est généralement en proportion de son âge. Comment cet âge peut-il se déterminer ? La question est très complexe. Toutefois, le guide principal, c'est la forme des lettres. Les manuscrits les plus anciens sont écrits en lettres onciales, c'est-à-dire en lettres majuscules, environ de la dimension de l'épaisseur du pouce (uncia, en latin, signifie pouce), sans ponctuation, sans accents, sans division entre les mots, comme ceci

    DIEUATANTAIMELEMONDEQUILADONNESONFILSUNIQUE

    On économisait ainsi de l'espace, ce qui était nécessaire, vu la cherté des matériaux. De plus, les abréviations sont nombreuses.
    Les manuscrits plus modernes sont écrits en écriture cursive.
    Parmi les manuscrits anciens, il y en a trois qui dépassent tous les autres en importance : ce sont le Vaticanus, du quatrième siècle, le Sinaïticus, du quatrième ou cinquième siècle (*) et l'Alexandrinus, du cinquième siècle. Chose assez curieuse, la possession de ces trois manuscrits se trouve partagée entre les trois grandes branches de l'Église chrétienne. Le Vaticanus est entre les mains de l'Église catholique : il est conservé à la Bibliothèque du Vatican, à Rome. L'Alexandrinus appartient à la protestante Angleterre il est conservé au Musée britannique. Le Sinaïticus appartient à l'Église grecque : il est conservé à Saint-Pétersbourg.

    (*) D'après Fritz BARTH (Einleitung in das Neue Testament, p. 406).

    24.1.1 - Le Codex Vaticanus

    Le Codex Vaticanus (codex est le nom technique de ces anciens manuscrits) est donc la plus vieille Bible du monde. Il a dû être placé dans la bibliothèque du Vatican lors de sa fondation, en 1448, par le pape Nicolas V. Les autorités du Vatican l'ont pendant longtemps gardé d'une manière un peu trop jalouse. L'accès en était interdit, même aux savants. L'un d'eux, pourtant, le Dr Tregelles, put pénétrer jusqu'à lui, mais tout d'abord on fouilla ses poches, on lui enleva plume, encre, papier. Deux prêtres chargés de le surveiller cherchaient à le distraire s'il paraissait trop occupé à examiner un passage, et même allaient jusqu'à lui enlever le livre. Depuis, le pape Pie IX a fait faire de ce manuscrit d'excellents fac-similés que l'on peut trouver dans les principales bibliothèques de l'Europe.
    Le manuscrit n'est pas complet. Il y manque Genèse 1-46, les psaumes 105 à 137, et la fin du Nouveau Testament à partir de Hébreux 11, 14 (où le manuscrit s'arrête au milieu du mot « purifiera »). Tout le reste manque (ou est d'une écriture plus récente). Marc 16, 9-20 est omis. Mais un espace blanc est réservé, à cet endroit, ce qui montre que le copiste connaissait le passage, mais ne savait s'il devait l'insérer ou non. Le Sinaïticus l'omet également. C'est pour cela que ce passage est entre crochets dans les éditions modernes du Nouveau Testament, « comme manquant dans les plus anciens manuscrits », ainsi que s'exprime la version révisée anglaise.
    L'écriture est délicate et belle. Malheureusement, un copiste du dixième siècle, de crainte, probablement, que l'écriture ne s'altérât, a tout repassé grossièrement avec une encre fraîche. Sa crainte était vaine, car ici et là des mots qu'il a laissés tels quels, parce qu'ils étaient écrits en double, sont restés clairs et lisibles malgré les quinze cents ans écoulés.
    Le Vaticanus a probablement été écrit en Égypte, dans le cercle d'Athanase.

    24.1.2 - Le Codex Sinaïticus.

    Ce manuscrit doit son nom à l'endroit où il a été découvert d'une façon tout inattendue, presque dramatique, par le grand savant Tischendorf. Ce dernier se trouvait, en 1844, en quête d'anciens manuscrits de la Bible, au couvent de SainteCatherine, au pied du mont Sinaï. Il n'y avait rien trouvé, quand il aperçut au milieu de la grande salle un panier plein de vieux parchemins. Le bibliothécaire lui dit qu'on avait déjà employé pour allumer le feu deux paniers de ces vieux papiers. Quelle ne fut pas la surprise de Tischendorf en trouvant dans ce panier une quantité de pages d'un manuscrit de la version des Septante ! Il n'avait jamais rien vu qui eût un cachet si prononcé d'antiquité. On lui permit de prendre une quarantaine de feuilles, mais il ne sut pas déguiser sa joie, et les moines, soupçonnant la valeur du manuscrit, refusèrent de lui en donner davantage.
    Tischendorf retourna en Allemagne, où il fit avec sa découverte grande sensation dans le monde savant. Il prit soin, toutefois, de ne pas dire où il l'avait faite, car il espérait encore mettre la main sur le reste du manuscrit. Bien lui en prit, car le gouvernement anglais chargea immédiatement un savant de visiter l'Orient et d'acquérir tout manuscrit grec de valeur sur lequel il mettrait la main. Tischendorf avait grand peur que le savant anglais ne découvrît le vieux parchemin du mont Sinaï, mais l'autre ne découvrit rien.
    Tischendorf essaya, par l'entremise d'un ami influent qu'il avait à la cour d'Égypte, de se procurer le reste du manuscrit, mais sans succès. « Les moines, lui écrivit son ami, connaissent maintenant la valeur de ces parchemins, et ils ne s'en déferont à aucun prix ». Tischendorf retourna au couvent, mais n'y put trouver qu'une seule feuille avec onze lignes de la Genèse, par où il vit que le manuscrit avait contenu tout l'Ancien Testament.

    Quinze ans s'écoulèrent, pendant lesquels Tischendorf sut éveiller l'intérêt et se concilier la sympathie de l'empereur de Russie. En 1859, il est de nouveau au couvent, cette fois avec une commission de l'Empereur. Toutefois il ne trouve presque rien qui ait de la valeur, et il a pris toutes ses dispositions pour repartir, quand survient un événement inattendu.
    La veille même de son départ, il faisait dans les jardins du couvent une promenade avec l'économe, et, celui-ci, en rentrant, l'invitait à entrer dans sa cellule pour lui offrir quelques rafraîchissements. À peine étaient-ils entrés que le moine lui dit : « Moi aussi, j'ai lu un exemplaire de ces Septante ». Et, ce disant, il descendit d'une étagère un gros paquet enveloppé d'un drap rouge, qu'il plaça sur la table. Tischendorf ouvrit le paquet, et, à sa grande surprise, y trouva non seulement les fragments du manuscrit des Septante qu'il avait vus quinze ans auparavant, mais aussi des fragments étendus de l'Ancien Testament, le Nouveau Testament tout entier, une partie des Apocryphes et deux écrits des Pères de l'Église (l'épître de Barnabas et une partie du pasteur d'Hermas).
    Plein de joie, mais d'une joie que, cette fois, il eut assez d'empire sur lui-même pour dissimuler, il demanda, d'un ton indifférent, la permission d'emporter le paquet dans sa chambre pour l'examiner à loisir. « Et là, dit-il, seul avec moi-même, je m'abandonnai aux transports de ma joie. Je savais que je tenais entre les mains un des plus précieux trésors bibliques qui existassent, un document qui, en antiquité et en importance, dépassait tout ce que j'avais vu pendant vingt années d'études ».
    Grâce à l'influence de l'empereur de Russie, il réussit à obtenir le précieux manuscrit. La générosité du souverain permit d'en publier, en 1862, un élégant fac-similé en quatre volumes in-folio. Trois cents exemplaires furent tirés, dont cent furent donnés à Tischendorf, qui en vendit la plupart, tandis que les deux cents autres furent distribués comme cadeaux par le gouvernement russe. On trouve de ces fac-similés dans les grandes bibliothèques de l'Europe (*). L'original est conservé, comme un trésor littéraire sans prix, à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.

    (*) La Société biblique protestante de Paris en possède un dans son inestimable collection de Bibles. Cet exemplaire lui a été offert par l'empereur de Russie Alexandre II.

    24.1.3 - Le Codex Alexandrinus

    Le Codex Alexandrinus a été donné à Charles 1er d'Angleterre, en 1628, par Cyrille Lucar, patriarche de Constantinople, qui l'avait probablement rapporté d'Alexandrie. Sur la première page se trouvent écrits en arabe ces mots : « Écrit par Thekla, le martyr. Il manque Matthieu 1 à 25 et Jean 6 v. 50 à 8 v. 52».
    Ce manuscrit a été écrit en Égypte ou en Palestine.

    24.2 - Comment le texte de l’Ancien Testament est venu jusqu’à nous
    L'Ancien Testament nous a été transmis par les Massorètes. La Massore (c'est-à-dire tradition) est l'ensemble de tous les renseignements concernant le texte sacré, longtemps conservés par la tradition orale. Les Massorètes, docteurs juifs dont l'activité s'étend du cinquième au dixième siècle après Jésus-Christ (à Tibériade et à Babylone), ont fixé ce texte, en même temps qu'ils nous ont transmis cette tradition par écrit et l'ont enrichie.

    24.2.1 - En premier lieu, ils ont fixé le texte sacré

    D'un côté, il est prouvé que le texte hébreu actuel n'est pas identique au texte des manuscrits originaux. Cela ressort soit du fait que la version des Septante, qui remonte à deux ou trois cents ans avant Jésus-Christ, suppose un texte différent de notre texte hébreu actuel, soit de l'étude de ce texte hébreu lui-même. Ainsi, Josué 15, 32, il est dit que les villes de Juda dans le Negueb sont au nombre de vingt-neuf. Or, si on les compte, on en trouve trente-six. Si on compare les passages 1 Chroniques 8, 29-38 et 9, 35-44, qui donnent tous deux la généalogie de Saül, on n'y trouve pas moins de onze divergences. Nous sommes évidemment, ici, en présence de fautes de copistes.
    D'autre part, l'étude des manuscrits hébreux prouve que tous ces manuscrits sont issus d'un original unique.
    D'où il est aisé de conclure qu'à un moment donné un manuscrit a été choisi comme archétype, et que tous les autres ont été éliminés, détruits.
    C'est ainsi que les massorètes, desquels procède le texte actuel de l'Ancien Testament, ont fixé ce texte. Voilà comment il se fait que le texte de l'Ancien Testament est dépourvu de variantes, tandis que le texte du Nouveau Testament, dont nous possédons des manuscrits nombreux et divers, en a de très nombreuses.

    24.2.2 - En second lieu, ils ont copié le texte

    Aucun mot ne devait être écrit de mémoire. Le copiste devait regarder attentivement le mot à copier et le prononcer oralement. Avant d'écrire un des noms de Dieu, il devait se recueillir solennellement et laver sa plume. Avant d'écrire le nom ineffable de Jéhovah (que les Israélites, par respect formaliste, ne prononcent jamais, mais remplacent par le nom d'Adonaï, Seigneur), il devait se laver tout le corps. La seule encre employée devait être une encre noire, pure, faite de suie, de charbon et de miel. Le parchemin devait être la peau d'un animal pur préparée spécialement par un Israélite. Les différents parchemins qui composaient le manuscrit devaient être attachés ensemble par des cordons faits avec les tendons d'animaux purs. Le manuscrit était examiné dans les treize jours qui suivaient son achèvement. D'après certains écrivains, une erreur d'une seule lettre rendait le manuscrit inutilisable. D'après d'autres, on pouvait corriger jusqu'à trois erreurs par parchemin. et s'il y en avait davantage, l'exemplaire était rejeté comme profane.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Qxlk

    Rouleau de la loi, en hébreu, du 15° siècle qui fait partie de la bibliothèque de la Société biblique britannique et étrangère.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Mn0i

    Partie d'une colonne du Codex Babylonicus (voir point 24.2.5 du texte global = point 1.2.5. de la Partie 4 « Les textes originaux et les traductions anciennes »). Les points-voyelles sont au-dessus des lettres. C'est le système supralinéaire, dit babylonien, plus simple et probablement plus ancien que le système sublinéaire, ou palestinien. Le fac-similé ci-dessus représente le passage Osée, 1 v. 2-5, depuis : à Osée, va prends…

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Ifne

    Fragment d'un papyrus découvert il y a quelques années en Égypte (voir point 24.2.5 du texte global = point 1.2.5. de la Partie 4 « Les textes originaux et les traductions anciennes »). Le morceau reproduit ci-dessus commence avec ces mots : l'Éternel ton Dieu (Exode. xx, 2) et se termine avec ceux-ci : C'est pourquoi (11).

    24.2.3 - En troisième lieu, ils ont annoté le texte

    Ils ont rédigé :

    24.2.3.1 - Des notes sur le contenu du texte.
    24.2.3.1.1 - Compte des lettres

    Ils ont compté combien de fois chaque lettre revient dans l'Écriture. Ainsi la lettre aleph revient 42.377 fois, la lettre beth 38.218 fois, etc. Le nombre total de lettres de l'Ancien Testament est de 815.280. Le but de ce calcul était de prévenir l'addition ou l’omission d'une seule lettre.

    24.2.3.1.2 - Compte des expressions

    2) Ils notaient combien de fois tel mot ou telle expression revient dans l'Écriture. Si ce n'est qu'une fois, la note dit : « Pas d'autres ». Si c'est plus souvent, la note dit : « Trois, quatre, cinq fois, etc ».
    Ainsi pour les mots : « l'Esprit de Dieu », la note dit : « Revient huit fois », et indique les endroits. Partout ailleurs, il y a « l'Esprit de l'Éternel » (Jehovah). La note est destinée à empêcher le copiste de commettre une erreur facile en reproduisant l'expression sous sa forme la plus ordinaire. On trouve aussi des notes comme celles-ci : « Il y a deux versets dans la Thorah (le Pentateuque) qui commencent par un M. Il y en a onze où la première et la dernière lettre sont un N. Il y en a quarante où le mot lo (non) se retrouve trois fois ».

    24.2.3.1.3 - Autre classe de notes

    Voici un exemple curieux d'une autre classe de notes.
    Dans Josué 9, 1, se trouvent énumérés, selon leur nationalité, les rois de six peuples différents. « À la nouvelle de ces choses, tous les rois, le Hétien et l'Amorréen, le Cananéen, le Phérézien, le Hévien et le Jébusien, s'unirent… » (c'est ainsi que les Massorètés lisaient le passage). Le mot et ne s'y retrouve que deux fois, avant le second et avant le sixième nom. N'était-il pas inévitable qu'une fois ou l'autre un copiste, dans un moment de négligence, déplaçat ces deux petits mots ? (En hébreu la conjonction et est exprimée par une seule lettre, un v assez semblable à notre i).
    Pour parer à ce danger, voici l'expédient auquel les Massorètes eurent recours. À ce verset, ils mirent une petite note ainsi conçue « L'or pour les rois », en indiquant le passage Nombres 31, 22 « L'or et l'argent, l'airain, le fer, l'étain et le plomb ». Dans ce passage, il y a six noms, et la conjonction et se trouve devant le second et devant le sixième, tout comme dans Josué 9, 1. Ainsi ces deux passages devaient se contrôler l'un l'autre. Il était peu probable qu'une erreur se produisît dans les deux. D'ailleurs l'attention du copiste était éveillée, et c'était suffisant.

    24.2.3.1.4 - Autres comptes

    Les Massorètes avaient compté les versets, les mots, aussi bien que les lettres. Ils ont trouvé 23.206 versets dans l'Ancien Testament. Ils indiquent la lettre du milieu dans chaque livre ou collection de livres (pour le Pentateuque, la lettre du milieu est dans le mot ventre, Lév. 11, 42), le mot du milieu (pour le Pentateuque, c'est chercha dans Lév. x, 16), le verset du milieu (pour le Pentateuque, c'est Lév. 8, 8). Ils avaient aussi compté les versets, mots, lettres, de chaque section.

    24.2.3.2 - Des corrections

    Quand une correction semblait s'imposer, ils ne l'introduisaient jamais dans le texte, tel était le respect qu'ils avaient de celui-ci. Ils maintenaient les consonnes du mot dans le texte, plaçaient en marge les consonnes du mot rectifié, et mettaient les voyelles du second sous les consonnes du premier (voir plus bas). On ne pouvait lire le premier, naturellement, sans regarder le second. Le premier s'appelait kethib (ce qui est écrit), le second, keri (ce qui doit être lu).
    On ne peut que se féliciter de la méthode suivie par les Massorètes. Si, avec leur connaissance imparfaite de la critique du texte, ils avaient corrigé le texte lui-même, ils auraient sans doute fait plus de mal que de bien. Avec le système qu'ils ont adopté, nous avons sous les yeux, en même temps, leur opinion et l'ancienne leçon, et nous pouvons choisir.
    Voici un exemple : Job 13, 15, nous lisons, dans Ostervald : Quand même il me tuerait, je ne cesserais d'espérer en lui. Segond traduit : Voici, il me tuera, je n'ai rien à espérer. Cette différence vient de ce qu'Ostervald a adopté la correction marginale des Massorètes (lo, orthographié de manière à signifier : en lui), tandis que Segond s'en tient à la leçon du texte (lo, orthographié de manière à signifier : non).

    24.2.4 - Les points-voyelles

    En quatrième lieu, ils ont inventé les points-voyelles. Jusque vers l'an 500 après Jésus-Christ, les manuscrits des livres saints de l'Ancien Testament étaient dépourvus de voyelles. La prononciation était donnée par la tradition. Les Massorètes, pour fixer la prononciation, inventèrent un système de points-voyelles, ainsi appelés parce que leurs voyelles sont des points, ou de tout petits traits, qui sont placés sous ou dans les lettres. Eux-mêmes ne reconnurent à ces voyelles qu'un caractère tout humain. Elles n'ont jamais été introduites dans les manuscrits sacrés destinés aux Synagogues.
    Dans certains mots, une légère modification des voyelles donne un sens différent. Genèse 47, 31, nous lisons : Israël se prosterna sur le chevet de son lit. Dans Hébreux 11, 21 : il adora appuyé sur l'extrémité de son bâton. Le mot traduit ici par bâton, là par chevet, se lit dans le manuscrit hébreu sans voyelles : mtth. Les Massorètes ont ajouté les voyelles i et a, ce qui fait mittah, lit, tandis que les auteurs de la version des Septante, que cite l'épître aux Hébreux, lisaient le même mot avec les voyelles a et e, ce qui fait matteh, bâton.

    24.2.5 - Système d'accents

    En cinquième lieu, enfin, les Massorètes inventèrent un système compliqué d'accents, qui indiquent les nuances de sentiment, d'énergie, à mettre dans la lecture à haute voix et couchent presque la parole vivante sur le papier. Il paraît que rien n'est beau comme d'entendre un juif cultivé, capable d'émotion, d'enthousiasme, lire l'Ancien Testament en se conformant à ces accents.
    Le plus ancien manuscrit hébreu connu est le Codex Babylonicus (*). Il contient les prophètes, d'Ésaïe à Malachie. Les savants sont d'accord pour lui assigner la date de 916. Il est à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.

    (*) Le plus ancien parmi les manuscrits datés. On voit au Musée britannique un magnifique manuscrit du Pentateuque, non daté, auquel on attribue comme date de 820 à 850.

    On a découvert, il y a quelques années, en Égypte, des fragments de papyrus qui contiennent presque tout le Décalogue en hébreu, et le Schema (écoute… Deut. 6, 4-9). On suppose qu'ils sont du commencement du second siècle. Ils sont en tout cas antérieurs de cinq ou six siècles au Codex Babylonicus. Ils se trouvent à la bibliothèque de l'Université de Cambridge.

    24.3 - Aperçu sur l’Histoire du Nouveau Testament
    24.3.1 - Formation du Canon

    Dans les premiers temps de l'âge apostolique, la grande autorité, au sein de l'Église, c'est le Seigneur. Cette autorité est égalée à celle de Dieu lui-même parlant dans les oracles de l'Ancien Testament (1 Cor. 7, 10; 9, 14). Encore au second siècle, on trouve chez le plus ancien historien ecclésiastique, Hégésippe (mort en 180), cette expression : « La loi, les prophètes, et le Seigneur ».
    D'après Luc 1, 3-4, les souvenirs du ministère du Seigneur furent d'abord transmis par les témoins oculaires de son activité, puis recueillis et rédigés sans ordre, par « plusieurs » — ce qui était tout naturel, puisque tous les chrétiens ne pouvaient entendre les témoins, et que ceux-ci disparurent peu à peu, — puis racontées « d'une manière suivie » par les évangélistes. Ces évangélistes, en prenant la plume, se proposaient soit de contribuer à l'édification des chrétiens, soit d'amener ceux du dehors à reconnaître que Jésus était le Fils de Dieu. Tels furent les premiers éléments de ce qui devint plus tard le Nouveau Testament.
    En même temps que les paroles du Seigneur, mais plus lentement, les écrits des apôtres s'imposèrent à l'attention des églises. Les lettres de Paul étaient lues dans les églises auxquelles elles étaient adressées, et communiquées à d'autres églises (Col. 4, 16). Plus tard vinrent les épîtres catholiques, adressées à tous les dispersés, et l'Apocalypse. Ces écrits étaient lus au culte public (*), comme la Loi et les prophètes dans les synagogues.

    (*) Apocalypse 1, 3 : Heureux celui qui lit et ceux qui entendent… Allusion évidente à la lecture publique.

    Toutefois, pendant longtemps, il n'y eut pas de recueil proprement dit, encore moins un recueil uniforme, et moins encore un recueil ecclésiastique. Divers livres étaient utilisés, comme l'épître de Clément, l'épître de Barnabas, le pasteur d'Hermas, qui ne figurent pas dans notre Nouveau Testament.
    À mesure que les communautés chrétiennes devenaient plus considérables et entraient davantage en contact avec les courants intellectuels de leur temps, la liberté dans l'emploi des livres sacrés de la nouvelle alliance n'était pas sans offrir de sérieux inconvénients. À la faveur de cette liberté et de cette incertitude, les tendances les plus diverses et les plus fâcheuses pouvaient se manifester et se légitimer. Dans les livres alors en usage, on pourrait citer bien des assertions étranges et antiévangéliques. Le danger devint aigu quand se prononcèrent deux mouvements d'inspiration opposée, d'un côté celui des gnostiques, qui rejetaient l'Ancien Testament et la tradition des douze, ne retenaient que les épîtres de Paul et l'Évangile de Luc, et méconnaissaient l'origine spécifiquement divine du christianisme, — d'un autre côté celui des Montanistes, qui prétendaient créer un prophétisme nouveau et exagéraient le spiritualisme évangélique. L'hérésie obligea l'Église à se défendre, et, pour se défendre, à délimiter les livres qui devaient faire autorité.
    Nous ne pouvons raconter ici en détail l'histoire de la formation du Nouveau Testament (*). Qu'il nous suffise de dire qu'à la fin du second et au commencement du troisième siècle, on constate l'existence d'une collection proprement dite, d'un canon du Nouveau Testament, dans les écrits d'Irénée (140-202), de Tertullien (160-220), dans le fragment de Muratori (même époque), pour l'Occident, de Clément d'Alexandrie († 216) et d'Origène (185-254), pour l'Orient. C'est encore une période de formation.

    (*) On la trouvera brièvement et clairement exposée dans le livre de M. Henri Monnier : Qu'est-ce que la Bible ? (Foyer Solidariste).

    Vers le milieu du second siècle il n'y a encore qu'une ébauche de ce que sera le Nouveau Testament. La plupart des éléments qui le constituent sont là, mais en désordre… Vers la fin du second siècle, on est d'accord, un peu partout, sur l'étendue du Nouveau Testament, et il comprend tout l'essentiel du nôtre » (*1). D'après Barth (*2), on peut parler de l'an 180 comme d'une date approximative pour la formation d'une collection des écrits du Nouveau Testament.

    (*1) Henri MONNIER, Qu'est-ce que la Bible ? pages 51-61.
    (*2) Einleitung in das Neue Testament, de Fritz BARTH. C'est cet ouvrage, le plus récent sur la matière, qui a été notre principale source dans la rédaction de ce fragment.

    Le critère auquel on eut recours pour le choix des livres, ce fut l'origine apostolique des écrits. De là des hésitations, des flottements, pour la seconde épître de Pierre, l'épître de Jacques, les deux dernières épîtres de Jean et l'Apocalypse, l'origine apostolique de ces écrits n'étant pas universellement admise. Quant aux Évangiles de Marc et de Luc, ils étaient trop consacrés par l'usage pour qu'on pût hésiter à leur sujet.
    Si l'on demande à qui est due la première formation de cette collection, il semble que certaines pages d'Irénée et de Tertullien fournissent les éléments d'une réponse. Nous voulons parler des passages où ces Pères apostoliques parlent avec insistance des évêques comme héritiers de la succession apostolique et gardiens de la foi, et des passages où ils attribuent une importance particulière aux communautés d'origine apostolique. On peut conclure de ces affirmations que les évêques des églises apostoliques de l'Asie Mineure et de la Grèce, églises particulièrement considérées, intervinrent, d'accord avec l'évêque de Rome, soit oralement, soit par écrit, pour arrêter le canon. Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons rien dire de plus précis.
    C'est dans le cours du quatrième siècle que fut achevée la formation du canon, sous l'influence de trois hommes : Athanase, Jérôme, Augustin. Athanase réussit à faire accepter l'Apocalypse par les églises d'Orient, où elle n'était généralement pas admise. De même, son influence, aidée de celle de Jérôme, fit admettre par les Églises d'Occident l'épître aux Hébreux. C'est grâce à lui également que la seconde épître de Pierre, celle de Jacques, celle de Jude, les deux dernières de Jean, furent admises en Occident. En 382, un synode, à Rome, sous l'influence de Jérôme, fixe la liste des 27 livres du Nouveau Testament. Après Athanase et Jérôme, c'est saint Augustin qui a le plus contribué à faire l'unité dans l'Église sur la question du canon. Sous son influence, le concile d'Hippone, en 393, arrêta la collection de 27 livres canoniques « en dehors desquels il n'était permis de rien lire dans l'Église ». Un dernier indice des hésitations de jadis fut la manière dont on désigna l'épître aux Hébreux : « 13 épîtres de Paul, et une, du même, aux Hébreux », et l'autorisation de lire les Actes des Martyrs aux anniversaires de ces martyrs. Le concile de Carthage, en 419, formula le canon en parlant nettement de quatorze épîtres de Paul et en rejetant les Actes des Martyrs. Ce décret fut sanctionné par le pape Gélase (492-496).

    24.3.2 - Histoire du Texte
    24.3.2.1 - Les Manuscrits

    Dans les deux premiers siècles, on écrivait surtout sur du papyrus, d'un seul côté, avec un style de roseau et de l'encre de suie. Plusieurs morceaux de papyrus étaient joints ensemble, et la feuille ainsi obtenue était fixée par le côté droit à une baguette autour de laquelle on la roulait. C'était le tomos (grec), ou volumen (latin), que l'on enfermait dans une boîte. On ne possède aucun des manuscrits originaux, ni aucune des copies faites pendant les premiers siècles, ce qui s'explique en partie par la nature peu résistante du papyrus. Dès le troisième siècle, on employa les peaux d'animaux, ou parchemins. On en faisait des cahiers de trois ou quatre feuilles (terniones, quaterniones), qui, réunis, formaient un codex, généralement de la grandeur d'un de nos in-folio. Chaque page était partagée en plusieurs colonnes (de deux à quatre). Telles furent les cinquante copies de la Bible qu'au quatrième siècle Eusèbe de Césarée fit confectionner sur l'ordre de l'empereur Constantin, et qui furent confiées aux églises de Constantinople. Les riches faisaient faire des exemplaires écrits en lettres d'or ou d'argent sur parchemin de pourpre. Ceux, au contraire, pour lesquels le parchemin ordinaire était trop cher se procuraient un parchemin ayant déjà servi dont ils faisaient disparaître l'écriture, pour y coucher un nouveau texte. Ces manuscrits se nomment palimpsestes. L'ancienne écriture ne peut, le plus souvent, être reconstituée que par des procédés chimiques. Le papier (papier de coton ou de lin) ne fit son apparition qu'à partir du huitième siècle. Il fut importé de Chine.
    Au point de vue de l'écriture, les manuscrits se divisent en deux catégories, manuscrits en lettres onciales et manuscrits en lettres cursives. Jusqu'au neuvième siècle, ils sont en lettres onciales. On compte environ cent trente de ces manuscrits. Voici les plus anciens : (*)

    (*) Nous avons déjà parlé des trois premiers de ces manuscrits, point 24.1 à 24.1.3 du texte global = points 1.1 à 1.1.3 de la Partie 4 « Les textes originaux et les traductions anciennes ».

    Le Vaticanus, du quatrième siècle.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 G5os

    Codex Vaticanus
    Ce fac-similé représente le passage Marc 16, 6-8, qui, dans ce manuscrit, termine l'Évangile de Marc.

    Le Sinaïticus, du quatrième ou du cinquième siècle. C'est le seul manuscrit en lettres onciales qui renferme le Nouveau Testament, tout entier.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Yk9k

    Codex Sinaïticus.
    Ce fac-similé représente le passage Hébreux 12, 27-29.

    L'Alexandrinus, du cinquième siècle.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 8kqc

    Codex Alexandrinus.
    Ce fac-similé représente le passage Jean 1, 1-5.

    Le Codex d'Ephrem, palimpseste, du cinquième siècle, écrit probablement en Égypte. Il manque environ les trois huitièmes du Nouveau Testament.
    Ce manuscrit est à la Bibliothèque nationale de Paris (*).

    (*) Fonds grec, n° 9. Musée, armoire XVII, n° 72.

    Le Codex Bezae, du sixième siècle. Il provient de Lyon. Il fut offert par Théodore de Bèze (*) à l'université de Cambridge, dans la bibliothèque de laquelle il est conservé. Il contient les Évangiles et les Actes des Apôtres, avec des lacunes. Il est en grec et en latin. Aucun manuscrit ne contient des variantes aussi originales.

    (*) Théodore de Bèze dit qu'il provient de l'abbaye de Saint-Irénée, et qu'il l'eut en 1562. Or cette même année, cette abbaye fut pillée par les troupes du baron des Adrets. Il parait donc certain qu'un soldat de des adrets, après s'être emparé de ce manuscrit, en fit don à Théodore de Bèze.

    Le Codex Claromontanus, du sixième siècle, en grec et en latin. C'est la suite du manuscrit précédent. Il appartint aussi à Théodore de Bèze. Il contient les épîtres de Paul. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de Paris (*).

    (*) Fonds grec, no 107. Musée, armoire XVII, no 73.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:54

    Tous les manuscrits en lettres onciales postérieurs au septième siècle dérivent de l'Église grecque, seule en état, alors, de conserver et de reproduire le texte original du Nouveau Testament.
    Les manuscrits en écriture cursive font leur apparition au neuvième siècle. C'est à ce moment que fut inventée cette écriture, qui permettait d'écrire chaque mot d'un trait et d'économiser l'espace. Grâce à ces deux innovations, qui datent à peu près de la même époque, l'écriture cursive et le papier, le nombre des manuscrits augmenta considérablement. Jusqu'à l'invention de l'imprimerie, on en compte environ 3.700 en écriture cursive.
    Il faut mentionner, en outre, les lectionnaires, exemplaires destinés à servir à la lecture publique dans les églises et ne contenant que les péricopes ecclésiastiques. Les uns sont en lettres onciales, les autres en écriture cursive. On en connaît environ 1.300, dont les plus anciens datent du sixième siècle.
    Il existe donc plus de 5.000 manuscrits du Nouveau Testament (*).

    (*) Ainsi, le nombre des manuscrits qui permettent de fixer le texte du Nouveau Testament est sans parallèle dans toute la littérature humaine. Il y a des classiques importants dont on ne possède qu'un seul manuscrit. Le professeur Nestle a rappelé que tout ce que nous avons de Sophocle nous vient d'un manuscrit unique du huitième ou du neuvième siècle. Pour d'autres auteurs, on considère dix ou quinze manuscrits, comme un total très respectable. Mais peu remontent plus haut ou même aussi haut que le dixième siècle.

    24.3.2.2 - Les Variantes

    Dans toute copie, nous l'avons déjà dit (voir Fragment I), les erreurs sont inévitables. Avec le nombre des copies, elles augmentent fatalement. Si déjà Origène se plaignait amèrement de l'état des manuscrits de son temps, on comprend qu'à plus forte raison, au seizième siècle, on fût loin de se trouver en présence d'un texte uniforme du Nouveau Testament (*).

    (*) « Il en est un peu des copies successives d'un texte, dit M. Rilliet, dans la préface de sa traduction du Nouveau Testament, comme du cours d'un ruisseau. La forme première de la parole écrite se modifie bien plus par voie d'accroissement et d'agrégation, que par voie de condensation et de retranchement. Dans la multiplication graphique, les éléments adventices sont bien plus nombreux que les éléments supprimés. Rendre plus clair ce qui est grammaticalement obscur, corriger ce que l'on croit inexact ou erroné, substituer ce qui semble naturel à ce qui paraît étrange, éclaicir les contradictions réelles ou apparentes, introduire la glose à côté ou à la place du mot qu'elle explique, compléter ce que l'on trouve insuffisant, enrichir les récits en y insérant les détails analogues tirés d'ailleurs et que l'on veut sauver de l'oubli, conformer l'une à l'autre les narrations diverses d'un même fait, ou les formules d'un même enseignement : voilà quelques-uns des traits du travail auquel les copistes-correcteurs se livrent généralement, ainsi que l'expérience le démontre, dans la reproduction des textes. Quant aux omissions, elles ont le plus souvent lieu par inadvertance, et elles proviennent ordinairement de l'identité des mots entre lesquels se trouve placée la phrase ou l'expression omise. Les suppressions intentionnelles sont presque toujours dictées par le désir de faire disparaître des difficultés ou des contradictions qui sont embarrassantes ou qui paraissent insolubles. Enfin, des altérations plus ou moins graves sont dues à la négligence ou à l'ignorance des copistes, dont les uns voient ou entendent mal, dont les autres, ne comprenant pas ce qu'ils transcrivent, dénaturent le texte ou estropient la langue.
    « Les divergences qu'offrent les manuscrits du Nouveau Testament dérivent toutes des causes que nous venons d'indiquer, et que signalent déjà les Origène et les Jérôme. Le texte sacré a été fréquemment transcrit avec inadvertance ou incurie ; mais il a été aussi intentionnellement corrigé, élucidé, complété, en sorte que ce sont souvent les variantes qui paraissent au premier coup d'oeil les plus naturelles et le mieux à leur place, qui ont le moins de chances d'appartenir au texte primitif. Ainsi, entre deux leçons, on doit en général préférer celle dont l'interprétation est la plus difficile, parce que cette difficulté même explique l'origine de l'autre ; et plus une variante parait convenable, moins elle a de probabilité ».

    Souvent, les changements ont pu être inspirés par les meilleures intentions, par le respect même pour le texte sacré ou par le désir de l'adapter à l'usage ecclésiastique.
    Voici sous quelles formes elles ont pu se produire :
    Changement de formes provinciales en formes classiques, ou l'inverse ; changement de formes rares en formes usuelles ; corrections grammaticales ; corrections de style ; additions destinées ou à rendre le texte plus clair, ou à faire ressortir le parallélisme de la pensée ; modifications destinées à rendre uniformes des passages parallèles, soit dans les Évangiles, soit dans les Épîtres ; modifications amenées par l'usage liturgique ; fautes provenant d'une perception fautive de texte, soit par l'oreille (si le copiste écrivait sous la dictée), soit par les yeux, ou d'une abréviation mal comprise ; omissions de mots répétés dans l'original ; division erronée des mots, que l'écriture onciale ne séparait pas ; modification de passages qui pouvaient paraître étranges ou malsonnants ; atténuations provenant de la décadence de la vie spirituelle dans l'Église ; modifications dogmatiques, amenées par les controverses avec les hérétiques.
    Ces altérations, toutefois, furent enrayées dès qu'il y eut, avec un canon, un texte qui s'imposait à la vénération des églises. Déjà au second siècle, Origène s'efforce de rétablir le texte biblique dans son intégrité. Pourtant, en 1707, John Mill signalait l'existence de trente mille variantes dans le Nouveau Testament grec. Mais le nombre des variantes importantes est extrêmement restreint, et aucune d'elles ne saurait, dit M. Rilliet, « porter la moindre atteinte ni aux vérités de fait, ni aux vérités de dogme qui constituent l'essence de l'Évangile » (*).

    (*) Voici l'histoire de la variante la plus importante et la plus célèbre du Nouveau Testament.
    Dans les éditions modernes du Nouveau Testament, par exemple dans la version révisée anglaise, dans la version synodale (1903), dans le Nouveau Testament grec de Nestle édité par la Société britannique, aux versets 7 et 8 du chapitre 5 de la première épître de Jean, il manque les mots suivants, qu'on était habitué à trouver dans Ostervald et Martin : « … dans le ciel, le Père, la Parole et le Saint-Esprit et ces trois sont un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre ». Ces mots sont une interpolation (reproduite en note marginale par les éditions que nous venons de mentionner).
    Elle ne se trouve dans aucun des deux cent cinquante manuscrits grecs qui contiennent les mots qui précédent et ceux qui suivent. On rencontre une leçon qui y ressemble dans quatre manuscrits grecs seulement, tous postérieurs à 1400, et ce passage y fait l'effet d'une interpolation. Aucun écrivain grec ne cite ces mots avant 1215, même dans les discussions sur la Trinité. Les chrétiens de Russie, de Géorgie, d'Arménie, de Perse, d'Arabie, de Syrie, d'Abyssinie et d'Égypte, ne les ont jamais connus, car ils ne se trouvent pas dans les nombreuses versions de ces divers pays.
    Parmi les manuscrits que l'on possède aujourd'hui, le premier qui contienne ces mots est un manuscrit latin du septième siècle, aujourd'hui à Munich. Ils sont absents de tous les manuscrits utilisés par Alcuin, vers 800. Les meilleurs des manuscrits les plus anciens de la Vulgate (huitième, neuvième et dixième siècles) les omettent. On les trouve dans la plupart des autres manuscrits latins, mais ils font d'abord leur apparition ajoutés après le verset 8, et figurent souvent comme l'interpolation d'un écrivain postérieur.
    Voilà pour le témoignage des manuscrits. Quant à l'histoire, la plus ancienne trace qu'elle semble nous apporter de ces paroles, c'est leur citation dans une confession de foi rédigée en 484 par l'évêque Eugène de Carthage et par d'autres évêques, à l'usage de Hunneric, roi des Vandales, qui persécutait les chrétiens d'Afrique. Nous n'avons pas, d'ailleurs, l'original de cette confession de foi, mais seulement une copie, postérieure probablement au septième siècle.

    Quoique ce passage se lise dans la Vulgate, version sanctionnée par le Concile de Trente, des théologiens catholiques, parmi lesquels, en 1885, l'abbé Martin, professeur d'exégèse à la Faculté de théologie de Paris, se sont prononcés contre son authenticité. Dernièrement, sur la demande de Pie X, la commission des études bibliques du Vatican s'est prononcée dans le même sens. « Je suis très convaincu, a dit le pape à un des membres de la commission, par les bonnes raisons exposées dans votre rapport ; mais, pour des motifs de convenance et d'opportunité que vous apprécierez, je crois qu'il est préférable de ne pas le publier ».
    Le lecteur pensera sans doute que la méthode suivie par les éditions nommées plus haut vaut mieux que celle préconisée par le pape.

    Néanmoins, cela va sans dire, le lecteur du Nouveau Testament ne saurait être trop jaloux de posséder le texte sacré sous une forme qui se rapproche, autant que possible, de sa forme primitive. Et ce n'est, il faut le dire, qu'après un temps assez long et de laborieux efforts, que les éditeurs ou les traducteurs du Nouveau Testament ont fait droit à un désir si légitime.

    24.3.2.3 - Le Texte imprimé — « Texte Reçu »

    L'imprimerie était inventée depuis plus d'un demi-siècle, et le Nouveau Testament grec n'avait pas encore été imprimé. Il le fut pour la première fois, en 1514, dans le cinquième volume de la Polyglotte de Complute (Alcala, en Espagne) éditée par le cardinal Ximénès (*1). Cette oeuvre remarquable fut utilisée par Simon de Colines et par Robert Estienne. Elle était trop coûteuse pour pouvoir se répandre chez un grand nombre. La première édition populaire du Nouveau Testament grec fut celle d'Érasme, en 1516. Laissons ici la parole à M. Rilliet : (*2)

    (*1) L'Ancien Testament est daté de 1517. Mais l'ouvrage ne vit le jour qu'en 1522.
    (*2) Préface de la traduction du Nouveau Testament.

    « Beaucoup plus nombreux que leurs devanciers, les manuscrits de la seconde période, en lettres cursives, avaient envahi les bibliothèques, et quand, après plus d'un demi-siècle depuis la découverte de l'imprimerie, on eut l'idée de publier dans leur texte original les livres de la nouvelle alliance, ce furent des copies relativement modernes qui tombèrent sous la main de l'illustre éditeur à qui l'on doit la première édition grecque du Nouveau Testament. C'était Érasme. Il a dit lui-même de cette publication : « Praecipitatum fuit « verius quam editum » (*1), et il est bien certain que, si l'on ne peut qu'applaudir à la pensée, toute tardive qu'elle était, de rendre public le texte original du Nouveau Testament, on ne saurait que déplorer la précipitation et l'incurie avec lesquelles Érasme exécuta ce travail. Du reste, ce ne fut pas de lui-même, mais à la sollicitation du libraire Froben, de Bâle, qu'il l'entreprit. Froben, craignant sans doute d'être devancé par l'apparition de la Bible polyglotte que le cardinal Ximénès faisait imprimer à Alcala, et dont le texte grec du Nouveau Testament était prêt dès l'année 1514, pressait Érasme de se hâter. Il ne fut que trop bien obéi. Prenant dans la bibliothèque de Bâle les premiers manuscrits venus, l'un du quinzième siècle pour les Évangiles, l'autre du treizième pour les Actes et les Épîtres, et une copie de l'Apocalypse tout aussi récente, Érasme les livra tels quels à l'imprimeur, « après leur avoir fait subir, dit-il, les corrections nécessaires », et qui consistaient, pour la plupart, à insérer dans le texte grec les leçons de la Vulgate latine. Il ajoute, dans les lettres d'où sont tirés la plupart de ces détails, que « la révision des épreuves a souffert, soit de l'incapacité des protes, soit du mauvais état de sa santé », mais il prie ses correspondants de garder pour eux ces confidences, « de peur, dit-il, que les exemplaires « de cette édition ne restent dans les magasins de l'imprimeur, si l'on « vient à se douter de la vérité » (*2). Telle est, d'après un aveu non suspect, l'édition dont le texte, très peu modifié, a été admis par les protestants, presque à l'égal de la Vulgate latine de 1592 par les catholiques, comme le texte authentique du Nouveau Testament.

    (*1) Il a été fait à la précipitée plutôt qu'il n'a été édité (Lettre à Pirckheimer, 1517).
    (*2) Lettres à Budé et à Latimer de l'an 1517.

    « Cette première édition d'Érasme avait paru en février 1516; il en publia en 1519 une seconde qui diffère de la précédente par quelques changements et par un grand nombre de corrections typographiques. En 1522 parut la troisième édition, qui s'éloigne fort peu de la seconde. Ces premières éditions furent réimprimées à Venise, Strasbourg, Haguenau, et ailleurs. En 1527, Érasme donna sa quatrième édition, où il admit quelques leçons nouvelles empruntées au Nouveau Testament de la polyglotte d'Alcala, qui avait été publiée en 1520. Enfin, il fit paraître en 1535 une cinquième et dernière édition, qui s'écarte à peine de la précédente, et qui fut reproduite presque sans changement par Robert Estienne (sauf pour l'Apocalypse, où il suit le texte d'Alcala), dans son édition de 1550. C'est celle-ci qui, retouchée en un très petit nombre d'endroits par Théodore de Bèze, fut, en 1624, adoptée par les Elzévirs de Hollande comme type de leurs nombreuses éditions. Maîtres du marché, il leur suffit d'affirmer, en tête de leur édition de 1633, que ce texte était le « texte universellement reçu » (textum ergo habes ab omnibus receptum in quo nihil immutatum aut corruptum damus), pour qu'il le devînt, et qu'à ce titre il possédât, pendant près de deux siècles, une sorte de consécration officielle. Peu d'usurpations ont été couronnées d'un aussi grand et illégitime succès ; jamais cadets de famille n'ont, avec tant d'audace, dépossédé leurs aînés, et la dépossession a longtemps duré. Heureusement qu'en ces matières il n'y a pas de prescription, surtout pour des chrétiens qui ont fait justice, il y a trois siècles, de prétentions bien plus graves et bien plus enracinées. Le retour aux sources est de droit, en ce qui concerne le texte sacré, comme en ce qui concernait l'Église, et il eût été ridicule, quand on a su rompre avec Rome, de n'oser rompre ni avec les Elzévirs, ni avec Érasme ».
    « La piété à l'égard du Nouveau Testament, dit M. Sabatier, triompha de l'obstination dogmatique ». Aujourd'hui, nous avons un texte critique du Nouveau Testament, c'est-à-dire un texte résultant de la comparaison scientifique des manuscrits.
    Les précurseurs de la restitution du texte du Nouveau Testament furent Wettstein, qui imprima à Bâle, en 1715, le texte reçu, mais en déclarant qu'il préférait d'autres leçons à celles de ce texte ; Richard Bentley, qui ne laissa que des travaux préparatoires (1720), et surtout le pieux Albert Bengel (1687-1751), qui, le premier, émit la pensée que les manuscrits, pour être consultés avec fruit, devaient être classés selon leur âge et leur dépendance les uns vis-à-vis des autres. Dans son édition du Nouveau Testament grec (1734), Bengel ménagea fort le texte reçu, mais il avait montré la voie. Il faut nommer ensuite :

    Semler (1721-1791), qui distingua trois familles de manuscrits, les familles alexandrine, orientale et occidentale ;
    Lachmann (1° édition du Nouveau Testament, 1831 ; 2°, 1842 et 1850) ;
    Tischendorf, qui publia successivement huit éditions du Nouveau Testament. La huitième (1869-1872) est pourvue d'un appareil critique à peu près complet qui permet à chacun de comparer les documents et de se faire à soi-même son texte ;
    Tregelles (Nouveau Testament publié de 1858 à 1870) ;
    Westcott et Hort (Nouveau Testament publié en 1881, après presque trente années de travaux) ;
    Gebhardt, qui a donné un texte établi par la confrontation du texte de ces trois derniers théologiens ;
    Puis Bernhard Weiss (Nouveau Testament publié de 1894 à 1900), Scrivener, Weymouth.
    Le professeur Eberhard Nestle a édité un Nouveau Testament dont il a établi le texte par la confrontation de la huitième édition de Tischendorf, de l'édition de Westcott et Hort et de celle de Bernhard Weiss. Le texte adopté est celui pour lequel se prononcent au moins deux de ces critiques. Dans l'édition allemande, parue en 1898, l'opinion du troisième critique, lorsque les trois ne sont pas d'accord, est indiquée en marge. La Société biblique britannique a édité ce Nouveau Testament en 1904. Cette édition donne en marge les variantes, soit du texte reçu, soit du texte qui a servi de base pour le Nouveau Testament de la version révisée anglaise, paru en 1881.
    De nouveaux travaux, encore inachevés, ont été entrepris par de Soden (1902-1906). Ce savant croit retrouver dans notre texte actuel la trace de trois textes différents : un texte d'Antioche, un texte Égyptien, un texte Palestinien.
    Toutes les traductions modernes du Nouveau Testament sont faites sur un texte critique. On peut donc dire que le règne du « texte reçu » est fini. Rappelons que, dans les pays de langue française, les premiers traducteurs qui s'affranchirent du texte reçu furent, en 1858, Arnaud et Rilliet.

    24.4 - De l’utilité des anciennes versions Bibliques

    Les anciennes versions bibliques, avons-nous dit, peuvent rendre des services pour le contrôle du texte hébreu qui nous a été transmis par les Massorètes, c'est-à-dire pour la fixation du vrai texte biblique. Voici quelques exemples.

    Genèse 4, 8, nous lisons : Cependant Caïn adressa la parole à son frère Abel…
    Le terme hébreu traduit ici par adressa la parole signifie en réalité dit à. Il précède toujours des paroles prononcées. Les paroles adressées par Caïn à Abel ne manqueraient-elles pas, par suite d'une erreur de copiste ? C'est le cas de voir ce que disent les anciens documents. Or il se trouve que le Pentateuque samaritain (antérieur de plusieurs siècles à Jésus-Christ), la version des Septante, la version Syriaque, la Vulgate, et les deux Targoums (paraphrases de l'Ancien Testament en araméen) de Jérusalem, portent ces mots : Et Caïn dit… Allons dans les champs. Il est bien difficile, devant ces témoignages, de ne pas admettre que ces mots doivent être ajoutés au texte hébreu. Aussi les réviseurs de la version anglaise ont-ils mis en marge : « Plusieurs des meilleurs et des plus anciens documents portent : … dit à Abel son frère : « Allons dans les champs ».

    Genèse 49, 6, on lit dans l'ancienne version anglaise : Ils (Siméon et Lévi) creusèrent un mur, et dans Segond : Ils ont coupé les jarrets des taureaux (Ostervald : enlevé des bœufs).
    Les consonnes du texte hébreu permettent de lire de l'une ou de l'autre manière. Les voyelles adoptées par les Massorètes donnent le premier sens, celles qu'ont adoptées les Septante donnent le second, qui paraît préférable. Avec ce dernier sens, en effet, il y a une allusion à l'esprit de destruction de Siméon et de Lévi, et c'est ce sens qu'ont adopté Segond et la révision anglaise.

    Josué 9, 4, nous lisons dans Ostervald et dans l'ancienne version anglaise : Ils (les Gabaonites) se donnèrent pour des ambassadeurs. La version des Septante lit : prirent des provisions. Le changement d'une seule lettre dans le texte hébreu (vaïistaïâdou au lieu de vaïistaïârou) donne ce sens, qui paraît beaucoup plus satisfaisant, car pourquoi les Gabaonites se seraient-ils donnés pour des ambassadeurs puisqu'ils l'étaient en effet et ne pouvaient pas être autre chose ? Le sens des Septante est d'ailleurs appuyé par le verset 12 : Voici le pain… dont nous avons fait provision. Aussi cette leçon a-t-elle été adoptée par Segond, comme par la révision anglaise.

    1 Samuel 14, 18, nous lisons dans l'ancienne version anglaise et dans Segond : Saül dit à Achija : « fais approcher l'arche de Dieu ». Ce passage présente une difficulté. Saül a-t-il bien pu dire : « Fais approcher l'arche » ? D'abord l'arche était selon toute probabilité non pas à Guibea, mais à Kirjeath Jearim (1 Sam. 7, 1, 2). De plus, c'était de l'éphod et non de l'arche qu'on se servait pour connaître la volonté de Dieu. Les mots : fais approcher l'arche ne se trouvent nulle part ailleurs, tandis que apporte l’éphod se lit 1 Samuel 23, 9, et 30, 7. Enfin les mots retire ta main (v. 19) se comprennent avec l'éphod, non avec l'arche. On n'est donc pas étonné de voir que les Septante aient lu éphod. On l'est d'autant moins qu'en hébreu les consonnes des deux mots sont presque identiques de forme, et qu'une erreur de copiste s'explique fort bien. La révision anglaise a adopté le texte des Septante comme leçon marginale.

    Ésaïe 9, 3, nous lisons dans l'ancienne version anglaise : Tu rends le peuple nombreux, tu n'augmentes pas sa joie.
    Ce tu n'augmentes pas sa joie est en contradietion flagrante avec ce qui suit : il se réjouit. Il suffit de changer une consonne dans le mot hébreu lo (*), changement qui n'affecte pas la prononciation, pour avoir le sens : tu augmentes sa joie. La version syriaque, et le targoum d'Onkelos, lisent : tu augmentes. Donc nous avons ici, très certainement, une erreur de copiste, et la révision anglaise, ainsi que Segond (après Ostervald), a adopté la leçon tu augmentes qui est beaucoup plus naturelle et ajoute à la beauté du texte, tandis que l'autre le contredit et le dépare.

    (*) Voir, l'exemple tiré de Job 13, 15 au point 24.2.3.2 du texte global = point 1.2.3.2 de la Partie 4 « Les textesoriginaux et les traductions anciennes »

    Enfin, terminons par un passage célèbre : Psaume 22, 17.
    Le texte hébreu est littéralement : Comme un lion mes mains et mes pieds. Ceci ne donne aucun sens. Il suffit d'allonger un peu la dernière lettre du mot câari qui signifie comme un lion (changement qui équivaudrait à peu près en français à celui d'un 1 en J), pour avoir le mot câarou, dont le sens est : Ils ont percé. L'erreur du copiste est évidente. Serait-on tenté d'en douter ? Encore ici, les anciennes versions viennent à notre secours, et cela d'une manière décisive. La version des Septante, la version syriaque, la Vulgate, même la version d'Aquila, faite dans un sens hostile aux chrétiens et aux prophéties messianiques, portent : ils ont percé. Les auteurs de ces versions ont donc lu dans le texte hébreu câarou (ils ont percé), et non câari (comme un lion).
    Mais nous avons ici deux preuves au lieu d'une. En effet ce même mot câari se retrouve Ésaïe 38, 13 : Comme un lion il brisait tous mes os. À ce passage, les Massorètes ont mis une note indiquant que le mot câari ne se trouve que deux fois dans la Bible, et qu'il n'a pas les deux fois le même sens. Donc, pour eux, si ce mot signifiait comme un lion dans Ésaïe 38, 13, il ne signifiait pas comme un lion dans Psaume 22, 17. Il ne reste donc comme sens possible pour ce dernier passage que : ils ont percé. Nous ne comprenons pas pourquoi M. Segond a cru devoir traduire comme un lion.

    24.5 - La version des Septante (Légende et histoire)

    Cette version a des titres spéciaux à notre intérêt. Antérieure de plus de deux siècles à Jésus-Christ, elle est la première traduction des Écritures qui ait jamais été faite. C'est par elle que la connaissance de la vérité put se répandre parmi les coeurs droits dans les principaux centres du monde païen. C'est elle qui, un peu partout, a frayé les voies à la prédication de l'Évangile. Son rôle missionnaire a été immense. C'est elle, plutôt que l'original hébreu, qui a servi aux apôtres et aux évangélistes. C'est elle qui a été la Bible des juifs comme des gentils dans les premiers âges du christianisme. C'est d'elle que dérivent les plus anciennes traductions de l'Ancien Testament. C'est elle qui a fourni au Nouveau Testament la plupart des termes de la langue religieuse. Dans l'Église d'Orient, c'est elle qui est la version autorisée. L'Église orthodoxe russe, entre autres, ne sanctionne que les traductions faites sur le texte des Septante. Enfin, elle peut rendre de grands services, au point de vue du texte, car elle a été traduite de l'hébreu de longs siècles avant que les Massorètes eussent fixé le texte que nous avons aujourd'hui. Toutefois, elle a subi de nombreuses altérations, qui doivent nous rendre prudents dans son emploi.
    Quelle est l'origine de la version des Septante ? Voici d'abord la réponse de la légende.

    Au troisième siècle avant notre ère, Ptolémée Philadelphe, roi d'Égypte, voulut ajouter aux trésors de la bibliothèque d'Alexandrie une traduction du Pentateuque hébreu. Un des principaux personnages de sa cour, Aristée, lui fit entendre que ce serait une entreprise bien ardue, et qu'il n'obtiendrait certainement pas cette traduction tant que des milliers d'esclaves juifs souffriraient dans son pays. Mais Ptolémée ne se laissa pas déconcerter. Il commença par consacrer d'énormes capitaux à la libération de 198.000 esclaves. Puis il organisa une magnifique procession d'Alexandrie à Jérusalem, dont ces esclaves libérés formaient la partie principale. Ils portaient au souverain sacrificateur Éléazar, avec de magnifiques présents, — 50 talents d'or, 70 talents d'argent, des tables d'or, des cuves d'or, des coupes d'or en abondance, — une lettre pour lui demander d'envoyer un exemplaire de la Loi en même temps que des savants juifs capables de la traduire.

    Éléazar, agréant la demande, envoya soixante-douze savants juifs, six de chaque tribu, avec de magnifiques manuscrits de la Loi sur parchemin, écrits en lettres d'or. Ptolémée fit aux savants une réception royale, organisa en leur honneur une fête de sept jours, leur posa soixante-dix questions pour éprouver leur sagesse, et leur fit aménager près de la mer, loin du bruit de la ville, une splendide salle de travail, où, en soixante-douze jours, les soixante-douze savants, collaborant ensemble, achevèrent leur traduction.
    (Au commencement de l'ère chrétienne, la salle commune de travail s'était transformée en soixante-douze cellules, établies sur le rivage de l'ile Pharos, dans chacune desquelles chacun des traducteurs avait poursuivi son travail indépendamment de tous les autres. Une fois achevées, les soixante-douze traductions s'étaient trouvées identiques, preuve certaine de leur inspiration divine. Justin martyr, au second siècle, raconte que son guide lui a montré à Alexandrie les ruines des soixante-douze cellules).

    La traduction achevée, Démétrius, le bibliothécaire, assembla les juifs de la ville, et leur lut la traduction, qu'ils approuvèrent sans réserve. On prononça des malédictions contre quiconque oserait y ajouter ou y retrancher quoi que ce fût. Les juifs furent autorisés à la copier. Le roi se réjouit grandement de ce résultat, et ordonna de conserver soigneusement les parchemins. Il fit présent à chaque traducteur de trois robes de rechange et de deux talents d'or, et d'autres cadeaux. À Éléazar il envoya dix tables à pied d'argent, et une coupe de 30 talents.
    Cette histoire, qui se retrouve dans Josèphe, dans Philon, dans plusieurs des Pères de l'Église, a été admise comme véridique pendant de longs siècles. Aujourd'hui son caractère légendaire ne fait doute pour personne. Mais on ne prête qu'aux riches, et cette légende même est une preuve du crédit extraordinaire dont a joui cette traduction. À ce titre, toute légende qu'elle est, elle présente un intérêt historique réel.
    Et puis, dans cette légende même, il y a une part de vérité.
    Il est certain que cette version a vu le jour à Alexandrie vers l'an 280 avant Jésus-Christ. Que les goûts littéraires du roi égyptien aient eu quelque chose à faire avec sa production, cela est possible, mais on sait qu'elle fut élaborée avant tout pour répondre aux besoins des juifs de la dispersion, qui ne connaissaient pas l'hébreu, et dont la langue usuelle était le grec. Quant à ses auteurs, ce furent certainement, non pas des savants de Jérusalem, mais des savants d'Alexandrie, ce qui ressort avec évidence, entre autres indices, de leur connaissance imparfaite de l'hébreu, de leurs erreurs au sujet des noms de lieux en Palestine, enfin de leur traduction libre, que des juifs, plus respectueux de la lettre, ne se seraient jamais permise.

    Les Septante ont introduit les livres apocryphes dans leur traduction.
    Quant à l'ordre des livres de l'Ancien Testament, ils les ont classés, non selon l'ordre chronologique, ainsi que fait le canon hébreu, mais par ordre de sujets, les livres historiques ensemble, les prophètes ensemble. C'est ainsi que Daniel, qui se trouve dans le canon hébreu parmi les « écrits sacrés », après Job et les Psaumes, se trouve dans les Septante à la suite des trois premiers prophètes. Nos Bibles protestantes, qui suivent le canon hébreu pour le choix et le nombre des livres, suivent, par une étrange inconséquence, la version des Septante pour leur classification.

    24.6 - La version d'Aquila

    Après la version des Septante, trois autres traductions en grec de l'Ancien Testament, celle d'Aquila, celle de Symmaque et celle de Théodotion, parurent dans le second siècle après Jésus-Christ.
    Dans la belle cité de Sinope, sur les bords de la mer Noire, vivait au second siècle un homme de haute position, apparenté à la famille impériale de Rome, du nom d'Aquila. Grâce à cette haute relation, il avait accès aux bons emplois. L'empereur le fit envoyer en mission à Jérusalem pour examiner des questions relatives à quelques bâtiments publics. Or, pendant qu'il était dans cette ville, il se convertit au christianisme.
    Il ne fut pas, toutefois, un converti modèle. Il avait conservé quelques-unes de ses superstitions païennes. Les anciens de la courageuse petite église de Jérusalem estimèrent nécessaire de le reprendre publiquement. De colère, Aquilas se joignit aux juifs, fut circoncis, et se posa bientôt en défenseur zélé de la loi et du rituel mosaïques.
    À ce moment, il y avait une controverse entre juifs et chrétiens au sujet de l'interprétation de certaines prophéties messianiques de l'Ancien Testament. La version des Septante, à laquelle les chrétiens se référaient, était complètement mise de côté par les rabbins, qui la traitaient de « Bible des chrétiens ». Ils allaient même jusqu'à comparer le jour maudit où les soixante-dix anciens traduisirent la Loi en grec pour le roi Ptolémée à cet autre jour de malheur où Israël se fit un veau d'or.
    Dans ces circonstances, il fallait bien, à l'usage des juifs qui ignoraient l'hébreu, une traduction grecque de l'Ancien Testament autre que celle des Septante. L'aristocratique converti des juifs, quelque peu savant, entreprit ce travail et l'acheva. Cette traduction eut un plein succès, et peu d'années après, une seconde édition devint nécessaire (*).

    (*) L'histoire de la version d'Aquila a été racontée par Épiphane (310-403), évêque de Constantia, à Chypre, dans son traité sur les poids et mesures de l'Ancien Testament, où il se livre à des digressions sur le texte et sur les versions. Épiphane avait beaucoup voyagé, notamment en Palestine. On a contesté l'authenticité de ses renseignements sur la version d'Aquila. D'après Irénée, Aquila était un païen converti au judaïsme. Quoi qu'il en soit, s'il y a dans le récit d'Épiphane des éléments légendaires, ils démontrent à leur manière le crédit dont jouit cette version, car, comme nous l'avons dit à propos de la légende des Septante, on ne prête qu'aux riches.
    On pense que la version d'Aquila parut sous Adrien, vers 130. Les fragments qui en restent se trouvent dans Dath (Opuscula. Lipsiae. 1746).

    Cette traduction suit l'hébreu avec un littéralisme servile, ce qui en gâte fort le style. Mais ce défaut est une qualité précieuse au point de vue de la critique du texte. En effet, ce littéralisme permet de reconstituer le texte hébreu que le traducteur avait sous les yeux et de contrôler l'antiquité du texte hébreu actuel. Malheureusement, il ne subsiste de la version d'Aquila que des fragments. Ces fragments révèlent, dans l'ensemble, une parfaite concordance des deux textes, avec quelques variantes, qu'appuient fréquemment les Septante et d'autres versions anciennes.

    24.7 - La version Syriaque
    La Bible syriaque (*) présente un intérêt unique, car elle est la plus ancienne de toutes les versions chrétiennes de la Bible. Ses origines remontent à la génération qui suivit immédiatement l'âge apostolique. Elle provient de l'Église d'Édesse (aujourd'hui Orfa), qui était le fruit des travaux missionnaires de l'Église d'Antioche. L'existence de cette version, faite dans un dialecte populaire dont la valeur littéraire était peu estimée, montre que la préoccupation de donner les Écritures au peuple dans sa propre langue remonte aux origines même de l'Église chrétienne.

    (*) La Bible syriaque qui est venue jusqu'à nous s'appelle la Peschitto. L'identité de cette Bible, sorte de Vulgate syriaque, avec la première Bible syriaque, est aujourd'hui contestée. En tout cas, l'antiquité de la Peschitto ressort du fait qu'Éphrem le Syrien, dans un commentaire qui date d'environ l'an 350, juge nécessaire d'expliquer des expressions de cette version qui étaient devenues obscures. Donc, à ce moment-là, cette version était déjà ancienne.

    Et le peuple, auquel elle était destinée, sut en profiter. Plusieurs témoignages montrent à quel point elle contribua, dans ces régions, à rendre populaires les connaissances bibliques.
    Comme Éphrem, chrétien, écrivain et évangéliste distingué du quatrième siècle, arrivait, vers 325, à Édesse, où il venait d'être nommé évêque, il aperçut quelques femmes occupées à laver leur linge sur les bords de la rivière. L'une d'elles le regardant plus fixement qu'il ne le trouvait convenable, il lui dit : « Aie un peu de retenue, femme. Regarde à terre. — Rien de mieux, répondit-elle, pour l'homme, que de regarder à terre, puisque c'est de la terre qu'il a été tiré. Mais pour cette même raison, je puis bien te regarder, puisque la femme a été tirée de l'homme. — Si les femmes, ici, dit Ephrem en continuant son chemin, ont tant d'esprit, que doivent être les hommes ? » La réponse de cette femme à Éphrem montre combien le peuple, à ce moment, était familier avec les textes bibliques.
    Dans un de ses sermons, ce même Éphrem disait :

    Que d'autres se glorifient de converser avec les grands, les chefs, les rois. Toi, glorifie-toi devant les anges de Dieu de converser par les Écritures avec le Saint-Esprit.

    Ces témoignages sont du quatrième siècle, et concernent plutôt les habitants des villes. En voici un du cinquième siècle, qui montre que la Bible était connue dans les villages non moins que dans les villes. C'est un autre Père de l'Église, Théodoret, qui parle.

    Nos hommes sont familiers avec Matthieu, avec Barthélemy, avec Jacques, que dis-je, avec Moïse, avec David, avec Josias, avec les autres apôtres et les autres prophètes, autant qu'avec les noms de leurs propres enfants… Et ce ne sont pas seulement ceux qui enseignent dans l'Église que nous voyons familiers avec ces doctrines, ce sont même des cordonniers, des forgerons, dés ouvriers en laine, et d'autres artisans, ce sont aussi des femmes, et, avec des femmes cultivées, celles qui doivent gagner leur vie, des couturières et des domestiques. Et ces connaissances, on les trouve chez les gens de la campagne comme chez les gens de la ville. Vous verrez jusqu'à des hommes qui manient la bêche, jusqu'à des pâtres, jusqu'à des jardiniers, qui s'entretiennent de la divine Trinité, de la création de l'univers, et qui en savent bien plus long sur la nature humaine qu'Aristote ou Platon. Mieux encore, ils recherchent la vertu, évitent le vice, songent aux châtiments qui se préparent, attendent sans effroi le tribunal divin… et entreprennent toutes sortes de travaux dans l'intérêt du royaume des cieux.

    Cette version syriaque fit son oeuvre bien au delà des régions de l'Asie mineure. Elle a fourni une carrière missionnaire admirable. Un savant anglais, le Dr Scrivener, s'exprime ainsi : « On la lut également dans les assemblées des Nestoriens, aux villes fortes du Kourdistan ; dans celles des Monophysites dispersés à travers les plaines de la Syrie ; dans celles des chrétiens de Saint-Thomas, aux côtes du Malabar, et dans celles des Maronites, aux flancs du Liban ». Et un savant français, l'abbé Martin, s'exprime ainsi : « Les contrées sur lesquelles les Églises de Syrie ont exercé leur influence s'étendent des bases du Taurus, à l'occident, jusqu'aux frontières de la Chine et de l'Inde, à l'orient » (*). Cette affirmation, loin d'être exagérée, reste en deçà de la réalité. En effet, une inscription nestorienne découverte en Chine atteste qu’au septième siècle des missionnaires nestoriens, qui parlaient le syriaque, ont pénétré jusque dans l'intérieur de la Chine.

    (*) Les Origines de l'Église d'Édesse, p. 13, 17.

    Les missions nestoriennes, avec la Bible syriaque aux mains des missionnaires, se poursuivirent du sixième au onzième siècle, et créèrent des foyers d'action chrétienne jusqu'à Marv, Herat et Samarcande, villes des régions anciennes qui correspondent au Turkestan, à l'Afghanistan, à la Tartarie modernes.
    C'est à Éphrem le Syrien que nous devons de posséder encore une partie d’un manuscrit de la Bible syriaque. Voici comment. Un millier d'années environ après sa mort, un de ses admirateurs se mit en tête de copier ses sermons. Comme les parchemins, alors, étaient rares et coûteux, ce personnage prit un ancien exemplaire de la Bible, en fit disparaître le texte avec de la pierre ponce, et écrivit à la place du texte sacré les discours d'Éphrem. Au seizième siècle, ce parchemin, acquis avec d'autres manuscrits, fut apporté en France, tomba entre les mains de Catherine de Médicis et fut offert par elle à la Bibliothèque royale de Paris. Plus tard, on s'aperçut que sous le texte actuel se trouvaient les traces d'un texte plus ancien, et ce dernier fut restauré, au moins en partie, au moyen de produits chimiques. Voilà comment la bibliothèque de Paris se trouve posséder un des plus précieux trésors littéraires du monde, un manuscrit du cinquième siècle de la Bible syriaque (*).

    (*) Voir point 24.3.2.1 du texte global = point 1.3.2.1 de la Partie 4 « Les textes originaux et les traductions anciennes »

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Nv6y

    Titre du Nouveau Testament syriaque imprimé aux frais de l'empereur Ferdinand 1er

    En 1556, comme le cardinal Pole se préparait à quitter Rome pour aller prendre possession de l'archevêché de Cantorbéry, où il allait succéder au martyr Cranmer, un ecclésiastique syrien lui demanda la permission de se joindre à lui pour traverser les Alpes. Il voulait se mettre sous sa protection. Lui aussi allait vers le nord, mais son but était tout différent de celui du cardinal. Il s'appelait Moïse et venait de la ville de Mardin, en Syrie. Il avait appris que le chancelier de l'empereur Ferdinand 1er connaissait le syriaque, et espérait recevoir son aide pour exécuter le projet qui l'avait amené en Europe, le projet de faire imprimer le Nouveau Testament syriaque. Son entreprise réussit. Le chancelier se montra favorable à son dessein, y intéressa l'empereur, qui fit fondre des caractères et fit imprimer le manuscrit à ses frais. Encore un roi qui se fit serviteur de la Parole de Dieu. C'est la première fois que les Écritures saintes furent imprimées en syriaque.
    Au commencement du dix-neuvième siècle, un évêque syrien, Mar Dionysius, donna à un savant anglais, Claudius Buchanan, en visite à Angamali, un manuscrit de la Bible syriaque. « Nous l'avons conservé pendant mille ans, lui dit-il, mais il sera encore mieux placé dans vos mains que dans les nôtres ». Buchanan remit le manuscrit au comité de la Société biblique britannique, qui le fit imprimer.
    Ce qui fait la valeur de cette Bible syriaque, c'est qu'elle a été traduite directement de l'hébreu, tandis que la plupart des versions anciennes ne sont que des versions de seconde main, faites sur celles des Septante. Les manuscrits hébreux d'après lesquels la Bible syriaque a été traduite étaient beaucoup plus anciens que ceux des Massorètes, dont la reproduction constitue le texte hébreu sur lequel la Bible est traduite depuis des siècles. Le texte de la Bible syriaque offre donc un moyen sérieux de contrôler le texte hébreu actuel. Il y a entre les deux des différences qui proviennent soit de variantes, soit de l'adoption de voyelles différentes, soit de la confusion entre des lettres similaires, mais, cela dit, la comparaison des deux textes permet d'affirmer que le texte des Massorètes (donc notre texte actuel) est bien conforme, dans l'ensemble, au texte plus ancien.

    24.8 - La Vulgate
    24.8.1 - Premières versions latines

    Les premières versions latines de la Bible sont très anciennes et très nombreuses. Les Pères de l'Église, Augustin entre autres, parlent de leur abondance et de leur variété (*). La plus ancienne, antérieure à Tertullien (né en 160 à Carthage), paraît avoir été faite dans le nord de l'Afrique, aux temps de la persécution. On en trouve dans Cyprien des citations abondantes, qui montrent le caractère original de cette version. L'Ancien Testament était traduit sur la version des Septante.

    (*) On peut compter, dit saint Augustin, ceux qui ont traduit les Écritures de l'hébreu en grec, mais les traducteurs latins ne peuvent absolument pas se compter. Tous ceux, aux premiers temps de la foi, entre les mains desquels tomba un manuscrit grec, et qui se crurent avoir quelque connaissance de l'une et de l'autre langue, osèrent traduire (Doctrina christiana, II, 11).

    Ce sont ces anciennes versions latines qui ont soutenu la foi des chrétiens pendant les terribles persécutions des premiers siècles. Ce qui le prouve, c'est que dans la persécution de Dioclétien les persécuteurs visaient avant tout à s'emparer des livres des chrétiens. Ils se rendaient compte que s'ils ne détruisaient pas les livres, il ne valait pas la peine de tuer les hommes, car à peine ceux-ci tombaient-ils que d'autres se levaient pour prendre leur place. Le secret évident de leur force, c'étaient leurs livres.
    Ces diverses versions semblent avoir été plus ou moins combinées les unes avec les autres, de sorte qu'au quatrième siècle, il y avait, d'après Jérôme, presque autant de textes différents que de manuscrits, ce qui prouve de quel usage constant étaient les livres saints. Ce sont les pièces de monnaie les plus courantes qui s'usent le plus. De toutes ces versions, l'Itala, c'est-à-dire la version qui était usitée en Italie, semble avoir été la meilleure. C'est celle que saint Augustin considérait comme la plus fidèle et la plus claire.

    24.8.2 - Origine et importance de la Vulgate

    Le nombre et la divergence des versions étaient tels qu'une révision s'imposait. Au moment convenable, Dieu suscita l'homme qui pouvait mener ce travail à bonne fin. Cet homme fut Jérôme.
    Jérôme, né en 331, à Stridon, en Pannonie, près de l'endroit où est aujourd'hui Venise, fut élevé a Rome et y reçut le baptême à l'âge de vingt ans. Il eut toujours une piété très ascétique.
    Il voyagea beaucoup, d'abord dans le nord-ouest de l'Europe, puis en Orient. Il passa cinq ans, de vingt-huit à trente-trois ans, dans le désert d'Arabie, qui avait servi de retraite à saint Paul, parmi les anachorètes de Chalcide. C'est là qu'un de ces anachorètes, un juif converti, lui enseigna l'hébreu. Puis il fut ordonné prêtre à Antioche, d'où il se rendit à Constantinople. Là il se livra à des études exégétiques sous la direction de Grégoire de Nazianze. Un concile ayant été convoqué à Rome, il s'y rendit, en 382. Le pape Damase reconnut ses hautes capacités et l'engagea à entreprendre la révision de la Bible latine.
    Tout d'abord il fut assez peu enclin à accepter. « C'est là un travail ingrat, disait-il. Je ne réussirai qu'à mécontenter ceux qui ont des préjugés et à exciter l'amertume de ceux « qui pensent qu'ignorance « et sainteté ne font qu'un ». Toutefois, il se laissa persuader. On lui conseilla abondamment d'avoir beaucoup d'égards pour les préjugés des frères faibles, pour ceux dont la conscience est si sensible dès qu'on parait toucher aux Écritures. Vers 385, Jérôme termina une révision très modérée du Nouveau Testament.
    Le pape Damase étant mort, Jérôme quitta Rome et alla s'établir à Bethléem, où il se livra avec une nouvelle ardeur à l'étude de l'hébreu, avec l'assistance d'un savant juif de Lydda. Il se mit à la révision de l'Ancien Testament et s'y livra au milieu du mécontentement des ecclésiastiques ses amis, qui lui reprochaient d'aller trop loin dans ses changements, mécontentement qui n'avait d'égal que le sien propre, car il se reprochait, lui, de ne pas aller moitié aussi loin qu'il aurait fallu.

    À la fin, fatigué de rapiécer de vieilles versions qu'aucun rapiéçage ne pouvait améliorer, il prit une résolution hardie, celle de remonter aux sources, et de traduire l'Ancien Testament sur le texte hébreu.
    C'était une grosse entreprise, mais elle n'était pas au-dessus des forces de Jérôme. Il avait appris l'hébreu avec les rabbins de Palestine. Il pouvait compter sur l'aide des savants juifs du collège de Tibériade. Il avait accès à des manuscrits hébreux probablement antérieurs à Jésus-Christ. Aussi, malgré bien des obstacles, malgré l'absence de voyelles qui devait lui en rendre l'intelligence difficile (les voyelles ne furent ajoutées au texte hébreu que deux ou trois cents ans plus tard, par les Massorètes), malgré une connaissance encore imparfaite de l'hébreu, malgré les préjugés populaires contre une nouvelle traduction, il produisit la meilleure traduction de la Bible qui ait jamais été faite avant les temps modernes. Elle fut achevée en 405.
    Plus ou moins révisée tôt après Jérôme lui-même, cette version devint la Vulgate.
    Aucune autre traduction, dans toute l'histoire de la Bible, n'a joué un rôle aussi important. Pendant plus de mille ans, c'est de cette traduction que l'Église a vécu. Pendant plus de mille ans elle fut l'inspiratrice de la piété (*), de la mission, de la théologie. C'est elle qui a fait la Réformation. Quand Luther et Calvin furent détachés de Rome par la lecture de la Bible, c'est dans la Vulgate qu'ils firent cette lecture. Et, pendant plus de mille ans, c'est de la Vulgate que sont nées, en Occident, toutes les traductions des livres saints. La traduction de Lefèvre d'Étaples, par exemple, a été faite sur la Vulgate. C'est sur la Vulgate qu'a été faite la traduction des Psaumes du Prayer-book, qui est encore en usage dans l'Église anglicane.

    (*) Matthias de Janow, chanoine de la cathédrale de Prague, fut l'un des précurseurs de Jean Huss. Il s'éleva avec une grande fermeté contre les abus du temps et signala comme l'une des principales causes de la décadence de l'Église et de la corruption des mœurs chrétiennes la distinction introduite entre les laïques et le clergé. Il plaida en faveur de la communion des laïques sous les deux espèces. Il mourut en 1394, après avoir, soit comme prédicateur, soit comme théologien, excercé une influence considérable. Voici comment il s'exprime au sujet de l'Écriture sainte :
    « Depuis ma jeunesse, que j'aie été en voyage ou à la maison, dans mes travaux comme dans mes loisirs, jamais la Bible n'a été hors de la portée de mes yeux. Mon âme l'avait pour ainsi dire épousée. Dans toutes mes afflictions, dans toutes mes persécutions, je me suis toujours réfugié auprès de ma Bible. Elle m'accompagnait comme ma fiancée. Plus encore, elle a été la mère qui m'a appris l'amour, la connaissance de Dieu, et la sainte espérance… Elle est toujours venue à ma rencontre comme une mère vénérée, elle m'a toujours accueilli comme une épouse, et ses consolations ont réjoui mon âme dans la multitude de mes douleurs. Et quand j'en voyais d'autres porter avec eux des reliques ou des os de saints, pour ma part je restais avec ma Bible, mon élue, ma compagne dans le voyage de la vie ».
    Il est intéressant de remarquer que Matthias de Janow dut son premier attachement à la Bible à la lecture des exhortations de Jérôme et d'Augustin. Son témoignage laisse entrevoir dans quelle mesure la Vulgate, pendant le millenium où elle fut la seule version de l'Église chrétienne, alimenta la piété des fidèles et inspira ceux qui préparèrent ou provoquèrent les réformes.

    24.8.3 - Préjugés

    Mais quelles clameurs cette traduction provoqua, lorsqu'elle parut ! On la traita de révolutionnaire et d'hérétique, on l'accusa de ruiner la foi en l'Écriture sainte, d'en user légèrement avec la Parole inspirée. Même les meilleurs amis, même les admirateurs de Jérôme, cédèrent au courant populaire. Saint Augustin, un savant pourtant, et qui avait commencé par encourager Jérôme dans son travail, prit peur. Dans une lettre qu'il lui écrit, il lui raconte qu'un vieil évêque d'Afrique avait eu une affaire pour s'être servi de la nouvelle version. Un jour, lisant l'histoire de Jonas, il avait lu « lierre » au lieu de « ricin ». Là-dessus les auditeurs s'étaient tous levés, comme fous, et n'avaient consenti à se calmer que lorsqu'on leur eut rendu leur vieille Bible.
    Ce fut un temps difficile pour le pauvre savant. Ses lettres témoignent de ce qu'il souffrit. Malheureusement, tout « saint Jérôme » qu'il soit devenu, il n'avait pas le caractère d'un saint. Il s'exprime avec amertume sur le compte des « sots », des « stupides », des « ânes à deux pieds », dont les préjugés avaient soulevé ce tollé contre lui. Il avait tort, sans doute. Mais c'est un douloureux spectacle que celui qui nous est ici offert. Cet homme éminent s'use dans l'accomplissement d'une des oeuvres les plus belles dont l'Église ait jamais bénéficié, et jusqu'à sa mort (survenue dans sa 90° année) il voit cette oeuvre condamnée et proscrite par un fanatisme ignorant !

    24.8.4 - Trop de succès

    Ce n'est que longtemps après la mort de Jérôme que la valeur de sa traduction fut reconnue. Le pape Grégoire le Grand la mit le premier à la mode en s'en servant dans son commentaire sur Job. Au concile de Trente, le revirement de l'opinion est complet : on se trouvait maintenant aussi attaché à la Vulgate que les chrétiens du cinquième siècle l'avaient été aux traductions plus anciennes. La Vulgate fut décrétée seul texte authentique (*). Pourquoi céderait-elle le pas, disait-on plus tard, à des manuscrits grecs et hébreux qui ont été pendant des siècles entre les mains des schismatiques ?

    (*) Voir le fragment : L'Église romaine et la Bible, § IV

    Un passage de la Bible polyglotte de Complute illustre curieusement le sentiment populaire à cette époque. Dans cette Bible, le texte hébreu, le texte latin et le texte grec sont imprimés côte à côte sur trois colonnes parallèles. Or, dans la préface, les éditeurs comparent la Vulgate, imprimée entre les deux autres textes, au Seigneur Jésus crucifié entre deux larrons !
    Mais au moment où l'Église adoptait la Vulgate, celle-ci avait grand besoin d'une révision. En effet, au temps où elle était en défaveur, on s'était avisé de la corriger pour la faire concorder avec les vieilles Bibles latines. De là, bien des altérations.

    24.8.5 - Une révision papale et ses suites

    Environ quarante ans après le concile de Trente, le pape Sixte V entreprit de faire paraître une édition correcte de la Vulgate. Sa méthode ne manqua pas d'originalité. Il réunit une commission de savants, leur fit donner leurs raisons pour ou contre les diverses leçons, et, en sa qualité de pape, arrêta lui-même le texte. Pour assurer l'autorité de son oeuvre, il défendit qu'on assemblât d'autres matériaux critiques, il décréta que toutes les leçons différant de celles qu'il avait adoptées devaient être rejetées, et que quiconque apporterait le moindre changement à cette édition de la Vulgate encourrait la colère du Dieu Tout-Puissant et celles des apôtres Pierre et Paul, et, comme peine ecclésiastique, serait passible de l'excommunication majeure, sans pouvoir être absous par un autre que par le pape lui-même. Cette Bible parut en 1590.
    Mais il n'y a, pour la science, pas plus de voie papale que de voie royale. Cette édition de la Vulgate était pleine d'erreurs. On garda le silence tant que vécut Sixte V. Mais à peine était-il mort qu'on sentit la nécessité d'aviser, pour sauver l'honneur de l'Église. Il fallait à tout prix une nouvelle édition de la Vulgate. On en prépara une qui modifiait la précédente en trois mille endroits. Mais il fallait en même temps sauver l'honneur du pape défunt. Que faire ? On s'en tira en déclarant que ces erreurs devaient être imputées à l'imprimeur « ou à quelqu'un d'autre ». Puis, dans la préface de la nouvelle édition, publiée sous le pape Clément VIII, ce « quelqu'un d'autre » fut laissé de côté, et les erreurs papales furent toutes mises sur le dos du malheureux imprimeur. Cette Bible parut en 1592. C'est l'édition de 1598 qui fait norme.
    Cette nouvelle édition elle-même était loin d'être parfaite. Tant de causes se sont réunies pour altérer le texte de la Vulgate que la reconstitution du texte original de saint Jérôme est un des problèmes littéraires les plus ardus. Toutefois, il est important de le rétablir, dans la mesure du possible, vu l'extrême valeur de ce document pour la fixation du texte sacré. Il ne faut pas oublier que Jérôme a travaillé sur des manuscrits très anciens, et que son travail est une traduction de première main, faite directement sur l'hébreu, et non sur les Septante, comme d'autres versions des premiers siècles. Même dans son état actuel, la Vulgate peut rendre les plus grands services pour permettre de contrôler le texte hébreu que nous ont transmis les Massorètes.
    En 1908, le pape Pie X, sur l'avis de la commission des études bibliques instituée par Léon XIII, a décidé la révision du texte de la Vulgate, et a confié cette révision à des moines bénédictins (*).

    (*) Un des plus beaux manuscrits de la Vulgate, sinon le plus beau, se trouve à la bibliothèque de Moulins. C'est la Biblia maxima latina, dite aussi Bible de Souvigny, parce qu'elle appartenait avant la Révolution aux bénédictins de Souvigny. Elle remonte au moins au douzième siècle. D'après la chronique, elle fut transportée au Concile de Constance en 1415, et au Concile de Bâle en 1431. pour servir à confronter le texte des Écritures, comme étant la copie qui devait inspirer le plus de confiance. Par la beauté de l'écriture et des enluminures, cette Bible, format grand aigle, est un des plus beaux monuments de l'art au moyen âge. M. Ripond, auteur d'une notice annexée au catalogue de la bibliothèque de Moulins, dit que la Bibliothèque nationale n'a aucun manuscrit qui puisse, pour la beauté, être comparé à celui-là. Elle a été décrite dans l'annuaire de l'Allier de 1840.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:55

    25 - La Bible hors de France

    25.1 - La Bible en Angleterre
    25.1.1 - Aux premiers siècles
    25.1.1.1 - Saint Patrick, Sainte Brigide, Saint Finian, Saint Colomba

    Dans les premiers efforts missionnaires dont la Grande-Bretagne fut l'objet, la diffusion des Écritures eut sa grande place.
    Saint Patrick a été, comme on sait, au cinquième siècle, l'apôtre de l'Irlande, et en est resté le patron. Les catholiques irlandais se doutent peu, sans doute, de l'usage que leur patron faisait de la Bible. Partout où il allait, il s'efforçait de laisser un exemplaire des « Sept livres de la loi » (le Pentateuque, Josué, les Juges), ou des « Quatre livres de l'Évangile ». « Il lisait la Bible aux gens, dit Joceline, son historien catholique, et la leur expliquait pendant des jours et des nuits sans discontinuer ». Dans les deux écrits que l'on possède de lui, « La Confession » et « l'Épitre à Coroticus », qui comptent à eux deux moins de sept cents lignes, on ne trouve pas moins de cent quarante-six citations bibliques proprement dites, sans compter les allusions. On conserve au collège de la Trinité, à Dublin, le Nouveau Testament dont se servait saint Patrick.
    Sainte Brigide, au sixième siècle, répandait au milieu de tous, dit son historien, Cogitosus, la très saine semence de la Parole de Dieu.
    Saint Finian, un autre apôtre de l'Irlande, qui vécut au sixième siècle, fonda l'abbaye de Clonard, et y établit une école, où il enseignait les Écritures. Les enseigner, les copier, les répandre, c'était sa vie. Le nombre des étudiants, à Clonard, s'élevait à trois mille. Un historien dit que les savants sortaient de Clonard aussi nombreux que les soldats grecs des flancs du cheval de Troie. Parmi les élèves de saint Finian il y eut des abbés, des évêques, des missionnaires fameux, par exemple saint Kiéran, saint Comgall, saint Colomba. De là son surnom de « Précepteur des douze apôtres de l'Irlande ».
    C'est Saint Colomba, le fondateur du couvent d'Iona, sur les rivages de l'Écosse, qui, au sixième siècle, apporta l'Évangile en Angleterre. Au septième siècle, le paganisme avait disparu de la grande île. Le premier effort pour traduire en anglo-saxon les Écritures, que l'on n'avait eues jusque-là qu'en latin, date de la fin du septième siècle. Cette traduction fut entourée de circonstances extraordinaires, comme si Dieu avait voulu clairement montrer que sa volonté était de faire donner sa parole au peuple en langue vulgaire.

    25.1.1.2 - Le vacher-poète

    Certain soir, il y a plus de douze cents ans, vers la fin du septième siècle, à l'abbaye de Whitby (Yorkshire), un jeune vacher saxon sortait tout triste de la salle ou s'égayaient ses maîtres et ses compagnons. Ceux-ci, la harpe à la main, s'exerçaient à tour de rôle à chanter sur divers sujets en quelques vers d'un rythme simple, qu'ils improvisaient. Mais Caedmon — c'était le nom du jeune pâtre — ne savait pas faire des vers, et quand la harpe lui fut présentée, découragé, il se leva, et rentra chez lui, c'est-à-dire à l'étable de l'abbaye. Il se jeta sur sa couche, l'amertume au coeur, et s'endormit. Soudain, pendant son sommeil, il lui sembla voir son étable illuminée d'une lumière céleste, au milieu de laquelle se tenait Celui, qui six cents ans auparavant, était né dans une étable.
    « Chante, Caedmon, lui dit-il, chante-moi un chant.
    - Je ne peux pas chanter, répondit tristement l'enfant, et c'est parce que je ne puis pas chanter que je suis ici.
    - Et pourtant, tu me chanteras quelque chose !
    - Que chanterai-je donc ?
    - Le commencement des choses créées ».
    Et tandis que Caedmon écoutait, une puissance divine descendait sur lui, et des paroles qu'il n'avait jamais entendues surgissaient devant son esprit (*). Et la vision disparut. Mais la puissance reçue demeura, et, au matin, quand le Saxon sortit d'auprès de ses vaches, il était poète.

    (*) Voici ces paroles :
    Il faut maintenant célébrer la parole du royaume des cieux, la puissance du Créateur et les pensées de son esprit, les oeuvres du Père glorieux, et dire comment lui, le Seigneur éternel appela à l'être chaque-merveille. Il créa d'abord le ciel comme un toit pour les enfants des hommes, lui le saint Créateur ; puis il fit surgir la terre pour les hommes, la demeure terrestre de la race humaine, lui le Dieu éternel, le Seigneur, le Tout-Puissant.
    Voici, jusqu'aux mots « le Saint Créateur », le morceau en anglo-saxon :
    Nu scylun hergan hefaenricaes uard,
    Metudaes maecti and his modgidanc
    Uerc uudurfadur, sue he uundra gihuaes
    Seci dryctin or astelidae.
    He aerist scop aelda barnum
    Heben til hrofe halec scepen.

    Hilda, l'abbesse, entendit raconter cette histoire extraordinaire. Elle prit un manuscrit latin de la Bible et traduisit pour le jeune garçon une des histoires sacrées. Le jour suivant, Caedmon l'avait reproduite en un beau poème, qui fut suivi d'un autre, puis d'un autre, car l'esprit de la poésie se développait au dedans de lui. Ravis, l'abbesse et les frères l'écoutaient. Reconnaissant la grâce que le Seigneur lui avait faite, ils l'invitèrent à renoncer à son occupation séculière et à entrer dans la vie monastique. Depuis ce jour, le vacher de Whitby se voua avec enthousiasme à la tâche qui lui avait été dévolue dans la vision (*). « D'autres frères, dit l'historien qui rapporte ces faits, Bède, essayèrent de composer des poèmes religieux, mais nul ne pouvait lutter avec lui, car il n'avait pas appris l'art de la poésie des hommes, mais de Dieu ». En paroles solennelles, enflammées, qui ont été conservées, il a chanté pour le commun peuple la création du monde, l'origine de l'homme, toute l'histoire d'Israël, l'incarnation, la passion, la résurrection de Jésus-Christ et son ascension, les terreurs du jugement, l'horreur de l'enfer et la félicité du royaume du ciel ».

    (*) La Realencyclopädie d'Herzog, dans sa dernière édition, considère ces faits comme historiques. « Comme Bède, dit ce savant ouvrage, est né avant la mort de Caedmon et vivait non loin de l'abbaye de celui-ci, on peut considérer comme digne de créance ce qu'il nous raconte du poète ».

    Ces chants n'étaient pas des traductions, mais des paraphrases. Ces paraphrases avaient au moins cet avantage que les gens du peuple pouvaient les apprendre par coeur et s'en entretenir dans leurs demeures. Elles ont une place d'honneur dans l'histoire de la Bible, car c'est par elles que, pour la première fois, les Écritures ont été données au peuple anglais dans sa propre langue.
    La première moitié du siècle suivant vit paraître les premières traductions en anglo-saxon des Écritures.

    25.1.1.3 - La mort de Bède le vénérable

    Par une belle et calme soirée du mois de mai de l'an 735, au couvent de Jarrow, sur la Tyne, un vieux moine, couché dans sa cellule, se mourait. Auprès de lui étaient trois jeunes gens. L'un le soutenait, un autre lisait, le troisième écrivait.
    Ce vieillard se nommait Bède. La postérité l'a surnommé Bède le Vénérable. C'était un grand savant. Il avait traité de toutes les matières : physique, astronomie, histoire, médecine. Des centaines d'étudiants se groupaient autour de lui. Pour l'histoire primitive de l'Angleterre, il est encore aujourd'hui une autorité. Mais l'étude qui le passionnait par dessus toute autre, c'était celle de la Bible. Et au moment où il allait exhaler son dernier souffle, il travaillait encore à la traduction de l'Évangile selon saint Jean. Un de ces jeunes gens lui lisait le texte latin, et l'autre écrivait sous sa dictée la traduction en anglo-saxon. « Je ne veux pas, disait-il, quand je serai parti, que mes enfants lisent des mensonges, ou qu'ils travaillent en vain ».
    « Notre père et maître, que Dieu aimait, raconte un de ses disciples, avait traduit l'Évangile selon saint Jean jusqu'à ces mots « Qu'est-ce que cela pour tant de gens ? » lorsqu'arriva la veille de l'Ascension. Il commença alors à être très oppressé, et ses pieds enflaient, mais il dictait toujours. « Hâte-toi, disait-il à son scribe. « Je ne sais pas combien de temps je tiendrai — ou combien tôt mon maître va m'appeler d'ici ». Toute la nuit, il demeura éveillé, ne cessant de rendre grâces. Dès que le matin de l'Ascension parut, il nous pria de continuer avec toute la hâte possible le travail commencé ».
    L'auteur de cette lettre continue à décrire les alternatives de travail et de repos qui se succédèrent pendant toute la journée. Quand vint le soir, comme le soleil couchant dorait les vitres de sa cellule, le vieillard, de son lit, dictait d'une voix faible la fin de l'Évangile.
    « Il n'y a plus qu'un chapitre, maître, dit le scribe, non sans anxiété. Mais cela devient bien pénible pour vous de parler ?
    - Non, dit Bède, c'est facile ! Prends ta plume et écris vite ». Malgré les larmes qui l'aveuglaient, le jeune homme écrivait toujours,
    « Et maintenant, père, dit-il au bout d'un moment, il ne reste plus qu'une phrase ! »
    Bède dictait toujours.
    - « C'est fini, maître ! s'écria le jeune homme, levant la tête, tandis qu'il écrivait le dernier mot.
    - Ah ! c'est fini, répéta le mourant. Eh bien, aide-moi à me placer près de cette fenêtre, où j'ai si souvent prié ». Lorsqu'il y fut : « Maintenant, dit-il, gloire soit au Père, au Fils, au Saint Esprit ! » Et, avec ces paroles, sa belle âme entra dans l'éternité.
    Y eut-il jamais, sur aucun champ de bataille, une mort plus belle, plus héroïque, que celle-là ? Une auréole divine n'enveloppe-t-elle pas les traductions de Bède, comme les paraphrases de Caedmon ?

    25.1.1.4 - Alfred le grand, Aldred, Alfric, Orme

    Au neuvième siècle, paraît un nouveau traducteur, c'est un roi, Alfred le Grand (849-901), le seul roi d'Angleterre auquel la postérité ait décerné le titre de grand. Il traduisit en anglo-saxon le Décalogue, les psaumes et la prière dominicale.
    Au dixième siècle paraissent deux traducteurs, Aldred, qui traduisit les Évangiles, et Alfric, qui traduisit le Pentateuque, Josué, les Juges, Esther, Job, et une partie des Rois. Un moine, Orme, mit les Évangiles en vers. Puis, au quatorzième siècle, paraît Wiclef.

    25.1.2 - La Version de Wiclef

    C'était un jour du mois de mai de l'année 1378. Une auguste assemblée de moines, d'abbés, d'évêques, était réunie au couvent de Blackfriars, à Londres, pour prononcer le jugement de John Wiclef, le curé de la paroisse de Lutterworth. On attendait la sentence, quand soudain retentit un cri de terreur : un grondement étrange s'est fait entendre, les murs du couvent sont ébranlés. C'est un tremblement de terre. Tous pâlissent. Les éléments se liguent-ils avec cet ennemi de l'Église ? Faut-il interrompre le procès ? « Non ! s'écrie d'une voix de tonnerre l'archevêque Courtenay. Ce cataclysme ne fait que présager la purification du royaume. Il y a dans les entrailles de la terre des vapeurs funestes qui ne s'échappent que par les tremblements de terre. Ainsi nos maux ont pour cause des hommes comme celui-ci. Il faut un tremblement de terre pour nous en débarrasser ! »
    Qu'avait donc fait cet homme ? Il avait osé s'attaquer à la corruption de l'Église, il avait dénoncé les messes, les indulgences, comme une fraude gigantesque. Mais surtout, il avait traduit l'Écriture en langue vulgaire, « la rendant accessible, dit un chroniqueur contemporain, aux laïques et aux femmes comme elle l'était aux clercs, si bien que la perle de l'Évangile est foulée aux pieds par les pourceaux ».

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Rd6i

    Extrait d'une des préfaces de la Bible de Wiclef.

    L'enseignement de Wiclef fut condamné, et lui-même excommunié. Il retourna dans sa cure de Lutterworth, et reprit son travail, aidé, pour l'Ancien Testament, par son élève et ami Nicolas Hereford, jusqu'à ce que la Bible entière fût traduite, pour la première fois, dans la langue vulgaire de l'Angleterre (1382).
    Le pape Grégoire XI ne lança pas moins de cinq bulles contre Wiclef. Mais son oeuvre n'en fut pas entravée.
    Non seulement Wiclef traduisit la Bible, mais il chargea des hommes pieux et zélés de parcourir l'Angleterre avec des exemplaires de sa traduction. Partout où ils le pouvaient, à la ville et à la campagne, dans la rue, sur les grandes routes, dans les marchés, dans les maisons, ces prédicateurs-colporteurs lisaient et expliquaient l'Écriture. Un grand nombre furent ainsi gagnés à l'Évangile, dont, sous le sobriquet de Lollards, ils furent les témoins, préparant ainsi les temps nouveaux. Wiclef, on le voit, a bien mérité d'être appelé « l'étoile du matin de la Réformation ».
    Wiclef s'attendait à mourir de mort violente, de la main de ses ennemis, mais Dieu en disposa autrement. Le dernier dimanche de l'année 1384, il était agenouillé devant l'autel, quand il tomba frappé de paralysie. Il mourut le dernier jour de l'année, sans avoir recouvré l'usage de la parole, « Dieu montrant clairement par là, dit un écrivain catholique, que la malédiction prononcée contre Caïn tombait sur lui ».
    Quelque temps après sa mort, une pétition fut adressée au pape Urbain VI pour demander que le corps de Wiclef fût exhumé de la terre bénite et enterré dans un fumier. Le pape, pour son honneur, refusa. Mais quarante ans plus tard, par ordre du concile de Constance, les os du réformateur furent déterrés, brûlés, et ses cendres jetées dans un cours d'eau voisin.
    « Le ruisseau, dit un historien, Thomas Fuller, les porta dans l'Avon, l'Avon dans la Severn, la Severn dans la mer d'Irlande, et celle-ci dans l'Océan. Ainsi les cendres de Wiclef sont un emblème de sa doctrine, qui est maintenant répandue dans le monde entier ».
    La version de Wiclef est faite sur la Vulgate. C'est sa faiblesse. Néanmoins elle est remarquable, et plusieurs de ses expressions se retrouvent dans la version anglaise actuelle. Elle fut extrêmement répandue, malgré son prix formidable. On payait très cher quelques pages seulement. On donnait une charge de foin pour avoir le droit de la lire pendant un certain temps une heure par jour.
    Et il en coûta souvent de la lire. Plus d'un de ses lecteurs fut brûlé avec deux exemplaires de cette Bible interdite suspendus à son cou, un par devant et un par derrière. Ses possesseurs furent traqués comme des bêtes sauvages. Des hommes et des femmes furent exécutés pour avoir appris à leurs enfants la prière dominicale en langue vulgaire.
    Quatre ans après la mort de Wiclef parut une édition révisée de son oeuvre. Cette révision est due à Richard Purvey, élève de Wiclef, un « homme tout simple », comme il se désigne lui-même, mais qui s'assura le concours « d'hommes sérieux et avisés ».
    170 exemplaires de la Bible de Wiclef ont survécu à la persécution et aux années. On voit par là avec quelle abondance elle fut répandue (*).

    (*) Voici, dans la traduction de Wyclef, le commencement du second chapitre de saint Matthieu.
    Therefore whanne Jhesus was borun in Bethleem of Juda, in the dayes of King Eroude : lo, astronomyens camen fro the eest to Jerusalem, and seiden, Where is he that is borun King of Jewis ? for wehan seen his steere in the eest, and we are comen for te worschipe hym.

    25.1.3 - La Version de Tyndale

    En 1483, la même année que Luther, naissait, dans le Gloucestershire, William Tyndale. Il fit à Oxford de brillantes études. Il connaissait sept langues, l'hébreu, le grec, le latin, l'anglais, l'italien. l'espagnol, le français, et parlait, dit-on, chacune de ces langues de telle façon qu'on aurait pu croire que c'était sa langue maternelle. À l'université, il rencontra Érasme, qui avait depuis peu achevé la publication du Nouveau Testament grec. Tyndale devint promptement familier avec ce livre merveilleux. Sans doute, il l'étudia tout d'abord en savant. Mais il y trouva bientôt un intérêt supérieur. Comme Luther, et presque en même temps que lui, il lut et relut la Parole divine, et en fut remué jusque dans le fond de son être. Incapable de garder pour lui le trésor qu'il avait découvert, il exhorta les prêtres qu'il rencontrait à faire une étude personnelle de l'Écriture. Un jour, dans la chaleur d'une discussion, il fit sursauter tous ceux qui l'entendirent par une déclaration mémorable, à l'accomplissement de laquelle il consacra dès lors sa vie. « Il vaudrait mieux, disait son adversaire, nous passer des lois de Dieu que de celles du pape ». Sur quoi Tyndale se leva, et s'écria, indigné : « Je défie le pape, et toutes ses lois, et si Dieu me prête vie, je ferai qu'en Angleterre le jeune garçon qui pousse la charrue connaisse l'Écriture mieux que le pape ! »
    Comme l'évêque de Londres, Tunstall, était un ami des lettres, Tyndale lui demanda la permission de travailler dans son palais et sous son patronage à la traduction du Nouveau Testament. Mais l'évêque, plus ami du grec classique que du grec du Nouveau Testament, répondit qu'il n'avait pas de place dans son palais, et qu'il lui conseillait de chercher ailleurs. Un négociant de Londres, Humphrey Monmouth, reçut Tyndale chez lui, et le jeune savant put, une année durant, se consacrer tranquillement à sa tâche.
    Les rapports qu'il eut pendant cette année avec les ecclésiastiques de la cité lui montrèrent clairement que quiconque troublerait ces hommes dans leur repos n'aurait aucune pitié à attendre d'eux. Il voyait des gens emprisonnés et mis à mort pour avoir lu ou possédé les écrits de Luther. Il n'ignorait pas qu'une traduction de la Bible en anglais serait considérée comme autrement dangereuse que les livres du réformateur allemand. « Ce n'était pas seulement dans le palais de l'évêque, dit-il, mais encore dans toute l'Angleterre, qu'il n'y avait pas de place pour s'essayer à une traduction des Écritures ».
    Mais Tyndale n'était pas homme, après avoir mis la main à la charrue, à regarder en arrière. Il avait résolu que cette nouvelle invention, l'imprimerie, servirait à répandre la Parole de Dieu parmi le peuple, et il avait, sereinement, calculé la dépense. S'il fallait l'exil pour atteindre son but, il l'accepterait joyeusement. En mai 1524, il quitta, pour ne plus le revoir, son pays natal. Il se rendit à Hambourg, et là, souffrant de la pauvreté, constamment en danger, le vaillant exilé travailla à sa traduction, et si diligemment, que l'année suivante nous le trouvons à Cologne, confiant à l'imprimeur les feuilles de son Nouveau Testament in-4.
    Une grande déception l'attendait. Il avait bien gardé son secret, et il espérait que dans quelques mois sa traduction serait répandue en Angleterre à des milliers d'exemplaires. Mais au moment même où il était tout entier à l'espoir, un message précipité vint l'arracher de chez lui, et le jeter, à moitié fou, chez son imprimeur. Saisissant toutes les feuilles sur lesquelles il put mettre la main, il s'enfuit de la ville. Des ouvriers imprimeurs trop bavards avaient éveillé les soupçons d'un prêtre du nom de Cochlaeus. Celui-ci, en les faisant boire, leur arracha leur secret, et sut ainsi qu'un Nouveau Testament anglais était sous presse. Plein d'horreur devant cette conspiration, « pire, pensait-il, que celle des eunuques contre Assuérus », il informa aussitôt les magistrats, et demanda que les feuilles fussent saisies. En même temps, il envoyait un messager en Angleterre pour avertir les évêques du danger. De là la consternation de Tyndale et sa fuite précipitée.
    Avec ses précieuses feuilles, il se réfugia à Worms, où l'enthousiasme pour Luther et pour la Réformation était alors à son comble. Là, il vint enfin à bout de son dessein, et publia, en un format in-4, à trois mille exemplaires, le premier Nouveau Testament complet imprimé en anglais (1525). Puis il alla s'établir à Anvers et se mit à la traduction de l'Ancien Testament. Ayant achevé le Pentateuque, il mit à la voile pour Hambourg afin de l'y faire imprimer. Mais il fit naufrage et perdit presque tout ce qu'il possédait, en particulier ses manuscrits ! Il put toutefois, sur un autre navire, achever son voyage, et arriva à Hambourg, où, aidé par un M. Coverdale, il refit sa traduction du Pentateuque. Il rencontra Luther à Wittemberg. Puis il revint à Anvers. Ceci se passait en 1529. Nous avons un peu anticipé. Revenons à 1525.
    Après la publication de son Nouveau Testament, mis au courant des agissements de Cochlaeus, et n'ignorant point que les volumes seraient épiés avec un soin jaloux, il fit imprimer à trois mille exemplaires une seconde édition, plus petite, in-8, plus facile à cacher, et prit aussitôt ses mesures pour expédier en Angleterre sa dangereuse marchandise. Dans des caisses, dans des barils, dans des balles de coton, dans des sacs de farine, les volumes partaient, et, malgré toute la vigilance exercée dans les ports, un grand nombre arrivèrent et furent répandus au près et au loin dans le pays.
    Les Nouveaux Testaments de Tyndale causèrent une commotion extraordinaire au sein du clergé. Le Nouveau Testament de Wyclef, quoiqu'il fallût des mois pour le copier et qu'il coutât fort cher, avait déjà causé pas mal de trouble. Et voici que ces volumes imprimés se déversaient dans le pays par centaines, et à un prix accessible à tous !
    Des agents spéciaux surveillaient étroitement tous les ports. Souvent ils saisissaient les précieux volumes. Ceux qui les avaient fait pénétrer dans le royaume étaient arrêtés et condamnés à faire pénitence. On les faisait monter à cheval, la figure tournée vers la queue de leur monture, chargés d'exemplaires du livre prohibé, dont on les enveloppait par devant et par derrière, ou qu'on suspendait à leurs vêtements, et on les conduisait ainsi au bûcher où, de leurs propres mains, ils devaient jeter ces volumes.
    Ainsi, ou autrement, des milliers d'exemplaires furent brûlés. On en brûla notamment à Londres, devant la cathédrale de Saint Paul, « comme un sacrifice de bonne odeur au Tout-Puissant ». Tyndale ne se laissait pas émouvoir. Il savait qu'avec la machine à imprimer il pouvait défier tous ses ennemis. « Ils brûlent le Livre, écrivait-il : je m'y attendais. Et dussent-ils me brûler moi-même, si la volonté de Dieu est qu'il en soit ainsi, je dirais la même chose ».
    Il était de toute évidence qu'on ne pouvait pas empêcher les Nouveaux Testaments de Tyndale de pénétrer dans le pays. Alors l'évêque de Londres eut une idée lumineuse. Il demanda à Augustin Packington, un négociant qui était en relations d'affaires avec la ville d'Anvers :
    « Que penseriez-vous d'acheter tous les exemplaires de ce Nouveau Testament qui sont au-delà du détroit ?
    - Monseigneur, répondit Packington — qui était un ami secret de Tyndale, si tel est votre bon plaisir, je puis vous aider sans doute plus qu'aucun autre négociant de l'Angleterre. Si seulement votre Seigneurie veut payer les volumes — car j'aurai de l'argent à débourser — je crois pouvoir vous assurer que vous aurez tous ceux qui ne sont pas encore vendus.
    - Maître Packington, dit l'évêque — il croyait mener Dieu par le bout du doigt, ainsi que s'exprime un chroniqueur, quand c'était le diable, il le vit bien plus tard, qui le tenait par le poignet — faites hâte, procurez-moi ces livres. Je vous donnerai avec plaisir ce qu'ils coûteront, car ce sont de méchants livres, et je suis résolu à les détruire tous et à les brûler devant l'église Saint-Paul ».
    Quelques semaines plus tard, à Anvers, Packington cherchait et trouvait Tyndale, dont il savait que les ressources étaient fort réduites.
    « Maître Tyndale, lui dit-il, je vous ai trouvé un bon acquéreur pour vos livres.
    - Et qui donc ? demanda Tyndale. — L'évêque de Londres.
    - Mais si l'évêque veut ces livres, ce ne peut être que pour les brûler
    - Eh bien, qu'importe ? D'une manière ou de l'autre, l'évêque les brûlera. Il vaut mieux qu'ils vous soient payés, pour vous permettre d'en imprimer d'autres à leur place ».
    Et l'affaire fut conclue. L'évêque eut les livres, dit le chroniqueur, Packington eut les remerciements… et Tyndale eut l'argent (*).

    (*) Il y avait là une ruse de guerre. S'explique-t-elle chez ceux qui l'emploient, comme le recours à la contrainte en matière religieuse chez les hommes du seizième siècle, par le fait qu'on ne croyait pas devoir user de ménagements vis-à-vis de l'erreur ! En tous cas, serviteurs de la vérité absolue, nous ne pouvons approuver le procédé de ces hommes jouant au plus fin avec leurs adversaires. Mais nous devons raconter les faits tels qu'ils sont.

    « Ainsi, disait Tyndale, j'aurai double profit. Je pourrai payer mes dettes, tandis que le monde s'indignera de voir brûler la Parole de Dieu, et le surplus me servira à corriger mon Nouveau Testament et à le réimprimer, et j'ai la confiance que le second sera de beaucoup meilleur que le premier ».
    En effet, Tyndale corrigea son Nouveau Testament, le fit réimprimer, et les volumes arrivaient dru en Angleterre. L'évêque envoya chercher Packington.
    « Comment est-ce, lui demanda-t-il, que les Nouveaux Testaments soient toujours aussi abondants ?
    - Monseigneur, répliqua le négociant, je crois que vous ferez bien d'acheter aussi les presses avec lesquelles on les imprime ! »
    - « Qui donc vous aide ? demandait quelques mois plus tard un juge, Sir Thomas Moore, à un hérétique du nom de Constantin. Il y a par là-bas Tyndale, Joye, et beaucoup d'autres. Ils ne peuvent pas écrire sans argent. Qui donc vous aide ?
    - Monseigneur, je vous le dirai : c'est l'évêque de Londres. Pour brûler les Nouveaux Testaments, il nous a fait avoir tant d'argent qu'il a été notre principal appui.
    - Par ma foi, dit Moore, je le crois. Je le lui avais bien dit ! » Tunstall profita de la leçon. Au lieu d'acheter et de brûler le livre, il prêcha contre lui, à Saint-Paul, un sermon resté fameux, où il affirma qu'il avait trouvé dans ce Nouveau Testament deux mille erreurs. À la fin de son sermon, il jeta l'exemplaire qu'il tenait à la main dans un grand feu qui flamboyait devant lui. Moore soutint l'attaque. Tyndale y répondit avec indignation, et les amis de la Réformation, dont le nombre croissait en Angleterre, les réfutaient aussi, généralement avec succès.

    Les ennemis de Tyndale étaient nombreux et puissants. Ils avaient juré sa perte. Un envoyé du roi, Vaughan, essaya de le persuader de revenir. Tyndale refusa. « Quelques garanties qu'il me donne, répondit-il, le roi ne pourra jamais me protéger contre les évêques, car ils croient qu'il ne faut pas garder la foi aux hérétiques ». On s'y prit autrement : un ami de Thomas Moore, un clergyman du nom de Phillips, homme aux manières engageantes, travailla traîtreusement à gagner la confiance du trop peu défiant exilé, car « Tyndale était un homme simple, peu expert des finesses et des ruses du monde ». Il accorda sa confiance à Phillips, lui prêta même de l'argent, et se refusa à partager les soupçons de son propriétaire. Un jour Tyndale invita à dîner, chez des amis qui l'attendaient, Phillips, qui était venu le voir. Pour sortir, il fallait suivre un long corridor étroit, où l'on ne pouvait marcher deux de front. Phillips, feignant force politesse, fit passer Tyndale le premier. À la porte étaient assis deux individus qu'il avait postés pour surveiller l'entrée. Par derrière, il leur désigna Tyndale, leur signifiant ainsi de se jeter sur lui et de le saisir. Un instant après, le pauvre Tyndale était empoigné et entraîné dans les donjons du château de Vilvorden. On raconte que ce misérable traître périt victime d'une maladie épouvantable : des vers le dévorèrent tout vivant.
    Tyndale, emprisonné, languit dans le froid, dans la misère, dans les haillons. On a de lui une lettre au gouverneur où on lit : « Je prie votre Seigneurie, et cela par le Seigneur Jésus, si je dois rester ici pendant l'hiver, de demander au procureur d'être assez bon pour m'envoyer, parmi les objets qu'il a en ma possession, un bonnet plus chaud, car je souffre extrêmement d'un catarrhe chronique, qui empire beaucoup dans cette cave, et aussi un manteau plus chaud, car celui que j'ai est bien mince, et un peu de drap pour rapiécer mes guêtres. Mes chemises sont complètement usées ».
    Sa captivité dura un an et demi. Ses souffrances ne l'empêchèrent pas de rendre témoignage à son Sauveur, au contraire. L'historien Foxe dit qu'il fut le moyen de la conversion de son geôlier, de la femme de celui-ci, et d'une autre personne de sa famille.
    Longtemps avant, Tyndale avait dit : « Si on me brûle, je m'y attends ». Ce pressentiment se réalisa. Le vendredi 6 octobre 1536, sur un décret de l'empereur Charles-Quint, on le conduisit au bûcher. Il fut étranglé, puis les flammes réduisirent son corps en cendres. Au moment où le bourreau s'emparait de lui, il s'écria : « Seigneur, ouvre les yeux du roi d'Angleterre ! »
    Tyndale ne vécut pas assez pour traduire toute la Bible. Mais il laissa en manuscrit des parties considérables (par exemple de Josué aux Chroniques) dont profitèrent ses successeurs.
    Dans tout ce qu'il a traduit, son influence, comme traducteur, a été énorme. La version anglaise, dite autorisée, a retenu de lui 80 % dans l'Ancien Testament et 90 % dans le Nouveau. Mieux encore, la version révisée anglaise a souvent abandonné la version autorisée pour revenir à Tyndale ! Le chapitre 15 de saint Luc, par exemple, et les cinq sixièmes de l'épître aux Éphésiens, sont à peu près identiques dans la version révisée et dans Tyndale.
    On a pu à bon droit appeler Tyndale « l'apôtre de l'Angleterre ». Deux exemplaires seulement de son Nouveau Testament subsistent, l'un au collège Baptiste de Bristol, l'autre à la Bibliothèque de Saint-Paul à Londres.

    25.1.4 - Depuis la Réformation

    En 1535, paraît la Bible de Miles Coverdale. C'est la première Bible complète imprimée en anglais. Coverdale ne savait ni l'hébreu, ni le grec, mais il avait un très beau style.
    En 1537, paraît par les soins de J. Rogers, un ami de Tyndale, une nouvelle Bible, the Matthew's Bible, la Bible de Tyndale complétée. Elle fut autorisée par Henri VIII, à la requête de Thomas Cromwell, lord chancelier, auquel elle avait été présentée par Cranmer. Comment Henri VIII, ce roi catholique, put autoriser cette Bible, l'oeuvre de l'hérétique Tyndale, est un mystère. Cela rappelle François 1er protégeant le traducteur et l'imprimeur de la Bible, Lefèvre d'Étaples et Robert Estienne, et persécutant les disciples de la Bible. Tyndale, sur le bûcher, s'était écrié : « Seigneur, ouvre les yeux du roi d'Angleterre ! » Un an ne s'était pas écoulé que cette prière était exaucée. Les yeux d'Henri VIII, en effet, s'ouvrirent assez pour qu'il permit à son peuple de lire la Bible en langue vulgaire.
    En 1539 parut une nouvelle édition de cette Bible, The Great Bible, sans les notes et la préface de Tyndale, que plusieurs trouvaient trop protestantes. On en plaça, enchaîné à un pilier, un exemplaire dans chaque église. Un lecteur en faisant la lecture à haute voix au peuple assemblé. Souvent, dit-on, les enfants eux-mêmes écoutaient avec tant d'attention que, rentrés chez eux, ils pouvaient réciter une bonne partie de ce qu'ils avaient entendu.
    Édouard VI succéda à Henri VIII. À son couronnement, en 1547 (il n'avait que dix ans), lorsqu'on lui présenta, pour prêter serment, les trois épées de l’État, il demanda : « Et la quatrième, où est-elle ? — Quelle est cette épée, votre Majesté ? lui fut-il répondu. — C'est l'épée de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu », répondit le jeune roi. Depuis lors les rois d'Angleterre, à leur couronnement, ont prêté serment sur la Bible.
    En 1560, plusieurs de ceux qui avaient fui la persécution de Marie la Sanglante firent paraître, à Genève, The Geneva Bible. À l'avènement d'Élisabeth, les exilés revinrent, rapportant cette Bible avec eux. Elle joua un rôle au couronnement de la nouvelle reine. Parmi les figures symboliques qui ornaient le cortège, il y avait le Temps. Le Temps conduisait par la main sa fille, la Vérité. Il la présenta à la Reine avec tout le cérémonial voulu, et la Vérité tendit la Bible à la Reine. Celle-ci la reçut avec reconnaissance, la porta à ses lèvres, puis la serra sur son coeur aux applaudissements des assistants, qui voyaient avec raison, dans cette attitude, le gage d'une ère de liberté.
    Mentionnons une traduction due aux évêques, The Bishops' Bible, qui ne fut jamais populaire, une autre due à un laïque du nom de Taverner, et la Bible de Douai-Reims, faite sur la Vulgate par et pour les catholiques romains, comme réaction contre les Bibles protestantes. Le Nouveau Testament parut à Reims en 1578, et la Bible entière à Douai en 1610.
    En 1611 parut, sous les auspices de Jacques 1er, la version dite autorisée, oeuvre de quarante-sept savants ecclésiastiques, révision des traductions de Tyndale et de Coverdale. La révision occupa quatre années. Cette version fut loin d'être populaire à son début. On lui préférait la Bible de Genève. Un savant de Cambridge écrivit au roi Jacques qu'il aimerait mieux être écartelé que de consentir à ce que cette Bible fût lue dans les Églises. Néanmoins la nouvelle Bible finit par être généralement adoptée et par devenir une vraie Bible nationale. Son influence sur le développement religieux du peuple, sur la vie et la littérature anglaises, a été extraordinaire.

    En 1870, les évêques anglicans, assistés de plusieurs savants, décidèrent de procéder à une révision de la Bible de 1611. Ils avaient pour cela trois raisons. Plusieurs passages pouvaient être mieux traduits. Les traducteurs n'avaient pas eu entre les mains les meilleurs manuscrits, et n'avaient par conséquent pas traduit sur le meilleur texte. Enfin, le sens de certains mots anglais avait changé. Trente-quatre savants, appartenant aux diverses Églises, furent choisis comme réviseurs, dix-neuf pour le Nouveau Testament et quinze pour l'Ancien. Aucun changement ne fut introduit sans avoir rallié au moins les deux tiers des voix. Un comité de révision fut constitué en Amérique, et rendit les plus grands services.
    Le Nouveau Testament parut en 1881. Ce fut un événement. À Londres, des gens firent queue toute la nuit pour avoir les premiers exemplaires. À New-York, un journal télégraphia le Nouveau Testament tout entier à Chicago pour être sûr d'être le premier à le publier dans cette ville. L'Ancien Testament parut en 1885. Cette version révisée est extrêmement utile pour l'intelligence du texte, mais elle est loin d'avoir conquis la même popularité que la version de 1611. Il y a de la Bible révisée une édition américaine, où les corrections américaines, qui, dans l'édition anglaise, avaient été indiquées en marge, ont été imprimées dans le texte.

    25.2 - La Bible en Allemagne : La version de Luther

    La traduction de la Bible, a dit un historien, est le plus grand de tous les dons que Luther a pu faire à son peuple. S'il n'a pas été le premier (*), il a été le plus grand des traducteurs de la Bible en allemand. Comme la traduction latine de Jérôme s'était substituée à toutes les traductions latines, ainsi la version de Luther relégua dans l'ombre toutes les vieilles traductions allemandes. Aucun de ses successeurs ne l'a surpassé ni même égalé. Sa connaissance du grec et de l'hébreu, de l'hébreu surtout, était limitée, mais dans la langue allemande il était un maître, et quant à ce qui pouvait lui manquer comme linguiste, l'intuition du génie et le secours de Mélanchthon y suppléaient.

    (*) Avant 1477, il y avait eu en Allemagne sept traductions de la Bible en haut allemand. De 1480 à 1520 il en parut sept en haut allemand et trois en bas allemand.

    Le 4 mai 1521, au retour de Worms, il est entraîné et enfermé, comme on sait, au château de la Wartbourg, où le plus beau fruit de son loisir fut la traduction du Nouveau Testament. Il la commença en novembre ou décembre de cette année, et l'acheva au mois de mars suivant. À son retour à Wittemberg, il la révisa à fond avec l'aide de Mélanchthon. L'impression marchait de pair avec la révision. Trois presses travaillaient constamment, et vers la fin on tirait 10.000 feuilles par jour. Le 25 septembre 1522, le volume parut.
    Luther se mit alors à l'Ancien Testament. Il fonda un Collegium Biblicum, un cercle biblique, composé de Mélanchthon, Bugenhagen, Crusiger, Justus Jonas, Aurogallus, et lui-même. Ils se réunissaient une fois par semaine, plusieurs heures, chez Luther, et s'aidaient dans leur travail de la version des Septante, des Bibles latines, et de commentaires.
    Ils prirent une peine inimaginable, dont Luther aime à parler dans ses préfaces. L'Ancien Testament était alors un monde inconnu. La connaissance de la langue hébraïque était dans son enfance. Un seul verset de Job les arrêtait des jours entiers.
    « La singulière grandeur de ce style (de Job), dit Luther, me donne un travail tel qu'il semble que cet homme s'irrite plus de ma traduction que des consolations de ses amis. On dirait que l'auteur de ce livre a désiré qu'il ne fût jamais traduit.
    « Je sue sang et eau pour donner les prophètes en langue vulgaire. Bon Dieu, quel travail ! Comme les écrivains juifs ont de la peine à parler allemand ! Ils se défendent, ils ne veulent pas abandonner leur hébreu pour notre langue barbare. C'est comme si Philomèle laissait ses gracieuses mélodies pour imiter la note monotone du coucou qu'elle déteste.
    « … Je m'efforce de traduire les prophètes, ou mieux, je les enfante…
    « Souvent, il nous est arrivé de passer quinze jours, trois semaines, quatre semaines, à chercher le sens d'un mot, à nous en informer partout, sans toujours le trouver. Lorsque nous travaillions à la traduction de Job, Philippe, Aurogallus et moi, nous mettions parfois quatre jours à écrire trois lignes. Aujourd'hui que l'oeuvre est faite, tout le monde peut la lire et la critiquer. L'oeil parcourt trois, quatre feuilles, sans broncher une seule fois. Il n'aperçoit ni les pierres, ni les blocs, qui gisaient là où l'on marche maintenant comme sur une planche rabotée, et l'on ne pense ni aux sueurs, ni aux angoisses que nous avons souffertes pour faire au promeneur une route si commode. Il fait bon labourer le champ lorsqu'il est défriché, mais quant à abattre les arbres, extirper les souches, déblayer le terrain, personne n'aime ce travail, et le monde n'en a pas de reconnaissance. Mais Dieu lui-même, avec son soleil, son ciel et la mort de son Fils, en obtient-il davantage ? Que le monde reste donc le monde, au nom du Diable.
    « … Je n'ai pas travaillé seul. J'ai recruté des auxiliaires partout. J'ai pris à tâche de parler allemand, et non grec ou latin. La femme dans son ménage, les enfants dans leurs jeux, le bourgeois sur la place publique, voilà les documents qu'il faut consulter. C'est de leur bouche qu'il faut apprendre comment on parle, comment on interprète ».
    Le Pentateuque parut en 1523; Josué, Job, le psautier, Salomon, en 1524; Jonas et Habacuc, en 1526; Zacharie, en 1527; Ésaïe, en 1528; Daniel, en 1530; les autres prophètes, en 1532; enfin les Apocryphes, « ces livres de l'Écriture bons et utiles, disait Luther, mais qui ne peuvent être mis au même rang que les autres ».
    Pendant ce temps, le Nouveau Testament avait été réimprimé cinquante fois, et avait paru en seize ou dix-sept éditions. Telle était en Allemagne la faim et la soif de la Parole de Dieu ! De la Bible entière il parut dix éditions différentes avant 1546, année de la mort de Luther. Cette Bible, comme le Nouveau Testament, fut saluée avec enthousiasme. Tous les efforts pour en empêcher la vente demeurèrent vains. Hans Lufft, à Wittemberg, l'imprima trente-sept fois et en vendit, en quarante ans, de 1534 à 1574, environ 100.000 exemplaires. Elle a été réimprimée, parfois en plusieurs éditions, en quatre-vingt treize autres villes. Il y a eu cinq éditions aux États-Unis (La Bible de Luther, d'après l'Encyclopédie de Brockhaus a été traduite en danois [Nouveau Testament 1524, Bible 1550], en suédois [Nouveau Testament 1526, Bible 1541], en hollandais [1526], en islandais [Nouveau Testament, 1540, Bible 1584]).
    Cette Bible fut la grande force de la Réformation. Les lignes suivantes de Cochlaeus, écrivain catholique, suffiraient à le prouver. « Le Nouveau Testament de Luther a été tellement multiplié et tellement répandu par les imprimeurs, que même des tailleurs et des cordonniers, que dis-je, des femmes (les femmes mises au-dessous des cordonniers !), des ignorants, qui ont accepté ce nouvel Évangile luthérien et qui savaient lire quelque peu d'allemand, l'ont étudié avec avidité, comme la source de toute vérité. Quelques-uns l'ont appris par coeur et l'ont porté dans leur sein. En quelques mois, de telles personnes sont arrivées à se croire si savantes qu'elles n'ont pas eu honte de discuter sur la foi et sur l'Évangile, non seulement avec des laïques catholiques, mais même avec des prêtres, des moines et des docteurs en théologie ».
    Un autre théologien catholique, Emsler, lui-même traducteur de la Bible, a découvert dans la traduction de Luther jusqu'à quatorze cents hérésies.
    La Bible de Luther réforma non seulement la religion, mais la langue. La langue allemande comptait alors autant de dialectes que l'Allemagne comptait d'États. Luther fit succéder l'harmonie à la confusion. Il choisit le dialecte saxon, et fit du haut allemand la langue littéraire de l'Allemagne. La Bible de Luther a été le premier classique allemand, comme la Bible du roi Jacques 1er a été le premier classique anglais.
    « Profondément pénétré, dit l'Encyclopédie de Brockhaus, de l'esprit de l'Écriture, comme d'une foi inébranlable à sa vérité divine, il l'a, en la traduisant, écrite une seconde fois. Sa traduction est un fruit tout à la fois de l'esprit allemand et de l'esprit de la Bible. Par son langage vigoureux et populaire, elle a inauguré une ère nouvelle dans l'histoire de la langue allemande ». Un littérateur allemand, d'origine israélite, disait une fois à un littérateur allemand, né de parents chrétiens : « Vous autres chrétiens, vous avez sur nous une avance extraordinaire, car dès l'enfance vous êtes familiers avec la Bible de Luther ».
    « Luther a donné à l'Allemagne, dit l'historien catholique Doellinger, plus qu'aucun homme depuis l'ère chrétienne n'a jamais donné à son peuple : une langue, une Bible, une Église, et le cantique. Auprès de lui, ses adversaires ne firent que bégayer. Seul, il a imprimé sa marque indélébile sur la langue et sur l'esprit allemand. Et ceux-là mêmes qui parmi nous le détestent, comme le grand hérésiarque, comme le grand séducteur de la nation, sont contraints, en dépit d'eux-mêmes, de parler avec ses paroles et de penser avec ses pensées ».

    25.3 - La Bible en Italie
    25.3.1 - Au moyen âge

    La Bible n'a été traduite en italien qu'assez tard. Le mouvement que Charlemagne et Alcuin ont imprimé aux études bibliques a été sans influence au delà des Alpes, et même l'oeuvre de Pierre Valdo n'a passé les monts que plus tard, comme nous aurons lieu de le voir. Les Italiens se sont obstinés longtemps à considérer le latin comme leur langue nationale ; même le Dante dédaignait l'italien pour ses pamphlets littéraires et politiques, et les écrivait en latin. Cependant, c'est aux temps du Dante que Mgr Carini, préfet de la Bibliothèque apostolique (Vatican), fait remonter ce qu'il appelle la « Biblia Italiana », dont il égale les mérites littéraires à ceux des grands classiques du temps, voir même du Décaméron. Mais il ne sait pas nous dire qui en fut l'auteur, et peut-être n'a-t-il pas cherché à le découvrir. Aussi la question est-elle toujours sub judice, et attribue-t-on cette version intéressante des Saintes Écritures à peu près à tous les personnages marquants de l'Église dans ces temps reculés. Il faudrait une étude comparative des manuscrits existants dans nos bibliothèques pour décider la question, et ce n'est pas chose facile à faire. Même une étude sommaire, comme celle faite par S. Berger sur les manuscrits de Florence, de Sienne, de Venise et de Paris, suffit à justifier l'opinion de Carini qu'il y a eu plusieurs traducteurs, car non seulement il y a des différences de style entre les différents livres de la Bible, mais il se trouve même plus d'une traduction d'un même livre. Pour un certain nombre de livres, il n'y a qu'une seule version (le Pentateuque, les Psaumes, les Évangiles, les Épîtres de Saint-Paul et d'autres). Pour certains livres, nous avons deux traductions (les Rois, Job, Judith, les Épîtres catholiques, l'Apocalypse). Pour d'autres parties de la Bible, par exemple pour l'Ecclésiaste, nous trouvons trois traductions, et jusqu'à quatre pour les Proverbes, qui semblent avoir été plus populaires, comme en général les livres sapientiaux.
    Le seul auteur sur lequel on soit à peu près d'accord est le célèbre prédicateur dominicain Fra Domenico Cavalca de Pise, qui aurait traduit, et en certains endroits paraphrasé, le livre des Actes, « à la demande de certaines personnes pieuses », et la ressemblance de style entre ce livre et d'autres a fait naître, chez plusieurs, l'idée d'attribuer au même auteur la traduction complète de la Bible, mais la chose ne parait pas probable. Il se peut, toutefois, que Cavalca ait fait traduire d'autres livres sous sa surveillance.
    Il est certain que le texte sur lequel fut traduite la première Bible italienne a été la Vulgate de saint Jérôme, qui l'avait enfin emporté dans sa longue lutte avec la Vetus Itala. Du reste, la comparaison des manuscrits est rendue presque impossible par le fait de leur dispersion. En fait, il ne reste que trois manuscrits un peu considérables de la Bible entière.
    L'un est à Sienne, dans la bibliothèque communale, et contient la Genèse, les vingt-huit premiers chapitres de l'Exode, les quatre livres des Rois, les quatorze premiers chapitres des Macchabées, l'histoire de Samson et les douze premiers chapitres de Tobie. Un autre manuscrit, aussi de Sienne (*1), contient tout l'Ancien Testament. La seule Bible complète que nous connaissions se trouve à Paris, à la Bibliothèque nationale (*2). Une singulière lacune existe dans le Nouveau Testament ; l'épître aux Romains n'est représentée que par une préface et un argument. Une autre Bible, qui a dû être complète, se compose des deux derniers volumes d'une Bible qui en a eu trois. Le manuscrit commence actuellement par le livre d'Esdras et contient l'épître aux Romains. Ces deux Bibles ont appartenu aux rois aragonais de Naples, et ont été apportées en France par Charles VIII. C'est ainsi probablement qu'elles ont échappé à la destruction des autres manuscrits italiens.

    (*1) F. III. 4.
    (*2) Ital. 1 et 2.

    À part ces trois Bibles plus ou moins complètes, on ne trouve dans nos bibliothèques italiennes que des manuscrits de livres isolés. M. S. Berger en a catalogué un grand nombre ; il nous en donne la liste dans son bel article sur la Bible italienne au moyen âge dans la revue Romania (t. XXIII, 1895) et il est intéressant de voir par qui ces manuscrits ont été copiés. Qui ne serait ému à la vue du manuscrit Marciana, des Évangiles, copié péniblement dans une des plus horribles prisons de Venise, où la lumière n'arrivait que par un corridor, par le prisonnier d'État triestin Damenico dei Zuliani, pour abréger les heures de sa captivité et obtenir peut-être quelque adoucissement à sa peine. Mais la plupart de ces manuscrits partiels des Saintes Écritures se trouvent dispersés dans les bibliothèques de Florence, surtout dans la Riccardiana, et sont intéressants pour nous faire connaître l'usage que l'on faisait à cette époque de la Bible dans les familles patriciennes de la ville. Plusieurs de ces manuscrits ont été copiés par des laïques appartenant aux meilleures familles de la ville : Serragli, Neri, Tornabioni (ancien nom des Tornaburoti), Ricci, qui transcrivit dans un registre de commerce de sa maison la Genèse et un choix des Proverbes. Ses fils continuèrent à enrichir le volume d'autres écrits soit bibliques, soit profanes, ce qui prouve que le livre demeura longtemps en usage dans la même famille. L'on comprend qu'il ne fût pas facile, même aux riches, de se procurer une Bible entière ; chacun se procurait, pour son usage et celui des siens, les livres qu'il pouvait avoir. Outre le psautier, les Proverbes et autres livres sapientiaux, l'on recherchait surtout le Quatuor in unum, soit les Harmonies des Évangiles, dont on ne trouve pas moins de sept manuscrits dans les bibliothèques de Florence, reproduisant tous la version ordinaire.
    Il serait intéressant de savoir quel usage on faisait, dans les familles florentines, de ces nombreux exemplaires partiels des Livres saints. Naturellement, ils n'étaient pas admis dans le culte public, mais le temps n'était pas encore venu où l'on devait défendre à tous les fidèles la lecture des versions de la Parole de Dieu en langue vulgaire. Les nobles se la procuraient facilement, et les artisans, le peuple même, n'en étaient pas entièrement privés. Un petit peuple, descendu des Alpes, la répandait dans les châteaux éloignés et même dans les bourgades. « Le colporteur vaudois » n'est pas une légende. Voyez plutôt la description, faite par l'inquisiteur Sacco (ou Rainier), de l'habileté des porte-balles vaudois pour s'insinuer auprès des grands par le commerce.
    « Ils offrent aux messieurs et aux dames quelques belles marchandises, telles que anneaux et voiles. Après la vente, si l'on demande au marchand : « Avez-vous d'autres marchandises à vendre ? » il répond : « J'ai des pierreries plus précieuses que tous ces objets ; je vous les donnerais si vous me promettiez de ne pas me dénoncer au clergé ». Et ayant obtenu cette assurance, il ajoute : « J'ai une perle si brillante que, par son moyen, l'on apprend à connaître Dieu ; j'en ai une autre si éclatante qu'elle allume l'amour de Dieu dans le coeur de celui qui la possède », puis il tire de son manteau de bure un petit livre dont il lit et commente quelques paroles. Quand il a commencé à captiver ses auditeurs, il présente le contraste entre la simplicité de l'Évangile et le faste et l'orgueil du clergé romain ».
    Quel est le livre que lit et commente le colporteur vaudois et dont il tire les arguments de ce que l'on peut bien appeler son oeuvre d'évangélisation ? Samuel Berger opine que c'est un Nouveau Testament ou au moins un recueil des quatre Évangiles que les Vaudois italiens, après s'être séparés en 1218 des Vaudois de France, ne doivent pas avoir tardé à se procurer. Dans son article de la Romania (p. 418) on lit :
    « On ne saurait dire combien a été ardente, au treizième siècle, la propagande vaudoise dans le nord de l'Italie. Ces disciples de Valdo, schismatiques eux-mêmes, et devenus purement italiens, ont eu certainement entre les mains une version italienne du Nouveau Testament : sans cela ils n'auraient pas été des Vaudois. Or, nous avons une version du Nouveau Testament faite par un homme dont la Provence était la patrie spirituelle, et auquel le français n'était probablement pas étranger… Ce traducteur ne serait-il pas un Vaudois ?… Et telle était la prudence des Vaudois que nous ne pouvons trouver étrange de voir une oeuvre qui émanait d'eux s'introduire peu à peu dans tous les mondes et faire (le mot n'est pas trop fort) la conquête de l'Italie… Il est donc fort possible que l'Italie ait reçu le Nouveau Testament en langue vulgaire des mains des Vaudois ».
    L'abbé Minocchi, un de nos modernistes les plus en vue, est à peu près du même avis. Selon lui, les versions populaires des Saintes Écritures sont sorties du mouvement Patarin Toscan, et si l'on n'en retrouve, même à Florence, que des fragments isolés, c'est sans doute parce qu'un très grand nombre ont été détruits dans les siècles postérieurs ; mais il est certain que les Saintes Écritures ont été répandues et lues en Italie aux quatorzième et quinzième siècles beaucoup plus qu'elles ne l'ont été dans nos siècles de liberté religieuse.

    25.3.2 - Les premières Bibles imprimées

    La grande invention de l'imprimerie, avec caractères mobiles, vers l'an 1440, devait donner une forte impulsion à la diffusion des Saintes Écritures au sud des Alpes. La République de Venise, toujours en lutte avec le Saint-Siège, ouvrit largement ses portes à la nouvelle invention. Des imprimeurs y accoururent de l'Allemagne, de la France, d'autres pays, et, en moins d'un quart de siècle, on comptait, sur la lagune et dans les provinces vénitiennes de terre ferme, pas moins de deux cents imprimeurs qui multipliaient les éditions classiques ou religieuses avec la plus complète liberté. L'année 1471 vit paraître, à peu près en même temps, deux grandes éditions de la Bible en langue vulgaire ; il convient d'en dire quelque chose un peu au long.
    La première sortit des presses de Vendelin de Spire, et porte la date du 1er août 1471. L'éditeur en fut l'abbé Camaldute Nicolo Malermi (ou Materbi), qui osa présenter sa Bible comme traduite par lui-même sur les textes originaux, en moins de huit mois, y compris une épitre dédicatoire en sept chapitres, avec préface à chaque livre et les introductions de saint Jérôme. Mais le premier lecteur venu pouvait découvrir et dévoiler ce qu'un auteur du temps appelle un « plagiarisme effronté », car la Bible de Malermi est un recueil des manuscrits des siècles précédents, et encore n'a-t-il pas eu la main heureuse, ni dans le choix qu'il en a fait, ayant préféré les plus modernes aux plus anciens, ni dans les corrections qu'il a cru devoir y faire. Il s'attira le reproche de Mgr Carini d'avoir fait un curieux mélange de l'or du treizième siècle avec l'or italien, assez inférieur, du quinzième. Malgré ses défauts, la Bible Malermi devint vite et grandement populaire. Depuis l'an 1471, à la fin du siècle, on n'en fit pas moins de onze éditions, et plus de vingt-huit dans les deux siècles suivants. Quelques-unes de ces éditions furent illustrées par des gravures sur bois de quelques-uns des meilleurs artistes du temps. On fit aussi un certain nombre d'éditions séparées du Nouveau Testament. Le succès de la Bible Malermi est une preuve du désir de la Parole de Dieu que l'on avait à cette époque.
    Mais on ne peut pas en dire autant de la Bible Jensonienne, ainsi nommée de l'imprimeur qui la publia. Celle-ci porte la date du 1er octobre 1471, sans autre nom que celui de l'imprimeur. Elle est supérieure à la précédente pour la beauté des types et de l'impression. Elle reproduit aussi, surtout pour l'Ancien Testament, les manuscrits plus anciens et meilleurs, mais elle se rapproche de la Malermienne pour le Nouveau Testament, que l'éditeur semble avoir copié de Malermi pour finir son ouvrage et ne pas en manquer la vente. Puis, les manuscrits du treizième siècle, s'ils étaient supérieurs par la langue et le style, étaient devenus archaïques et n'étaient plus compris par le peuple. Enfin le format et le prix étaient bien supérieurs à ceux de la Malermienne. Pour toutes ces raisons la Bible de Jenson ne fut plus réimprimée jusqu'à l'édition qu'en fit, par curiosité, et comme « texte de langue », en 1882-1887, le sénateur Negroni de Novara, en douze volumes, à Bologne, pour le compte de la « Commission gouvernementale des textes et langues ». On n'en tira que trois cents exemplaires. Elle n'a donc aucune importance au point de vue religieux.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:55

    « Avec la Réforme, dit l'abbé Minocchi, la Bible, négligée et méprisée jusque là, devint le livre le plus recherché, le plus lu, le plus médité. On l'expliquait un peu partout. Jean Valdès à Naples, à Lucques ; Vermigli à Ferrare, à la cour de Renée ; Carmecchi à Florence, attiraient des foules à l'explication des Saintes Écritures, et quelques-uns d'entre eux scellèrent leur foi par le martyre ».
    Il faudrait plusieurs pages pour énumérer seulement les titres des traductions partielles de livres bibliques qui parurent vers ce temps dans différentes villes italiennes. Même les poètes les plus licencieux, comme l'infâme Pierre Aretin, se crurent obligés de sacrifier à la mode du jour en traduisant en vers italiens les sept psaumes pénitentiaux ou autres portions plus recherchées des Psaumes. À Florence, les nonnes du couvent de Ripoli instituèrent une imprimerie religieuse, où elles remplissaient l'humble tâche de compositrices, tandis que le directeur et le confesseur dirigeaient les affaires du dehors. Mais laissons ces faits isolés de côté, et disons quelque chose de la version d'Antonio Brucioli.

    Brucioli était un lettré et un savant florentin, né vers la fin du quinzième siècle, qui fréquentait assidûment les fameuses réunions des jardins Rucellaï. Impliqué dans une conjuration contre le cardinal Jules de Médicis, alors gouverneur de Florence pour Léon X, il dut se réfugier en France et à Lyon, et y embrassa les idées de la Réforme, qu'il n'eut pourtant jamais le courage de professer ouvertement. Revenu à Florence à la chute du parti Médicis, il se fit remarquer par son franc parler contre le clergé et les moines, et dut se réfugier à Venise, où deux de ses frères étaient imprimeurs libraires. Il vécut dans cette ville le reste de ses jours, publiant des traductions des classiques et des ouvrages religieux. Mais son oeuvre maîtresse fut une traduction complète de la Bible faite sur les textes originaux, qu'il connaissait assez bien, et pour laquelle il s'aida de la version latine de Sanctès Pagninus, moine lucquois. Il publia d'abord quelques éditions du Nouveau Testament, puis en 1532, il commença la publication de la Bible entière en un beau volume in-folio, qu'il fit suivre en 1545-1546 d'un commentaire en sept volumes sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour ses travaux bibliques, il fut très vivement attaqué par divers moines. Une perquisition dans la maison d'un ami y fit découvrir trois caisses de livres luthériens lui appartenant. Les livres furent brûlés, lui-même fut condamné à l'amende et à la prison. Réduit à la misère avec sa famille, il finit par abjurer le 22 juin 1555. Il mourut le 4 décembre 1566. Il fut un grand savant et un lettré, mais il ne fut pas un caractère. Toutefois, sa Bible ne fut jamais condamnée, car elle était orthodoxe, mais il fut condamné pour son commentaire et ses autres ouvrages. Sa version est très littérale, au point que le sens en est quelquefois obscur. Elle fut plusieurs fois réimprimée, jusqu'en 1559, année où toutes les oeuvres de Brucioli furent mises à l'index.

    Malgré son obscurité et son peu de valeur littéraire, la Bible de Brucioli a rendu des services. Les nombreuses réimpressions qu'on en fit prouvent qu'elle a eu beaucoup de lecteurs. De plus, elle eut l'honneur de plusieurs révisions, dont il convient de dire quelques mots :


    • La première est due au moine Santi Marmorchini, qui la présenta à Venise, en 1538, comme une traduction nouvelle. Elle porte encore son nom, mais elle est maintenant reconnue comme une révision de Brucioli, destinée à en améliorer la langue et la rapprocher de la Vulgate ;

    • Une seconde révision anonyme se proposa de réviser Brucioli et Marmorchini, et mit en vers les Psaumes et Job ;

    • La troisième est l'oeuvre d'un réfugié protestant en France et faite pour les églises de Genève et de Lyon. Elle fut imprimée en 1562 par Francesco Duone, dont elle porte le nom, mais elle est due au médecin lucquois, qui mit trois ans à réviser la « versione benemerita » de Brucioli, qu'il trouvait trop chargée d'hébraïsmes inintelligibles. Ces hébraïsmes, il les expliquait par quelques paroles ajoutées au texte, avec l'aide de personnes doctes et compétentes, et en les confrontant avec d'autres versions vulgaires et latines et surtout avec celles de Pagninus et de Vatable.



    Mentionnons encore quelques révisions du seul Nouveau Testament, et, en particulier, celle de Fra Zuccaria de Venise et celle de Massio Theofilo, qui se proposa de donner une plus grande correction de style à Brucioli et y réussit assez bien, et ajouta quelques mots entre guillemets pour rendre le texte plus clair.
    Du reste, la version imparfaite de Brucioli et ses nombreuses révisions furent les derniers efforts des traducteurs et éditeurs catholiques pour donner à l'Italie la Bible en langue vulgaire. En 1564, le pape Pie IV, persuadé que tant que le peuple aurait accès à la Bible, les tentatives de réforme ne cesseraient pas en Italie, prit une résolution radicale, et défendit la lecture d'une version quelconque de la Parole de Dieu. Ce décret, dont l'exécution fut confiée aux inquisitions d'Italie et d'Espagne, eut l'effet désiré : le peuple italien ne lut plus la Bible, et, pendant deux siècles, la Bible n'eut plus d'histoire en Italie, ou plutôt elle n'eut que l'histoire de la décadence italienne, décadence dans la politique, dans la littérature, dans les arts, et surtout dans les moeurs, preuve que ce n'est pas impunément que l'on oublie, que l'on défigure, que l'on enlève au peuple la Parole de Dieu. Et c'est là le jugement d'un catholique romain, de l'abbé Minocchi.

    25.3.3 - La version protestante — Diodati

    Les nombreuses congrégations de réfugiés italiens, qui s'étaient formées au delà des Alpes, ne pouvaient longtemps se contenter des versions imparfaites que nous avons étudiées jusqu'ici. Moins de cinquante ans après le décret du pape Pie IV, parut, à Genève, la première version faite sur les textes originaux, celle de Giovanni Diodati, que Minocchi appelle, avec raison, la Biblia classica della Riforma italiana. Le même critique l'appela dotta bella, vigorosa, tanto più alta di quel seicento che la vide mascere, et que cependant les préjugés catholiques romains ont rendue aborrita dal popolo italiano.
    Qui était Giovanni Diodati ? Né à Genève le 3 juin 1576, d'une famille noble lucquoise réfugiée dans cette ville pour cause de religion, il étudia à l'Académie fondée par Calvin et y montra des dispositions prononcées pour la philologie. Docteur en théologie à vingt ans, il était, l'année suivante, nommé professeur d'hébreu. Il occupa cette chaire jusqu'en 1606. En 1608, à la demande du corps des pasteurs, il reçut la consécration. Il s'occupa dès lors, avez zèle, d'introduire la réforme en Italie, et surtout à Venise, avec l'aide de Fra Paolo Sarpi et de Fra Fulgenzio. Il visita deux fois la Ville, en 1605 et en 1608; mais il ne réussit pas à y constituer un noyau de personnes disposées à rompre avec Rome. L'attentat commis sur sa personne par un envoyé du pape, et surtout l'assassinat d'Henri IV, mirent fin à toute tentative de Réforme en Italie.

    Diodati fut envoyé deux fois à l'étranger. En 1611, on le délégua en France, pour demander aux réformés des secours en hommes et en argent contre le duc de Savoie, qui menaçait Genève. En 1618, il fut délégué avec Tronchin au grand synode de Dordrecht, où il condamna les doctrines des Arminiens et des Remontrants. Il fit à cette occasion et publia des traités de controverse, des sermons, etc.

    Mais son oeuvre principale, celle qui a rendu les plus grands services à l'Église et à l'Évangile, fut sa belle traduction de la Bible, que, dans une lettre au président De Thou, il dit avoir commencée dès sa première jeunesse, dans le but d'ouvrir la porte aux Italiens pour connaitre la vérité céleste. Il présenta sa traduction à la Compagnie des pasteurs de Genève, en 1603, mais la première édition ne parut qu'en 1607. Avec l'aide de l'ambassadeur anglais, il put en faire entrer un bon nombre d'exemplaires à Venise et en d'autres parties de l'Italie. Il en imprima le Nouveau Testament à part pour le répandre davantage.

    À peine avait-il publié sa première édition, que Diodati, tourmenté par le besoin de la perfection, commença l'oeuvre de la révision, car « son but fut d'être scrupuleusement fidèle au sens de l'original sacré », et il le prouva en mettant en italiques tous les mots et membres de phrase qu'il crut devoir ajouter à l'original pour le rendre plus clair. Mais sa fidélité au texte ne l'empêcha nullement d'écrire en style noble et élégant, et sa version fut louée par tous les critiques du temps. Mgr Carini, quoiqu'il soit injuste envers Diodati au point de l'accuser d'avoir enlevé du canon l'épitre de saint Jacques, comme trop contraire au dogme de la justification par la foi, adopte la louange de Tiraboschi qui trouve la traduction de Diodati « cultivée et élégante par le style ». Gamba la loue comme riche de locutions élégantes, d'une simplicité grave et chaste, comme il convient à la pure parole de la divine Écriture.
    Nous aurons l'occasion, en parlant de la version de Martini, de relever d'autres témoignages rendus à la supériorité de Diodati. Ajoutons ici que c'est sans doute le nombre relativement restreint de ceux à qui elle était destinée qui empêcha que la traduction de Diodati fût aussi souvent réimprimée que plusieurs de celles, bien inférieures, qui l'avaient précédée. Car nous ne comptons pas comme une réimpression de Diodati l'édition que certain Mattia d'Erberg publia à Cologne en 1712, la donnant comme sienne et entreprise à ses propres frais « pour que la langue italienne ne fût pas plus longtemps privée d'une édition des Livres Saints ». La version de Diodati ne fut vraiment répandue que lorsque la Société biblique britannique et étrangère la publia, révisée par G.-B. Rolandi, qui en modernisa soit l'orthographe, soit certaines locutions par trop archaïques.

    Vers le milieu du siècle dernier, la Society for promoting christian knowledge fit entreprendre une révision très considérable de la traduction de Diodati, et en répandit en Italie et ailleurs deux fortes éditions. Cette Bible, connue sous le nom de Bible Guicciardini, du nom de celui qui s'employa le plus activement à la répandre, fut très bien reçue en Italie, où elle apportait un texte plus pur et un langage plus moderne, mais les changements étaient peut-être trop considérables pour ceux qui étaient habitués à l'ancien Diodati, et elle paraît être tombée peu à peu dans l'oubli. Une nouvelle révision, plus limitée, est en voie d'exécution à Florence, mais demandera beaucoup de temps.

    25.3.4 - La Bible Martini

    En Italie, comme en France, en Allemagne, en Angleterre, et en d'autres pays encore, l'Église catholique romaine oppose à nos versions protestantes des versions à elle, déclarant toute autre traduction foncièrement fautive et hérétique. En Italie, la version catholique eut pour auteur l'abbé, depuis archevêque de Florence, Antonio Martini, et fut provoquée par le pape Benoît XIV, qui, en 1757, rappela le décret du pape Pie IV (1564), et permit de nouveau la lecture de la Bible en langue vulgaire, ce dont il fut très vivement blâmé par le parti jésuite, qui l'accusait de vouloir démolir l'édifice du Concile de Trente. Le pape ne se laissa pas émouvoir par ces criailleries, mais sentit en même temps que pour permettre au peuple la lecture de la Bible il était nécessaire de lui fournir une version nouvelle, supérieure en tout à celles de Malermi et de Brucioli. On lui indiqua, comme le traducteur désiré, l'abbé Antonio Martini, alors directeur du collège ecclésiastique de Superga, près de Turin. Le choix était bon. Martini était un homme sincèrement pieux, humble, et assez instruit, quoique pas un lettré proprement dit ; il ne connaissait que très imparfaitement l'hébreu et le grec, mais la Vulgate était pour lui un texte suffisant. Il accueillit les ouvertures du pape avec timidité, et se mit au travail. Tout aussitôt, la guerre qu'on avait faite au pape se tourna contre lui. Malheureusement, Benoît XIV mourut même avant que Martini eût réellement mis la main à l'oeuvre, et le nouveau pape n'aimait pas les nouveautés. Martini, cependant, persévéra tranquillement dans son oeuvre, mais ce ne fut que sous le pontificat de Clément XIV, celui qui avait aboli les jésuites, que Martini put publier son premier Nouveau Testament, dédié au roi Charles-Emmanuel III, Nouveau Testament qu'il réimprima sous le pape Pie VI. Puis, en 1776, il commença la publication de l'Ancien Testament par la Genèse, et l'acheva malgré la guerre que l'on continuait à lui faire de toutes parts et qui ne cessa qu'en 1778, à la suite de l'approbation explicite de Pie VI, qui, trois ans après, le récompensa de ses longs et fidèles travaux en le créant archevêque de Florence. Avant de mourir, Martini eut la joie de publier une nouvelle et complète édition de sa Bible, selon le voeu qu'avait exprimé Benoît XIV.

    Cette édition a pourtant un défaut : le nombre de volumes qu'elle remplit. Devant être, selon la règle de l'Église, accompagnée, non seulement du texte latin, mais aussi de nombreuses notes pour le peuple, il y a telle édition qui ne compte pas moins de vingt-sept volumes, et l'on ne peut en avoir d'exemplaire, même de nos jours, pour moins de dix-sept francs. De plus, Martini, quoique toscan, n'écrivait pas purement l'italien, et sa traduction n'a pas une grande valeur littéraire. Il ne put pas tenir compte des travaux critiques qui commençaient alors en Allemagne et en Angleterre. Voici le jugement que l'abbé Minocchi porte sur l'oeuvre de Martini : « Lettré médiocre, ni hébraïsant, ni helléniste, sa version, calquée sur la Vulgate, réussit médiocrement. Elle fut la fin d'un âge qui se mourait, plutôt que le commencement d'une ère nouvelle ».
    D'autres critiques catholiques sont plus sévères encore envers la traduction de Martini. L'abbé Giordani écrivait à ses étudiants catholiques, se préparant à la prêtrise : « II faut lire la Bible. La traduction de Martini est assez mauvaise de plusieurs côtés ; celle de Diodati est excellente, fidèle au suprême degré, et d'une langue excellente qui rappelle celle du treizième siècle. C'est celle-là qu'il faut lire. Les prêtres vous diront que Diodati n'était pas catholique. Avec l'autorité d'un homme très savant, le cardinal Angiolo-Maï, je vous dis que dans la traduction de Diodati il n'y a pas même un atome qui ne soit orthodoxe ».

    Mgr Tiboni de Brescia écrit : « Dans sa version, Diodati eut surtout en vue la clarté de l'exposition, et pour éviter toute équivoque, il ajouta des articles, des prépositions, des noms et d'autres mots qui ne se trouvaient pas dans le texte original, mais qui étaient rendus nécessaires par l'usage italien. Il imprima en italiques toutes ces adjonctions, et en cela il donna la preuve de la plus exquise exactitude et d'une patience infinie ».
    Cependant, malgré ses défauts, la Bible de Martini est une oeuvre digne de louanges, qui a coûté à son auteur vingt années de travail assidu, et aura fait du bien à beaucoup d'âmes, en les conduisant à la croix de Christ.

    25.3.5 - La Bible en Italie au dix-neuvième siècle

    Il se produisit en Italie, au commencement du siècle dernier, un fait analogue à ce qui était arrivé aux temps de la Réforme. Comme, alors, le mouvement de la Réforme avait remis la Bible en honneur, ainsi, de nos jours, l'apparition de la traduction Martini et les polémiques auxquelles elle donna lieu attirèrent l'attention du peuple et des lettrés. À cause de ses défauts mêmes, elle excita des savants, de nombreux lettrés versés dans les langues sacrées, à lui opposer des traductions partielles des livres saints. Parmi ceux-ci, citons le célèbre hébraïsant G.-B. de Rossi, professeur à l'université naissante de Parme, qui traduisit le livre des Psaumes et quelques autres livres de l'Ancien Testament, et aurait pu, en des temps plus tranquilles, achever la traduction de la Bible entière. Plus tard, un prêtre libéral, Don Gregorio Ugdulena, professeur d'hébreu à l'université de Palerme, fort hébraïsant et profond critique, entreprit la traduction de l'Ancien Testament et la conduisit jusqu'à la fin du second livre des Rois, mais là, la mort l'arrêta, et ce fut une vraie perte, car le style de sa version et le commentaire scientifique dont il l'accompagnait auraient doté l'Italie d'une oeuvre sans égale pour l'interprétation des Saintes Écritures.
    Mentionnons aussi quelques traductions du Nouveau Testament, et en particulier celle de notre regretté professeur A. Revel, de la Faculté théologique de Florence, les Évangiles de Padre Curci, jésuite, qui jouirent, il y a quelques années, d'une forte popularité, et ceux de Nicolo Tomaseo. Mais toutes ces traductions, faites pour les savants et les lettrés, et privées naturellement de l'approbation papale, n'ont eu qu'une existence assez éphémère, et sont à peu près entièrement oubliées.

    Il sera sans doute plus intéressant de dire quelque chose de ce qui a été fait pendant le siècle dernier pour répandre le plus largement possible les Saintes Écritures en langue vulgaire au sud des Alpes. Ceci a été surtout l'oeuvre des chrétiens anglais et de la Société biblique britannique et étrangère, qui s'occupa de l'Italie dès ses premières années. Un premier essai fut tenté, en 1808, parmi les soldats des armées napoléoniennes, amenés prisonniers sur les pontons anglais, auxquels on fit distribuer une édition de Nouveaux Testaments italiens, qu'ils reçurent avec joie et emportèrent chez eux à la conclusion de la paix. Ce premier essai en amena d'autres, et l'on n'attendit pas les années de liberté après lesquelles chacun soupirait en vain. Des chrétiens ne se crurent pas obligés d'obéir à des lois qui défendaient la lecture de la Parole de Dieu, et se firent hardiment contrebandiers pour la bonne cause. Voici ce qui se passa pendant des années, à Livourne, alors port franc, c'est-à-dire exempt de visites douanières pour tout ce qui arrivait par mer. Le pasteur écossais de la nombreuse colonie anglaise, le Révérend Dr W. Stewart, recevait de Londres, de Malte ou d'ailleurs, des caisses de Saintes Écritures que personne ne l'empêchait de faire transporter chez lui. Mais la difficulté était de les faire sortir de la ville, strictement gardée contre toute contrebande religieuse. Dans ce but, le pasteur et un de ses anciens, M. Thomas Bruce, s'étaient fait faire de grands manteaux, avec force poches, qu'ils remplissaient de Bibles. Ces Bibles, ils les passaient sans éveiller de soupçons, à la douane des principales villes où l'on devait établir des dépôts. Ils les transportaient à Pise, à Florence, et ailleurs, où des amis étaient prêts à les recevoir et à les répandre. En peu de temps, il se forma, dans plusieurs petites villes, des groupes de lecteurs de la Bible, qui se réunissaient secrètement de maison en maison et quelquefois dans les champs, dans les bois. Mais la police veillait. Une de ces réunions fut surprise dans l'humble demeure du courrier Francesco Madiaï et de sa femme Rosa. Les Bibles furent séquestrées ; ceux qui les méditaient, arrêtés, et un procès leur fut intenté. Mais nos deux amis ne se laissèrent pas épouvanter, quoi qu'ils sussent bien que la loi toscane, assez douce pour les délits de droit commun, était des plus sévères contre le crime d'impiété, dont ils étaient accusés. Pour éviter toute complication diplomatique, on exila ceux des accusés qui n'étaient pas sujets toscans. Ainsi, le jeune étudiant vaudois Geymonat, sujet sarde, dut gagner à pied, entre deux gendarmes, la frontière de la Spezia, couchant chaque nuit dans une prison nouvelle. Les deux Madiaï furent condamnés aux galères, le mari à cinquante-six mois, la femme à quarante-cinq. L'inique sentence fut ratifiée par la cour de cassation, et reçut même, croyons-nous, un commencement d'exécution. Mais le tollé général avec lequel toute l'Europe accueillit ce verdict obligea le grand-duc de Toscane à le commuer, pour les Madiaï aussi, en une sentence d'exil. Ils se retirèrent à Nice, où des amis leur ouvrirent un dépôt des Saintes Écritures et de livres religieux, et de là ils continuèrent à répandre la Bible parmi leurs concitoyens, faisant leur connaissance dans les ports, racontant leur triste histoire, et les renvoyant chez eux lestés de Bibles et de Nouveaux Testaments, qui, dans bien des endroits, donnèrent naissance à des groupes de lecteurs, et, avec le temps, à des églises et à des oeuvres évangéliques.

    La sentence inique qui condamna les Madiaï fut, en Italie, le dernier acte de persécution de l'Église romaine contre la Bible. Quelques années encore, et la grande révolution de 1859-1870 fit disparaître, même dans Rome, les derniers vestiges des lois restrictives de la liberté de conscience (*). On put ouvrir, dans nos principales villes, des dépôts où la Bible était offerte à tous. En même temps, M. Thomas Bruce, nommé agent de la Société biblique britannique et étrangère, couvrit le pays de colporteurs qui la portèrent de lieu en lieu et lui trouvèrent nombre de lecteurs. Il y a quelques années, l'abbé Minocchi, exaltant les mérites de la Bible Diodati, se plaignait qu'elle « fût et demeurât encore abhorrée par le peuple italien ».

    (*) Vers 1869, un soldat ramassait dans la rue, à Pérouse, où la lecture de la Bible était alors interdite, une page arrachée d'un Nouveau Testament. Ce soldat trouva si beau le contenu de cette page qu'il s'informa de sa provenance. Il apprit qu'on pouvait se procurer à Turin (où la Bible n'était pas interdite) le livre dont elle faisait partie, et en commanda un exemplaire, dont la lecture lui ouvrit les yeux et l'amena à la foi en Jésus-Christ. Un an après commençait en Italie une ère de liberté. Notre soldat, à la suite de blessures reçues, quitta l'armée, et consacra son temps à aller, de régiment en régiment, parler de Jésus-Christ aux soldats. Quelques années après, il y avait dans beaucoup de villes italiennes des groupes de soldats qui lisaient la Bible et priaient ensemble. Cela ne plaisait pas à l'Église romaine. Mais le bien accompli, les réformes obtenues parmi les soldats, furent tels que le roi Victor Emmanuel anoblit le soldat et lui donna le titre de chevalier. Il ne fut connu depuis que sous le nom de chevalier Cappellini. M. Eugène Stock, auteur chrétien bien connu, en racontant ce trait, ajoute qu'il a parlé un dimanche soir, à Rome, aux « hommes de Capellini », et tout ceci, se disait- il, est dû à la lecture d'une seule page du Nouveau Testament (Messager des messagers, mars 1907).

    L'abbé Minocchi se trompe. Oui, il y a en Italie des gens remplis de préjugés, pour lesquels tout ce qui provient du protestantisme, et la Bible Diodati comme le reste, est une abomination, mais la Bible Diodati gagne du terrain. Que de fois nos colporteurs se sont vu, pour un temps, refuser l'achat de la Bible, parce que, dans le but de la rendre plus acceptable au peuple, on en avait effacé le nom du traducteur. Et les nombreux émigrants qui la rapportent dans les villages de la Calabre et de la Sicile la voient reçue avec plaisir par leurs concitoyens, auxquels ils sont heureux d'apporter quelques rayons de la vérité qui sauve. La Bible fait donc lentement, mais sûrement, son chemin. Il y a des obstacles : tel curé essaye encore d'ameuter ses ouailles contre le vendeur de « livres empoisonnés », mais souvent aussi ses efforts se tournent contre sa propre cause et le peuple veut précisément lire ce que son curé lui défend. Bien des groupes de lecteurs de la Bible sont dus à l'opposition des ennemis de l'Évangile.
    A. MEILLE.

    25.4 - La Bible en Espagne
    25.4.1 - Jusqu'au seizième siècle
    L'Espagne est un des rares pays qui se trouvent mentionnés dans la Bible avec leur nom actuel. Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, montre par deux fois son intention de se rendre à la péninsule (Rom. xv, 24, 28). Bien que son projet paraisse bien arrêté, nous ne savons pas s'il put l'exécuter (*). Cependant, nous savons que l'Évangile pénétra en Espagne aux premiers jours du christianisme, et que les persécutions impériales y comptèrent bon nombre de courageux martyrs. La haine des païens y poursuivit aussi (surtout pendant la persécution de Dioclétien) les livres des Saintes Écritures qu'avaient les chrétiens, et quelques-uns des martyrs aimèrent mieux donner leur vie que de livrer ces trésors à leurs adversaires. Aujourd'hui, hélas ! une masse énorme de fausses traditions couvre d'un voile épais la sainte réalité de ces temps héroïques.

    (*) Dans une des cours du séminaire de Tarragone, se trouve un petit temple d'ordre dorique, qu'on appelle la chapelle de saint Paul, parce que, dit-on, ce fut là que l'apôtre prêcha l'Évangile, à sa venue en Espagne.

    En Espagne on commença à lire la Bible dans la version latine dite Itala, qui, sous des formes un peu différentes, se lisait dans toutes les églises d'Occident. Les chrétiens espagnols donnaient déjà une telle importance au texte biblique que, vers 394, à la demande de Lucinio, évêque de Bética, six notaires ou scribes allèrent d'Espagne à Bethléem pour avoir une copie exacte de la nouvelle version de saint Jérôme, faite expressément sur la recommandation d'un Espagnol, Damase, évêque de Rome. Saint Isidore de Séville fait allusion à cette version quand il dit que de son temps elle était employée dans toutes les églises d'Espagne : ce qui nous permet de nous représenter une grande communauté espagnole écoutant, au culte public, la lecture des Écritures dans la langue vulgaire, et pouvant la suivre avec intelligence et dévotion.
    Le même saint Isidore explique comment les Saintes Écritures sont utiles pour tous les hommes, sages ou ignorants, quand il dit « l'Écriture sainte change suivant l'intelligence de ceux qui la lisent. De la même manière que la manne avait un goût différent selon le palais des Israélites, les paroles du Seigneur s'adaptent à chacun selon son intelligence. Et tout en étant différentes, selon l'intelligence de chacun, elles sont pourtant unes ». De ceci on peut conclure que les Écritures étaient lues non seulement à l'église, mais aussi chez les fidèles, même les plus simples.
    La version latine de Jérôme, qui plus tard et avec quelques changements fut appelée la Vulgate, fut la seule source où pendant près de mille ans les Espagnols lurent la parole divine. Même les Goths, pour lesquels l'évêque Ulfilas avait traduit la Bible en gothique au quatrième siècle, mirent de côté leur version, à cause de sa saveur d'arianisme et se servirent de la Bible latine, qui fut la véritable mère de la pensée chrétienne en Europe (*), même parmi les envahisseurs qui vinrent du Nord.

    (*) Voir fin du point 24.8.2 du texte global = point 1.8.2. de la Partie 4 « les textes originaus et les traductions anciennes »

    Que la Bible fût un livre lu dans ces temps rudes, cela est bien démontré par le goût qu'y prirent certains rois et qui devait correspondre à ce que sentaient beaucoup de leurs sujets.
    L'empereur Théodose II, descendant d'Espagnols, copia lui-même tout le Nouveau Testament, qu'il avait l'habitude de lire tous les matins avec ses soeurs et l'impératrice. On raconte que Récarède (586-601), roi goth, avait une soif insatiable pour les mystères des Saintes Écritures, et qu'il se faisait accompagner de bons théologiens avec lesquels il traitait d'importantes questions religieuses. Ce fut lui qui abolit l'antichrétienne loi qui empêchait les mariages entre Goths et Espagnols. Récarède, rapporte-t-on, discutait en personne avec des presbytres ariens, qu'il persuadait avec des arguments tirés de la Bible. Pedro Miguel Carbonell raconte dans sa Chronique d'Espagne que le roi d'Aragon, Jacques le Conquérant (1213-1276), comprit et apprit les Écritures tout seul et sans maître ; que dans toutes les fêtes de l'année, en quelque ville ou village qu'il fût, il prêchait avec grande dévotion pour la gloire de Dieu, citant à chaque instant les Saintes Écritures, et les expliquant aussi bien qu'aurait pu le faire un docteur en théologie.
    Alphonse 1er le catholique fit chercher et prendre avec diligence les exemplaires des Saintes Écritures qui étaient au pouvoir des infidèles, pour qu'ils ne fussent pas détruits et que les fidèles en profitassent. Beaucoup d'autres rois se distinguèrent par leur goût pour la Bible, qu'ils ne regardaient pas comme une lecture réservée au clergé et aux théologiens.
    Cependant, il faut présenter l'autre côté du tableau, et faire remarquer que la vie individuelle ou sociale, comme la vie ecclésiastique, ne répondait pas entièrement à ces pieux exemples, et qu'il y en avait beaucoup, parmi les grands et les petits, comme parmi le clergé et les laïques, qui, en fait de moeurs et de doctrine, s'écartaient de la pureté biblique. Les poètes espagnols surtout virent le manque d'harmonie entre l'enseignement et la conduite des directeurs ecclésiastiques. Pedro Lopez de Ayala, au quatorzième siècle, dans son Rimado de Palacio, dit en parlant des maux de l'Église :

    Mais les nôtres prélats n'en ont point cure,
    Ils ont trop à faire pour notre bonheur :
    Ils pressent leurs sujets sans aucune mesure,
    Et ils oublient la conscience et la Sainte Écriture (*).

    (*) Mas los nuestros Perlados ne lo tienen en cura,
    Asaz han que facer por la nuestra ventura ;
    Cohechan los sus subditos sin ninguna mesura
    E olvidan la consciencia é la Sancta Escriptura.

    Si les lettrés purent pendant assez longtemps faire usage de la Bible latine, le peuple, lui, perdait la connaissance du latin à mesure que se formaient les langues vulgaires, surtout le castillan, le catalan, et le valencien ou limousin. Avant qu'il y eût une traduction complète dans ces langues, des parties des Écritures en langue vulgaire circulaient parmi le peuple, qui les lisait avec intérêt et remarquait la différence que nous avons mentionnée plus haut entre les enseignements et la pratique du clergé. D'où il résulte que, surtout en Aragon et en Catalogne, voisins du midi de la France, qui avait vu naître le mouvement préréformiste des Albigeois, on prit des mesures contre la lecture si répandue des portions bibliques, sous le prétexte qu'elles étaient contaminées par les idées des Albigeois et des hérétiques.
    C'est ainsi que le même Jacques le Conquérant, qui expliquait si éloquemment les Écritures dans les fêtes ecclésiastiques, dicta des « constitutions » dont la seconde stipulait : « Que personne ne pût avoir en langage vulgaire les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, et que dans un délai de huit jours on les livrât à l'évêque pour qu'ils fussent brûlés ». Ce même esprit animait le cardinal Ximénès (qu'on doit honorer pour sa Bible polyglotte) quand il s'opposa à l'idée du premier archevêque de Grenade, après la reprise de cette ville, lequel voulait faire une nouvelle traduction en arabe pour les Maures convertis restés en Espagne, parce que la première, faite par l'évêque Jean de Séville, s'était perdue.

    Cette tendance alla s'accentuant, comme nous le verrons plus loin. La « constitution » de Jacques 1er, toute contraire qu'elle fût à la lecture de la Bible par le peuple en langue vulgaire, n'empêcha pas cependant que quelques-uns de ses successeurs dans le royaume d'Aragon et plusieurs des rois de Castille favorisassent la traduction de la Bible dans les nouvelles langues. Ce fut la Castille qui eut l'honneur d'avoir la première traduction de la Bible en langue moderne, par ordre d'Alphonse X, le Sage, avec l'espoir non seulement que les fidèles auraient une bonne et saine lecture, mais aussi que la langue se formerait et s'affirmerait en s'enrichissant et en se polissant au contact des idées sublimes et des belles expressions des Écritures. C'était en 1280.
    Deux siècles plus tard, un roi d'Aragon, Alphonse V le Magnanime, commandait qu'on fît une autre traduction en langue de Castille. Cette traduction est conservée en deux manuscrits sur vélin dans la Bibliothèque royale de l'Escurial, où l'on peut voir aussi les cinq volumes dont se compose la version d'Alphonse X. Du quinzième siècle aussi est une autre traduction, due à l'initiative de Jean II de Castille, que garde la bibliothèque du duc d'Albe. En 1478, on trouve imprimée à Valence et « sur papier royal » une Bible en valencien, révisée par les inquisiteurs, traduite par F. Boniface Ferrer, avec la collaboration de son frère saint Vincent Ferrer, le grand prédicateur et persécuteur. Quant à la Bible en catalan, il paraît qu'il y a eu une traduction qui n'a pas été imprimée, et de laquelle l'évêque Amat vit une grande feuille en bon vélin servant de reliure à un procès de l'Inquisition de Barcelone de l'année 1520. La Bibliothèque nationale de Paris doit avoir un beau manuscrit de cette traduction en catalan (*).

    (*) Il y a quelque temps, une commission de catalanistes de Barcelone était en pourparlers pour publier le manuscrit catalan de la Bibliothèque Nationale. M. S. Berger a publié à part son intéressant travail : Les Bibles Catalanes et Provençales.

    25.4.2 - Le seizième siècle
    25.4.2.1 - La Polyglotte de Complute et la Bible de Ferrare

    Nous avons nommé le cardinal F. Francisco de Ximénès de Cisneros, archevêque de Tolède, grand inquisiteur et premier ministre du royaume, dont le nom est attaché à la grande entreprise biblique qui a nom la Bible polyglotte complutensis. Ce nom lui vient de Complutum, nom latin de la célèbre Université d'Alcala, fondée par Ximénès, où se publia cette Bible. À ce travail prirent part les hommes les plus érudits que le cardinal put trouver, et parmi eux quelques juifs convertis. L'Ancien Testament contenait l'hébreu, la traduction des Septante, la Vulgate, et, au bas, les paraphrases ou targoums. Le Nouveau Testament avait les textes grec et latin. La partie du Nouveau Testament fut achevée en 1514, soit deux ans plus tôt que l'apparition du Nouveau Testament d'Érasme, mais elle ne fut publiée que quatre années plus tard, à cause du retard de l'approbation du pape Léon X, qui lui concéda de grands privilèges et exhortait chacun à la lire.
    L'ouvrage tout entier coûta au cardinal (qui le fit à ses propres frais) environ 750.000 francs, et se vendit à peu près 100 francs, quoiqu'il y eût six volumes et qu'on n'en tirât que 600 exemplaires. À propos de cette Bible, Cipriano de Valera dit : « Ce fut le seul instrument et moyen dont Dieu se servit pour réformer et renouveler les langues et les belles-lettres qui, en ce temps, étaient dans un coin, mangées de gerses et couvertes de rouille, et ainsi les savants commencèrent à laisser la théologie scolastique, qui consiste dans des spéculations vaines et compliquées tirées de la philosophie inventée par les hommes sans aucune parole de Dieu, et s'adonnèrent à la vraie théologie, qu'enseigne la Sainte Écriture (ceux-ci, les scolastiques les appelaient par moquerie et blâme Biblistes), et ainsi ces Biblistes commencèrent à puiser leur eau aux sources du soleil et non dans les citernes crevassées, dont les eaux sont pestilentes et mortelles… Il faut admirer ici aussi la grande puissance, la sagesse et la providence de Dieu, qui choisit comme instrument pour faire tout ceci un espagnol, et un espagnol qui n'était rien moins que le Fray (moine) Francisco, archevêque de Tolède, cardinal de Rome, gouverneur et inquisiteur général d'Espagne. Oh ! profondeur des richesses, de la sagesse et de la science de Dieu, combien incompréhensibles sont ses jugements et impossibles à sonder ses voies ! »
    Cette Bible polyglotte de Ximénès fut reproduite, avec quelques changements dans sa disposition, par Benoit Arias Montanus, à Anvers (1569-1573), par ordre de Sa Majesté catholique Philippe II.

    Ces éditions polyglottes n'avaient pas de traduction en castillan, étant destinées aux personnes instruites. D'un autre côté, les anciennes versions castillanes, antérieures à l'invention de l'imprimerie, n'avaient pas pu circuler aussi largement qu'il aurait fallu, et nous arrivons au temps de la Réforme sans voir répandus en Espagne des exemplaires de la Parole de Dieu en castillan, et sans qu'il y eût aucun désir (l'Église était déjà assez romanisée) d'encourager ni même de permettre la lecture des saints livres en langue vulgaire. Cette bénédiction fut réservée aux juifs et aux protestants, non sans de grands sacrifices, du côté de ces derniers surtout. Disons quelques mots d'abord de la traduction juive, pour ne pas interrompre la glorieuse liste des travaux des réformateurs espagnols, aussi abondants que dignes d'éloges.
    La Bible de Ferrare, ainsi nommée de la ville où elle fut imprimée, est une traduction en espagnol, passablement littérale, des livres canoniques de l'Ancien Testament, et porte en titre : Bible en langue espagnole, traduite mot à mot de la vérité hébraïque par de très excellentes gens de lettres : vue et examinée par l'office de l'Inquisition. De cette Bible il y a deux sortes d'exemplaires. Les uns ont au commencement l'épître dédiée à Hercule d'Este, quatrième duc de Ferrare, avec le privilège duquel la Bible fut imprimée par Duarte Pinel y Geronimo de Vargas, avec une note à la fin qui dit : « Imprimée à Ferrare au coût et dépense de Geronimo de Vargas, espagnol, le premier mars 1553». Les autres sont dédiés à une illustre matrone des juifs, appelée Dona Gracia Nacy, par Jom Tob Athias et Abraham Usque. D'après la note finale, l'impression se fit aux frais du premier, « fils de Lévi Athias, espagnol, le 14 adar 5.313», année qui correspond à l'an 1553 de l'ère chrétienne. Cette édition, ainsi que d'autres castillanes, faites à Constantinople pour les juifs, prouvent à quel point ceux-ci se considéraient comme espagnols et aimaient la langue de la patrie, qu'aujourd'hui encore, après des siècles de cruel exil, ils n'ont pas oubliée. La traduction dont nous parlons circula surtout parmi les juifs, et, à cause de son littéralisme, fut un secours excellent pour les traductions suivantes.

    25.4.2.2 - La Réformation et la Bible

    En 1517 éclata la Réforme en Allemagne, et en 1519 le fameux imprimeur Jean Froben, de Bâle, envoie en Espagne une collection des brochures de Luther en latin, et l'année suivante son commentaire aux Galates est traduit en castillan. Les idées réformées prirent rapidement en Espagne, surtout parmi les personnes qui avaient donné plus d'attention aux Écritures par suite de la Polyglotte de Ximénès et du Nouveau Testament grec et autres travaux du célèbre humaniste Érasme. Les voyages à l'étranger de quelques personnes illustres, comme Constantino Ponce de la Fuente, qui accompagna Charles V aux Pays-Bas, et de Fray Bartolomé Carranza, qui accompagna Philippe II en Angleterre, rendirent familières aux hautes classes les nouvelles idées. Le résultat fut qu'il se produisit en Espagne un mouvement intense auquel on pouvait à peine s'attendre, vu qu'il n'y avait aucune raison politique qui pût l'aider, et moins que partout ailleurs dans les classes supérieures, où il trouva cependant son principal appui. Ce mouvement espagnol, purement intellectuel et religieux, se trouva par sa nature même sans défense devant le pouvoir absolu des rois et de la tyrannie romaine. La sainte Inquisition l'étouffa dans le sang de ses illustres fils, et brûla les exemplaires des Écritures qui avaient illuminé et consolé leurs âmes et qui possédaient par elles-mêmes la puissance pour changer l'esprit et le coeur de milliers d'Espagnols. La rage déployée contre les livres ne fut pas moindre que la rage déployée contre les personnes, au point qu'ils sont bien rares, les exemplaires qui restent des éditions de la Bible et des livres religieux qui étaient lus avec avidité dans ces temps d'angoisse.

    Le premier traducteur protestant fut un jeune éramiste de grande culture, Francisco de Encinas (le Dryander des Réformateurs allemands), originaire de Burgos, qui, en 1543, traduisit et imprima à Anvers le Nouveau Testament. Ce fut la première version faite directement sur le grec. Avec la sainte audace, qui est le signe distinctif de beaucoup de réformateurs de cette époque, il résolut de se présenter à l'Empereur et de lui offrir la dédicace de son livre. Pour cela il alla à Bruxelles et se servit de l'intermédiaire de l'évêque de Cuenca, qui le présenta à l'Empereur et loua le travail du jeune traducteur. Charles V demanda — ignorance feinte ou réelle — qui était l'auteur du Nouveau Testament, et Encinas lui répondit que c'était l'Esprit saint, que son travail personnel se réduisait à la traduction. L'Empereur, sans donner grande importance à la chose, lui répondit que si l'ouvrage était ce que disait l'évêque et qu'il n'y eût rien à objecter, il accepterait la dédicace. La traduction passa aux mains de Dominique Fray Pedro de Soto, qui essaya de persuader à Encinas que son projet de répandre cette traduction était hérétique et pernicieux, et lui cita les paroles de F. Antonio de Castro sur le grand mal que fait la lecture des saints livres en langue vulgaire. La conversation se prolongea, et lorsqu'il sortit, Encinas, sans aucun avertissement préalable, fut mené en prison. Il y serait presque tombé dans le désespoir sans les consolations que lui offrit Gil Thielman, qui s'y trouvait enfermé à cause de sa foi évangélique.
    Les charges contre lui étaient, entre autres, d'avoir été en relations avec les réformateurs, d'avoir loué Mélanchthon en public, et surtout d'avoir traduit en langue vulgaire le Nouveau Testament en mettant en caractères italiques « l'homme est justifié par la foi ». Menéndez y Pelayo, l'érudit le plus célèbre en Espagne aujourd'hui, dit que la langue de cette traduction était belle et assez fidèle, et prouve que la fuite d'Encinas de la prison fut favorisée par les juges mêmes, qui firent, comme dit le proverbe espagnol « pont d'argent à ennemi qui fuit ». La traduction se serait perdue si Jean Perez ne l'eût presque reproduite en 1557, en y ajoutant sa traduction des Psaumes. De celle-ci Menendez y Pelayo dit aussi « qu'il n'y en a pas de meilleure en prose castillane ». Le Dr Perez désirait si vivement une Bible en espagnol qu'il laissa tous ses biens pour son impression, legs qui fut employé pour l'édition de Cassiodoro de Reina.

    Ces versions du Nouveau Testament s'imprimèrent à l'étranger, et il était très difficile de les introduire en Espagne. Posséder un exemplaire des Écritures en langue vulgaire était une preuve d'hérésie, et l'Inquisition, par ses agents et ses délateurs, flairait tout ce qui passait la frontière. Au moment où le besoin s'en faisait sentir, apparut l'homme qui, par la divine Providence, devait lui donner satisfaction. Il y avait alors en Allemagne, où ses parents l'avaient envoyé, un jeune homme, Julian Hernandez de son nom, (à cause de sa petite taille il a été dès lors connu comme Julianillo, Julien le petit), typographe, qui plus que probablement travailla dans une des premières imprimeries qui se fondèrent et qui furent des centres de lumière pour toute l'Europe. Là, son coeur fut gagné par la vérité de l'Évangile, pendant qu'il composait les ouvrages des réformateurs. Comprenant que sa mission spéciale était en Espagne, il offrit, par pur amour pour la sainte cause, d'y introduire les exemplaires qui lui seraient confiés (*1). Doué d'une habileté et d'une finesse aussi grandes que sa taille était petite, il réussit à passer sa marchandise par les douanes, recouvertes de fines toiles de Cambrai, ou dans des tonneaux de vin à double fond, et avec la même industrie il pénétra dans des maisons seigneuriales amies et dans des couvents initiés aux idées nouvelles, sans exciter le soupçon des gens étrangers à la cause ou des ennemis. Sa vie était continuellement en danger, mais il était toujours entrain et de bonne humeur, parce que son coeur était tranquille. C'est lui qui fournit de livres soit les réformés de Séville et de Valladolid, soit le dépôt qu'avait, à Medina del Campo, le libraire Vilman, d'Anvers. Que Julian fût un véritable colporteur, cela est prouvé par le fait qu'il fut mis en prison à cause d'un Testament donné par lui à un maréchal-ferrant. Ce dernier ne fut pas assez prudent, ou n'était pas bien disposé, et montra le volume à un curé qui dénonça Julian à la sainte Inquisition. Julian fut pris et enfermé dans les cachots de Séville ; il souffrit plusieurs fois avec un courage héroïque les tourments les plus cruels sans révéler les noms de ses amis. De ces tourments Julian sortait en chantant par les corridors son refrain favori, pour encourager à résister jusqu'à la fin les frères qui pouvaient être dans les cachots :

    Vaincus s'en vont les moines,
    Vaincus s'en vont.
    Courant (*2) s'en vont les loups,
    Courant s'en vont (*3).

    (*1) Par la fréquentation de plusieurs doctes hommes (Calvin, Théodore de Bèze, etc.) il fut poussé d'un zèle d'esprit plus que du conseil et avis d'aucun, d'entreprendre une chose d'aussi grande importance comme elle était sujette à danger évident. Il mena et fit porter en Espagne grande quantité de livres de la Sainte Écriture en langue espagnole, de grand désir qu'il avait de faire croître la lumière de l'Évangile en son Espagne (Crespin).
    (*2) De honte.
    (*3) Vencidos van los frailes,
    Vencidos van.
    Corridos van los lobos,
    Corridos van.

    Peu après, à la suite d'une délation, la congrégation de Séville fut surprise, quelques jours avant que les inquisiteurs fussent informés de la surprise de celle de Valladolid. Julian mourut glorieusement ; il profita d'un moment où ses mains furent libres pour mettre sur sa tête deux petits fagots, et prouver de la sorte qu'il était décidé à mourir sans admettre aucune rétractation. Le témoignage de sa foi fut si vibrant qu'un soldat de la garde lui traversa le corps de sa hallebarde pour obtenir son silence par sa mort. Les colporteurs espagnols ont un grand exemple à admirer et à imiter dans ce colporteur sans pareil, Julianillo. Il mourut sur le bûcher, le 22 décembre 1560 (*).

    (*) Voici le rapport d'un inquisiteur de Séville à son collègue de Grenade sur Julian Hernandez :
    « En juillet 1557, il vint ici d'Allemagne un Espagnol peu instruit, mais grand luthérien. Il apportait des lettres et des livres défendus, très pernicieux pour beaucoup d'individus de cette ville. Ils étaient envoyés par des personnes qui étaient allées en Allemagne pour y jouir comme luthériens d'une plus grande liberté. Ils savaient les gens d'ici déjà très disposés d'avance à suivre cette fausse doctrine ».
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:56

    Voici la sentence portée par l'Inquisition sur ce héros :

    « Au nom du Christ, nous le déclarons hérétique, apostat et coupable, pour avoir apporté des livres défendus afin de dogmatiser et de pervertir les bons dans les erreurs de la secte pestilentielle du vaurien hérésiarque Luther…


    « Il doit être d'abord dégradé pour avoir été ordonné de la première tonsure… Ainsi nous le relâchons à la justice et au bras séculier, priant instamment le magistrat et le lieutenant qu’ils agissent miséricordieusement ( ??) envers ledit Julien. En tant que le délit de l'hérésie est tellement grave qu'il ne peut être suffisamment puni et châtié en la personne qui le commet, nous déclarons que ses fils et petits-fils descendants de la ligne masculine, sont inhabiles pour le bénéfice ecclésiastique, ou l'office public, et privés du droit commun. C'est notre sentence définitive ».
    « Les inquisiteurs recommandèrent « cette M...... bête », dit le P. Martin de Roa, au licencié François Gomez, qui prétendit disputer avec lui à côté du bûcher, en présence de beaucoup de gens, et le réduire au silence par la force de ses raisons et de ses argumens ( ?), de sorte qu'il ne sut que répondre, ayant les piés et les mains liés ». Voilà la calomnie.
    Le 12 mai 1561, l'inquisiteur Gasco, qui avait voté en pleine liberté ces assassinats, demandait à l'inquisiteur général P. Valdès une récompense pour le familier (nom des officiers de l'Inquisition) Cristobal de Pordesillas, qui avait non seulement arrêté Julien Hernandez en la Sierra Morena, mais encore rendu de grands services à l'Inquisition comme limier (P. Besson, Messager des Messagers, octobre 1908).

    Il faut admirer la foi des réformateurs espagnols qui purent s'enfuir et trouvèrent un refuge à l'étranger. Voyant comme le protestantisme était détruit en Espagne par la fureur des inquisiteurs, ils pensèrent néanmoins faire et imprimer des versions complètes de la Bible pour leur chère patrie, qui paraissait repousser la lumière du pur Évangile. Il est vrai que, comme le dit le savant catholique Menendez y Pelayo, « les travaux bibliques, considérés comme instrument de propagande, ont été de tout temps l'occupation favorite des sectes protestantes ». En tout temps, oui, même dans les temps les plus tristes et les plus funestes. Cette foi a été couronnée, par la Providence de Dieu, d'un succès qu'ils ne purent pas même rêver. Citons encore le même auteur : « Cette même Bible (celle de Reina), corrigée et améliorée après par Valera, est celle que répandent aujourd'hui en une quantité fabuleuse d'exemplaires les Sociétés bibliques dans tous les pays de langue castillane ». Ce que ces vaillants ne purent pas faire en leur temps, ils l'ont fait avec abondance dans ces temps-ci : la Bible qui n'eut jadis qu'une circulation limitée, et encore en secret, en Espagne, circule aujourd'hui largement partout où l'on parle le castillan (*).

    (*) On estime à plus de 70 millions, dans le monde entier, ceux qui parlent le castillan.

    Cassiodoro de Reina naquit à Séville, où il étudia pour la prêtrise mais, convaincu des erreurs romaines, il abandonna sa carrière et devint prédicateur de l'Évangile. Homme cultivé et instruit dans les langues originales de la Bible, et tout rempli des doctrines religieuses de la Réformation, il entreprit, animé de pieux désirs et d'une grande persévérance, de faire une traduction complète de la Bible, mais directement sur les originaux et non sur la Vulgate, comme toutes les traductions antérieures. Il y mit douze ans. Il l'acheva à Francfort, et l'imprima à Bâle en 1569. On l'appelle la Bible de l'ours, à cause de la curieuse gravure qu'elle a sur la première page. L'édition fut de 2.600 exemplaires, qui étaient épuisés en 1602, quand parut la seconde, corrigée par Cipriano de Valera. Reina fut pasteur protestant à Anvers et à Francfort ; la congrégation hollandaise de cette dernière ville conserve encore un de ses portraits, avec une inscription en allemand, qui dit :

    Espagnol de naissance, bon protestant,
    Fidèle prédicateur, homme de grands talents.
    À Anvers et ici à Francfort bien connu,
    Tel était Reinius. Que peux-tu désirer de plus ?
    Parmi les Hollandais son nom reste très apprécié,
    Parce qu'il a bien mérité de son église.

    De ces hommes, le célèbre historien Altamira dit « qu'ils eurent une grande influence sur la pensée de leur nouvelle patrie et furent admirés autant pour leurs talents que pour leur style, parfois vraiment beau ». Cipriano de Valera, de Séville aussi, fut moine dans le couvent de Saint-Isidore, où les idées réformées avaient été si bien reçues. À grand'peine, il put s'enfuir à l'étranger quand commença la persécution, en 1557. Une fois loin du pouvoir des inquisiteurs, il se mit à écrire des livres de controverse, qui eurent une grande influence et lui valurent le titre de « l'hérétique espagnol ». Mais le travail qui lui a donné un nom impérissable, fut la révision de la traduction de Reina, qui lui prit vingt années et qu'il fit avec amour. Elles sont émouvantes, ces paroles de son prologue : « Agé de cinquante ans, j'ai commencé ce travail, et en cette année de 1602, qu'il a plu à mon Dieu de faire sortir à la lumière, j'ai soixante-dix ans (à cet âge les forces manquent, la mémoire s'alourdit, et la vue s'obscurcit), de sorte que j'y ai mis vingt ans. Tout ce temps, je le donne pour bien employé. Mon intention a été de servir mon Dieu et de faire du bien à ma nation. Qu'il plaise à Sa divine Majesté vouloir accepter par son Christ ce mien minchah, cette offrande du soir que je lui offre dans ma vieillesse. Je le supplie de bénir cet ouvrage pour que son nom très saint, qui y est annoncé, soit sanctifié en Espagne comme il l'est dans d'autres nations. Cette Bible a été imprimée avec l'aide et l'assistance de personnes pieuses ; je dis ceci pour que leur mémoire ne périsse pas, et pour que d'autres, à leur exemple, s'occupent à de semblables oeuvres de piété ». Cette édition fut imprimée à Amsterdam.


    Avant de parler des éditions catholiques de Scio et Amat, mentionnons ce qui arriva au grand maître des lettres espagnoles Fray Luis de Léon, à cause de ses traductions de quelques parties de la Bible faites sur l'original. La sainte Inquisition lui intenta un procès ; parmi les charges qu'on lui faisait, l'une était « qu'il parlait mal des Septante et jetait le ridicule sur les saints Pères qui avaient traduit les Écritures », en un mot qu'il défendait la pureté du texte biblique et ne reconnaissait pas à la Vulgate le mérite que lui attribuait le concile de Trente. Cette charge et d'autres, comme celle « d'avoir trouvé parmi les livres de Fray Luis un grand nombre d'ouvrages qui contenaient des doctrines hétérodoxes », lui coûta dix années de prison dans les cachots de l'Inquisition. Le procès se termina par l'absolution, surtout pour ne pas donner à la cause de la Réforme un nom si illustre. Fray Luis « fut repris et averti d'avoir dans la suite à considérer comment et où il traitait de choses et matières importantes et dangereuses », et pour « des raisons justes » on lui prit le cahier du Cantique des Cantiques traduit en castillan. À ce temps-là remonte la prohibition des versions de la Bible en langue vulgaire, à laquelle fait allusion sainte Thérèse quand elle dit : « Quand on a cessé de lire beaucoup de livres, je l'ai bien regretté, parce que j'avais du plaisir à en lire quelques-uns, mais maintenant je ne puis le faire, parce qu'ils sont en latin ! »


    Quand Fray Luis retourna à sa chaire de Salamanque, après dix années de prison, son coeur généreux oublia et pardonna, et il commença ses explications par la célèbre phrase : « Nous disions hier… ».

    25.4.3 - Les Temps modernes

    Après ces temps de lumière, représentés par les traductions protestantes et quelques traductions catholiques de portions de la Bible, nous avons deux siècles de ténèbres. La chaire devient muette pour la vérité biblique, la littérature religieuse perd la simplicité et la ferveur des mystiques, l'ignorance du peuple augmente, et la Bible devient un livre presque inconnu. À la fin, après avoir vaincu beaucoup de difficultés, et avec force observations dans le prologue pour soutenir qu'il était licite de lire les traductions de la Bible en langue vulgaire dans des conditions spéciales, parut en 1793 la traduction catholique du P. Philippe Scio de San Miguel, évêque de Ségovie, dédiée au prince des Asturies, plus tard Ferdinand VII. Cette traduction, faite sur la Vulgate, quoique appréciée du petit nombre des catholiques qui ont quelque intérêt pour les Saintes Écritures, a une vente restreinte parce qu'elle se publie en gros volumes.
    Malgré ses défauts, cette traduction était un moyen de populariser en Espagne les livres saints. Aussi en fit-on à l'étranger de nombreuses éditions, sans le texte latin et sans les notes, qui d'une manière ou d'une autre entrèrent en Espagne et circulèrent dans les colonies d'Amérique. De cette traduction furent, probablement, les Testaments donnés aux prisonniers espagnols qui étaient en Angleterre et qui obtinrent la liberté pour rentrer dans leur patrie afin de lutter contre l'invasion de Napoléon 1er. On publia en Espagne des éditions de la Bible et du Nouveau Testament qui furent largement répandues, et qui, au dire du second traducteur catholique (et le dernier jusqu'à aujourd'hui), l'évêque Félix Torres Amat, lui firent hâter la publication de son travail, lequel parut en 1824. Cette traduction, qui prétend être une révision de la Bible de Scio en un langage plus correct et plus moderne, n'obtint pas le même succès que la précédente et ne se répandit pas autant, quoiqu'elle se fît sous la protection de Ferdinand VII et fût aidée de toute sorte de facilités. Ces deux traductions n'ont pas eu d'éditions populaires et à bon marché, sauf quelques-unes faites à l'étranger.


    Nous avons déjà vu qu'à peine fondée, la Société biblique britannique et étrangère favorisa la diffusion des Saintes Écritures en Espagne. Parlons maintenant des travaux aussi continus que désintéressés de cette institution chrétienne. Jusqu'en 1833 elle ne put faire que peu de chose, bien que ce fût assez pour effrayer l'évêque Amat ; depuis cette date, il se fit un travail plus intense par l'arrivée en Espagne de deux Anglais : le lieutenant Graydon et M. George Borrow, depuis célèbre littérateur et auteur d'un ouvrage sur ses voyages à travers l'Espagne, TheBible in Spain, bien connu dans le monde anglo-saxon. Ces messieurs non seulement répandirent les nombreux exemplaires des Écritures reçus d'Angleterre, mais ils en imprimèrent en Espagne, aussi bien en castillan qu'en catalan, en basque, et même en bohémien d'Espagne. En un seul jour, Graydon vendit à Barcelone 1.082 exemplaires ; le même empressement se manifesta dans d'autres villes. À Alméria, l'évêque donna un ordre par écrit pour qu'on n'empêchât pas la vente, vu qu'après examen, les livres étaient reconnus fidèles à la Vulgate. Borrow, connaissant à fond les circonstances locales, voulut avoir une base solide pour les opérations de la Société, au milieu des troubles de la guerre carliste et des disputes des partis. Il eut une entrevue avec Mendizabal et son successeur Isturiz pour avoir l'imprimatur, qu'il obtint non sans peine. Mais il n'en fit pas usage, la révolution de La Granja ayant proclamé la Constitution de 1812. Borrow ouvrit un bureau de la Société biblique britannique et étrangère dans une des principales rues de Madrid, et fit, pour la faire connaître, force annonces. Ceci, joint à ses travaux pour répandre la Bible, provoqua la persécution, et il fut mis en prison à deux reprises, à Madrid et à Séville. Mais l'ambassadeur anglais intervint, et Borrow fut relâché. Mentionnons le nom de Don Luis de Usoz y Rio, noble espagnol qui aida beaucoup Borrow dans ses travaux, et fut l'éditeur des anciens réformistes espagnols.
    La date importante pour le travail de la Société, comme pour les missions évangéliques, fut l'année 1868, avec le triomphe de la révolution de septembre, dite la Glorieuse : avec elle triompha aussi la liberté.


    Le 8 février de la même année, Isabelle II reçut la Rose d'or, que Pie IX lui donnait comme « emblème de la protection de Dieu à sa fille aimée, que ses hautes vertus font resplendir parmi les femmes ». Le 30 septembre, la reine fugitive arrivait à Bayonne. Précisément dans cette même ville, on gardait dix mille Bibles et Nouveaux Testaments imprimés à Madrid après la Révolution de 1854, qui y avaient été confisqués lorsque recommença l'ère de l'intolérance. Ils furent rendus, à la condition expresse qu'ils sortiraient d'Espagne. Quand Isabelle II sortit de son royaume, la Bible y rentra. Le général Prim avait dit aux propagandistes évangéliques : « Allez avec votre Bible sous le bras, et parcourez toute l'Espagne ; vous serez protégés, et personne ne vous tourmentera tant que je pourrai l'éviter ».


    Cette description du propagandiste évangélique « avec sa Bible sous le bras » répond à la pure réalité. Toute l'oeuvre protestante en Espagne est fondée sur la connaissance et sur la lecture de la Bible.


    Sous la protection de la loi, la Société britannique établit à Madrid une agence qui a fonctionné sans interruption, d'abord dans la rue de Preciados, et puis Leganitos 4, dans une vieille maison qui, selon toutes probabilités, fut habitée, dans le passé, par un inquisiteur.
    M. le pasteur Curie, premier agent établi en Espagne, disait dans son rapport de 1870, en jetant un coup d'oeil sur le passé : « La semence jetée par George Borrow et par le lieutenant Graydon n'a pas péri toute entière… Quand nous rencontrons des gens qui connaissent la Parole de Dieu, et que nous leur demandons à quoi cela est dû, ils répondent que leur père a eu le Livre, et qu'ils ont entendu de ses lèvres son précieux contenu ».
    Dès lors la traduction dont s'est servie la Société pour ses éditions, a été la traduction Reina-Valera, quelque peu modernisée par Señor Lucena, professeur d'espagnol à l'Université d'Oxford. Les évangéliques espagnols et la plupart des Américains sont très satisfaits de cette version, qui joint à la fidélité à l'original la belle sonorité de la langue dans son siècle d'or.
    Après M. Curie sont venus six agents actifs qui ont eu sous leur direction bon nombre de colporteurs héroïques. Quelques-uns de ceux-ci ont été emprisonnés, lapidés, insultés, privés de leurs livres, maltraités, livrés aux tribunaux ; mais ils ont aussi trouvé des âmes ayant soif de vérité, des villages entiers disposés à les recevoir, des autorités justes et aimables, et de la bonne volonté pour acheter les Écritures.


    Plusieurs des églises évangéliques ont reçu le premier souffle vital par le moyen de ces hommes obscurs et par la vertu de la Parole de Dieu.
    Un cas tout récent est celui de Ibahernando, dans la province de Càceres. Au commencement de 1906, l'agent de la Société reçut une lettre d'un habitant de Ibahernando, lui disant que grâce à la lecture de quelques Nouveaux Testaments, vendus par deux colporteurs, beaucoup de personnes avaient manifesté le désir de connaître les enseignements du Christ, et qu'ils lui demandaient de leur envoyer quelqu'un pour les en instruire. Une seconde lettre faisait la même demande, mais ajoutait que plus de cent personnes lisaient le Nouveau Testament et désiraient en savoir davantage. Lors de la visite d'un pasteur, l'assistance fut si grande que la réunion dut se tenir en plein air. Aujourd'hui, il existe à Ibahernando une maison pour la mission, une église nombreuse, et des écoles florissantes. Un des deux colporteurs étant retourné à cet endroit, il fut profondément ému par les démonstrations affectueuses qui lui furent prodiguées.
    Les colporteurs de la Société biblique britannique et étrangère, avec ceux de la Société biblique d'Écosse, vendent chaque année en Espagne environ 90.000 exemplaires des Saintes Écritures. D'autres associations font des distributions gratuites qui ont de l'importance.
    Il y a un grand nombre de lecteurs habituels de la Bible dispersés par toute l'Espagne. Les dénis de justice envers les colporteurs diminuent dans la mesure où deviennent plus fréquentes les paroles de bienvenue et de sympathie. Cependant de nouvelles difficultés, plus grandes peut-être que celles qu'oppose le fanatisme réactionnaire, se présentent du côté de l'incrédulité, contre laquelle il n'y a d'autre ressource qu'une diffusion large, mais profonde, de la Bible. L'avenir du christianisme en Espagne est l'avenir de la Bible elle-même.
    L'unique frein qui puisse contenir le peuple désabusé et sceptique dans sa marche rapide vers la plus noire incrédulité, c'est la lecture du vieux Livre, pourtant toujours jeune, qui parle avec une voix plus qu'humaine à la conscience et au coeur des hommes.
    Adolfo ARAUJO
    (Traduit par Luis de VARGAS, pasteur).

    25.5 - La version Turque

    Au commencement du dix-septième siècle naissait en Pologne, dans une famille Bobowski, un enfant qui reçut le nom d'Albert. Encore tout jeune, il fut enlevé dans une razzia de Tartares, et vendu comme esclave à un noble de Constantinople, qui le revendit peu après au sérail, où il passa vingt ans. Il y reçut une éducation très soignée. Arrivé à l'âge d'homme il renonça publiquement à la foi dans laquelle il était né, embrassa celle du prophète de la Mecque, et, à partir de ce moment, s'appela Ali Bey.
    Il était doué d'un remarquable talent pour les langues. Il n'en comprenait pas moins de dix-sept, et parlait avec une parfaite aisance la plupart des langues européennes : l'anglais, le français, l'allemand, etc. Il était encore un tout jeune homme lorsqu'il fut nommé premier interprète du sultan Mahomet IV.
    Il rencontra à la cour de ce potentat un homme qui sut non seulement découvrir ses capacités, mais encore leur donner un noble emploi. C'était Levin Warner, ambassadeur hollandais à Constantinople. À son instigation, Ali Bey entreprit ce qui devait être la grande oeuvre de sa vie, la traduction de la Bible en langue turque. On ne sait pas avec certitude s'il traduisit directement sur l'original. Toujours est-il que sa traduction est, d'un style très coulant, qui reproduit toutes les nuances de la langue. Il l'acheva en 1666. Le manuscrit fut envoyé par Levin Warner à Leyde pour y être imprimé. Toutefois, on ne sait pourquoi, il ne fut pas livré à l'impression, et resta tel quel dans la bibliothèque de l'Université de Leyde. Mais cette traduction qui devait si longtemps demeurer inutile avait déjà accompli une grande oeuvre, elle avait ramené son auteur à la foi chrétienne. Ali Bey, dit l'histoire, était décidé à rentrer dans le sein de l'Église chrétienne en recevant le baptême. La mort, malheureusement, survint avant qu'il eût accompli son dessin. Il est permis de penser que l'étude des Écritures n'était pas étrangère à sa décision.
    Pendant cent cinquante ans, le manuscrit d'Ali Bey dormit à l'Université de Leyde.


    En 1814, le Dr Pinkerton, secrétaire de la Société biblique britannique, examina, à la requête du comité, ce manuscrit, se convainquit de sa valeur et de l'opportunité qu'il y avait à l'imprimer. Mais qui charger de cette impression, ainsi que de la révision nécessaire ?
    Dieu y avait déjà pourvu. Il y avait alors à Berlin un conseiller de la Légation impériale russe, le baron von Diez, précédemment ambassadeur russe à Constantinople, où il avait acquis une connaissance approfondie de la langue turque. Au cours d'une conversation avec des amis, le Dr Pinkerton, de passage à Berlin, avait appris d'une façon tout accidentelle et l'existence du baron von Diez et de quelle manière remarquable il possédait le turc. Il avait été le voir, et s'était longuement entretenu avec lui du manuscrit d'Ali Bey et de sa publication éventuelle. Le baron s'était déclaré tout disposé à entreprendre ce travail.


    Il en fut chargé par le comité, et s'y mit la même année. L'Université de Leyde consentit volontiers à prêter le manuscrit. Von Diez fut frappé de l'excellence de la traduction d'Ali Bey. « Si je continue à la trouver aussi correcte, écrivait-il, je n'exagère rien en disant qu'elle prendra rang parmi les meilleures versions du saint volume, et même que, pour bien des passages, elle les dépassera ». — « De tout mon coeur, écrivait-il dans une lettre, je désire que ce travail puisse être accompli pour la gloire de Dieu et pour le bien de mes semblables. Une pensée toutefois me tourmente par moments. J'ai soixante-trois ans… et s'il plaisait à Dieu de me retirer au milieu de ce travail, je ne sais pas qui pourrait le continuer après moi. Mais je demanderai à Dieu de prolonger ma vie jusqu'à ce que j'aie pu l'achever ».


    Deux ans et demi après, un ami venait voir le baron von Diez et le trouvait la tête appuyée sur son bureau, presque incapable de parler. « Je conserve l'espoir, dit-il à son visiteur, que Dieu me rétablira pour que je puisse achever la publication de la Bible turque. Mais s'il en a disposé autrement, que sa volonté soit faite. Je puis dire avec Paul : « Si je vis, je vis pour le Seigneur. Si je meurs, je meurs pour le Seigneur ».


    Huit jours après, von Diez quittait ce monde. Il n'avait pas achevé le Pentateuque.
    Comment l'entreprise allait-elle être menée à bien ? Encore une fois, Dieu y avait pourvu. Jamais la parole : « Dieu enterre ses ouvriers, et il continue leur oeuvre », ne fut plus vraie. Mort au mois d'avril, von Diez avait un successeur en juillet, dans la personne de M. Kieffer.
    Né à Strasbourg en 1767, M. Kieffer s'était adonné de bonne heure et avec distinction à l'étude des langues orientales et avait obtenu un emploi à Paris, au ministère des affaires étrangères. En 1796, il fut envoyé à Constantinople comme interprète et secrétaire de l'ambassade française. Peu après, la guerre éclata entre la Turquie et l'Égypte. L'influence française était prédominante dans ce dernier pays. Immédiatement, le sultan fit jeter au château des Sept Tours M. Ruffin, le chargé d'affaires français, et son secrétaire interprète M. Kieffer. Pendant plusieurs années, ils y subirent une captivité très étroite.


    Le château des Sept Tours devint le cabinet de travail de M. Kieffer. Avec l'aide de son compagnon de captivité, il apprit à fond la langue. Ce n'est qu'en 1803, au bout de près de sept ans, qu'il fut autorisé à retourner à Paris pour y accompagner, à la cour de Napoléon, un ambassadeur turc ; à peine arrivé, il fut comblé d'honneurs en reconnaissance soit de ses dons éminents, soit des souffrances qu'il avait endurées. Il fut nommé successivement secrétaire et interprète au ministère des affaires étrangères, professeur de turc au Collège de France, et premier secrétaire et interprète du roi pour les langues orientales.


    En juillet 1817, le comité de la Société biblique britannique demanda à M. Kieffer de continuer la révision et la publication de la Bible turque. M. Kieffer accepta. L'Université de Leyde consentit de nouveau à prêter le manuscrit, et le gouvernement français leva tout droit d'entrée pour le papier et les caractères d'imprimerie qui furent envoyés de Berlin.
    En 1827, M. Kieffer qui, entre temps, en 1820, était devenu le premier agent de la Société en France, achevait la révision et la publication de la version d'Ali Bey, et le précieux manuscrit reprenait sa place à l'Université de Leyde, après avoir enfin, au bout d'un siècle et demi, servi dans la maison de Dieu comme un vase d'honneur.
    La Bible turque publiée par M. Kieffer a été l'objet d'une révision, faite de 1873 à 1878 par un comité qui s'est aidé de travaux partiels parus depuis 1827. Cette révision a été elle-même révisée, de 1883 à 1885, par un nouveau comité.


    Pour faire comprendre l'importance de la traduction de la Bible en turc, il suffira de rappeler que le turc est parlé non seulement dans tout l'empire turc, mais encore dans la plus grande partie de la Perse, et qu'il est en outre la langue écrite comprise par les innombrables tribus tartares.

    25.6 - La Bible en Russie

    En 862, l'année où Rurik fondait l'empire russe à Novgorod, Rostislaff, prince de la tribu morave, qui faisait partie du nouvel empire, demanda à l'empereur Michel III, à Constantinople de lui envoyer des missionnaires parlant slave, pour évangéliser les Slaves. Le choix de l'empereur tomba sur Méthodius et Cyrille, deux frères, nés d'une famille noble de Thessalonique, ville où se trouve encore aujourd'hui une église qui est l'héritière directe de celle que fonda saint Paul. Méthodius, un ancien soldat, était moine. Cyrille avait été élevé avec l'empereur lui-même. Il était prêtre. Cyrille et Méthodius, après avoir évangélisé le Kherson, les Khazares, les Bulgares, s'établirent à Welehrad en Moravie. Un de leurs premiers soins fut de traduire en slave la liturgie grecque et des fragments de l'Écriture sainte. Jamais encore la langue slave n'avait été écrite. Cyrille créa un alphabet qui était une adaptation de l'alphabet grec et, dans une mesure moindre, de l'alphabet hébreu, et dont quelques lettres étaient originales. Chaque son était représenté par une lettre. Il y avait trente-huit lettres.
    On appelle cet alphabet l'alphabet cyrillique (*). L'alphabet russe et l'alphabet serbe en dérivent directement. Nous sommes ici en présence d'un de ces cas nombreux où l'alphabet a été créé en vue de la traduction de la Bible, où la traduction de la Bible, par conséquent, a ouvert la porte tout ensemble à l'Évangile et à la civilisation.

    (*) Le fameux texte du sacre sur lequel les rois de France prêtaient serment est en caractères cyrilliques. Conservé à Reims jusqu'en 1792, il est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale,

    Les missionnaires de Constantinople rencontrèrent de l'opposition de la part des missionnaires de Rome. Ceux-ci alléguaient qu'il n'était pas licite de traduire la Bible en d'autres langues que l'hébreu, le grec, le latin, les trois langues employées pour l'inscription de la croix. Le pape Adrien II manda Cyrille et Méthodius à Rome pour qu'ils s'expliquassent. Ne pouvant trancher à lui seul une question aussi difficile, il réunit un conclave. Comme la dispute était vive, on entendit, raconte la légende, une voix surnaturelle s'écrier : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! » Peut-être cette voix venait-elle de quelque personne inconnue « invisible et présente ». Quoi qu'il en soit, Adrien II permit aux deux frères de continuer leur travail en langue vulgaire. Cyrille mourut à Rome en 869. Méthodius, nommé évêque de Moravie, retourna à son champ de travail. Il acheva la traduction de la Bible. Les psaumes seuls avaient été traduits du vivant de Cyrille. Aucun exemplaire de cette traduction n'est parvenu jusqu'à nous. L'invasion tartare, au treizième siècle, dut être fatale aux documents de la littérature slave. Mais cette traduction se retrouve probablement en partie dans la traduction slave qui parut après que les Tartares eurent été repoussés.


    L'imprimerie ne pénétra en Russie qu'un siècle après Gutenberg, et non sans rencontrer de l'opposition. Sous le patronage de l'empereur et avec l'approbation du métropolite de Moscou, une imprimerie fut créée à Moscou en 1563, et l'année suivante parut le premier livre imprimé en Russie, les Actes des apôtres, en slave. Le texte imprimé était en maints endroits tellement différent des manuscrits slaves de Moscou, que les imprimeurs furent accusés d'hérésie. Ils durent fuir, et leur imprimerie fut brûlée.
    La première Bible complète imprimée en Russie porte le nom de « Bible d'Ostrog ». Le prince d'Ostrog (Volhynie), champion décidé de l'église orthodoxe, laquelle était en lutte avec les Jésuites, s'avisa que le meilleur moyen de combattre l'erreur était de publier la Bible, et la publia. Cette Bible parut en 1581.
    L'église orthodoxe adopta provisoirement cette version privée, mais avec l'intention de la réviser. Ce provisoire dura 170 ans. Plusieurs entreprises de révision n'aboutirent pas. Pierre le Grand ordonna, en 1712, une révision qui fut achevée au bout de dix ans, mais dont sa mort empêcha l'impression. Plus tard, le Saint-Synode se convainquit qu'il fallait encore réviser.
    En 1744, l'impératrice Élisabeth ordonna par un ukase aux membres du Saint-Synode de travailler à la révision de la Bible d'Ostrog, tous les jours, le matin et l'après-midi, pour que tout le travail fût, si possible, achevé avant Pâques. Ce ne fut, sans doute, pas possible, et malgré un autre ukase de la même année ordonnant au Synode ou d'imprimer la révision de Pierre le Grand ou de dire pourquoi elle était insuffisante, on ne fut prêt qu'en 1750. Cette année-là, un troisième ukase ordonna l'impression de la Bible, impression qui fut achevée en 1751 à Saint-Pétersbourg. Une seconde édition parut en 1756.


    Deux traits caractérisent cette Bible. D'abord pour l'Ancien Testament, elle reproduit non pas le texte hébreu, mais le texte de la version des Septante. C'est sur cette version qu'ont été faites les versions de la Bible entreprises sous les auspices de l'Église grecque (versions géorgienne, arménienne, slave). Cela s'explique par le fait que la version des Septante a été la version primitive de l'Église grecque. La version des Septante a d'ailleurs des titres à faire valoir, car elle a eu à sa base des manuscrits antérieurs de plusieurs siècles à ceux desquels procède notre texte actuel de l'Ancien Testament.
    En second lieu, cette version était slave, et non russe. Le slave, qui a été le premier véhicule du christianisme en Russie, est resté la langue ecclésiastique, et c'est toujours en slave, langue morte, comme le latin, lue mais non parlée, que les Écritures sont lues au culte de l'Église grecque. Le russe, malgré tous les éléments slaves qu'il s'est assimilés, et quoiqu'il diffère moins du slave que l'italien ne diffère du latin, est néanmoins une langue distincte. Le besoin d'une Bible russe devait forcément se faire sentir, et ce fut une Société biblique russe qui entreprit de donner à la Russie une Bible russe.


    La fondation de cette Société biblique russe fut due à l'influence de la Société britannique. Au commencement de décembre 1812, un délégué de la Société britannique faisait présenter au tsar Alexandre 1er un projet de société biblique russe. On était au fort de la lutte contre Napoléon 1er. Le tsar était sur le point de rejoindre l'armée. Il retarda son départ tout exprès pour examiner le projet. Belle et rare application, surtout dans de telles sphères et dans de tels moments, du « Notre Sire Dieu premier servi » de Jeanne d'Arc. Le 18 décembre, le tsar approuvait le projet. L'organisation de la Société reproduisait dans ses grandes lignes celle de la Société britannique, sauf en ceci que ses efforts devaient se confiner à l'empire russe, champ d'action assurément assez vaste. Cette Société fut accueillie avec enthousiasme. Des archevêques, des hommes d'État, en devinrent membres. Des Sociétés russes auxiliaires surgirent en grand nombre.
    Trois ans après, la Société présentait à l'Empereur des exemplaires des Écritures en plusieurs des langues parlées dans l'Empire, en lette, en esthonien, en polonais, etc. Le tsar fut péniblement impressionné en voyant que parmi ces volumes il n'y avait pas de Bible russe pour « mes Russes », disait-il. En 1816, il exprima au Saint-Synode le désir de voir préparer une traduction de la Bible en russe. On obtempéra au désir impérial. En 1819, les quatre Évangiles parurent en russe avec le texte slave en regard, pour ménager les préjugés auxquels aurait pu se heurter une version russe. En 1822, le Nouveau Testament parut sous la même forme, puis en 1823 en russe seulement. On se mit à l'Ancien Testament, et les huit premiers livres avaient été traduits, lorsqu'en 1826, la Société biblique fut dissoute par un ukase de Nicolas 1er. Elle avait fait traduire les Écritures en dix-sept nouvelles langues, et avait répandu 861.000 exemplaires en trente langues environ. Pourquoi cet ukase ? On ne l'a jamais su. Il est probable que des influences catholiques étaient intervenues, et aussi que l'Église russe, qui affirmait son indépendance vis-à-vis de Rome, ne voulait pas, en même temps, avoir l'air de s'inféoder au protestantisme. Depuis lors, l'Église orthodoxe s'est réservé de pourvoir ses fidèles des Écritures saintes.


    Le Saint-Synode publia une révision du Nouveau Testament en 1862, et la Bible entière en 1875. La Société britannique publia la Bible en russe en 1874. Ses efforts stimulèrent certainement ceux du Saint-Synode. La Bible du Saint-Synode contient les Apocryphes. Elle est traduite sur l'hébreu, mais ajoute entre crochets tout ce qui se trouve dans le grec des Septante et non dans l'hébreu. Dans le premier chapitre de la Genèse seul, il y a une douzaine de ces additions. Le Saint-Synode ne permit pas à la Société britannique de répandre en Russie la Bible préparée par elle. En 1882, il fit imprimer la Bible synodale, sans les Apocryphes. Cette Bible ne fut pas réimprimée. Le Saint-Synode fit sanctionner deux Bibles différentes. En 1892, il y a eu rapprochement partiel entre la Société britannique et le Saint-Synode. Depuis lors, la Société achète au Saint-Synode environ 350.000 volumes chaque année.
    Sous la dépendance immédiate du Saint-Synode, il y a une Société biblique russe (c'est son titre officiel) dont les imprimeurs, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Kief, ont le monopole de l'impression des livres saints. Cette Société répand largement, par des agents et des colporteurs à elle, les Écritures en russe moderne et en ancien slave.
    L'activité biblique de la Société britannique en Russie est plus considérable que celle du Saint-Synode. Elle répand les volumes imprimés par elle dans toutes les langues parlées dans l'Empire, sauf le slave et le russe (Tous les Russes comprennent à peu près le slave). Récemment la question de la diffusion de la Bible en d'autres langues que le russe et le slave a été soulevée au sein de la Société biblique russe.


    La Société britannique est très bien vue en Russie. Le transit de ses livres sur toutes les lignes de chemins de fer est gratuit. Dès qu'une Bible a passé la frontière, elle voyage gratis. Plus d'une ligne transporte ainsi cent tonnes de livres saints par an. La gratuité du parcours est accordée à dix colporteurs sur toutes les lignes. Les compagnies de navigation de la mer Blanche, de la mer Noire, du Dniéper, du Don et du Volga, transportent gratuitement les livres et les colporteurs. Dans beaucoup de villes, les compagnies de tramways accordent également la gratuité aux colporteurs.


    Enfin, l'impôt sur les livres reliés qui pénètrent dans l'Empire est supprimé pour les livres saints, et les dépôts bibliques et leurs employés sont exonérés de la taxe du commerce et de l'industrie.
    Il ressort de ce qui précède que l'attitude officielle de l'Église grecque, en ce qui concerne la diffusion des Écritures, est une attitude d'approbation. Au point de vue pratique, certaines des Églises d'Orient vont, dans cette approbation, plus loin que d'autres. Les unes n'approuvent que les traductions anciennes, celles des premiers siècles, qui ont toujours servi pour l'usage ecclésiastique. Les autres en sont arrivées, dans une mesure, à approuver les traductions modernes en langue populaire. À cet égard, l'Église russe est la plus avancée. C'est certainement en grande partie grâce aux efforts de notre Société pour traduire la Bible en russe moderne que l'Église russe est entrée dans cette voie. Cette attitude de l'Église grecque vis-à-vis de la diffusion de la Bible constitue une de ses principales différences avec l'Église romaine.

    25.7 - La version Laponne

    C'est à un forçat à vie que les Lapons doivent leur première traduction complète de la Bible.
    En 1849 éclatèrent à Koutokaeino, en Laponie, des troubles religieux graves. Des exaltés se livrèrent à toutes sortes d'extravagances. Vingt-deux personnes furent emprisonnées, et la paix sembla rétablie, mais en 1852 il y eut une explosion plus terrible encore, et, sous une couleur religieuse, les passions les plus violentes se donnèrent libre carrière. Le pasteur fut maltraité, et son presbytère assiégé par une foule hurlante. Le gouverneur fut assassiné, un négociant subit le même sort, et sa maison fut pillée et livrée aux flammes. Trente-trois coupables furent arrêtés et livrés à la justice comme meurtriers, voleurs ou incendiaires. Ils furent condamnés une vingtaine environ, à la peine de mort, les autres à la prison perpétuelle. Parmi ces derniers se trouvait un jeune pêcheur du nom de Lars Haetta. Il fut transféré à la maison de correction de Christiania. Il ne savait ni lire ni écrire. Mais quand il vit que c'était pour lui la seule occupation possible, il apprit vite l'un et l'autre. Une fois qu'il sut lire, il prit grand intérêt à la lecture de la Bible. Après l'avoir étudiée pendant un an ou deux, il forma le projet d'achever de la traduire dans la langue des Lapons (*). C'était, pour un homme d'une éducation aussi imparfaite, une entreprise singulièrement difficile. Il s'y mit tout de même. Il révisa d'abord le Nouveau Testament, puis compléta la traduction de l'Ancien. Au cours de sa peine, la liberté lui fut rendue, et c'est hors de prison qu'il semble avoir achevé sa traduction, qui, revue par des hommes compétents, est devenue la Bible des Lapons norvégiens.

    (*) Le Nouveau Testament en Lapon avait paru en 1840, en même temps qu'une histoire sainte contenant la traduction du Pentateuque et de vingt-deux psaumes. Nos documents ne nous disent pas s'il l'acheva.

    25.8 - La Bible à Madagascar

    Les premiers missionnaires protestants arrivèrent à Madagascar en 1818. C'étaient David Jones et Thomas Bevan, chacun accompagné de sa femme et d'un enfant. Au bout de quelques mois, sur ces six personnes, cinq étaient mortes de la malaria, et David Jones, seul survivant, était lui-même très malade. Il se rétablit, et en 1821 fut rejoint par David Griffith, gallois comme lui.
    À ce moment, il y avait peut-être en tout six Malgaches capables d'écrire leur langue, et cela en empruntant les caractères arabes. Le malgache n'existait pas comme langue écrite. En 1823, Jones et Griffith s'étaient rendu compte des règles de la grammaire et avaient créé une écriture en harmonie avec ces règles. En 1826, la Société missionnaire de Londres leur envoyait une machine à imprimer.
    En janvier 1827, les missionnaires écrivaient :

    Nous avons consacré la journée du 1er janvier à la révision finale et à l'impression du premier chapitre de Luc. Nous voulions, par ce ministère, en ouvrant sur un sol aride et desséché la fontaine des eaux vives, sanctifier cette nouvelle année de labeur missionnaire. Puissent les eaux de guérison couler bientôt en mille canaux et transformer ce pays en un jardin de l'Éternel

    Avant la fin de l'année, les missionnaires avaient imprimé l'Évangile de Luc à 1.500 exemplaires. En 1830, le Nouveau Testament était imprimé à 3.000 exemplaires.

    Je ne veux pas prophétiser, écrivait le missionnaire-imprimeur, mais je ne puis pas croire que la Parole de Dieu soit jamais exterminée de ce pays, ou que le nom de Jésus y soit jamais oublié.

    La publication du Nouveau Testament excita chez les indigènes un esprit de saine curiosité. Leur Nouveau Testament à la main, ils entouraient en grand nombre la demeure des missionnaires pour se faire expliquer les passages qu'ils avaient marqués. On était étonné de voir la Parole de Dieu trouver chez eux tant d'écho. Ils comprenaient très bien tous les passages qui condamnaient l'idolâtrie et la sorcellerie. À propos du passage : Vous observez les jours et les mois, un jeune garçon fit cette remarque : « Voilà qui condamne les gens qui tuent leurs enfants parce que le jour ou le mois de leur naissance est réputé mauvais, et ceux qui s'abstiennent de faire quelque chose aux temps dits néfastes ».
    En mars 1835, comme l'impression de l'Ancien Testament touchait à son terme, la persécution éclata. La reine Ranavalona fit réunir tous les exemplaires des Écritures qu'on put trouver, et les fit remettre aux missionnaires comme objets prohibés. La lecture des Écritures, comme la prière, fut interdite sous peine de condamnation à la mort ou à l'esclavage. À ce moment, il restait à imprimer les livres d'Ézéchiel à Malachie, et une partie du livre de Job. Aucun indigène n'osait prêter la main à ce travail. Tout ce qui restait fut composé par le missionnaire Baker et imprimé par un artisan missionnaire, M. Kitching. Le 21 juin, la première Bible malgache était imprimée et reliée. Jamais ministère ne fut plus fécond et plus glorieux que celui qu'accomplirent ces deux hommes pendant ces trois mois. Il se prépara là bien des palmes et bien des couronnes !


    Des exemplaires de la Bible furent remis aux indigènes. Ceux qui les recevaient savaient fort bien qu'en les recevant ils risquaient leur vie. Quand les missionnaires, expulsés, quittèrent l’île, en juillet 1836, il restait encore un stock de soixante-dix Bibles. Les missionnaires enterrèrent ces soixante-dix Bibles et en indiquèrent la cachette à quelques-uns de leurs convertis. Ce fut là, pour de longues années, le dépôt biblique des chrétiens malgaches. Ces Bibles, comme on l'a dit, furent le combustible qui, pendant plus d'un quart de siècle de persécution, alimenta le feu sacré à Madagascar. Plusieurs de ces Bibles existent encore. On en voit une à la bibliothèque de la Société biblique britannique.

    Le souvenir de la persécution le plus émouvant que j'aie rapporté, racontait plus tard un missionnaire, consiste en quelques fragments des Écritures, usés, déchirés, portant des taches de terre ou de fumée qui sont les marques de leur cachette, mais soigneusement réparées : ces feuilles sont cousues entre elles par des fibres d'écorce, et leurs marges sont recouvertes de papier plus fort.

    On comprend que ces Bibles se soient usées ! Elles circulaient par fragments ; on échangeait des moitiés, des quarts de Bible. Comme les exemplaires étaient rares, il circulait aussi des fragments copiés à la main. Des chrétiens se réunissaient pour méditer la Bible et prier, en particulier sur une montagne, à quelque distance de la capitale. Quand on les découvrait, ou quand on découvrait leur Bible, c'était l'esclavage ou la torture, ou une mort cruelle.
    Voici une lettre écrite au milieu de cette fournaise. La persécution durait déjà depuis vingt-quatre ans. Ce sont les chrétiens persécutés de Madagascar qui écrivent à leurs frères réfugiés à l'ile Maurice.

    Antananarivo, 17 janvier 1359.
    À DAVID ANDRIANADO ET À NOS NOMBREUX FRÈRES.
    Nous venons vous voir, puisque, par la bonté de Dieu, nous pouvons nous visiter les uns les autres par lettre. Dieu veuille que cette lettre vous parvienne 1 Car ici, en ce moment, nous endurons les plus lourdes afflictions. Les prisonniers déportés au désert y ont été conduits de telle façon que plusieurs ont succombé. Quant aux survivants, ils doivent continuer de porter les chaînes des morts. Les membres de ceux-ci sont coupés, et leurs fers restent suspendus aux vivants, qui seraient dans l'impossibilité d'avancer si des amis ne venaient les aider à porter leurs chaînes. Jour et nuit, on les soutient ainsi. Tel est le sort de ceux qui survivent.
    Quant aux morts, ils sont heureux, parce qu'ils ont du relâche de leurs lourds fardeaux, et de beaux anges sont venus les consoler. Tandis qu'ils mouraient, ils exhortaient ceux qui restaient à s'appuyer entièrement sur Jésus. Et ils disaient : « Ne défaillez pas sous ces lourdes chaînes, car voici, la cité d'or est préparée pour nous, et Jésus, notre Frère, nous a précédés dans le chemin ». Et les survivants se réjouissaient en entendant ces paroles.
    Et quand les prisonniers sont allés au désert où on les chassait, cinquante fonctionnaires les conduisaient et les surveillaient. La distance qu'ils avaient à franchir était de trois journées de marche, mais leur voyage dura deux mois, à cause du grand poids de leurs chaînes.
    Et voici le cantique qu'ils chantaient tout en allant :

    Ô vous qui êtes aujourd'hui en chemin,
    Nous sommes pèlerins vers Sion.
    Réjouissez-vous, réjouissez-vous à jamais,
    Christ notre Sauveur nous donne de la joie.

    Bientôt, nous l'entendrons nous souhaiter la bienvenue et nous dire
    « Venez, vous les bénis de mon Père,
    Héritiers d'un royaume glorieux,
    À vous est acquise à jamais une « maison céleste » ».

    Là, à jamais, nous rendrons joyeusement
    Des hommages toujours nouveaux à son nom de Sauveur,
    Et, avec des voix mélodieuses, nous nous unirons au chant
    Du cantique de Moïse et de l'Agneau.

    Sauveur bien-aimé, daigne
    Bénir maintenant ton peuple,
    Et envoie dans nos cœurs qui attendent ta grâce
    Ta faveur et ta paix.

    Si le coeur de la reine est dur et enflammé contre nous, la compassion de Christ brûle d'une flamme bien plus ardente encore. Que chacun donc soit fort pour prier Christ de faire qu'il porte dignement son nom dans cette affliction. Béni soit le nom de Dieu, qui nous a montré le chemin par lequel on peut s'approcher de Lui (Matt. 11, 28-30).
    Quant aux chrétiens, beaucoup font des progrès réjouissants, parce qu'ils ne sont pas abandonnés du Dieu qui est leur force, et un grand nombre prennent part aux souffrances des persécutés. C'est Dieu qu'ils aiment, et, par conséquent, ils ne craignent pas la colère de la reine. Quand on songe à la persécution ordonnée par la reine, il semble que les chrétiens de Madagascar sont abandonnés de Dieu. Mais quand, d'un autre côté, on songe aux progrès qu'ils font, et qu'on se rappelle que Dieu ne laisse pas ses quelques agneaux devenir la proie du découragement, alors on se dit qu'il est merveilleux qu'il n'abandonne pas les siens, et il semble bien qu'il n'abandonne pas Madagascar. De plus, sa Parole nous dit : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point ». Et nous savons que sa Parole est ici à Madagascar, de sorte que nous pécheurs, nous qui souffrons, nous devons nous le rappeler. Que chacun donc demande à Dieu de nous sauver (2 Thes. 3, 1, 2; Jacques 5, 15, 16).
    Et que dirai-je de la manière dont des frères affligés et persécutés ont échappé ? Car jusqu'à présent on recherche très vivement les chrétiens. Chaque quinzaine on fait, dans les marchés, une proclamation qui ordonne de les découvrir. Une bonne partie de leurs biens, de leurs Nouveaux Testaments, de leurs traités, de leurs cantiques, ont été brûlés par leurs amis, à cause de la sévérité des ordres de la reine et à cause des souffrances endurées par les chrétiens. Aussi, envoyez-nous une réponse à cette lettre.
    Recevez nos plus chaleureuses salutations, ô vous tous, amis et frères. Que Dieu vous bénisse !
    Voilà ce que disent tous les pèlerins, tous les prisonniers, tous les frères.
    Charles-Frédéric Moss.

    Plusieurs réussirent à cacher leurs Bibles. Les uns les dissimulaient adroitement dans des troncs d'arbres, d'autres les confiaient à des cachettes pratiquées dans des endroits réputés inaccessibles, d'autres, après les avoir enveloppées, les enterraient soigneusement. Voici à quel moyen on eut recours dans le Vonizongo.
    Quand la reine Ranavalona ordonna des perquisitions sévères pour faire saisir toutes les Bibles qu'il y avait à Madagascar, les chrétiens du Vonizongo se dirent : « Si nous perdons notre Bible, que deviendrons-nous ? » Et ils décidèrent de cacher leur Bible dans une caverne creusée, au temps jadis, près du village de Fihaonana, pour servir d'hôpital aux varioleux. Les chrétiens malgaches bravaient, pour l'amour de leur Bible, le danger de la contamination, bien assurés que les émissaires de la reine n'auraient pas le même courage.
    Les émissaires vinrent dans le village et y firent une recherche acharnée, sans rien trouver. Ils se dirigèrent ensuite vers la caverne. « Vous savez sans doute, leur dit quelqu'un, que cette caverne est l'hôpital des varioleux ? — Non ! répondit, sursautant avec horreur, l'un des émissaires. Pourquoi ne nous l'avez-vous pas dit plus tôt, malheureux ? » Les émissaires opérèrent une prompte retraite, et la Bible fut sauvée.

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    Une des Bibles qui servirent pendant la grande persécution de Madagascar et qu'on enfouit sous le sol pour les cacher. Cette Bible se trouve à la bibliothèque de la Société biblique britannique et étrangère.

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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:57

    La même Bible qu'à la page précédente, ouverte à la page qui porte le titre du Nouveau Testament

    Ces Bibles, on allait, aussi souvent que possible, les retirer de leur cachette, les lire en secret ou en public, selon le degré qu'atteignait la persécution, et on les replaçait bien vite en lieu sûr.
    Pendant un quart de siècle, les chrétiens malgaches persécutés n'eurent d'autre missionnaire que la Bible. Et lorsque, en 1861, après la mort de Ranavalona, les missionnaires anglais revinrent, au lieu de mille adhérents et de deux cents chrétiens déclarés qu'il y avait en 1835 à Madagascar, ils trouvèrent cinq mille chrétiens déclarés. Voilà ce qu'avait fait la lecture de la Bible. La Bible est un bon missionnaire.
    Le premier désir des chrétiens malgaches, dès qu'ils eurent retrouvé la liberté de lire la Bible, ce fut de la posséder tous. Les Bibles désirées arrivèrent la veille du couronnement du roi Radama II, d'où il résulta qu'il n'y avait pas, à ce moment, de porteurs disponibles, et que les caisses de Bibles furent immobilisées à la côte pendant quelques semaines. Quel exercice de patience pour les chrétiens malgaches ! Certes, ils étaient heureux de voir auprès d'eux les missionnaires, mais ils ne cessaient de demander : « Où sont donc les Bibles ? » Lorsque, à la fin, les caisses arrivèrent, trois journées furent fixées pour la distribution (une pour chaque église de la capitale).

    L'affluence fut telle qu'on jugea plus prudent de fermer à clef les portes de la maison qui servait de dépôt, et de distribuer les volumes par la fenêtre.
    Mais combien de chrétiens, dans les régions éloignées, ne purent pas avoir part à la distribution ! Un soir, deux malgaches se présentèrent à une station missionnaire. Ils avaient fait plus de quarante lieues. « Avez-vous une Bible ? » leur demanda le missionnaire, après un moment de conversation. « Nous l'avons entendu lire, répondirent-ils, mais nous ne possédons que quelques-unes des paroles de David, et encore ne sont-elles pas à nous. Elles appartiennent à toute la famille. — Les avez-vous avec vous, ces paroles de David ? » Les deux visiteurs se regardèrent, craignant qu'on ne leur ravit leur trésor. Puis, rassuré par le missionnaire, l'un d'eux tira des plis de sa tunique quelque chose qui ressemblait à un vieux chiffon roulé. C'étaient de vieilles feuilles du livre des psaumes déchirées, noircies par l'usage. Elles avaient passé de main en main, et avaient fini par tomber en morceaux.

    « Avez-vous jamais vu les paroles de Jésus, ou de Jean, ou de Pierre ? » demanda le missionnaire. « Nous les avons vues et entendues, mais nous ne les avons jamais possédées ». Le missionnaire alla chercher un exemplaire du Nouveau Testament et des psaumes. « Si vous voulez, leur dit-il, me donner ces quelques paroles de David, je vous donnerai toutes les paroles de David, et par dessus le marché toutes celles de Jésus, et de Jean, et de Paul et de Pierre ». Ces hommes n'en revenaient pas. Mais tout d'abord, ils voulurent voir si les paroles de David étaient bien les mêmes. Quand ils s'en furent assurés, leur joie ne connut plus de bornes. Ils laissèrent leurs pages déchirées, prirent congé du missionnaire, et partirent pour refaire leur quarante lieues, rapportant ces merveilleuses paroles aux habitants de leur lointain village.

    En 1872, les missionnaires commencèrent à procéder à la révision de la Bible malgache. La Bible révisée fut imprimée en 1888 par la Société britannique.

    « Nous voici en septembre 1897, écrit le missionnaire Élisée Escande en 1906, dans cette province d'Ambositra connue par un récent et magnifique réveil. Le missionnaire qui s'y installe est en proie à la plus profonde détresse. Un vent de persécution a passé sur ce district. La population presque tout entière est passée au catholicisme.
    « Qu'est-ce qui va empêcher le missionnaire de se sentir vaincu avant d'entreprendre la lutte ? C'est ce qu'il apprend de l'amour des Malgaches pour leur Bible.
    « Lorsque les habitants du district d'Ambositra crurent qu'ils n'avaient qu'un moyen de montrer leur soumission à la France, celui de « devenir catholiques », ils furent sollicités par le père jésuite de lui remettre leurs Bibles. Les plus peureux le firent, et quelle ne fut pas leur consternation quand ils virent le père jésuite faire brûler toutes ces Bibles ! Dès ce moment, aucune Bible ne lui fut plus apportée. À l'exemple de leurs pères, ces Malgaches cachèrent leurs Bibles dans des endroits où les émissaires du père jésuite ne pouvaient les trouver. Eux aussi lisaient en secret, en cachette des voisins et de certains membres de leur famille, leur chère Bible. Ils sont venus dire au premier missionnaire protestant d'Ambositra leur honte d'avoir abandonné le protestantisme, et, comme s'ils devinaient ce qui leur concilierait le plus l'affection de celui qui venait leur montrer leur faute et les exhorter à revenir au Christ de l'Évangile, ils lui disaient : « Mais nous avons conservé nos Bibles, nous continuons à les lire en cachette, et dès que vous serez venu rouvrir la lutte dans notre village, nous tirerons nos Bibles de leur cachette, et nous nous en servirons ouvertement comme par le passé ». Et l'une des joies les plus pures que ce missionnaire a éprouvées pendant les premiers mois de son ministère a été de voir ces Malgaches venant assister au culte, dans une case basse et enfumée, se tassant comme des harengs, la joie peinte sur leur figure, et leur Bible, leur chère Bible à la main. Avec quelle promptitude les passages indiqués étaient trouvés, avec quelle émotion ils étaient relus en public à haute voix, avec quel entrain parfois ils étaient commentés ! »

    En 1900 et 1901 éclata dans le Betsiléo un puissant réveil religieux au sujet duquel le missionnaire norvégien Borchgrevink a écrit ceci : « Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce réveil, c'est qu'il faut l'attribuer non à la prédication de l'Évangile, mais à la lecture de la Bible. La Bible en a été le seul instrument ».

    25.9 - La Bible dans l’Ouganda

    L'Ouganda, le pays des sources du Nil, s'étend entre le Soudan égyptien. le lac Rodolphe, le lac Victoria Nyanza et l'État libre du Congo. Ses habitants sont au nombre de quatre millions environ. C'est un pays de lacs qui sont comme des mers, de forêts tropicales et de montagnes neigeuses plus hautes que les Alpes. Les habitants de l'Ouganda s'appellent les Baganda, et leur langue, le Louganda. Ils sont noirs, et appartiennent à la race bantoue. Avant l'arrivée des Européens, aucun peuple de noirs, en Afrique, ne s'était autant approché de la civilisation. Le premier explorateur qui a pénétré dans l'Ouganda est le capitaine Speke, en 1862.

    Il y a vingt-cinq ans, en observant de près les Baganda qui savaient lire, on aurait remarqué que plusieurs d'entre eux ne lisaient qu'à rebours, en tenant le livre de telle manière que le haut fût en bas et le bas en haut. Cette pratique étrange était tout à l'honneur de ces noirs. Les élèves qui entouraient le missionnaire pour apprendre à lire formaient des groupes si compacts que ceux qui se trouvaient en face du missionnaire ne pouvaient voir qu'à l'envers le livre unique qui servait à enseigner. Et on était trop nombreux pour que ce livre pût circuler de main en main. Ainsi, forcément, parmi les élèves, il y en avait qui apprenaient à épeler à rebours, et qui désormais ne pouvaient plus lire autrement. Ce zèle pour apprendre à lire était le fruit de l'amour pour la Bible. Voilà ce que, dès le début de la mission, des Baganda faisaient pour la Bible. Voyons ce que la Bible a fait pour eux.
    « La « Bible dans l'Ouganda » et la « Mission dans l'Ouganda », a dit l'évêque-missionnaire Tucker, sont des termes synonymes. Par la puissance de l'Esprit, la Bible a changé, dans ce pays, les coeurs et les vies de multitudes d'hommes. Son influence a pénétré la vie entière du peuple, et a accompli une réformation profonde dans les moeurs. Sur le roc imprenable des Écritures s'élève une Église qui compte dix mille communiants, une Église remplie de l'esprit missionnaire, comme le sera toute église qui procède de la Bible ».
    Il y a trente ans, le nom de l'Ouganda était un nom de terreur. Les armées du roi Mtesa allaient lever le tribut chez les peuples voisins. Aujourd'hui, avec la Bible pour arme, les évangélistes baganda s'en vont chez les mêmes peuples pour annoncer l'Évangile.

    La Bible, dans l'Ouganda, a précédé la mission et lui a frayé la voie. Elle y a pénétré d'une manière extraordinaire. Lorsque Stanley partit pour son voyage d'exploration de 1875, il reçut de Mademoiselle Livingstone, dont il avait retrouvé le père, en 1871, une Bible magnifiquement reliée (*). Cette Bible, il ne devait pas la rapporter en Angleterre. Reçu à la cour du roi Mtesa, il lui montra le saint volume et lui en lut quelques chapitres. Le roi fut fort impressionné par cette lecture. Lorsque, quelque temps après, Stanley, continuant son voyage à travers le noir continent, allait franchir la frontière de l'Ouganda, il vit accourir un messager de Mtesa qui avait fait plus de 250 kilomètres pour le rejoindre et qui venait lui dire que le roi voulait absolument avoir « le livre ». Stanley lui donna sa Bible.

    (*) À la veille du voyage au cours duquel il devait retrouver Livingstone, un des amis de Stanley, Sir W. Mackinnon, lui dit : « Je veux vous faire un cadeau, mais je voudrais que vous le choisissiez vous-même. Peu importe le prix. Dites seulement ce que vous désirez ». Et Stanley répondit : « Donnez-moi une Bible ». La Bible fut bientôt entre ses mains. Plus tard, Stanley raconta lui-même ce fait à un ami, et il ajouta : « Pendant que j'étais en Afrique, j'ai lu cette Bible trois fois ». Et il ne la lut pas sans profit. En effet, dans son journal de ce voyage, récemment publié, on lit ceci :

    « On m'avait donné, pour empaqueter des fioles de médecine, une grande quantité de numéros du New-York Herald et d'autres journaux… Je fus souvent malade, et alors je lisais. Je lus Job, puis les Psaumes. Quand je fus mieux, je regardai les journaux. Mon sentiment à leur égard changea. La solitude me les fit envisager sous un jour tout nouveau. Il m'apparut que la lecture des journaux, sauf pour les nouvelles, leur seule raison d'être, était une perte de temps. Quant à la Bible, au noble et simple langage, je continuai à la lire, en la comprenant mieux que je n'avais jamais fait. Son langage puissant me paraissait, dans le silence du désert, avoir un sens nouveau et une influence autrement pénétrante… Seul dans ma tente, à l'insu des hommes, mon esprit travailla. Je me rappelai les secours spirituels que j'avais connus dans mon enfance, et si longtemps négligés. Je me jetai à genoux et répandis mon âme tout entière dans la prière secrète, dans la prière à Celui dont je m'étais éloigné depuis tant d'années, lui demandant de se révéler lui-même à moi, et de me révéler sa volonté. Un nouveau désir s'empara de moi de le servir sans réserve.

    « Quelle différence, dans la solitude, entre la Bible et les journaux ! La Bible me rappelait que sans Dieu, ma vie n'était qu'une vapeur, et elle me disait : « Souviens-toi de « ton Créateur ! » Les journaux, eux, excitaient chez moi l'orgueil et la mondanité… Et je me sentais si petit dans ce désert, que mes noirs, s'ils avaient été capables de réflexion, auraient bien vu que l'Afrique me transformait ».
    C'est de cette action de la Bible sur Stanley, dans les solitudes de l'Afrique, qu'est née, on va le voir, la mission dans l'Ouganda.

    De retour en Angleterre, Stanley raconta dans le Daily Telegraph du 18 novembre 1875 sa visite dans l'Ouganda, et pressa les chrétiens anglais d'y envoyer des missionnaires. En 1877 partirent les pionniers de la mission de l'Ouganda, envoyés par la Société des missions anglicanes. Parmi eux étaient les missionnaires Wilson et Alexandre Mackay. À peine furent-ils arrivés que le roi les fit chercher en secret pour s'informer s'ils avaient apporté « le livre ».

    Rendu très perplexe par la visite de missionnaires catholiques, Mtesa envoya, en 1880, une députation en Angleterre pour faire, sur l'état de ce pays, une enquête qui lui permit de s'orienter. Le résultat de l'enquête fut favorable à la mission, et le roi permit aux chefs et à leur entourage d'apprendre à lire. Les élèves furent très nombreux et reçurent chacun un Évangile. Les missionnaires n'avaient pas encore appris le Louganda, mais ils pouvaient utiliser les Écritures en Souhahili, cette langue étant comprise dans toute l'Afrique orientale.
    En 1883 eurent lieu les premiers baptêmes. La nouvelle église comptait soixante-trois membres, parmi lesquelles une fille du roi. Cette même année, le roi mourut, et son fils, Mouanga, lui succéda. Les missionnaires purent empêcher le massacre des chefs de l'ancien roi et des frères du nouveau roi, massacre qui accompagnait toujours un changement de règne. Mais si le sang ne coula pas à l'avènement du roi, il devait couler après.

    En 1885, l'évêque Hannington partait pour l'Ouganda, et, avant d'arriver, était assassiné par des émissaires du roi. D'après une vieille tradition, celui-là devait s'emparer de l'Ouganda qui y viendrait par l'orient, par Busoga, et c'est la route que Hannington avait suivie. L'oracle antique disait vrai : les missionnaires de Christ devaient s'emparer de l'Ouganda pour Christ. Un mahométan disait, il y a quelques années : « vous n'avons plus aucun avenir dans l'Ouganda. Dieu doit avoir décrété que l'Ouganda serait chrétien ».
    La persécution éclata. Plusieurs catéchumènes, plutôt que de renier leur foi, subirent une mort cruelle. D'autres se dispersèrent, et, comme les disciples lors de la première persécution, « allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle de la Parole », formant çà et là des groupes d'auditeurs et de chrétiens.
    Les loisirs que la persécution donnait aux missionnaires furent employés à imprimer l'Évangile selon saint Matthieu en Louganda. En 1887, on baptisa un jeune aveugle qui avait appris par coeur les douze premiers chapitres de cet Évangile.

    La persécution, qui s'était calmée, reprit en 1887 sur le refus d'un page du roi, le jeune Apolo Kagoua, de se prêter à un acte honteux. Après des troubles intérieurs dans le détail desquels nous n'entrons pas, et pendant lesquels les missionnaires furent expulsés, Apolo Kagoua, le page héroïque qui avait su dire : Non, devint premier ministre (il l'est encore), et les missionnaires reçurent un terrain où ils purent s'établir.
    Une nouvelle période de troubles, au cours de laquelle, en 1894, fut proclamé le protectorat britannique, prit fin en 1897, par la fuite de Mouanga et par la proclamation de son jeune fils Daudi Choua, sous un conseil de régence composé de deux chrétiens protestants et d'un chrétien catholique. Depuis lors, le pays a joui de la paix, et la prospérité s'est accrue.

    En 1890, le missionnaire Mackay mourut, et le missionnaire Pilkington, un homme de grands talents, devint le principal traducteur des Écritures. L'Évangile de Matthieu fut réimprimé par la Société biblique britannique en 1888, mais les cent premiers exemplaires n'arrivèrent qu'en 1891. Pendant ce temps, on en était réduit aux exemplaires de la première édition, imprimés sur place, et à quelques feuillets portant des fragments des Écritures, qui s'achetaient à des prix fabuleux, comme du pain en temps de famine. Un seul de ces feuillets servait à tout un groupe de personnes pour apprendre à lire. D'ailleurs, on utilisait toujours les Écritures en Souahili.
    Pour en finir avec ce qui concerne la traduction et l'impression des Livres saints en Louganda, disons tout de suite que six ans après son arrivée, Pilkington avait achevé la traduction de la Bible, dont les exemplaires imprimés arrivèrent en 1897. Depuis lors, la Société a imprimé en Louganda un Nouveau Testament à parallèles, puis une Bible à parallèles.
    Les six premiers pasteurs indigènes furent consacrés en 1893. Deux d'entre eux étaient des chefs importants. Aujourd'hui, l'Église de l'Ouganda compte trente-sept pasteurs indigènes et deux mille évangélistes, dont plusieurs femmes.

    En 1893 éclata un réveil religieux à la suite duquel le nombre des Églises s'éleva de 20 à 200, puis à 700 (en 1902) et le nombre des évangélistes indigènes de 66 à 294. Une quantité d'églises ou de salles furent construites, entièrement aux frais des indigènes, sur toute la surface du pays, pour annoncer l'Évangile à ceux qui se pressaient pour l'entendre. Un des fruits de ce réveil fut une activité missionnaire intense dans les pays adjacents, par exemple dans les pays de Toro et d'Ounyoro, dont les rois mêmes ont été gagnés à l'Évangile. Le roi de Toro, en visite à Bounyoro, où il devait rencontrer le Résident britannique, assista à une grande réunion de prière et y prit part lui-même. À cette réunion, un chrétien indigène se leva et dit : « Autrefois nous venions à vous avec l'épée et le bouclier, aujourd'hui nous venons à vous avec le Livre de Dieu qui nous a rendus heureux. Lisez-le, et vous aussi vous serez heureux ». À Nyoro, lors d'une visite d'un pasteur ganda, un feu de joie fut allumé dans la cour du palais royal et brûla une demi-journée. Le ministre d'abord, puis les gens du peuple, y jetèrent leurs amulettes. Le roi contempla le feu un moment, puis fit à son tour chercher ses propres amulettes, et les jeta dans les flammes. En 1903, ce roi et son premier ministre ont été baptisés.
    En 1894, plusieurs chefs vinrent demander au missionnaire Tucker ce qu'il pensait de l'esclavage. Le missionnaire leur montra comme quoi il était contraire à la Bible de faire commerce d'hommes et de femmes. Quelques jours après, il recevait une lettre signée par quarante chefs qui lui faisaient part de leur décision d'abolir l'esclavage, et l'esclavage fut en effet aboli. L'évêque Tucker n'hésite pas à affirmer que ceci eût été impossible si ces hommes n'avaient pas déjà eu les Écritures entre les mains et n'avaient pas été familiers avec leur contenu.
    La vente des spiritueux a été soumise à des règles restrictives. On le voit, ce que l'Ouganda doit à la Bible échappe à toute statistique.

    En 1895, à un service du dimanche matin, le missionnaire Pilkington demanda aux chrétiens présents de raconter, pour l'encouragement des autres, comment ils étaient arrivés à la -foi. Tous se levèrent l'un après l'autre, déclarant que c'était la lecture de la Parole de Dieu qui les avait éclairés sur le chemin du salut, et chacun citait, en indiquant le chapitre et le verset, les passages qui lui avaient été en bénédiction.
    Beaucoup de traits touchants montrent l'amour, il vaut mieux dire la passion des Baganda pour la Bible.
    En 1890, sept caisses de Nouveaux Testaments en Souahili arrivèrent de la côte à Mengo, la capitale. Les livres furent exposés pour la vente. Il y eut aussitôt, pour les acheter, un tel concours d'indigènes que la maison où se faisait la vente fut à moitié détruite C'est depuis lors, sans doute pour éviter le retour d'un même inconvénient, que la vente des livres saints se fait toujours devant la porte du dépôt biblique.
    Voici ce qu'un missionnaire écrivait après la réception des Évangiles selon saint Matthieu, en 1891:

    « Les gens se groupaient autour de nous en foule, jour et nuit, aussi longtemps que nous eûmes des volumes, et quand la provision fut épuisée, ils ne voulaient pas croire qu'il n'y en avait plus… En ce moment, je crois qu'il serait plus important de nous envoyer de nouveaux exemplaires des Évangiles que de nous envoyer de nouveaux missionnaires ».
    Cette même année, une femme cultiva tout un mois une pièce de terre pour gagner de quoi acheter un Nouveau Testament en Souahili.
    En 1893, les ventes furent si formidables qu'il fallut six semaines à un homme pour compter les coquilles (*), produit de la vente, et les répartir en séries de 5.000.

    (*) La monnaie du pays. Mille de ces coquilles font une roupie. Pour soixante coquilles, on achète un Évangile, pour cinq cents, un Nouveau Testament.

    En 1903, un missionnaire écrivait : « On vient en foule acheter des exemplaires des Écritures. Ce n'est pas un entraînement soudain, qui passe ensuite. C'est un fleuve qui coule jour après jour… En sept semaines, nous avons vendu plus de 660 volumes par jour, et nous avons encaissé 500.000 coquilles (environ 2.800 francs). Il y a des indigènes dont les supplications vous font presque de la peine. Un homme me disait : « Je vous apporterai une vache et son veau pour acheter des livres ».
    Actuellement, dans l'Ouganda, la Bible et la diffusion de la Bible se sont fait dans le coeur et dans l'activité des chrétiens une place si grande, que, en dehors des deux dépôts bibliques, l'un à Mengo, l'autre à Entebbe, l'oeuvre biblique n'est pas confiée à des agents spéciaux. Tous ceux qui travaillent à l'oeuvre de Dieu, soit les Européens, soit les indigènes, sont instruits à considérer la diffusion de la Bible comme partie intégrante de leur activité. Aussi cette diffusion ne coûte-t-elle presque rien.
    On vend dans l'Ouganda pour 25.000 francs de livres religieux par an.
    Chaque semaine, il y a chez le Katikiro (régent et premier ministre) une réunion d'étude biblique présidée par un missionnaire. Elle est fréquentée par une trentaine des principaux chefs de l'Ouganda.

    L'oeuvre biblique a eu dans ce pays un résultat qui n'est pas banal. Après les ventes extraordinaires de 1893, l'évêque catholique de l'Ouganda, voyant que la Bible pénétrait chez ses fidèles et, qu'un grand nombre la lisaient, pensa que puisqu'il ne pouvait pas les empêcher de la lire, il valait mieux leur donner une édition catholique du Nouveau Testament, pourvue de notes, et c'est ce qu'il fit. Bientôt les catholiques de l'Ouganda eurent leur version du Nouveau Testament, et un peu plus tard les Évangiles catholiques, séparés furent abondamment répandus.

    25.10 - La Bible au Lessouto

    Les missionnaires français arrivèrent au Lessouto en 1833. Le sessouto n'avait jamais été qu'une langue orale. MM. Eugène Casalis et Émile Roland durent en faire, en vue de la traduction de la Bible, une langue écrite. En 1839, ils faisaient imprimer au Cap, à mille exemplaires, les Évangiles selon saint Marc et selon saint Luc, dont ils venaient d'achever la traduction, ainsi qu'une centaine de chapitres de l'Ancien Testament traduits par M. Arbousset, et réunis sous le titre de Seyo sa Lipelu (nourriture du coeur).
    Les missionnaires présentèrent ces volumes au roi Moshesh. En les recevant, celui-ci s'écria avec émotion et bonheur : « Voilà la langue de nos pères ; elle est désormais indestructible ! »
    En 1844, les missionnaires établirent une imprimerie à Béerséba et commencèrent l'impression du Nouveau Testament. En 1848 fut achevée, après beaucoup de difficultés, d'arrêts, d'accidents, l'impression et la reliure de 1.000 exemplaires des quatre Évangiles et des Actes des apôtres. Là-dessus l'imprimeur quitta la mission et ne put être remplacé qu'au bout de quatre ans. Ce n'est qu'en décembre 1855 que fut achevée l'impression du Nouveau Testament, traduit par MM. Casalis et Roland (*). Cette première édition fut de 6.000 exemplaires in-8.

    (* ) Matthieu, Marc, les épîtres de Paul et les Hébreux, furent traduits par M. Casalis ; Luc, Jean, les Actes, les épîtres de Jacques, de Pierre, de Jean, de Jude et l'Apocalypse, furent traduits par M. Roland.

    « En feuilletant ces volumes, dit le missionnaire Duby, on ne peut se défendre d'une certaine émotion en songeant à la somme d'efforts et de persévérance qu'ils coûtèrent à nos devanciers et à la joie des Bassoutos de posséder enfin dans leur langue le Nouveau Testament complet qu'on leur promettait depuis de longues années ».
    Ce travail était à peine achevé quand éclata la guerre entre Bassoutos et Boers. La station de Beerseba, attaquée et saccagée par un détachement boer, dut être abandonnée hâtivement par les missionnaires. Les caractères d'imprimerie furent versés pêle-mêle dans un morceau de calicot et transportés à Smithfield, où M. Rolland était interné, puis à Béthesda.
    En 1861 arrivait M. D. F. Ellenberger, qui avait en typographie des connaissances techniques. Il réorganisa l'imprimerie. Il fallut d'abord trier les caractères, tâche ingrate entre toutes, et remettre en état tout le matériel, qui avait énormément souffert de son brusque déménagement. Cette même année, M. Mabille put commencer l'impression de quelques livres de l'Ancien Testament au moyen d'une presse donnée par un ami. En 1863, M. Ellenberger entreprenait la composition de la Genèse.
    En 1865, le travail était peu avancé, lorsque la guerre éclata à nouveau entre Bassoutos et Boers. Les missionnaires furent expulsés. Ils chargèrent sur un wagon la presse et le matériel d'imprimerie, et partirent. Le wagon était conduit par des indigènes. Ils avaient fait peu de chemin, lorsque le wagon versa, et les caisses qui contenaient les caractères furent éventrées. Effrayés par le commando boer qui passait à quelque distance, les conducteurs indigènes s'enfuirent, emmenant les boeufs, et le matériel d'imprimerie resta en détresse. Arrivèrent les soldats bassoutos. Jugeant l'occasion bonne de refaire leur provision de plomb, ils emportèrent bon nombre de paquets de caractères. Heureusement, M. Ellenberger put obtenir tôt après qu'une partie au moins de ce butin lui fût restitué. Mais quelle émotion !

    Expulsé, M. Ellenberger fonda la station de Massitissi, mais, ébranlé dans sa santé, manquant d'ouvriers, il se trouva hors d'état de rien imprimer.
    L'impression put recommencer en 1872. À partir de ce moment, les livres de l'Ancien Testament furent imprimés successivement et publiés séparément (*). En 1874, l'imprimerie fut transférée à Morija. En 1879, les Bassoutos possédaient la Bible complète dans leur langue.

    (*) La Genèse et l'Exode furent traduites par M. Roland ; le Lévitique et les Nombres, par M. EIIenberger ; le Deutéronome par M. J. Martin ; Josué et les Juges, par MM. Dyke et Mabille ; Ruth, Samuel, les Rois, les Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther, Ézéchiel, par M. Mabille ; Job, les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, Ésaïe et Daniel, par M. Samuel Rolland ; Jérémie et les Lamentations, par M. Cochet ; les douze petits Prophètes, par M. Duvoisin.

    Au fur et à mesure qu'ils paraissaient, les livres de l'Ancien Testament firent une grande impression sur de nombreux lecteurs et auditeurs. On les lisait partout, dans les maisons, dans les champs, dans des réunions et à l'église. Les gens étaient dans l'admiration en présence des choses merveilleuses qu'ils leur révélaient. Ils prenaient plaisir à entendre l'histoire du Déluge, d'Abraham, de Moïse, de Josué, de Gédéon, de Samson, de David, de Jérémie, de Daniel, etc. On était heureux de les voir lire avec une telle ardeur, et de les voir s'entretenir de ce qui les frappait les uns et les autres dans l'histoire du peuple d'Israël ; beaucoup même venaient fréquemment demander à leurs missionnaires des explications sur tel fait ou sur tel personnage.
    Aussitôt parus, les livres de l'Ancien Testament furent révisés. souvent au prix d'un grand labeur. M. Rolland était tellement désireux de terminer une nouvelle traduction des Psaumes, qu'il portait jusqu'à trois paires de lunettes pour pouvoir l'achever, car une cataracte affaiblissait considérablement sa vue…
    En 1880, sur la demande de M. Mabille, présentée au nom de la Conférence du Lessouto, la Société biblique britannique et étrangère entreprit la réimpression de la Bible en sessouto. Cette réimpression fut achevée au bout de deux ans. L'édition fut de 10.000 exemplaires et coûta environ 100.000 francs. Le 7 janvier 1882, le premier exemplaire de la Bible en sessouto était présenté dans une grande réunion de missions, à Paris.

    Quelques mois après le retour de M. Mabille au Lessouto en 1882, le premier envoi de Bibles étant arrivé, on fit, le 3 septembre de la même année, une fête spéciale sur toutes les stations pour souhaiter au saint volume la bienvenue. Ce fut une joie générale parmi les chrétiens, qui étaient vraiment fiers et reconnaissants de ce qu'eux, Bassoutos, avaient maintenant, comme les grandes nations, le privilège de posséder la Bible entière en leur propre langue. En ce jour-là les missionnaires, les évangélistes et les églises reçurent un exemplaire de la Bible. La joie était telle que, dans la réunion présidée à Morija par M. Dyke père, le vieux Siméone Fekon s'écria qu'il était un de ceux qui, en 1839, avaient apporté au Lessouto les premiers Évangiles imprimés au Cap, que lui et sa femme devaient tout à la Parole de Dieu, et qu'en un jour comme celui-là ils ne pouvaient pas ne pas donner une preuve tangible de leur reconnaissance. Sur ce, le vieux Mossouto et sa femme vinrent déposer sur la table de communion chacun une pièce d'or de 10 schellings, soit de 12f 50. D'autres firent plusieurs journées de voyage pour venir acheter le Buka en Molimo (le Livre de Dieu).

    Lorsque l'édition de 1882 eut été épuisée, la Bible fut révisée de nouveau, et réimprimée en 1898, avec la nouvelle orthographe sessouto, aux frais de la Société britannique, sous la direction du missionnaire E. Jaccottet.

    Enfin, une nouvelle édition, avec de nouvelles corrections, fut imprimée, toujours par la Société britannique, en 1903. La Bible sessouto coûte 4f 75.
    La même Société a publié, en outre, deux éditions du Nouveau Testament sessouto, dont l'une, in-8, à 1f 85, et l'autre, in-32, édition de poche et à parallèles, à 60 centimes.
    En 1908, la Société avait envoyé au Lessouto plus de 36.000 Bibles et plus de 126.000 Nouveaux Testaments, ne rentrant qu'en une faible mesure dans ses débours par la vente des volumes.
    Le 21 octobre 1908, à l'une des principales réunions qui se tinrent au cours des fêtes célébrées à l'occasion du 75° anniversaire de la fondation de la mission au Lessouto, le Révérend G. Lowe, agent de la Société biblique britannique et étrangère, était invité à prendre la parole devant 6.000 personnes, à Morija. Il parla des efforts de la Société pour publier les Écritures en sessouto.
    Le missionnaire F. Christeller répondit à M. Lowe :

    Rien de ce qu'ont accompli les premiers missionnaires du Lessouto ne doit plus exciter notre reconnaissance que leur traduction des livres saints en sessouto. M. Lowe, mon frère, votre Société nous a aidés dans une mesure qu'il nous est impossible d'évaluer. Les fruits que nous avons moissonnés, nous les devons au Livre que votre Société a imprimé pour nous et qu'elle nous a permis de vendre à un prix si bas, que le pauvre a pu l'acheter comme le riche. Allez n'importe où dans le pays, dans les plaines ou dans les montagnes, vous verrez que dans chaque village les gens ont la Bible chez eux et la considèrent comme un trésor.
    Si quelqu'un ici a droit à la première place, c'est vous !
    Nous vous prions de transmettre nos remerciements, ceux de l'Église du Lessouto, ceux de tout le peuple Bassouto, à votre Société, qui nous a mis en possession d'un tel trésor.
    Que Dieu la bénisse, votre Société, et lui accorde le succès dans ses efforts immenses pour donner à toute nation le livre de Dieu dans sa propre langue.

    Les applaudissements chaleureux de l'immense auditoire montrèrent que la reconnaissance exprimée par le missionnaire était aussi celle des indigènes.

    À l'installation d'un chef, il y a quelques années, les principaux de la tribu l'ont exhorté « à observer les lois du Grand Livre que l'homme blanc nous a apporté ».
    Terminons par un détail de statistique qui est singulièrement propre à montrer ce qu'un peuple, à tous les points de vue, doit à la Bible. En 1908, le chiffre de vente de l'imprimerie de Morija s'élevait à la somme de 69.200 francs. Ainsi, il se vend chaque année au Lessouto pour 70.000 francs de livres en sessouto (*).

    (*) Parmi les livres qui sortent de l'imprimerie de Morija, citons les Morceaux choisis de l'Ancien Testament, de Kurtz, traduits par M. Coillard (trois éditions), les Morceaux choisis du Nouveau Testament, de M. Bonnefon, traduits par M. Mabille, une Introduction générale et spéciale aux livres de la Bible, de M. A. Casalis, un Dictionnaire de la Bible, des catéchismes, des géographies, des arithmétiques, etc., etc. Le chiffre de 69.200 francs, qui est celui de 1908, comparé au chiffre de 1899, qui est de 33.637 francs, montre le progrès marqué de la vente. Le chiffre de 1908 est donc certainement aujourd'hui dépassé.
    Pour être exact, nous devons ajouter que, parmi les volumes vendus à l'imprimerie de Morija, il en est qui s'écoulent dans les pays voisins du Lessouto, ce qui d'ailleurs rend hommage à leur excellence.

    Et ce chiffre augmente d'année en année. Quelle vie intellectuelle ce fait suppose au sein d'un peuple d'environ 450.000 âmes ! Et ce peuple, il y a soixante-deux ans, n'avait pas d'alphabet, ne pouvait ni lire ni écrire ! À quoi ce peuple doit-il cet immense développement intellectuel ? À la Bible. Ce sont les traducteurs de la Bible qui lui ont donné, pour pouvoir lui donner la Bible, une langue écrite.

    Lettre d'un Mossouto (1878)
    Mon missionnaire. Ce que j'ai à t'adresser par lettre, ce sont des remerciements. Oui, je te remercie pour les livres de la Bible que tu nous imprimes ; je t'en suis reconnaissant. Et vous, imprimeurs de Morija, je vous salue et je vous remercie !
    Il en est de ces petits livres de la Bible qu'on imprime ainsi pour nous, comme d'un ban levé par le Seigneur sur de nouveaux pâturages. Là où nous avions l'habitude de paître (comme des brebis et des agneaux) il y a encore de la pâture en abondance, car qui peut dire qu'il n'a plus à lire son Nouveau Testament, sous prétexte qu'il sait déjà ce qu'il contient ? Néanmoins, les feuilles de maïs récoltées sont bonnes, et l'herbe des nouveaux pâturages est délicieuse. La nouvelle nourriture n'est rien moins qu'excellente. C'est ce qui me porte à dire : le livre des Prophètes, ainsi que celui de Job, de l'Exode, et tous les autres, sont des livres qui nous parlent des merveilles de Dieu.

    Maintenant, cher imprimeur, j'en viens à une autre chose. Il vient de paraître, enfin, le livre que depuis longtemps j'attendais, celui que je désirais grandement lire dans notre langue, en sessouto. Je me demandais : mais quand donc apparaîtra-t-il ? Pourquoi d'autres le devancent-ils ? Et cependant y a-t-il un livre plus attrayant, plus instructif, et plus d'accord avec l'Évangile, que celui dont je parle ? Le titre de Proverbes qu'on lui a donné dépasse mon savoir, je ne le comprends pas, mais son contenu me surprend par sa beauté.

    On dit que ce livre a été écrit dans l'ancien temps par le roi Salomon, au pays d'Israël, fort loin de notre Lessouto. Et cependant on y trouve une foule de paroles qui décrivent ce que nous sommes, nous Bassoutos, qui montrent nos coutumes, qui font allusion à tout ce qui nous concerne, et qui nous conseillent comme il convient. Oh ! livre admirable de Dieu, qui ne vieillit point, qui s'adapte aux hommes de toute nation, Bassoutos, Français, Anglais, et autres ! Cette sagesse extraordinaire du roi Salomon, d'où lui venait-elle, si ce n'est de Dieu seul ?
    Permets-moi, mon missionnaire, de te parler encore d'une autre chose. Mais vraiment, je crains de prolonger. Je veux dire que ce qui est remarquable dans les sentences du livre, c'est qu'elles sont courtes. Elles se suivent comme les boeufs d'un troupeau qui rentrent à la file les uns des autres ; ils diffèrent de pelage et de forme, il n'y en a pas deux qui se ressemblent. Ainsi m'apparaissent les Proverbes, ils se succèdent les uns aux autres, et chacun diffère des autres dans sa teneur ; les paroles d'un verset diffèrent entièrement de celles de l'autre.
    Puis chaque verset de ce livre est pareil au pis d'une vache, qui donne tant de lait que la main se lasse de traire et n'achève pas de le tirer. J'ai cherché à comprendre chaque verset. Ainsi, j'en lis un, et cherche à m'en rendre compte. J'y réfléchis beaucoup, et néanmoins je ne puis arriver d'une manière satisfaisante à comprendre tout ce qu'il contient. Lorsque je réfléchis au sens, je suis réjoui, étonné même de découvrir combien ce peu de paroles contient de choses profondes, pleines d'une grande sagesse, capables d'instruire un sot comme moi.

    J'en suis émerveillé, mes amis, aussi je m'empresse de dire : Lisez ce livre admirable des Proverbes, couvez-le ; c'est un grand trésor, un ensemble de choses qu'on n'oublie pas, qu'on garde même facilement ; car il suffit de lire une ou deux fois ces courtes sentences pour les savoir de manière à ne pas les oublier. Ne vous en privez pas. Que ce livre soit lu dans les maisons ; qu'il soit lu aussi par les enfants à l'école !
    Mon missionnaire, reçois mes remerciements. J'apprécie grandement ce livre des Proverbes. Je termine en te saluant ainsi que les tiens et les jeunes imprimeurs.

    25.11 - Versions Chinoises

    Quelques renseignements sur les traductions de la Bible faites pour un peuple de quatre cents millions d'âmes, qui représente un quart de la race humaine, sont bien à leur place dans un livre comme celui-ci.
    Pour donner une idée de l'effort accompli, nous parlerons tout d'abord des langues chinoises. On verra que le travail biblique, en Chine, a dû se poursuivre dans des conditions uniques. Ici, la digue qui semblait devoir arrêter le fleuve était plus haute qu'ailleurs. Comme le démon de l'Évangile, l'obstacle à surmonter aurait pu dire : « Je m'appelle légion ».

    25.11.1 - Coup d'oeil sur la langue

    Il y a en Chine une langue spécialement littéraire, le wenli (ce mot signifie littéraire, classique). Ce n'est pas une langue parlée ; c'est une langue écrite, susceptible de prononciations fort différentes. Deux Chinois, l'un de Canton, l'autre de Ning-po, lisant à haute voix la même page en wenli ne se comprendront pas l'un l'autre, parce qu'ils la liront, l'un dans la langue de Canton, l'autre dans la langue de Ning-po. C'est un peu comme nos chiffres arabes, qui, pour les yeux, sont les mêmes dans toutes les langues européennes, mais qui pour l'oreille s'expriment de manières très différentes et qui parfois n'ont aucun rapport entre elles. Quinze, fünfzehn, fifteen, pymp theg, quindichi, décapenté, piatnadziat, voilà comment on dit 15 en français, en allemand, en anglais, en gallois, en italien, en grec, en russe. C'est la même chose, et ce n'est pas la même chose.

    On pourrait encore comparer le wenli à une sténographie très abrégée, qui ne représente pas la langue parlée et n'est un langage que pour les yeux. Supposons les oeuvres et la littérature françaises reproduites par un tel système de sténographie : ce serait l'équivalent du wenli.
    Le wenli s'écrit au moyen, non de lettres, mais d'idéogrammes. On y représente par un signe différent chaque objet, chaque idée. C'est ainsi qu'on a commencé à écrire partout. Les Chinois ont conservé le mode primitif. Si on écrivait le français de cette manière, comme la langue compte environ 60.000 mots, l'alphabet se composerait de 60.000 signes. Le dictionnaire impérial de Kang-Hsi compte 43.496 caractères, dont 11.000 n'ont plus d'emploi. Le nombre des caractères en usage ne doit pas dépasser de 11.000 à 12.000. Avec 2.000 à 3.000 on se tire d'affaire fort honnêtement. Ceux qui en connaissent 4.600 (c'est le nombre de ceux qu'on trouve dans les classiques) passent déjà pour savants, et nul, probablement, n'en connaît plus de 6.000 à 8.000. Dans la Bible en wenli, il y a 5.150 caractères différents.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Swsw

    Jean 3, 16, en wenli.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 94tc

    Jean 3, 16, en wenli simplifié.

    Le wenli est extrêmement concis, ce qui se comprend facilement d'une langue qui n'est qu'écrite. C'est une langue à la Tacite.
    Cette langue littéraire a trois formes : le wenli proprement dit, le wenli ancien, ou ku-wen, et le wenli simplifié, ou siao-wen. C'est le wenli simplifié qui est la langue officielle, la langue de tous les décrets du gouvernement, la langue des affiches.
    Le mandarin est, à la différence du wenli, une langue parlée, à prononciation uniforme. C'est la langue de la cour, comme l'indique son nom : Kuan-Ha. Le terme mandarin est un terme portugais. Cette langue est parlée dans toute la partie de la Chine qui se trouve au nord du Yang-tsé, c'est-à-dire par 300 millions de personnes. C'est de beaucoup la langue la plus parlée ici-bas. L'anglais n'est parlé que par 115 millions de personnes. Le mandarin est au wenli à peu près ce que le grec moderne est au grec classique. Le mandarin, s'écrit, comme le wenli, par idéogrammes, et les mêmes caractères sont employés dans le wenli et dans le mandarin. Le mandarin est beaucoup moins concis que le wenli. Tandis que le Nouveau Testament wenli contient 146.708 signes ou idéogrammes, le Nouveau Testament mandarin en contient 222.231 (*).

    (*) Il ne s'agit pas ici, bien entendu, de signes différents, mais du nombre total des signes employés, la plupart très souvent répétés.

    En dehors du wenli et du mandarin, répandus le premier dans la totalité, le second dans les trois quarts de l'empire chinois, il y a neuf langues provinciales qui ne sont pas des dialectes, mais des langues tout à fait distinctes, et dont quelques-unes sont parlées par des millions d'hommes. La langue de Canton est parlée par 15 à 20 millions, la langue de Changhaï par 18 millions, la langue de Hakka par 15 millions, d'autres par 10, 6, 5 millions, ou moins. En dehors de ces neuf langues on compte un grand nombre de dialectes.
    Voici, sur les difficultés du chinois, l'opinion d'un des premiers traducteurs, Milne : « Pour apprendre le chinois, disait-il, il faut des hommes qui possèdent un corps d'airain, des poumons d'acier, une tête en chêne, des mains comme un ressort de métal, des yeux d'aigle, un coeur d'apôtre, une mémoire d'ange, et la vie de Mathusalem ».

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 166s

    Fac-similé réduit d'une page du Nouveau Testament en wenli

    À quelqu'un qui parlait de s'initier au chinois, un missionnaire en Chine disait, en indiquant quelques documents : « Je dois vous prévenir que, si vous commencez cette étude, vous vous embarquez sur un océan sans bord ».
    Une difficulté qui n'a pas encore été entièrement surmontée est venue s'ajouter à toutes celles qui sont inhérentes à l'étude même de la langue, la difficulté de trouver un terme chinois qui rende convenablement le nom de Dieu. C'est là un cas extraordinaire, unique, dans l'histoire des traductions de la Bible, et qui dépasse la compréhension de ceux qui ne sont pas initiés.
    Cette difficulté n'est pas nouvelle. La controverse à laquelle elle a donné lieu dure depuis plus de deux cents ans. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, plusieurs papes intervinrent par des décrets contradictoires. Les missionnaires protestants, à partir de 1850, ne se trouvèrent pas moins divisés sur cette question que les missionnaires catholiques. Voici un trait qui montre combien la controverse a été ardente et compliquée. En février 1901, un missionnaire bien connu commença, sur cette question, dans le Chinese Recorder, une série d'articles mensuels qui se succédèrent jusqu'au mois d'août 1902. Il avait, pendant vingt ans, réuni et catalogué plus de 13.000 passages de la littérature chinoise pour établir son opinion. Et quand il termina ses articles, il estimait n'avoir pas épuisé le sujet ! Cette difficulté n'est pas spéciale au wenli et au mandarin. Elle se reproduit dans toutes les langues provinciales.

    En fait, le chinois n'a pas de mot pour désigner la divinité, pas de mot qui réponde à l'Elohim hébreu. Le mot propre manquant, trois termes se sont présentés :

    Schang-Ti (maître suprême), Shen (esprit), et Tien-Tchéou (Seigneur du ciel). La majorité des missionnaires anglais ont été pour le premier de ces termes, et la majorité des missionnaires américains, pour le second. Le troisième, depuis le décret papal de 1704, a été adopté par les catholiques. La raison pour laquelle la controverse sur ce sujet a été si passionnée, c'est que Shang-Ti est le nom donné à certains dieux chinois et aux empereurs déifiés. Les adversaires de ce terme ne voulaient pas donner au vrai Dieu le nom d'une idole, afin de ne pas risquer de l'abaisser au niveau des images de bois qu'on trouve dans les temples païens des villes chinoises. Les partisans de Shang-Ti répondaient que ce terme appartenait à l'époque primitive, monothéiste, antérieure au bouddhisme et au taoïsme, qu'il désignait le maître suprême du ciel et de la terre, un dieu dont les attributs rappelaient ceux du Jéhovah de l'Ancien Testament, et qu'on pouvait l'adopter comme les apôtres avaient adopté le mot Théos, qui était loin de désigner le vrai Dieu des chrétiens.
    L'entente ne pouvant se faire, ni parmi les traducteurs, ni parmi les missionnaires, il fallut imprimer des éditions diverses des mêmes traductions, afin que personne ne fût choqué en trouvant dans sa Bible le nom qu'il désapprouvait.
    Actuellement la controverse touche à sa fin. Les missionnaires se sont mis d'accord pour adopter, dans la version en mandarin, Shen, comme terme générique pour Dieu, et Shang-Ti pour désigner le vrai Dieu.

    25.11.2 - Les traductions

    Donner la Bible à un peuple où se parlent tant de langues, et de telles langues, quelle entreprise !
    Qui donna le branle, au siècle dernier (*1) ? Un obscur pasteur non conformiste de l'Angleterre, du nom de Moseley. Moseley écrivit, en 1798, un traité où il plaidait pour la fondation d'une Société qui s'occuperait de faire traduire la Bible dans la langue des nations les plus considérables de l'Orient. « Jusqu'à ce que les Écritures, disait-il, soient traduites en chinois et répandues parmi les Chinois, les 330 millions de Chinois demeureront assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et continueront à périr, faute de connaissance ». Aussitôt les objections surgirent. On en fit une qui, aujourd'hui, parait inouïe, surtout lorsqu'on songe qu'elle était formulée par des hommes comme Sir William Jones, savant orientaliste, et par M. Charles Grant, un des directeurs les plus en vue de la Compagnie des Indes orientales : le caractère du chinois, d'après ces personnages, ne permettait pas qu'on fit dans cette langue aucune traduction. Moseley ne se laissa pas intimider par les savants ; il persévéra dans son plaidoyer et dans ses recherches. Bientôt il découvrit au Musée britannique un manuscrit chinois totalement inconnu de tous, qui comprenait une harmonie des Évangiles, les Actes, et les épitres de Paul. C'était une réponse typique aux objections des savants ! Ce qui était impossible à traduire était déjà traduit ! La Société biblique britannique eut un moment l'idée d'imprimer ce manuscrit, mais, ne pouvant en contrôler la valeur, elle y renonça. Cependant, influencée par les appels de Moseley, la Société des missions de Londres nomma Morrison comme missionnaire pour la Chine, spécialement en vue de la traduction de la Bible. Morrison, avant de quitter l'Angleterre, étudia le chinois avec l'aide d'un Chinois. Il copia de sa main le manuscrit du Musée britannique qui, ainsi, rendit tout de même des services, quoique non imprimé, et emporta cette copie en Chine, où il arriva en septembre 1807. Il s'efforça de vivre au milieu des Chinois, adopta leur costume et porta même la queue. Néanmoins, il rencontra de grandes difficultés. Même après avoir été, au bout de deux ans, nommé traducteur de la Compagnie des Indes, il écrivait ceci : « Nous devons étudier en secret, nous avons souvent dû cacher nos livres et nos papiers. Nos aides, par peur, m'ont abandonné à réitérées fois. Les Chinois ne permettent pas qu'on apprenne leur langue. De là nos difficultés » (*2).

    (*1) Avant le siècle dernier, plusieurs efforts avaient déjà été faits pour traduire les Écritures en chinois. Il y eut probablement une mission nestorienne en Chine dès 505. Elle dut traduire les Écritures de bonne heure. En tout cas, les Écritures étaient traduites au siècle suivant, car, d'après une inscription retrouvée en 1625, « des missionnaires nestoriens arrivèrent de Perse à Changan avec « les véritables livres sacrés ». Les Écritures furent traduites pour la bibliothèque impériale, et des églises furent bâties. On pense qu'il s'agit au moins du Nouveau Testament tout entier. L'imprimerie, alors, n'était pas répandue dans toute la Chine, et il ne nous est rien parvenu de ces traductions. Mais il paraîtrait, par la relation de deux voyageurs arabes qui ont visité la Chine en 851 et en 878, que la connaissance des Écritures s'y perpétua longtemps. Le voyageur Plano Carpini, qui visita la Mongolie, envoyé par Innocent IV, écrivait en 1245 que les Chinois avaient, disait-on, l'Ancien et le Nouveau Testament.

    Au quatorzième siècle, quand les Mongols eurent conquis la Chine, un moine franciscain, Jean Monte de Corvini, traduisit en langue mongole le Nouveau Testament et les Psaumes. Il écrivait en janvier 1306: « Voilà douze ans que je n'ai eu des nouvelles de l'Occident. J'ai vieilli et suis tout grisonnant, mais c'est plutôt l'effet de mes labeurs et de mes tribulations que celui de l'âge, car je n'ai que cinquante-huit ans. Je me suis rendu maitre de la langue et de la littérature tartares. J'ai traduit en cette langue le Nouveau Testament tout entier et les psaumes de David, et j'ai fait copier ma traduction avec le plus grand soin ». On ne sait si cette traduction a jamais été imprimée ou publiée. Son histoire ressemble aux rivières de la Mongolie, qui se perdent dans le sable.
    Il y eut plusieurs traductions partielles faites par les missionnaires catholiques aux dix-septième et dix-huitième siècles.
    La première traduction protestante, chose curieuse, ne fut pas faite en Chine mais en Inde. Elle fut l'oeuvre de deux missionnaires baptistes de Sérampore, Marshman et Lassar. Ce dernier était Arménien, et il traduisait le Nouveau Testament d'après le texte arménien. Commencé en 1805, le travail fut achevé pour le Nouveau Testament en 1816. et pour l'Ancien en 1822. Cette traduction parait n'avoir qu'un intérêt historique. La traduction qui servit de base à toutes les autres fut celle de Morrison.

    (*2) Un Chinois qui aidait Morrison dans son travail de traduction portait toujours sur lui du poison, afin de mettre fin à ses jours, s'il venait à être découvert, et d'échapper ainsi aux tortures qui lui aurait été infligées pour le concours prêté par lui à l’étranger.

    Malgré les obstacles, Morrison publiait en 1810, trois ans après son arrivée, une traduction des Actes, et, en 1814, du Nouveau Testament. Pour la traduction de l'Ancien Testament, il fut aidé par un collègue du nom de Milne. Terminé en 1819, le manuscrit fut soumis à une révision et parut en 1823, imprimé à Malacca, où Milne résidait, à cause de l'hostilité des Chinois. L'Ancien Testament, à lui seul, formait vingt et un volumes in-12. La Société britannique contribua pour 250.000 francs à cette première publication de la Bible en chinois, faite en wenli. Cette oeuvre colossale, qui semblait à elle seule au-dessus des forces d'un homme, fut cependant accompagnée d'autres travaux gigantesques. Morrison publia une grammaire chinoise de 300 pages in-4, et en 1823, la même année que la traduction de l'Ancien Testament, il publia un dictionnaire chinois dont l'impression coûta 125.000 francs à la Compagnie des Indes. On peut dire avec le Dr Pierson : « En vérité, il y a eu des géants, même dans nos temps modernes, et ils ont fait face, intrépidement, à des ennemis plus formidables que les Anakim avec leurs chariots de fer ». Morrison, par ses travaux, a jeté les bases de toute l'oeuvre de mission et de civilisation qui depuis lui s'est poursuivie en Chine. C'est un Atlas qui porte un monde.
    Cette première traduction ne pouvait pas être définitive. Une révision du Nouveau Testament parut en 1837, puis une révision de la Bible entière par Gutzlaff, dont plus de dix éditions se succédèrent. Elle fut réimprimée en 1853 par les Taïpings. Sur la page de titre était imprimé le blason des armes impériales de cette dynastie (*).
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:58

    (*) Note sur la révolte des Taïpings :

    Qui n'a entendu parler de la révolte des Taïpings, vaincue par le général Gordon ? On se doute peu de son origine, et du rôle que la Bible y a joué.
    Jusqu'à ces dernières années, toutes les places des fonctionnaires, en Chine, étaient mises au concours. Les examens avaient lieu dans divers centres. À Canton, 30.000 étudiants subissaient les examens au même moment. 300 seulement étaient reçus. Celui qui sortait le premier était invité à dîner chez l'empereur, qui lui remettait lui-même son diplôme. Le succès assurait de hautes places et de beaux traitements. L'aristocratie de Chine n'est pas une aristocratie d'argent, mais de lettres.


    En 1850, un missionnaire baptiste américain, Assachar Roberts, offrit l'hospitalité, pendant les examens, à plusieurs de ces concurrents. Comme un grand nombre étaient déjà d'un certain âge, il y en avait de très pauvres, et l'offre de l'étranger fut accueillie avec joie. M. Roberts prévint ses hôtes que les chrétiens avaient l'habitude de lire leurs livres saints et de prier le vrai Dieu le matin et le soir. Il les invita à assister au culte, tout en les laissant parfaitement libres. Il savait toutefois que l'étiquette chinoise les amènerait à accepter son invitation. Un des étudiants, du nom de Hung, fut profondément impressionné par la lecture des Écritures. Il réussit à obtenir un diplôme. Avant de partir, il demanda à emporter un certain nombre de livres saints pour les distribuer à ses amis, afin d'arriver à une décision au sujet de leurs doctrines. Le résultat fut la conversion de Hung et de plusieurs lauréats du concours. Ces nouveaux convertis s'employèrent avec zèle à répandre la connaissance de la vérité, chacun dans son district, et le résultat fut que les temples se vidèrent. Les autorités prirent peur, craignant d'être en présence de quelque société secrète, et interdirent les réunions des chrétiens. Hung exposa la vérité, déclarant qu'ils étaient bons citoyens, qu'ils avaient simplement embrassé le christianisme. Les autorités refusèrent de le croire : il est certain que si une société secrète avait été fondée, elle n'aurait pas pu mieux s'y prendre pour se cacher que de se prétendre une société de chrétiens. Là-dessus le vice-roi de la province les menaça de s'emparer d'eux, s'ils ne renonçaient pas à leurs réunions, et envoya un régiment pour les faire prisonniers.


    Les nouveaux convertis et leurs amis — ils étaient plusieurs centaines — montèrent au sommet d'une colline qui avait la forme d'un cône. Les soldats entourèrent la colline et commencèrent à gravir ses pentes. Alors l'un des assiégés s'ouvrit les veines et écrivit avec son sang un exposé clair et complet de leurs intentions (les Chinois se servent pour écrire d'une brosse en poil de chameau). Ces hommes s'agenouillèrent, demandèrent à Dieu de les guider, puis par une impulsion soudaine, ils s'ébranlèrent pour descendre avec de grands cris les pentes de la colline. Effrayés, les soldats jetèrent leurs armes et s'enfuirent pour sauver leur vie. Les nouveaux convertis s'emparèrent de ces armes, et aussitôt prêtèrent serment de renverser le gouvernement, uniquement pour établir la liberté religieuse. Ils franchirent une distance égale à celle qui sépare Paris de Moscou, incorporant en route ceux qui sympathisaient à leur dessein et les soldats impériaux qu'ils rencontraient. Hung, le chef, établit des règles parmi lesquelles celles-ci : Pas de pillage. On pouvait seulement accepter des dons volontaires. Pas d'opium. Quiconque profanerait la sainteté du foyer serait fusillé sur le champ. Et pour éclairer ceux qui le suivaient, il publia une édition spéciale des Écritures, celle dont nous parlons plus haut. Le nom de Taïping signifie grande paix. C'est le nom qui eût été donné à la nouvelle dynastie si Hung avait réussi. En 1851, il commandait 300.000 hommes. Ville sur ville était emportée d'assaut. Mais le mouvement dégénéra. Le pouvoir grisa Hung. Il y avait en lui du fanatique et du visionnaire. Il y eut des excès. On a calculé que vingt millions d'hommes périrent sous les coups de son armée. En 1864, le général Gordon triompha de la rébellion des Taïpings.

    En 1843, après la signature du traité de Nanking, une conférence missionnaire confia la révision de la Bible à quelques délégués. Le Nouveau Testament parut en 1852 et l'Ancien en 1854. Cette Bible, traduction d'une beauté classique et savante, parut aux frais de la Société biblique britannique. La Société biblique américaine publia une autre version (Nouveau Testament 1859, Ancien Testament 1863). Les baptistes, de leur côté, en publièrent une autre (Nouveau Testament 1853, Ancien Testament 1868). Cette version, où le mot baptême est rendu par immersion, est toujours en usage.
    En 1864, une mission russe à Pékin publia le Nouveau Testament. Tout ceci en wenli.
    En wenli populaire, parurent les Psaumes en 1882, le Nouveau Testament en 1889, une autre version du Nouveau Testament en 1885, la même révisée en 1889 avec une partie de l'Ancien Testament (Société biblique écossaise).


    En mandarin, à la suite d'une entente, un triple Nouveau Testament parut en 1870, un avec le terme Tien-Tchéou (évêque Burdon), un second avec le terme Shang-Ti (Société biblique britannique), un troisième avec le terme Chen-Shen (Société biblique américaine). En 1872, après révision, ce triple Nouveau Testament fut réédité. En 1874, parut l'Ancien Testament traduit par Schereschewsky (Société biblique américaine, puis, 1878, Société biblique britannique), et en 1879 le Nouveau Testament par un comité dont Schereschewsky faisait partie (Société biblique britannique et, 1880, Société biblique écossaise). En 1885, ce même Nouveau Testament parut en chinois et en anglais (Société biblique écossaise). En 1889, une version individuelle du Nouveau Testament et d'une partie de l'Ancien par le Dr Griffith John, dont une nouvelle édition en 1893.


    En 1888 parut une édition du Nouveau Testament en caractères romains, sous les auspices de la mission de Hudson Taylor et en partie l'oeuvre de sa première femme. Depuis, d'autres portions ont paru en caractères romains, d'après des systèmes différents.

    Il était urgent de ramener à plus d'unité les efforts pour la traduction de la Bible en chinois. Une conférence missionnaire se réunit en 1890, à Changhaï. Elle comptait treize cents membres. On semblait bien loin de l'accord sur la question de traduction. Quand le Dr Wright, délégué de la Société britannique, fit connaître qu'il venait plaider pour l'unité de traduction, les uns lui dirent : « Vous êtes venu dix ans trop tôt », et les autres : « Vous êtes venu dix ans trop tard ». Néanmoins, et en grande partie grâce à l'intervention du Dr Wright, la Conférence, à l'unanimité moins une voix, décida la révision de la Bible chinoise en vue d'arriver à une seule version en wenli, une seule version en wenli populaire, une seule en mandarin. Dix-sept ans après, en 1907, la révision du Nouveau Testament était achevée et publiée en wenli, en wenli simplifié, en mandarin. Les frais de cette révision se sont élevés à 130.000 francs. On espère que, dans quelques années, la révision de l'Ancien Testament aura paru.


    Il a été décidé qu'on travaillerait à fondre ensemble les traductions en wenli et en wenli populaire, soit pour le Nouveau Testament déjà paru, soit pour l'Ancien, encore à paraitre.
    La Bible a été traduite, en tout ou en partie, en d'autres langues de la Chine

    En mandarin du Sud (Nouveau Testament, 1856) ; dans la langue de Canton, parlée par 15 à 20 millions d'âmes (Nouveau Testament, 1886, Ancien Testament, 1894) ; de Changhaï, parlée par environ 18 millions (Nouveau Testament 1870, Ancien Testament partiel, 1904) ; de Hakka, parlée par environ 15 millions (Nouveau Testament, 1883) ; de Fou-tchéou, parlée par environ 8 millions (Nouveau Testament, 1864, Ancien Testament, 1894) ; de Ning-po, parlée par 6 ou 7 millions (Nouveau Testament, 1861, Ancien Testament, 1901) ; de Swatow, parlée par environ 5 millions (Nouveau Testament, Ancien Testament partiel, par les presbytériens, en caractères romains, 1905; Ruth, 1875; Genèse, 1879; Nouveau Testament, 1896, par les baptistes, en caractères chinois) ; d'Amoï, parlée par environ 10 millions, notamment à Formose (Nouveau Testament, 1873, Ancien Testament, 1902) ; de Hing-hoa, parlée par environ 3 millions (Nouveau Testament, 1900, Ancien Testament presque entier, 1904) ; de Haï-nan (Nouveau Testament, 1891, Ancien Testament partiel, 1901) ; de Wen-tchéou, parlée par environ 1 million (Nouveau Testament, 1901) ; de TaïHo (Nouveau Testament, 1881). Des fragments ont paru dans les langues de Hang-kéou, Kien-ning, Tchan-tchoung, Hin-hoa, Tchang-yang, Tchaoun, Miao, Tching-tschia, cette dernière parlée par environ un million d'hommes.

    Notons encore les traductions dans les langues parlées par des peuples qui dépendent de la Chine :

    Pour la Mongolie (1.850.000 habitants) : en mongol littéraire (Ancien Testament 1840, Nouveau Testament 1843) ; en Kalmouk, ou mongolien de l'ouest (Matthieu, 1815, Évangiles et Actes, 1822, Nouveau Testament, 1895) ; en Kalkha ou mongolien de l'est (Matthieu) ; en Buriate (Nouveau Testament, 1827, publié en partie).
    Pour la Mandchourie (5.530.000 habitants) : en mandchou (Nouveau Testament, 1834).
    Pour le Thibet : en thibétain (Nouveau Testament, 1885, Ancien Testament partiel) ; en leh, parlé par 30.000 à 40.000 habitants (Marc 1 à 4, 1904) ; en ladaki (Marc).

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Bopn

    Jean 3, 16, en mongol littéraire.

    Il a donc paru en Chine et dans les pays qui dépendent de la Chine, en moins d'un siècle, 19 traductions de la Bible (dont 7 encore incomplètes en 1905, en ce qui concerne l'Ancien Testament), 16 du Nouveau Testament, 13 de fragments divers, soit 48 en tout, en 32 langues. Plusieurs de ces Bibles ou Nouveaux Testaments ont été révisés, une ou plusieurs fois. Nous n'avons noté que les premières éditions. Plusieurs sont pourvues de parallèles, de notes et de cartes.
    Trouve qui voudra cette énumération monotone. Monotonie sublime, comme celle des vagues de l'Océan, quand la marée monte. Chacune de ces traductions, en effet, est comme une vague qui se lève, et qui hâte pour sa part le jour où « la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l'Éternel comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent ».


    Nous relevons le nom de cent trente-huit missionnaires, dont onze dames ou demoiselles, qui se sont occupés de la traduction de la Bible dans les différentes langues de la Chine. Parmi eux, il y en a un qui mérite une mention spéciale, c'est l'évêque Schereschewsky. Cette notice se terminera, comme elle a commencé, par la biographie d'un géant.


    Né en 1831, en Lithuanie, de parents israélites, Schereschewsky fut élevé dans toute la sagesse des juifs, et prit ses grades à l'Université de Breslau. La lecture du Nouveau Testament traduit en hébreu le convainquit de la vérité de l'Évangile. Il se rendit aux États-Unis, y fut baptisé, y fit des études théologiques, et en 1859 il était missionnaire à Changhaï. En 1862, il s'établit à Pékin, et en 1877 fut nommé évêque à Changhaï. Supérieurement doué, connaissant l'hébreu mieux que toute autre langue, il fut promptement appelé à s'occuper de la traduction de la Bible. En collaboration avec quatre collègues, il traduisit le Nouveau Testament en mandarin. Ensuite, à partir de 1865, il traduisit seul l'Ancien Testament dans cette même langue. Cette traduction remarquable parut en 1875 et eut plusieurs éditions, dont la dernière, révisée, est de 1899. C'était déjà beaucoup. Il fit plus encore. Il traduisit la Bible entière en wenli populaire. Cette version parut, le Nouveau Testament en 1898, la Bible entière en 1902. Alors il revit ses deux traductions, les corrigeant, les améliorant. Ce n'était pas encore assez : il revit encore ses deux traductions d'un bout à l'autre pour en faire des Bibles à parallèles.


    Mais le plus extraordinaire, c'est qu'il accomplit ces travaux en état d'infirmité. En 1865, six ans après son arrivée en Chine, il fut frappé d'une paralysie qui alla s'aggravant jusqu'à ce qu'elle ne lui laissât plus que l'usage du doigt du milieu de chaque main. C'est avec ces deux doigts qu'il rédigea, au moyen d'une machine à écrire, ses deux traductions. Un secrétaire les recopiait en caractères chinois. Il faut noter qu'il accomplit presque tout ce labeur hors de Chine. Quelques années après être tombé malade, il retourna en Amérique et y vécut vingt ans, après quoi il se rendit au Japon, où il termina sa carrière. Il mourut en 1906, à Kyoto, après avoir passé les vingt-cinq dernières années de sa vie immobilisé dans un fauteuil.


    Le mal dont il fut frappé, tout en le mettant à une rude épreuve, servit les intérêts du règne de Dieu. Il put consacrer tout son temps à la traduction de la Bible, et exerça certainement, comme traducteur, une influence plus vaste et plus profonde que celle qu'il aurait eue comme évêque. Sa paralysie lui donna la Chine pour diocèse. Plus que beaucoup d'autres, il put dire : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort ».
    La Bible deux fois traduite, en deux formes différentes d'une même langue, ces deux Bibles pourvues de parallèles, la parole de Dieu ainsi donnée, avec le secours des renvois, à un quart de la race humaine (*), voilà le bilan de cette vie d'un infirme. Peu d'hommes, assurément, auront exercé sur l'humanité une action plus étendue et plus profonde que ce fils d'Israël, amené à Jésus Christ par la lecture d'un Nouveau Testament hébreu.

    (*) Le mandarin est parlé par 300 millions d'hommes (voir 6° paragraphe du point 25.11.1 du texte global = point 1.7.1. de la Partie 6 « Histoire de la Bible hors d’Europe ») Le wenli populaire est compris par la grande masse du peuple chinois, qu'on estime à 400 millions.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 Ncet

    Le colporteur chinois Ren, de la province de Shan-Si. Il doit son premier contact avec l'Évangile à la lecture de volumes achetés en 1882 à un colporteur biblique. Il a été amené à la foi en 1905 par la conversion et la guérison de ses trois fils, fumeurs d'opium endurcis. Il est colporteur biblique depuis 1906. Il est sourd-muet et réussit cependant à vendre beaucoup de volumes, surtout sur les marchés. Il montre un passage du doigt, et par des signes essaie d'en indiquer le sens. M. Ren est un lettré. Sur sa coiffure sont inscrits ces mots : « Venez à Jésus, vous tous qui êtes travaillés et chargés ».

    25.12 - La version Japonaise

    En novembre 1831, une jonque de cabotage, chargée de riz, quittait le port de Toba, au Japon, pour se rendre à Yeddo. Une tempête la démâta et la jeta errante en plein Pacifique. Elle était construite en sapin, très légèrement. C'est à dessein que le gouvernement japonais ne tolérait que des vaisseaux incapables de tenir la mer. Il voulait par là empêcher les Japonais de s'aventurer dans les pays étrangers. Si notre jonque ne sombra pas, ce fut comme par miracle. Pendant quatorze mois, elle flotta à la dérive, jouet des vents et des courants. L'équipage se nourrit du riz de la cargaison, et du poisson qu'on pêchait. Onze marins moururent du scorbut, et les trois survivants, « Heureux Rocher », âgé de vingt-huit ans, « Bonheur durable », âgé de quinze ans, et « Heureux Son », âgé de quatorze ans, étaient dans un véritable épuisement lorsque la jonque vint échouer près de l'embouchure du fleuve Colombia ,sur la côte de l'Orégon, aux États-Unis. Elle fut pillée par les Indiens, et les trois marins furent retenus prisonniers. Le représentant de la Compagnie de Hudson Bay les fit relâcher et rapatrier par les îles Sandwich, le cap Horn, et l'Angleterre. En décembre 1835, ils arrivaient à Macao, où ils furent confiés aux soins du célèbre missionnaire Gutzlaff.


    Celui-ci profita de la présence des trois naufragés japonais pour apprendre le japonais, et, si incroyable que cela paraisse, il l'apprit assez bien pour pouvoir traduire dans cette langue une partie du Nouveau Testament, l'Évangile et les épîtres de Jean, et les Actes des apôtres, qui furent imprimés aux frais de la Société britannique. Toutefois, on n'imprima rien de plus, car ce travail manquait de l'exactitude et de l'élégance nécessaires au succès d'une traduction des livres saints. Ce qui est étonnant d'ailleurs, ce n'est pas que, avec les moyens d'étude dont il disposait, Gutzlaff n'ait pas fait mieux, c'est qu'il ait fait aussi bien. Trente ans devaient s'écouler avant que le Nouveau Testament complet parût en japonais. Mais qui dira le bien que purent accomplir pendant ces trente ans les fragments imparfaitement traduits par Gutzlaff ? Comme Néhémie, ne pouvant faire mieux, il avait « bâti la muraille jusqu'à la moitié de sa hauteur » (Néhém. 4, 6).


    Et les naufragés japonais ? demandera-t-on. La fin de leur histoire est mélancolique, et montre combien, il y a trois quarts de siècle, le Japon était fermé à l'Évangile et à la civilisation. En 1837, Gutzlaff essaya de rendre les trois marins à leur patrie. Il les accompagna lui-même, à bord du Morrison. Quand ils arrivèrent dans la baie de Yeddo, ils furent accueillis par les canons des forts. Une lettre fut envoyée au gouverneur pour l'informer dans quel but on était venu. Pour toute réponse, on essuya le lendemain matin de nouveaux coups de canon. On essaya alors le port de Kagosima. Là, deux des marins débarquèrent. Les mandarins parurent touchés par leur histoire, et consultèrent le prince Satsuma. Une provision d'eau douce fut envoyée au Morrison. Mais, au bout de trois jours d'attente, la permission de rentrer dans leurs foyers fut refusée aux trois malheureux. Le Morrison reçut l'injonction de disparaître, et les forts commencèrent à tirer. Ainsi, après six ans d'absence, « Heureux Son », « Bonheur durable » et « Heureux Rocher », — ce dernier avait femme et enfants, — n'eurent d'autre ressource que de reprendre, avec leur protecteur, le chemin de Macao.


    La traduction actuelle du Nouveau Testament japonais, qui est l'oeuvre d'un comité de missionnaires et de chrétiens japonais, a paru en 1878, après six ans de travail. La traduction de l'Ancien Testament est l'oeuvre d'un autre comité qui l'a achevée en 1888, après dix ans de travail. Les Sociétés bibliques britannique, américaine et écossaise, ont collaboré à la publication de la Bible japonaise.

    25.13 - La Bible en Corée
    25.13.1 - Histoire

    La Corée (en coréen, Ko-ryu (*), c'est-à-dire : le pays des hautes montagnes et des ruisseaux qui gazouillent) est un pays de dix millions d'habitants. Tributaire de la Chine jusqu'en 1894, proclamée indépendante après la guerre du Japon et de la Chine, elle a été annexée au Japon après la guerre du Japon et de la Russie. C'est un pays rétrograde, au peuple paresseux et dégradé, à la politique corrompue. Ceci tient non à l'infériorité de la race, mais au manque de fermeté et de sagesse qui, pendant des siècles, a caractérisé le gouvernement coréen.

    (*) Les Coréens appellent leur pays d'un nom plus ancien : Cho-sen, qui signifie : Le pays du matin calme, de la fraîcheur matinale. Beau comme le matin, disent les indigènes.

    La Corée n'a pas toujours été un pays rétrograde. Dans l'emploi de l'imprimerie, elle a précédé l'Occident et surpassé la Chine, à laquelle elle avait emprunté cet art. Elle est le premier peuple qui ait fait usage de caractères en métal. En 1403, un tiers de siècle avant Gutenberg, un décret du roi T'si Tsang ordonnait la fonte de caractères en cuivre. En 1434, les Coréens inauguraient les caractères en plomb, alors qu'en Chine on ne connaissait encore que les planches en bois. L'alphabet coréen, inventé en 1450, est l'un des plus parfaits qui existent, sinon le plus parfait. Pourquoi ce peuple, sous l'influence de l'Évangile, ne retrouverait-il pas sa place d'autrefois dans la civilisation ?


    En 1871, le gouvernement coréen répondit aux ouvertures que lui faisait le gouvernement américain, en vue de la conclusion d'un traité, en bombardant la flotte de l'amiral Rodgers et en déclarant avec hauteur : « Notre civilisation de quatre mille ans nous suffit, nous n'en voulons point d'autre ». Onze ans après, les choses avaient changé. Un traité fut conclu avec l'Amérique en 1882, et un autre avec la Grande-Bretagne en 1884, et depuis lors les portes du « Royaume ermite » furent ouvertes au commerce européen et à la mission. En 1884, arrivèrent d'Amérique les premiers missionnaires.

    25.13.2 - La langue
    Avant d'aller plus loin, jetons un coup d'oeil sur la langue du pays, dans laquelle les missionnaires devaient traduire la Bible et prêcher l'Évangile.
    Le coréen est une langue polysyllabique, très riche en formes.


    Les noms se déclinent ; ils ont neuf cas. Dans le verbe, on compte environ mille terminaisons différentes. Il y a trois formes de la langue 1° le Han-mun, écrit en caractères chinois purs. C'est la langue employée à la cour, par les lettrés et dans les écoles. Un Japonais, un Chinois et un Coréen, qui ne se comprennent pas en parlant, se comprennent en communiquant par écrit, l'emploi des caractères chinois étant commun aux trois pays ; 2° le Kuk-mun, ou forme indigène, dont l'alphabet, avec ses six consonnes et ses onze voyelles, est très remarquable, comme nous l'avons dit. Cette forme est riche et simple à la fois, mais une même syllabe peut répondre à 46 caractères chinois et avoir autant de sens différents. Shin, par exemple, qui veut dire Dieu, peut vouloir dire aussi diable, soulier, foi, nouveau, etc. On écrit verticalement, non les mots, mais les syllabes, ce qui rend malaisé, soit de lire rapidement, soit de se rappeler ce qu'on a lu ; 3° le Kuk-hanmun, ou combinaison des deux précédents, où le radical des mots est écrit en caractères chinois, ce qui évite la confusion inévitable dans la forme précédente. C'est dans cette dernière forme que la Bible est publiée.

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    Jean 3 v. 16, en coréen.

    25.13.3 - Une belle avance

    Les débuts de l'oeuvre missionnaire en Corée ne furent pas retardés, comme ailleurs, par la nécessité d'apprendre la langue. Et même on peut dire qu'en Corée, — c'est sans doute un cas unique dans l'histoire des missions, — la mission avait commencé avant l'arrivée des missionnaires. Ceci s'explique par deux raisons. D'abord par ce que nous avons dit plus haut de l'emploi des caractères chinois, compris par tous les Coréens qui ont passé par l'école. Grâce à la familiarité des Coréens avec ces caractères, la diffusion des Écritures en chinois put précéder, — et précéda en fait, — l'action missionnaire proprement dite.
    De plus, des missionnaires voisins de la Corée avaient, avant le début de la mission en Corée, traduit une partie de la Bible en coréen populaire. De sorte que, quand les missionnaires s'installèrent en Corée, ils y trouvèrent les Écritures en partie traduites, imprimées et déjà répandues par des colporteurs ; et eux-mêmes eurent entre les mains, aussitôt arrivés, l'instrument d'action sans lequel la mission n'est jamais que dans sa phase préparatoire. Comme s'exprime un témoin oculaire, « c'est la page imprimée qui, en Corée, a ouvert les coeurs à la vérité proclamée par le missionnaire ». Nulle part l'oeuvre missionnaire n'a eu une telle avance.

    25.13.4 - Premiers efforts

    Une première campagne de colportage biblique fut faite par un missionnaire écossais de Tche-fou, M. Thomas, en 1865, à la suite de circonstances étranges et providentielles : la voie lui fut ouverte par deux Coréens catholiques romains qui lui servirent de guides. Il répandit abondamment les Écritures (en caractères chinois) en Corée et en Mandchourie. Dans un second voyage, en 1866, son navire fit naufrage sur la côte occidentale de la Corée. L'équipage fut massacré par les indigènes, et M. Thomas partagea le sort des matelots. Il fut coupé en morceaux et brûlé sur les bords du latong près de Pyeng-Yang. Dans ce second voyage, comme pendant le premier, il distribua abondamment les Écritures. Plus tard, un missionnaire devait baptiser un homme dont le père avait reçu un Évangile ou un Nouveau Testament des mains de M. Thomas.


    Les premiers efforts suivis, soit pour évangéliser les Coréens, soit pour traduire les Écritures dans leur langue, furent faits par les missionnaires écossais Ross et Mac Intyre, établis à Moukden, en Mandchourie, depuis 1875. Ces missionnaires ne manquaient pas d'évangéliser les Coréens que leurs affaires amenaient dans cette ville, soit en passage, soit pour s'y fixer, et il y en avait beaucoup, car Moukden est sur la grande route de Séoul à Pékin. Le trafic y est considérable. Avec l'aide d'un Coréen, ils commencèrent à traduire le Nouveau Testament. En 1882, six mille exemplaires des Évangiles de Luc et de Jean étaient imprimés par la Société biblique d'Écosse. Les autres livres furent imprimés par la Société biblique britannique. Une première édition du Nouveau Testament parut en 1887. Une seconde, révisée, en 1900. Aujourd'hui, l'Ancien Testament en entier est sur le point de paraître.
    Depuis 1881, plusieurs convertis mandchouriens firent du colportage biblique dans la Corée occidentale, mais ce n'était pas encore la trouée.

    25.13.5 - La trouée

    Des Coréens évangélisés par les missionnaires de Moukden, une dizaine se convertirent. C'étaient des négociants de Wifou. Quelques-uns devinrent aussitôt évangélistes ou colporteurs bibliques. Parmi ceux-ci, il y avait deux frères, dont l'aîné, So Sang Yun, mérite une mention spéciale, car c'est lui qui fut le premier colporteur coréen, le premier colporteur qui pénétra dans l'intérieur de la Corée, c'est lui qui fit, en Corée, en 1883, la première trouée biblique et missionnaire.
    Aussitôt après sa conversion, So Sang Yun se sentit pressé de retourner dans son pays avec le message de l'Évangile. Quand il pensait à son peuple, il sentait comme un poids sur son coeur. Le Dr Ross lui conseilla de se munir d'un certain nombre d'exemplaires du Nouveau Testament coréen, dont la traduction venait d'être achevée. Il y avait là matière à sérieuse réflexion, car, en Corée, les Bibles, en tant que livres étrangers, étaient articles de contrebande. Si on en découvrait entre les mains de quelqu'un, ce pouvait être pour lui la prison ou la mort. MM. Ross et So prièrent à ce sujet, et enfin, six mois après avoir reçu le baptême, M. So partit avec une provision de livres, avec Séoul, la capitale de la Corée, pour objectif. Comme il approchait de la frontière, il dut s'arrêter pour soigner ses pieds meurtris par la marche, et fut rejoint par deux Coréens qui lui offrirent de se charger d'une partie de son fardeau. Apprenant que son ballot contenait des livres, ils furent frappés d'horreur, mais aidèrent néanmoins M. So à le porter. Arrivés près de la frontière, un matin, ils accoururent tout émus auprès de M. So, lui disant que l'inspecteur des douanes allait paraître, et lui conseillant d'aller plus loin et de passer la frontière comme il pourrait. Mais M. So savait que ses livres étaient de bons livres, et il déclara que, s'il y avait des risques, il les affronterait virilement. Les autres passèrent sans encombre. Quant à lui, ses livres furent confisqués. À part cela, il en fut quitte pour recevoir une sévère réprimande, et pour être obligé de laisser son adresse, afin qu'on pût le surveiller. Quand il rejoignit ses compagnons de route, ceux-ci furent tout surpris : ils s'attendaient à ce qu'il eût été, pour le moins, condamné à la bastonnade.

    Bientôt après, à Wifou, où il s'était arrêté, on lui annonça une visite. Qu'on juge de sa surprise : c'était l'inspecteur des douanes, celui-là même qui lui avait confisqué ses livres ! Il les avait lus avec intérêt et les avait trouvés excellents, si excellents qu'il fit des excuses à M. So, et que…, plongeant la main dans ses manches flottantes et dans les vastes replis de ses amples pantalons, il en retira l'un après l'autre les Nouveaux Testaments, et les plaça sur la table.
    « Et c'est ainsi, dit M. So, que je rentrai en possession de mes volumes ».
    Voilà comment la brèche fut ouverte. M. So poussa jusqu'à Séoul et en fit son quartier général. Lorsque, deux ans après, il revint à Moukden, plus de soixante-dix convertis demandaient le baptême : c'était le résultat de ses travaux. En 1887, le missionnaire Ross écrivait : « J'ai vu s'organiser la première Église de Coréens : elle se composait presque entièrement des convertis de So ».


    L'année même où So, bientôt suivi par d'autres colporteurs, commençait ses travaux à Séoul, les missionnaires américains s'installèrent dans cette ville. Grâce aux campagnes de colportage biblique qui précédèrent leur arrivée ou coïncidèrent avec elle, ils trouvèrent partout un terrain ensemencé et des gens préparés à les entendre. Et eux-mêmes, trouvant les Écritures imprimées soit en chinois, soit dans le dialecte populaire, eurent en mains, aussitôt arrivés, l'instrument indispensable. Avant le début de l'action proprement missionnaire, il y avait déjà six cents candidats au baptême dans les vallées de la Corée occidentale. C'était le fruit du colportage biblique des convertis mandchouriens.

    25.13.6 - Progrès

    Un des premiers villages où l'Évangile fit sentir son influence, ce fut le village de Soraï, le village natal des frères So. Ce village devint presque entièrement chrétien, et la réputation des habitants du district fut bientôt si excellente que le gouvernement en changea le nom et l'appela, au lieu du district de « la grande courbe » (allusion à sa forme géographique), le district du « grand salut ».
    La même année où So s'établissait à Séoul, une expédition missionnaire fut faite dans le sud par une église chinoise de Fou-chéou, toujours avec la distribution des Écritures comme premier moyen d'action. En même temps, comme s'exprime un rapport de l'époque, les Écritures pénétrèrent en Corée par divers canaux. Telle une eau pénétrant dans un vase par toutes ses fissures.


    Voilà quels furent les premiers débuts d'une des plus magnifiques oeuvres missionnaires de notre temps et de tous les temps. Elle eut ses heures difficiles. Le colportage biblique ne donna pas toujours, au commencement, les résultats qu'on espérait, mais à partir de 1889, les progrès furent extraordinaires. La vente des livres saints passa, cette année-là, de 6.335 à 34.813 exemplaires (De 2.052 volumes, aux premiers débuts de l'oeuvre, elle s'est élevée, en 1909, à 162.687).

    25.13.7 - Le témoignage des missionnaires
    25.13.7.1 - Le colportage biblique

    En Corée, l'oeuvre biblique apparaît inséparable de l'œuvre missionnaire. Tout comme dans l'Ouganda, on pourrait dire : « La Bible, c'est la Mission ». Le témoignage des missionnaires est unanime.
    « Ce n'est pas assez, dit l'un d'eux, en 1906, de parler de l'importance de l'oeuvre biblique dans notre district. Il faut dire qu'elle est la cause de nos développements. C'est le colporteur, avec ses livres, qui le premier éveille l'intérêt des gens, et cet intérêt est si grand qu'ils envoient chercher un évangéliste avant que nous ayons eu le temps d'y aller ». « Dans aucun pays, raconte un visiteur récent, M. Ritson, secrétaire de la Société biblique britannique, la diffusion des Écritures n'a davantage contribué à l'évangélisation du peuple. À réitérées fois, dans les villages, le message écrit, sans l'aide du missionnaire, a été le moyen de former des groupes d'adorateurs du vrai Dieu. Le message écrit a été le pionnier de l'Église. Nulle part l'importance de l'oeuvre biblique n'a été plus reconnue par les missionnaires, nulle part les missionnaires ne l'ont davantage faite leur ».


    Voici quelques témoignages rendus par les missionnaires à l'oeuvre du colportage biblique :
    « Ce qui prouve l'excellence du colportage biblique, écrit un missionnaire de Wonsan, en 1905, c'est le grand nombre de gens qui deviennent chrétiens dans toutes les régions où les colporteurs travaillent. Dans chacune de ces régions, une Église (et quelquefois plus d'une) a été bâtie, une école a été commencée, les habitants se conforment peu à peu à la discipline de l'Église, et les factions cessent ».


    Dans telle région où l'on ne connaissait que cinq chrétiens quand le colporteur commença à y travailler, il y a maintenant deux Églises et deux cent cinquante chrétiens. Dans un autre district, le nombre des chrétiens est monté de vingt à cent, et c'est le colporteur qui est leur père spirituel.
    Un autre missionnaire écrit de Song-do : « J'envoyai un colporteur s'établir, comme pionnier, dans un village de la province de Kang-won, un village de huit cents maisons. Quatre mois après, une église de cinquante membres y était constituée. Maintenant, après neuf mois de travail, nous y avons deux cents candidats sous épreuve ».
    Les témoignages de ce genre ne se comptent plus.
    « Les Sociétés bibliques, écrit un autre missionnaire, sont le bras droit des missions. Sans elles nous travaillerions comme des estropiés et des paralysés ».

    25.13.7.2 - Les groupes d'études bibliques

    Nées du colportage biblique, c'est à l'étude de la Bible que ces églises doivent leur puissance spirituelle.
    Voici ce que disait à Édimbourg, à la Conférence universelle des missions, le Dr Moffett, missionnaire en Corée
    « Je n'hésite pas à dire que, dans ma conviction profonde, ce qui a le plus contribué à la transformation spirituelle des Coréens, ce qui a fait de l'église coréenne une église missionnaire, c'est notre vaste organisation de groupes d'études bibliques. Sans doute, il n'y a pas de pays où la Bible ne soit le grand facteur de l'évangélisation, mais elle a certainement occupé une place unique dans l'oeuvre de la Corée, et l'église coréenne doit sa puissance, sa spiritualité, sa grande foi dans la prière, et sa libéralité, au fait qu'elle a été tout entière saturée en quelque sorte de la connaissance de la parole de Dieu. Ces groupes, ces écoles d'études bibliques, constituent le facteur principal dans l'éducation, le développement, l'entraînement de l'Église, en tant que corps missionnaire. C'est là que tous les membres de l'Église, jeunes et vieux, lettrés et illettrés, sont méthodiquement formés.


    « Il y a des groupes centraux dans les stations missionnaires, pour tout le district, et là ce sont surtout les missionnaires qui enseignent. Il y a aussi des groupes locaux, pour un territoire plus restreint ou pour une seule église, et là ce sont surtout les évangélistes coréens qui enseignent. Le premier groupe central ne comptait que 7 participants. Maintenant celui de Séoul compte 500 participants, celui de Taïkou, 800; ceux de Chaï-Ryung, et de Pyeng-Yang, chacun 1.000, et celui de Syen-Chun, 1.300. Tous ces groupes sont des groupes d'hommes. Il y a aussi des groupes d'études bibliques de femmes, où le nombre des membres varie entre 150 et 700. Certaines femmes ont fait, pour assister à ces études bibliques, plus de 300 kilomètres. Il y a enfin des groupes d'hommes et de femmes dans la plupart des 2.506, églises du pays. Ce sont les groupes locaux. Une seule station missionnaire accuse 292 groupes avec 13.967 assistants. Dans tout le pays, le nombre des groupes s'élève à plus de 2.000, et le nombre des assistants à plus de 100.000.


    « Ces groupes sont de vrais générateurs d'électricité spirituelle, d'une électricité qui se répand dans l'église entière. C'est là que l'Église a saisi la vérité, c'est là qu'elle est devenue une église de témoins. Les grandes vérités fondamentales — l'amour de Dieu, la délivrance du péché par Jésus-Christ, le Saint-Esprit consolateur, l'espérance de la résurrection et de la vie éternelle, — se sont emparées, peut-on dire, de ces Coréens, et les ont remplis d'une joie qui a transformé leur vie et toute leur manière d'être. Et ils ne sont pas prêts à renoncer à cette joie, quelles que soient les persécutions, les humiliations ou les pertes qu'ils soient appelés à subir. De leurs réunions d'études bibliques, ils partent avec un message pour les autres, et ce message, ils le délivrent sur les grands chemins et chez eux, dans leurs vallées ».

    25.13.7.3 - Les colporteurs coréens

    Faisons un peu connaissance avec les colporteurs coréens.
    Voici le portrait qu'un missionnaire de Séoul nous fait de son colporteur Yee. « C'est un grand gaillard, qui, avant sa conversion, il y a sept ans, était la terreur, non seulement de sa femme et de ses enfants, mais encore de ses compagnons. Il ne connaissait que boisson, jeu, coups. Il entendit l'Évangile de la bouche d'un colporteur, et lui acheta des livres dont la lecture fit de lui un homme tout nouveau. Il gagna sa vie honnêtement, put bientôt acheter une maison et un champ de riz. Sa femme se convertit à son tour, et ce fut un foyer transformé. Ils s'étaient fait une règle de lire le Nouveau Testament avant chaque repas. Quand on lui proposa, en pleine prospérité, d'être colporteur, il répondit : « Si Dieu le veut, je le ferai ». Je félicite la Société biblique d'avoir pu s'assurer les services d'un tel homme ».
    Voici le portrait d'un héros. Kim Goon Won, marchand ambulant, entendit l'Évangile, il y a sept ans, dans une auberge chrétienne, et se convertit avec six autres marchands. Ils commencèrent aussitôt à prier journellement ensemble, à observer le dimanche, et à collecter de l'argent entre eux au culte du dimanche, pour le remettre, à leur retour, à l'Église par le moyen de laquelle ils avaient entendu l'Évangile. Depuis lors, le vieux marchand, dans ses tournées, emportait toujours un stock d'Évangiles à vendre. Chez lui, il avait une petite boutique volante, où la Parole de Dieu était également offerte.

    Peu après, comme l'agent de la Société avait besoin de colporteurs, Kim Goon Won s'offrit avec son fils. Dès le début, ses ventes furent phénoménales. Ses rapports faisaient penser à un chapitre du Livre des Actes. Il fut persécuté. Peu lettré, il ne pouvait pas même lire une bonne partie des livres qu'il vendait. Souvent on lui arracha ses livres. Il répondait toujours : « Gardez-les comme un présent de moi. Lisez-les, et croyez à leur doctrine ». C'est lui qui supportait la perte sur son maigre salaire.


    Après un mois de travail, il dut subir une opération. Il ne cessa de prier, comme en conversation avec Dieu. L'opération finie, on l'avertit qu'il avait un cancer, et que le mal reviendrait vite et l'emporterait. « Très bien, dit-il. Alors il faut que je reprenne vite mon travail, puisque j'ai peu de temps ». Et avec sa tête encore enveloppée d'un bandage, il reprit le sac et partit. Il travailla jusqu'à ce que, miné dans ses forces, il dut déposer son fardeau. Dernièrement on conseilla à son fils de renoncer à une tournée de colportage, pour se trouver auprès de son père au cas où celui-ci viendrait à mourir. Mais le vieillard lui dit : « Non, n'arrête pas le travail pour moi. Que mon fils aille seulement, et qu'il travaille et pour lui et pour moi en répandant la Parole de Dieu ».

    25.13.7.4 - Les femmes aussi

    Le colportage biblique, en Corée, se fait non seulement par les hommes, mais par les femmes, ce qui a une importance considérable au point de vue de la condition de la femme dans ce pays. Cette condition est misérable, comme dans tout l'Orient. Deux traits en donneront une idée : Dans la Corée païenne, une femme ne reçoit jamais de nom. Une jeune fille n'est qu'un numéro. C'est le numéro 1, le numéro 2, ou le numéro 3, selon l'ordre de la naissance. Lorsqu'une Coréenne se convertit, elle reçoit un nom au moment de son baptême.
    Autre trait : Les femmes de la bonne société restent confinées toute la journée dans leur maison, sauf vers le soir. À ce moment, une cloche se fait entendre dans les rues, pour avertir les hommes de ne pas se montrer dehors, et deux heures durant les femmes peuvent sortir, toujours accompagnées.
    Que des femmes, dans un tel pays, soient appelées à un ministère, à une fonction publique, c'est une véritable révolution, et sa portée, pour la restauration de la dignité de la femme, est incalculable. Il y a dix-neuf femmes colporteurs en Corée, et non seulement elles évangélisent leurs soeurs, mais elles amènent celles-ci, une fois converties, à évangéliser à leur tour.

    25.13.7.5 - Tous à l'œuvre

    Tous les chrétiens coréens se consacrent à l'oeuvre biblique avec une sorte de passion. « Nombre de chrétiens, écrivait un missionnaire, en 1904, achètent des Évangiles au colporteur pour les répandre. Un jour, traversant un marché, je vis un chrétien occupé à vendre des Évangiles ». Un autre missionnaire écrivait : « Notre Église de Wonsan, qui compte soixante membres, a décidé d'avoir son colporteur et de l'entretenir, et c'est ce qu'ils ont fait, sans être aidés par le missionnaire, augmentant le salaire du colporteur quand ses frais ont augmenté avec les distances à parcourir. Il y a des chrétiens qui donnent plus du dixième de leur revenu pour cette oeuvre ».

    Mieux que cela, les chrétiens coréens évangélisent eux-mêmes. C'est une vraie levée en masse. Nous laissons encore la parole au Dr Moffett.
    « Ils souscrivent pour des journées d'évangélisation, promettant de consacrer à l'évangélisation, l'un tant de jours, un autre tant. Il y a cinq ans que ce système est en vigueur, et c'est dans les groupes d'études bibliques dont nous avons parlé plus haut qu'il a pris naissance. Un groupe de 35 hommes souscrivit pour 900 journées, un autre pour 2.200 journées. Le mouvement n'a fait que grandir, et cette année même, une église a souscrit pour 860 journées, un groupe de 150 hommes, pour 6.428 journées, l'auditoire de l'église centrale de Pyeng-Yang, pour 22.150 journées. Du 1er janvier au 1er avril 1910, 76.066 journées ont été souscrites et ce chiffre est loin d'être complet, car la moitié des rapports manquaient quand le relevé a été fait. Le total s'élèverait donc à 150.000 au moins.
    « C'est aussi dans un des groupes d'études bibliques qu'est née l'idée d'une société missionnaire coréenne. Actuellement, les Coréens envoient et entretiennent eux-mêmes des missionnaires parmi les 100.000 habitants de l'ile de Quelpart, parmi les 500.000 Coréens de la Sibérie, et parmi les Coréens de la Mandchourie. Les étudiants de Pyeng-Yang organisent une mission à eux à Chientao et en Chine. Et c'est une joie pour moi, ajoute le Dr Moffett, de pouvoir dire qu'un homme qui me jetait des pierres, à Pyeng-Yang, il y a une vingtaine d'années, est devenu le premier missionnaire coréen.
    « C'est aussi dans ces groupes d'études bibliques que le récent réveil religieux de la Corée a eu son origine ».

    25.13.8 - Un réveil

    Un réveil religieux d'une puissance extraordinaire a éclaté en Corée en 1907, et dure encore. Il s'est étendu à travers le pays tout entier. On peut relever parmi les traits qui le caractérisent :

    Un profond sentiment du péché, et la confession des péchés commis. — « En se rendant compte, dit le Dr Moffett, des conséquences terribles du péché, des souffrances que valut le péché à celui qui fut sans péché, de l'amour dont Jésus-Christ a fait preuve envers les hommes en mourant pour eux, des Coréens sans nombre sont entrés dans une véritable agonie, où quelques-uns ont pensé mourir. Quand ils ont pu croire au pardon complet, ils ont été soulagés ». Le trait suivant, cité entre plusieurs autres semblables, montre que les Coréens ont compris que la grâce nous enseigne à vivre selon la justice.
    Un jeune Coréen, vérificateur dans une compagnie de mines d'or, avait abusé de la confiance dont tous l'entouraient, et avait volé peu à peu une grande quantité du précieux métal. Après avoir confessé son péché devant l'Église, il alla l'avouer à ses supérieurs, sachant bien qu'il s'exposait au châtiment, à la honte et à la ruine. Il fut néanmoins conservé dans son emploi, et jouit aujourd'hui d'une confiance plus grande que jamais.

    Le besoin de la sainteté, pour le chrétien et pour l'Église. — Un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans demandait le baptême. Son coeur était certainement changé, et le missionnaire était d'avis de l'admettre. Mais l'évangéliste indigène intervint et dit : « Je ne tiens pas à ce que ce jeune homme soit encore baptisé. Sa vieille mère se met quelquefois en colère et le bat, et alors il est comme fou. Je ne tiens pas à ce qu'il soit baptisé jusqu'à ce qu'il puisse recevoir les coups sans se mettre hors de lui ».

    La grande place faite à la prière. — À Pyeng-Yang, ville de 6.000 habitants, il n'était pas rare de voir un millier de personnes se réunir pendant la semaine pour une réunion de prière.

    Le besoin d'étudier la Bible. — En 1908, soit à Pyeng-Yang, soit dans le district dont cette ville est le centre, les différentes réunions pour l'étude de la Bible ont été suivies par plus de 11.500 personnes, dont 3.500 femmes. L'édition du Nouveau Testament de poche, qui a paru la même année, a été si rapidement enlevée que les maisons d'imprimerie ne pouvaient pas suffire à la demande. À Ping-Chun, un jeune garçon aveugle a appris par coeur les quatorze premiers chapitres de l'Évangile selon saint Marc, bien résolu à ne s'arrêter que quand il aurait appris tout le Nouveau Testament.
    Les élèves des classes bibliques les plus importantes en ont organisé d'autres à leur tour. L'amour et l'étude de la Bible sont à la fois une cause et un fruit du réveil.

    Un nouvel élan dans l’oeuvre missionnaire. — Les chrétiens coréens demandent à Dieu un million de conversions. Ils se proposent de distribuer cette année parmi leurs compatriotes un million d'exemplaires de l'Évangile selon saint Marc. Au commencement de mai, 700.000 exemplaires avaient déjà été imprimés et achetés. Dans une église, à Séoul, on a acheté 15.000 exemplaires, qui seront distribués par soixante personnes. Le directeur d'un des groupes d'études bibliques de la campagne fut un jour très étonné de recevoir de la part de sa femme un envoi considérable d'Évangiles (une charge de boeuf, dit le Dr Moffett), mais il fut encore plus surpris quand, dans le groupe, on souscrivit pour 26.427 exemplaires de plus que ce qui avait été envoyé.
    C'est dans les groupes d'études bibliques qu'est née la pensée de distribuer un million d'Évangiles. Et, chose remarquable, elle est née simultanément dans plusieurs de ces groupes.

    Un nouvel élan de générosité. — En 1908, la moyenne des dons, dans les Églises de Corée, a été de 15f 60 par personne, alors que le gain de chacun est, en moyenne, de 25 francs par mois. Dans une liste de souscription pour l'érection d'un nouveau temple à Taïkou, on lit ceci : « Une femme a donné ses cheveux ». C'est tout ce qu'elle avait.
    Les 840 églises qui ont été bâties en Corée l'ont toutes été exclusivement aux frais des chrétiens coréens, sauf vingt, pour lesquelles un tiers de la dépense a été défrayé par de l'argent étranger. 589 bâtiments d'école ont été également construits aux frais des Coréens. Les Coréens contribuent dans une proportion de 94 % à l'entretien de leurs 1.052 évangélistes indigènes et de leur mission à l'étranger. En 1909, ils ont donné en tout plus de 675.000 francs.

    HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE - Page 3 F1fe

    Portrait de quatre Mandchous de Kuan-kaï qui, il y a une dizaines d'années, cherchèrent et trouvèrent une « vraie religion ». L'un deux, envoyé à la découverte, trouva des missionnaires à Kirin, à 100 kilomètres de distance. Éclairé par eux, il revint éclairer ses frères, puis il franchit pendant un temps, tous les trois mois, les 100 kilomètres qui le séparaient de Kirin, pour compléter son instruction religieuse. Plus tard, les missionnaires vinrent organiser en église les convertis de Kuan-kai.

    Une puissance extraordinaire dans le chant. — M. Ritson, décrivant un service à Pieng-Yang, parle d'un cantique qu'il y entendit chanter : « Tu t'es donné pour moi, je me donne à toi », et dit que l'esprit de sacrifice qui régnait parmi ces chrétiens « enlevait ces paroles jusqu'au ciel ».

    La puissance d'extension. — Dans l'automne de 1907, le réveil de Corée gagna les Églises de la Mandchourie, et là aussi se manifesta avec une intensité extraordinaire et revêtit les mêmes caractères. On vit un homme qui avait pris part à une razzia de brigands, et qui, arrêté, avait été mis à la torture pendant six mois, confesser, sous l'action du Saint-Esprit, des actes de brigandage que six mois d'indicibles souffrances n'avaient pu lui faire avouer.
    Un missionnaire a dit de ce réveil en Mandchourie : « Sans la Bible, un mouvement comme celui-là eût été impossible. Ce sont les paroles de la Bible qui ont apporté la paix et le repos à ces coeurs troublés ».
    Les missionnaires et surtout les évangélistes indigènes sont très sévères (on l'a vu plus haut) pour l'admission de nouveaux membres, qui restent candidats quelquefois pendant deux ans.

    25.13.9 - Résultats globaux

    Il y a vingt-cinq ans, la page de l'histoire des missions en Corée était une page blanche : il n'y avait rien, sauf les quelques convertis de Moukden. En 1895, il y avait 400 communiants. Aujourd'hui, il y a, dans ce pays, treize sociétés missionnaires à l'oeuvre, qui comptent 60.000 communiants, 60.000 catéchumènes et candidats, et, en tout, environ 250.000 adhérents.
    Il y a vingt ans, il n'y avait pas un chrétien dans la province de Pyeng-Yang. Aujourd'hui, il y a dans cette province 300 églises, dont 9 à Pyeng-Yang même, où un cinquième de la population suit les cultes. Presque tous les habitants de la province (quatre sur cinq) ont une église à moins d'une heure de marche de chez eux. À Séoul, il y a 15 églises. Il y en a 2.500 dans la Corée entière. Dans beaucoup de villages la population est en majorité chrétienne. On compte un tiers de chrétiens dans la ville de Syen-Chun.


    Il y a actuellement vingt-cinq pasteurs coréens consacrés. En 1894, deux d'entre eux, Han-Suk-Chin et Kim-Chang-Sik, furent chargés de coups, mis dans les ceps, puis menacés de décapitation immédiate, s'ils ne maudissaient pas Dieu. Ils tinrent bon. À leur grande surprise, ils furent relachés. Mais ils avaient donné leur vie. Deux cent cinquante étudiants en théologie coréens étudient dans deux facultés.
    Les auditoires de mille ou quinze cents personnes ne sont pas rares. L'oeuvre de Dieu en Corée, après avoir fait l'étonnement des missionnaires eux-mêmes, qui n'en croyaient pas leurs yeux et ne se réjouissaient qu'en tremblant, fait l'étonnement et l'admiration de tous ceux qui suivent de près les progrès de la mission dans le monde. M. John Mott, le secrétaire du comité de la Fédération internationale des étudiants chrétiens, après une récente visite en Corée, s'exprimait ainsi : « La première nation qui deviendra chrétienne, si l'Église sait profiter de l'heure présente, c'est la Corée ». Et le missionnaire D. Couve écrivait l'année dernière : « La mission en Corée est, de l'aveu de tous, celle qui, étant partie du meilleur pied, a donné les meilleurs résultats ».

    25.13.10 - Conclusion

    « Partie du meilleur pied ». Retenons ces mots. N'est-il pas remarquable que la mission peut-être la plus féconde en résultats de l'époque moderne, soit précisément celle où la diffusion de la Parole de Dieu et l'instruction dans la Parole de Dieu ont joué et jouent encore un tel rôle ? « C'est à l'oeuvre de la Société biblique que je dois, pour les neuf dixièmes au moins, le résultat de mon travail », dit un des missionnaires qui travaillent en Corée, et tous les autres tiennent un langage semblable. « Le caractère dominant de l'oeuvre en Corée, dit le Dr Moffett, c'est qu'on a donné la première place à la Parole de Dieu, c'est qu'avant tout et par dessus tout, et peut-être plus qu'on ne l'avait encore jamais fait ailleurs, on a instruit les chrétiens dans la Parole de Dieu, en la leur présentant comme la Parole même de Dieu, comme le véhicule de la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit ».
    N'y a-t-il pas là une preuve éclatante du caractère divin des Écritures ?

    25.14 - La Bible en Inde

    En Inde, comme partout, les pionniers de la mission ont donné la première place à la traduction de la Bible. Citons seulement le fameux « trio de Serampore » : Carey, Marshman et Ward, eux aussi des géants, comme Morrison et Schereschewsky, car, à eux seuls, ils publièrent des traductions fragmentaires de la Bible en plus de quarante langues. Quel effort ! Et quelle conviction de la nécessité de donner, le plus tôt possible, la Bible aux indigènes !
    Les langues parlées en Inde sont au nombre de 153. Nous disons bien les langues, et non les dialectes. Ce sont, en effet, des langues qui diffèrent l'une de l'autre au moins autant que le français diffère de l'espagnol. 45 millions d'hommes parlent le bengali ; plus de 25 millions, le telinga ; plus de 18 millions, le marathi ; plus de 16 millions, le tamoule : 18 millions, le canara, et 100 millions environ l'hindoui, dans l'une ou l'autre de ses formes.
    La Société britannique publie, pour l'Inde, la Bible entière en dix-sept langues, parmi lesquelles les six que nous venons de nommer. Elle en publie des fragments plus ou moins étendus en soixante et une autres, parlées par environ 225 millions d'hommes (*). Restent soixante-quinze langues, parlées par environ 70 millions d'Hindous, dans lesquelles la traduction de la Bible n'a pas encore été commencée.

    (*) On trouvera dans le fragment Batailles inconnues, ou les traductions de la Bible, (point 26 du texte global = point 2 de la Partie 6 « Histoire de la Bible hors d’Europe », plusieurs renseignements sur les traductions de l'Écriture dans les langues de L'Inde.

    L'oeuvre biblique se poursuit en Inde par environ 140 colporteurs et 400 dames-colporteurs. Celles-ci travaillent en particulier dans les zénanas, où sont enfermées les veuves hindoues, de tout âge, exclues à tout jamais, en tant que veuves, même de la vue d'un homme. Chaque année, les dames-colporteurs enseignent à lire à plus de 2.000 femmes. Quelle transformation la lecture, surtout la lecture de la Bible, apporte dans de telles existences ! L'activité de la femme de la Bible ne se borne pas aux zénanas. Même dans la famille, la femme hindoue mène une vie d'isolement et d'ignorance. Toute femme qui n'est pas obligée de gagner sa vie, ne sort jamais de chez elle, et, en fait d'hommes, ne voit que ses parents. La question de la femme est, en Inde, l'une des plus actuelles. Élever la condition de la femme, l'instruire, c'est travailler à la ruine de l'idolâtrie en Inde. On estime qu'en Inde, actuellement, à peine six femmes sur cent savent lire.


    Pour répandre les Écritures parmi les classes cultivées, la Société britannique les offre régulièrement aux étudiants des universités hindoues, où toute autre propagande religieuse serait impossible. À chaque étudiant, la Société offre, au début de ses études universitaires, un exemplaire des Évangiles et Actes ; au milieu de ses études, le Nouveau Testament ; et, quand il a passé ses examens finaux, la Bible. Les volumes offerts sont en anglais. Ce don est généralement reçu avec beaucoup de reconnaissance, et souvent les étudiants se font connaître, aussitôt leurs examens passés, pour obtenir le plus tôt possible le volume promis. La distribution a lieu soit dans une église, soit à l'Union chrétienne de jeunes gens, soit dans un collège missionnaire ; elle est accompagnée de discours sur l'Évangile et sur la Bible, et généralement le chef de l'institution et les professeurs y assistent. En 1908, 4.470 volumes ont été ainsi distribués aux étudiants. Il y a telle année où on leur en a distribué près de dix mille.


    Il y a quelques années, à Calcutta, quelques jeunes Hindous non chrétiens entreprirent la traduction de l'Évangile selon saint Matthieu, et la soumirent, une fois achevée, à l'appréciation de quelques chrétiens compétents de la ville.
    On pourrait citer des traits sans nombre pour montrer les résultats remarquables de la diffusion de la Bible en Inde. Nous en citerons trois : l'un des plus anciens, l'un des plus curieux et l'un des plus récents.

    Idoles abandonnées. — Il y a bien des années, des missionnaires découvrirent, près de la ville de Dacca, dans le Bengale oriental, plusieurs villages dont les habitants, des paysans, avaient abandonné le culte des idoles et étaient connus pour des gens dignes de toute confiance. Ils s'appelaient les Satya Gourou, c'est-à-dire « ceux qui cherchent le vrai Maître venu d'auprès de Dieu » (Gourou signifie maître, au point de vue religieux). Quand on leur demanda comment ils en étaient venus à renoncer aux idoles, ils répondirent : « Nous devons ce que nous sommes à un Livre », et ils montrèrent un vieux livre tout usé, qu'ils conservaient précieusement dans un coffre en bois. Nul ne pouvait dire d'où il venait. Tout ce qu'on savait, c'est qu'on le possédait depuis longtemps, et que depuis longtemps aussi on l'étudiait. Quand les missionnnaires regardèrent le volume, ils virent que c'était la première traduction faite par Carey du Nouveau Testament en bengali.

    L'homme qui se baptisa lui-même. — Un jour, en Inde, un missionnaire, dans une de ses tournées, rencontra un homme qui habitait à une grande distance de toute station missionnaire, qui n'avait jamais vu aucun missionnaire, ni aucun catéchiste indigène, mais qui était très familier avec le texte des Évangiles. Il avait lu les Évangiles avec soin et à réitérées fois, et avait adopté pour son Gourou celui dont ils lui traçaient le portrait. Qu'en résulta-t-il ? Cet homme, saisi en voyant la bonté de son nouveau Gourou, s'était dit : « Il faut que j'obéisse à ce Gourou. Voyons ses commandements ». Reprenant la lecture de l'Évangile, il trouva qu'il devait être baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Comment faire ? Il ne connaissait pas d'église, il n'avait jamais assisté à un baptême. À sa manière, il obéit au commandement. Jour après jour, il descendait dans un réservoir d'eau, et là, levant les yeux vers le ciel, il disait : « Je me baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». À chacun de ces noms, il se plongeait dans l'eau. Puis, il trouva un autre commandement, à savoir qu'il devait manger et boire en mémoire de la mort du Christ jusqu'à son retour. Dès lors, chaque jour, il prit une poignée de riz et la mangea en disant : « Je fais ceci en mémoire de Christ », puis il buvait un peu d'eau en disant : « Je fais ceci parce que Christ est mort pour moi » (Raconté par le missionnaire Henry Haigh en 1896).

    Chez la femme d'un rajah. — Il y a peu de temps, chez les Telingas, un exemplaire de la Bible avait été donné à la femme d'un rajah. Cette Bible est devenue l'objet de la méditation constante de la princesse, et fait toute sa joie. Telle salle du palais qui, jadis, était pleine d'idoles et de peintures païennes, n'a maintenant pour ornements que la Bible et des livres chrétiens. Cette princesse a envoyé un don à la Société biblique britannique, en exprimant le désir de voir le saint volume répandu de telle sorte que chacun pût connaître la vérité qu'il annonce (Ce fait est raconté dans le rapport de 1909 de la Société biblique britannique).

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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:59

    26 - Batailles Inconnues — ou : La Traduction de la Bible

    Au sein de l'Église chrétienne, depuis son origine, la préoccupation de traduire la Bible dans la langue des peuples évangélisés a toujours été au premier rang.
    Actuellement, en tenant compte des versions hors d'usage, des versions en langues mortes ou disparues, les Écritures ont été traduites en tout ou en partie en 537 langues. Le nombre des langues vivantes dans lesquelles on peut se procurer au moins un fragment des Écritures est supérieur à 500.
    Au prix de quels labeurs ce résultat a été atteint, on l'ignore généralement. Ce n'est pas trop que de parler de batailles inconnues. Le plus souvent, le missionnaire a dû commencer par se rendre maître d'une langue non écrite, dont il a fallu successivement s'assimiler les sons et découvrir la grammaire, apprendre et comprendre les mots, et pénétrer les nuances.

    26.1 - S'assimiler les sons

    S'assimiler les sons est déjà une tâche ardue, surtout lorsqu'on apprend les langues indo-chinoises, dont le vocabulaire, exclusivement composé de monosyllables, est très pauvre (telle langue ne compte que 2.000 mots), et où le même mot doit exprimer plusieurs sens. Ces sens divers sont indiqués par une inflexion spéciale de la voix, notée dans l'écriture par un accent différent. Ainsi, en annamite, le mot phu, selon l'accentuation et la modulation, peut signifier portefaix, coolie, femme ou ingrat, riche, opulent, gracieux, sorcier, magicien. La syllabe ba peut signifier tour à tour, dame, favori du prince, ce qu'on a jeté, le fruit dont le jus a été exprimé, trois, un soufflet, si bien que ba, bà, bâ, bá signifie, convenablement prononcé : trois dames ont souffleté le favori du prince.

    26.2 - Étude des formes grammaticales

    Quant à l'Étude des formes grammaticales, voici quelques exemples qui donneront une idée de ses difficultés.
    À Banza Mantéké, à 60 lieues de l'embouchure du Congo, vers 1890, le missionnaire Richards se met à l'étude des pluriels, et finit par découvrir seize classes de noms, avec autant de modes de formation du pluriel, qui n'affectent jamais la fin des mots. À Futuna, une des îles des Nouvelles-Hébrides, un missionnaire découvre quatre manières d'exprimer le nombre : le singulier, le duel (pour deux), le triel (pour trois), et le pluriel (pour plus de trois).
    À propos de noms, il peut se présenter des complications plus grandes : dans telles langues indo-chinoises, le nom ne peut pas s'exprimer sans qu'un autre nom se fonde avec lui ; on ne peut pas parler d'un père, d'un fils, sans dire de qui c'est le père ou le fils ; on ne peut pas dire : Dieu est un père.
    De même, en Kanauri (près de la frontière du Thibet), il n'y a pas de mot pour frère et soeur en général. Il n'y a que des mots spéciaux pour désigner le frère aîné, le frère cadet, la soeur aînée. Aussi, quand le texte sacré parle de Marthe et Marie, il faut que le traducteur décide laquelle des deux est l'aînée. Quand deux frères sont nommés, comme c'est le cas pour Pierre et André, Jacques et Jean, il faut spécifier lequel est l'aîné et lequel est le cadet.

    Les pronoms peuvent offrir de grandes difficultés. En santali (Inde), il y a deux mots pour dire nous. Nous, c'est tantôt abo, et tantôt ale, selon que celui qui dit nous comprend ou ne comprend pas dans le nous ceux auxquels il s'adresse. Si, par exemple, parlant à des chrétiens santals, je dis : « Nous sommes enfants de Dieu », je dois employer le mot abo. Mais si je dis : « Nous, Français », je dois employer le mot ale. De là des difficultés spéciales de traduction. Ainsi, dans le récit de la Transfiguration, quand Pierre dit : « Il est bon que nous demeurions ici », comprend-il ou ne comprend-il pas Jésus dans le nous ? Après des hésitations, les traducteurs ont fini par adopter le mot ale.

    Les noms de nombre peuvent être bien embarrassants. En sechuana, le nombre 18 se dit (ou plutôt se disait, car on a simplifié) : passé mon pied droit et mon pied gauche et ma main, plus trois. En mosquite (Amérique centrale), un se dit kumi ; deux, wool ; trois, yumpa. Puis, les mots manquent. Quatre se dit wolwol (deuxdeux) ; cinq, matasip (pleine main) ; six, la main mise sur la tête (c'est-à-dire sur le pouce) de l'autre ; sept, huit, neuf, un, deux, trois, par-dessus six ; dix, deux pleines mains ; vingt notre tout, c'est-à-dire les deux mains et les deux pieds.
    En Nouvelle-Calédonie, on se sert de nombres spéciaux lorsqu'on parle du flétan, sorte de plie, poisson favori des indigènes. Le premier traducteur des Évangiles, ignorant cette particularité, se servit de ces nombres lorsqu'il traduisit le passage : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, j'y suis au milieu d'eux ». Il fit ainsi dire au texte : « Partout où il y a deux ou trois flétans, j'y suis ».
    Mais les complications les plus désespérantes sont évidemment celles du verbe. Le missionnaire Richards, au Congo, après avoir découvert seize classes de noms, découvrit dans le verbe dix-sept conjugaisons, et des temps beaucoup plus nombreux que les nôtres. Les verbes lubans (Afrique centrale) ont neuf temps et plusieurs groupes de verbes auxiliaires.
    En 1906, la Société biblique britannique a publié l'Évangile de Marc dans la langue semba, qui appartient à la famille remarquable des langues bantoues et en présente tous les caractères. Cette langue est parlée depuis le lac Tanganajika au nord jusqu'au lac Banguelo au sud. Elle gagne de plus en plus de l'est à l'ouest. C'est un grand sujet d'étonnement que de voir des gens aussi dégradés parler une langue d'une richesse incomparablement plus grande que les nôtres.

    Le verbe bantou est pour la parole un instrument d'une délicatesse extraordinaire. Ses suffixes et ses préfixes (syllabes qui suivent ou précèdent le mot) lui permettent d'exprimer des nuances que nous ne pouvons rendre que par des périphrases. Non seulement il exprime le passé, le présent, le futur, mais il rend, si l'on peut ainsi dire, avec toutes les nuances possibles, la perspective du temps et celle de l'espace. Ses formes indiquent si un événement est arrivé aujourd'hui, ou dans un passé récent, ou dans un passé éloigné, comme elles indiquent si un objet est tout près, ou simplement près, ou éloigné.
    Voici quelques-unes des formes que prend, en semba, la racine pyang-a, qui signifie balayer. Na-pyanga signifie je balaie ; m-pyanga, je balaie régulièrement ; nim-pyanga, j'ai achevé de balayer, j'ai balayé tout à fait ; nali-pyanga, j'ai balayé hier ; náli-pyanga, il y a longtemps que j'ai balayé. Nale-pyanga, je balayais il y a un instant (mais je ne balaie plus) ; nala-pyanga, je vais balayer tout de suite ; nakula-pyanga, je vais balayer régulièrement ; nde-pyanga, je vais balayer bientôt ; nka-pyanga, je balayerai quelque jour.
    Dans ce qui précède, la racine ne varie pas, mais, par les modifications de la racine on arrive à d'autres raffinements de sens. Pola signifie se guérir ; polelela, être guéri définitivement. Pwishya, finir ; pwishishishya, finir tout à fait. Eba, parler ; ebana, parler ensemble. Uma, battre ; umana, se battre l'un l'autre. Lula, s'égarer ; lulya, égarer. Enda, se promener ; endeshya, se promener rapidement.
    L'idée contradictoire est amenée par une forme curieuse : Kaka, veut dire lier, kakula, délier ; longa, emballer, longola, déballer ; lemba, écrire, lembula, effacer.
    En fait, le verbe bantou peut exprimer toutes les nuances de la pensée.
    Voici, pour terminer, une difficulté grammaticale qui paraitra sans doute plus déroutante encore que les autres. Les langues indiennes de l'Amérique du Nord expriment souvent une idée complexe en combinant plusieurs syllabes en un seul mot. Ainsi, en Cherokee, si l'on veut dire : Ils seront arrivés maintenant à la fin de leurs déclarations en faveur de vous et de moi, on s'exprimera ainsi : wi-ni-taw-ti-ge-gi-na-li-shaw,-lung-ta-naw-ne-le-ti-se-sti.

    26.3 - Vocabulaire
    Passons à ce qui concerne le Vocabulaire. Voici comment le missionnaire Copland King et son collègue débutèrent dans l'étude du wedau, la langue d'une tribu de la Nouvelle-Guinée :
    « Nous arrivâmes en Nouvelle-Guinée en 1891. Les indigènes étaient dans un état de dégradation lamentable. Les actes de cannibalisme étaient fréquents parmi eux. Notre premier travail fut d'apprendre les noms des objets. Et tout d'abord il fallut découvrir l'équivalent de cette question : « Qu'est-ce que ceci ? » De loin en loin nous rencontrions un indigène qui avait eu contact avec des commerçants et qui pouvait nous comprendre un peu, en style petit nègre. En répétant souvent la question : « Quel nom ceci ? » nous pûmes établir une liste de mots qui nous permit de commencer les opérations. Mais il fallait bien prendre garde à faire donner le nom exact de chaque objet. Si, par exemple, nous montrions la photographie d'un temple chinois, on pouvait répondre, ou : c'est une photographie, ou : c’est un tableau, ou : c'est un temple. Il fallait donc pour fixer le sens de chaque mot toute une série de questions et de contre-questions
    « Après les noms, nous attaquâmes les verbes. Pour tout ce que nous pouvions faire, il n'y eut pas grande difficulté. Nous n'avions qu'à nous asseoir, courir, bêcher, etc., et aussitôt on nous donnait le mot correspondant. La difficulté commençait quand il s'agissait d'exprimer des idées. Toutefois, nous arrivâmes promptement à distinguer quelques phrases qui revenaient sans cesse dans la bouche des indigènes, et toujours écoutant, toujours sur le qui-vive, nous finîmes par en saisir le sens. Ainsi, nous acquîmes non seulement des mots, mais des tours de phrase, et tout cela prenait place sur le carnet de notes où nous inscrivions tout. De plus, à force de communiquer avec les indigènes et de nous servir des mots que nous connaissions, nous nous aperçûmes un jour que nous pouvions, en une mesure, nous faire comprendre, ce qui était l'essentiel. La grammaire, pour le moment, était reléguée à l'arrière-plan.

    « Une fois en possession des premiers éléments, nous nous avisâmes d'un autre moyen. Nous réunissions quelques enfants, et, de notre mieux, nous leur racontions une histoire de la Bible. Naturellement ils n'y comprenaient que fort peu de chose. Nous leur faisions répéter ce qu'ils avaient retenu ou saisi, et nous mettions par écrit ce qu'ils disaient. Le jour suivant, nous leur répétions la même histoire, employant, autant que possible, leurs propres expressions. De nouveau, nous les questionnions pour voir ce qu'ils avaient compris. Dans leurs réponses, ils employaient de nouveaux mots, de nouvelles tournures, que nous notions pour nous en servir. Nous répétions la même histoire, jour après jour, pendant un mois et plus, apprenant continuellement, jusqu'à ce que les enfants nous comprissent tout à fait bien. Quand nous eûmes une école, ce fut un moyen d'apprendre de nouvelles locutions. Et, il faut bien se dire que nous n'avions pas seulement à nous rendre maîtres d'une langue, mais qu'il fallait nous rendre compte de la manière de penser des indigènes, et apprendre à nous placer à leur point de vue ».
    Voici quelques particularités de la langue des Scheetswas. Elles montrent quelle peut être la richesse ou l'étrangeté du vocabulaire à acquérir (les Scheetswas sont un des peuples du Mozambique. Ils sont trois millions. Leur langue est parente du zoulou).
    Pour toutes les choses locales, pour le jardinage, par exemple, le scheetswa est d'une richesse extraordinaire. Pour « aller chercher de l'eau », ils n'ont pas moins de douze verbes qui expriment cette action, avec les diverses formes qu'elle peut revêtir. D'un mot, on peut donner à quelqu'un l'ordre de prendre sa hache, d'aller à la forêt, de couper du bois et de rapporter à la hutte le bois coupé. Le mot kuka veut dire tout cela. Avec le monosyllabe ka on commande à une femme (non pas à un homme — un homme ne fait jamais un ouvrage de ce genre !) de mettre une cruche sur sa tête, d'aller à la fontaine, de laver la cruche, de la remplir d'eau fraîche et de la rapporter à la hutte.

    Certains mots sont de vrais explosifs. Si quelqu'un a faim, il ne dira pas tranquillement, comme fait un Européen : J'ai faim. Il appuie ses mains sur son estomac et s'écrie, comme s'il s'agissait d'une chose qu'il vient de découvrir, nyi ngupwa njala, je sens une famine !
    Si quelqu'un rencontre un ami depuis longtemps absent, il ne dira pas, comme dans notre langage inexpressif : « Je suis heureux de vous revoir », mais, joignant les mains, et se mettant à sauter, il dira : nzi dabukile, je suis fendu de vous voir ! Il est censé avoir été fendu en deux par la joie, comme s'il avait été frappé par la foudre.
    La Nupé compte un très grand nombre de synonymes. Ainsi il n'y a pas moins de cent mots pour dire grand et pas moins de soixante pour dire petit. Le mot petit n'est pas le même si l'on parle d'un cheval ou d'une maison, car le cheval grandit, tandis qu'une maison ne grandit pas. Il y a cinquante ou soixante mots pour dire long, autant pour dire court, plus de cinquante pour mince, et autant pour beaucoup, pour fini, pour dur, pour vite. Comment cela est-il possible ? demandera-t-on. Le mot de mince s'applique pour nous également à un homme, à un arbre, à un fil, à du papier. Dans chaque cas, le Nupé a un mot différent. De même, on ne dit pas de la même manière traverser s'il s'agit d'un fleuve ou d'une route.
    Les Nupé habitent sur le haut Niger, à partir de la rivière Benoué, vers le nord. Il y en a environ un million (*).

    (*) Voici un trait qui donnera une idée de leurs moeurs. Ils ne connaissent pas la vie de famille, à peine la famille. D'après la coutume, l'aîné des oncles possède de droit tous les enfants de ses frères et soeurs. Il les prend, garçons et filles, à l'âge de quatre ou cinq ans, et le père retrouvera à leur place d'autres enfants parmi les enfants de son frère. Un foyer où père mère et enfants vivent ensemble est une grande exception. Une famille est presque toujours composée du mari, de quatre ou cinq femmes, et d'enfants qui n'appartiennent à aucune d'elles !

    « Naturellement, dans l'acquisition d'une langue pour laquelle il n'existe ni grammaire, ni dictionnaire, les tâtonnements doivent être longs et les bévues nombreuses. Le missionnaire Richards, au Congo, frappé de l'amour des mères pour leurs enfants, cherche le mot mère, croit le trouver, et s'aperçoit plus tard que le mot qu'il emploie pour dire mère signifie homme fait.
    Un missionnaire qui apprenait la langue kiluvin, parlée dans une petite île des Nouvelles-Hébrides, était arrivé à la conclusion qu'un mot appliqué à un terrain sur lequel personne ne passait signifiait saint, sacré. Il employait déjà ce mot pour traduire un cantique commençant par Saint, saint, saint,… quand il découvrit que ce mot signifiait cimetière.

    Parfois, les missionnaires ont dû s'ingénier pour acquérir les mots de la langue qu'ils voulaient apprendre. Il leur est arrivé de se heurter à l'apathie ou à la mauvaise volonté des indigènes. Ceux-ci se refusaient à livrer les secrets de leur langue, car ils tenaient à pouvoir dire des blancs ce que bon leur semblait, sans être compris d'eux. Un missionnaire aux Nouvelles-Hébrides conclut un marché avec les jeunes gens les plus intelligents : ceux-ci allaient recueillir des mots nouveaux auprès des indigènes plus âgés, et le missionnaire leur payait chaque centaine de mots 90 centimes. Le missionnaire Crawford, qui a traduit le Nouveau Testament en luban, donnait aux indigènes, pour se faire indiquer les mots, une certaine quantité de calicot. Un jour, il se défit de ses deux dernières aunes de calicot en échange d'un verbe.
    Souvent le missionnaire est longtemps avant de trouver tel mot indispensable. Le missionnaire Kitching a eu toutes les peines du monde à trouver en gang (langue parlée par des tribus qui vivent au sud du Soudan égyptien) l'équivalent de l'expression se repentir. Il employait une périphrase qui revenait à : tourner son coeur. Un jour, comme un chien qui avait volé un morceau de viande recevait une correction, un jeune indigène s'écria : « Weke : dong engut ! » c'est-à-dire : « Laissez-le, il s'est repenti maintenant !

    M. Kitching put s'écrier : Eureka ! Il avait enfin le mot si longtemps cherché.
    Un jour, chez les A-Mbounrlous, l'un de peuples que comprend la colonie portugaise d'Angola dans l'Afrique occidentale, le missionnaire Withey cherchait l'équivalent du mot fléau. Les indigènes ne purent pas le lui dire, mais quelques jours après, ces indigènes, parlant des rats, disaient : quel didebou ! Le mot était, trouvé.
    Il n'y a peut-être pas, dans toutes les annales de la mission, d'incident plus émouvant que l'incident suivant, raconté par le Dr Hotchkiss, un quaker, missionnaire indépendant sur la côte orientale de l'Afrique, qui a pénétré fort avant dans l'intérieur et y a vécu pendant quatre ans parmi quelques-unes des tribus les plus sauvages de la région. Il a souvent souffert de la fièvre, il a été sauvé plusieurs fois de la dent des lions, il a vécu de n'importe quoi, depuis les fourmis jusqu'au rhinocéros, et tout ce temps, il travaillait soit à acquérir la langue, soit à créer pour elle une écriture. Il y a un mot, dit-il, que je cherchai pendant deux ans et demi. Un mot ! Mais ce mot, c'était le mot qui a enveloppé notre planète d'une ceinture de louanges, le mot qui « ramène l'ordre dans notre chaos… » C'était le mot Sauveur. Ce « mot était toujours devant moi, le jour dans mes pensées, la nuit dans mes rêves ».

    Un jour, un indigène du nom de Kikuvi lui raconta comment il avait délivré un missionnaire des atteintes d'un lion. Allons, le mot va venir, cette fois ! se disait M. Hotchkiss. Mais le récit se termina sans que le mot eût été prononcé. Nouveau désappointement, lorsque Kikuvi, d'un ton modeste, laissa tomber cette remarque Bwana nukuthaniwa ma Kikuvi (le maître a été sauvé par Kikuvi). J'aurais pu bondir de joie, dit M. Hotchkiss. Cependant, soit pour contrôler, soit pour ne pas risquer de voir ce trésor m'échapper, je commençai par mettre le verbe à l'actif, en disant . « Ukuthania Bwana ? » (Vous avez sauvé le maître ?) C'était correct. — « Eh bien, Kikuvi, m'écriai-je, voilà le mot que je cherche depuis « si longtemps afin de vous dire que Jésus, le Fils de Dieu, est venu pour… — Oh ! oui, interrompit Kikuvi, et son visage noir s'illumina tandis qu'il s'écriait : « Je vois maintenant, je comprends ! Jésus est venu pour nous kuthania de nos péchés et pour nous délivrer de la main de Muimu ! (Satan) ».
    Jamais mineur ne se réjouit plus de la découverte d'un filon d'or que ne fit le missionnaire solitaire lorsque, pour la première fois, il put prononcer dans une langue nouvelle ce mot incomparable : le Sauveur.

    Heureux encore quand on peut trouver le mot ! Souvent on ne le trouve pas, par la bonne raison qu'il n'existe pas. Une langue parlée par un peuple qui n'a jamais été en communication avec le reste de l'humanité, ne saurait avoir de mots pour désigner des objets inconnus de ceux qui la parlent. Comment peut-on parler de l'Agneau de Dieu aux Esquimaux qui, en fait de quadrupède, ne connaissent que le renne ?
    Si riche que soit le nupé, il n'a pas de mot pour veuve. Il n'y a dans ce pays ni veuf, ni veuve, ni vieux garçon, ni vieille fille. Si une femme perd son mari, pendant trois mois elle ne se lave pas, ne change pas de vêtements, reste solitaire, puis se remarie. Pas de mot non plus pour célibataire. Toutefois, il y a un terme, littéralement Oeil rouge, par lequel on désigne un jeune homme qui est triste parce qu'il voudrait se marier, mais n'a pas assez d'argent pour acheter une femme. Pas de mot pour fils ni pour fille. On dit enfant-homme, enfant-femme.
    Comme les Nupé ne connaissent pas la neige, on est obligé de dire blanc comme du coton pour blanc comme la neige.
    Le mosquite manque de mots pour dire Dieu, roi, prêtre, or, prophète, ange, ciel, saint, diable, marié. Le manque de certains de ces mots, du dernier par exemple, en dit long sur l'état dans lequel les missionnaires ont trouvé les Mosquites.
    En ibo (langue parlée dans le bas Niger, par trois millions d'hommes), il n'y a pas de mot pour dire père, ni soeur.

    Encore, quand ce ne sont que les mots qui manquent, on peut en faire. En erromangain (Erromanga est l'île où fut assassiné John Williams), il n'y avait pas de mot pour dire cheval. Les missionnaires adoptèrent et simplifièrent le terme grec, et créèrent le mot ipô. Mais la difficulté grandit quand la pauvreté des mots est due à la pauvreté des idées, des concepts, au manque absolu des notions morales.
    En santo, l'une des langues des Nouvelles-Hébrides, l'expression Royaume de Dieu a été extrêmement difficile à rendre. Dans cette île, on n'a pas de mot pour « royaume », parce qu'on n'a pas la chose. L'idée qui s'en éloigne le moins est celle d'un chef local influent. On voit que ce n'est pas la même chose. Le mot jugement a occupé les traducteurs pendant des semaines.
    En nupé, il n'y a qu'un mot pour dire âme, esprit, conscience, c'est le mot coeur. Il n'y a pas de mot pour croire : on a dû forger un mot dans lequel on a combiné accepter et parole.
    Les A-Mboundous ont un vocabulaire très riche pour les vices, très limité pour les vertus. Les missionnaires, au commencement, ne réussissaient pas à trouver l'équivalent du mot amour. Aimer se disait Ku-zola. Ku étant le signe de l'infinitif, ne pouvait-on pas laisser de côté cette syllabe et prendre zola pour amour ? Le missionnaire en fit l'essai, et voici ce qui arriva. Un jour, dans une allocution où il mettait toute son âme, il prononçait à réitérées fois ce mot-là. Les auditeurs paraissaient complètement mystifiés. « Je sais ce qu'il veut dire, s'écria tout à coup l'un d'eux. Il veut parler de ces grands hameçons de fer, vous savez ? »
    Le mot zola n'existait pas, ne disait rien à l'esprit des indigènes, mais par sa ressemblance avec le mot le plus voisin, dont le sens est hameçon, il finit par les faire penser à des hameçons.
    Dans les îles Fidji, il était absolument impossible, au début de la mission, de traduire cette phrase qui nous paraît si simple : Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, car il n'y avait en fidjien ni mot pour dire foi — la notion de confiance était entièrement étrangère à ces hommes, ni mot pour dire paix — étant toujours en guerre les uns avec les autres, ils ne pouvaient parler tout au plus que d'une simple suspension d'armes, — ni mot pour dire justice, et encore moins justifier, ni mot pour dire Dieu, ni mot pour dire donc. Il fallut attendre vingt et un ans avant de pouvoir donner aux Fidjiens l'Évangile de Marc traduit dans leur langue.

    En ibo, le même mot exprime l'idée de force et l'idée de droit ; on ne peut pas distinguer entre l'idée de punir et l'idée de faire souffrir. La vérité doit se traduire par le terme équivalent le plus rapproché : une bonne parole. Serviteur et esclave sont synonymes. Amitié et fornication sont deux termes presque impossibles à distinguer. Espérance doit se rendre par une périphrase, et le mot conscience doit être transporté tel quel dans la langue. Le mot esprit existe, mais la superstition l'a fait en quelque sorte déchoir, et la nécessité seule a pu décider les missionnaires à l'adopter.
    En kulivin, pour faire des aumônes, le missionnaire fut réduit à se servir d'un mot qui voulait dire : Engraisser un porc en lui donnant une nourriture abondante. Dans cette langue, croire se dit avaler. Nous disons quelquefois « avaler » dans le même sens. Le même mot désigne l'ennemi et l'étranger.
    Pour exprimer l'idée de chair, tel traducteur, en Inde, se trouve réduit au terme viande ; pour exprimer l'idée de péché, à violation de propriété ; pour exprimer l'idée de pardon, à effacer une dette ; pour exprimer l'idée de nouvelle naissance, à transmigration de l'âme.

    Dans l'État de Maïssour (Inde méridionale), le missionnaire Haigh demandait à un chrétien indigène qui avait lu la Bible, et avec grand soin, pendant un certain temps, comment il comprenait cette expression : les désirs de la chair. L'autre répondit : « C'est très simple, Monsieur : le désir de la chair, c'est le désir qui naît en nous de manger de la viande ». Une autre fois, un indigène dit au même missionnaire : « J'ai rencontré aujourd'hui un curieux passage dans votre livre : « Je ne craindrai pas ce que pourrait me faire la chair » (Ps. 56, 5, 12, traduction littérale). « Eh bien, dit le missionnaire, comment avez-vous compris cela ? — C'est bien clair, mais c'est une chose curieuse à dire, tout de même. Cela signifie évidemment : Je ne craindrais pas, lors même que, pour avoir mangé de la viande, j'aurais une indigestion » (Il était végétarien).
    Souvent, quand les mots existent, on n'en est guère plus avancé, preuve en soient les difficultés que rencontrèrent les missionnaires chez les Scheetswas.
    « Nous voulons traduire, je suppose, écrit le missionnaire Richards, d'Inhambane, Notre Père qui es dans les cieux. Nous demandons à un indigène : « Comment dit-on père ? Il répond : dadani. - « Comment dit-on ciel ?- Tilo. - Comment dit-on : dans le ciel ? - « Tilweni ». Alors, Notre Père qui est dans les cieux, se dira : Dadani wa hina wa le Tilweni (Le père de nous qui est là dans les Cieux). Tout un siècle employé à étudier la langue ne nous donnera pas une traduction meilleure. Mais si nous avons réussi à traduire les mots, nous sommes loin d'en avoir traduit le sens ! Ce que nous avons fait se réduit à peu près à rien. Pourquoi ? Parce que le mot de père n'a pas de sens pour le Scheetswa. Mère, cela lui dit quelque chose. Il jure toujours par sa mère, ne pouvant pas jurer par le nom d'un père qu'il ne connaît pas. Pour le Scheetswa, le père c'est un vieil acariâtre assis par terre, devant lequel il ne peut se présenter qu'en tremblant. L'enfant Scheetswa ne se tient jamais devant son père, mais toujours derrière lui, et il n'est jamais aussi content que lorsqu'il est hors de son chemin. L'idée de père, et surtout de « notre père », dépasse entièrement son horizon.

    Quant au ciel, l'idée spirituelle du ciel lui est inaccessible, et l'idée physique du ciel est associée dans son esprit à tout autre chose que le bonheur. Le ciel, pour lui, c'est un endroit, là-haut, aussi haut qu'on peut jeter son bâton, peut-être aussi haut que les étoiles, mais en tout cas un endroit où l'on ne saurait arriver sans se casser le cou, car il se le représente comme une calotte de métal. Impossible à un Scheetswa de comprendre comment on pourrait désirer de vivre dans un endroit pareil. L'idée que nous avons, nous, du ciel, est le fruit de l'éducation que nous avons reçue dès le berceau.

    26.4 - Nuances de style

    L'écart de l'angle, imperceptible au croisement des lignes, peut aller jusqu'à l'infini. Il en est de même de l'écart entre deux pensées qui, exprimées par les mêmes mots, par la même image, paraissant identiques au traducteur. Cet écart peut aller jusqu'à la distance qui sépare le oui et le non. Cela se comprend : les diverses langues correspondent à divers modes de pensée. Dès lors, les mêmes mots ne signifient pas toujours les mêmes choses, et peuvent même signifier des choses contraires.
    Ainsi, en indouî, on ne peut pas parler de répandre sa colère. Répandre sa colère, c'est l'apaiser. De même, cacher sa face implique l'idée de confusion, de honte, non de colère. Pour ne pas représenter Dieu comme couvert de confusion, il a fallu employer l'expression détourner sa face.
    Pour la dernière traduction de l'Ancien Testament en indouî (faite entre 1892 et 1900), les traducteurs se faisaient aider par deux pundits (docteurs indous), auxquels ils soumettaient leur texte. À propos de Genèse 46, 4, qu'on avait traduit littéralement, un des deux pundits fit cette réflexion : « Je ne parviens pas à comprendre cette histoire de Joseph. Il fait l'effet d'un si bon fils. Son père l'aime tant ! Comment donc se fait-il qu'ils se battent ensemble et que Joseph ayant le dessus applique à son père sur les yeux un coup si fort qu'il les lui ferme ? » On dut traduire, au lieu de te fermera les yeux, conduira tes funérailles.
    Parfois la méconnaissance d'une simple nuance peut donner lieu à une erreur des plus graves. Le Dr Grierson, employé supérieur de l'administration de l'Inde, raconte qu'au cours d'un séjour dans une région de ce pays, il constata un fait surprenant. Tout le monde, là, croyait que le Dieu des chrétiens est un Dieu couleur bleu de ciel. Tout ce que put leur dire le Dr Grierson ne réussit pas à les persuader de leur erreur. Ils avaient eu connaissance d'une ancienne traduction de l'Oraison dominicale dans laquelle Notre Père qui es au ciel est traduit par Notre Père céleste. Le terme choisi pour rendre le mot céleste n'était pas incorrect, mais il sert généralement à désigner les objets qui ont la couleur du ciel. Ainsi, de cette traduction à peine fautive était née une représentation singulièrement erroné, d'autant plus facilement accueillie — et d'autant plus dangereuse — que l'un des dieux de cette partie de l'Inde, Krishna, est un dieu bleu foncé.

    Dans la Colombie anglaise, un missionnaire fit une fois traduire par un catéchiste indigène les mots une couronne incorruptible de gloire (1 Pierre 5, 4). Lorsqu'il sut un peu mieux la langue, il s'aperçut que le catéchiste avait rendu ces mots par ceux-ci : un chapeau qui ne s'use jamais.
    Il paraît que les Indous manquent presque complètement d'imagination, ce qui fait que le sens allégorique de certaines expressions, évident pour nous, leur échappe ; d'où, pour le traducteur, la nécessité de faire parfois de sa traduction une interprétation.
    Ainsi, si l'on conservait l'expression à main levée (Nombres 15, 30), le passage signifierait que les Israélites sortirent d'Égypte en levant la main.
    Juges 7, 15, après Gédéon adora, on est obligé d'ajouter l'Éternel, autrement le lecteur pourrait supposer qu'il adora quelqu'un d'autre.

    Le passage Hébreux 12, 15, pour avoir un sens, doit être paraphrasé ainsi : « Que dans le champ qu'est votre assemblée aucune racine d'amertume… ne produise du trouble ».
    On ne peut pas dire : « Les Israélites montèrent hors d'Égypte », ni : « Un homme descendit de Jérusalem à Jéricho », car on n'emploie les mots monter et descendre que lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un escalier ou d'une montagne. Il faut dire simplement : « Les Israélites sortirent… », « un homme vint… ».
    Ésaïe 23, 15, si on traduisait littéralement : « … qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent », le lecteur pourrait penser que le juste jette le présent à terre parce qu'il n'en est pas satisfait et qu'il en désire un plus considérable. Il a fallu traduire : « … qui ne prend jamais de présent, et qui, si on lui en offre un, le jette à terre ».
    Ésaïe, dit un traducteur, est le livre de la Bible le plus difficile à traduire en indoui, parce qu'il est le prophète dont le langage est le plus imagé.
    Les réviseurs de la Bible en urdu s'aperçurent une fois que l'expression, bien naturelle, semblait-il, d'oiseaux du ciel, était comprise par un indigène intelligent comme une métaphore poétique pour désigner les anges. Ils remplacèrent les oiseaux du ciel par les oiseaux de l'air.

    Dans la révision de la traduction du Nouveau Testament en sindhi (Inde), la plus grande difficulté s'est présentée quand il s'est agi de traduire la salutation du Seigneur aux disciples : La paix soit avec vous. Le plus simple semblait d'adopter les mots Salam aleikum, qui sont la reproduction presque identique des mots araméens dont le Seigneur a dû se servir (Schâlôm alékem). Mais un des traducteurs a objecté d'abord que pour des Mahométans ces mots n'étaient qu'une expression toute banale, comme notre « comment vous portez-vous ? », et ensuite que cette forme de langage était tellement spéciale aux Mahométans qu'on ne pouvait la placer dans la bouche du Seigneur sans donner aux lecteurs l'impression que le Seigneur était lui-même un mahométan. La question est encore à l'étude.

    26.5 - Méthode et secret
    Dans aucune entreprise il n'y a eu plus de labeur, on peut dire plus d'héroïsme, que dans celle des traductions de la Bible. Nous sommes vraiment ici sur un champ de bataille où les serviteurs de Dieu ont dû se mesurer contre des Anakim, et où un grand nombre ont donné le meilleur de leur intelligence, de leur coeur, de leur volonté et de leur santé. Beaucoup se sont usés à la tâche (*). Robert Moffat, après vingt-neuf ans consacrés à traduire la Bible en sechuana (dix ans pour le Nouveau Testament, dix-neuf pour l'Ancien), fut tellement épuisé par l'effort accompli qu'il tomba malade et pensa mourir.

    (*) Voir ce que nous disons de Luther comme traducteur de la Bible (Histoire de la Bible hors de France — En Allemagne — point 25.2 du texte global = point 1.2 du texte Partie 5 — La Bible en Europe), et des versions chinoises (point 25.11 du texte global = point 1.7 du texte Partie 6 — La Bible hors Europe).

    Dans cette galerie de héros, une place d'honneur appartient à John Eliot. Ce grand missionnaire, qui travailla parmi les Indiens du Massachusetts de 1646 à 1690, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-sept ans, traduisit la Bible dans la langue indigène. Il commença à apprendre cette langue en 1643. Vingt ans après, la Bible paraissait. Cette traduction représente un labeur inouï. Eliot composa beaucoup d'autres ouvrages en langue indienne, entre autres une grammaire indienne à la fin de laquelle il livre en quelque sorte son secret, qui est assurément celui de tous les traducteurs de la Bible :
    « Si on me demandait comment j'ai découvert ces règles de grammaire, qui ne se retrouvent, à ma connaissance, dans aucune autre langue, voici en deux mots ma réponse. Tout d'abord, Dieu a mis dans mon coeur de la compassion pour ces pauvres âmes, et le désir de leur enseigner à connaître Christ et de les amener à son royaume. Un peu après, je trouvai, par la sage providence de Dieu, un jeune indigène très capable, ancien domestique dans une maison anglaise, qui comprenait assez bien notre langue, mieux qu'il ne la parlait, et qui savait fort bien sa langue à lui, et avait une prononciation très claire. Je fis de lui mon interprète. Avec son secours, je traduisis les commandements, la prière du Seigneur, et beaucoup de textes de l'Écriture, et rédigeai aussi quelques exhortations et prières. Je consignais avec soin les différences entre leur grammaire et la nôtre. Je poursuivais un mot, nom ou verbe, dès que j'en trouvais la piste, à travers toutes les variations que je pouvais imaginer. Et c'est ainsi que j'ai atteint mon but. Il ne faut pas rester assis, tranquillement, et attendre des miracles. Debout, au travail, et le Seigneur sera avec toi. Prière et labeur, par la foi en Jésus-Christ, peuvent tout » (*)

    (*) Cette Bible n'a plus aujourd'hui un seul lecteur, la langue ayant disparu. Toutefois, comme l'a dit le Dr Pierson, cette Bible n'est pas une ruine, mais une pyramide de son sommet sublime, le Peau-Rouge a pu entrevoir les splendeurs de la Cité de Dieu.

    Citons encore les lignes suivantes du missionnaire Copland King. Elles nous initieront à la méthode de travail qui a dû être celle de beaucoup d'autres traducteurs de la Bible. Le wedau, dans lequel ce missionnaire traduisit une partie des livres saints, était la langue d'une tribu cannibale.
    « Au bout de cinq années de travail, nous commençâmes à traduire l'Évangile selon saint Luc. Le meilleur élève de l'école était devenu notre aide. Nous lui expliquions le verset que nous voulions traduire, et nous lui demandions de le rendre à sa manière. Nous écrivions sous sa dictée. Le jour suivant, nous lui donnions notre traduction à nous. Chaque phrase qui nous arrêtait, nous la discutions, en nous référant toujours aux passages parallèles. Quand l'Évangile fut achevé, nous lûmes notre manuscrit à un autre élève très intelligent, en le priant de nous signaler tout ce qu'il ne comprenait pas. Inutile de dire qu'il y eut des difficultés de détail innombrables. Beaucoup d'objets mentionnés dans l'Évangile leur étaient complètement inconnus. Par exemple, ils n'avaient jamais vu de brebis. La parabole du bon berger ne leur disait rien. Mais si à brebis nous substituions porc, ils comprenaient. Il va sans dire que nous ne nous servîmes pas du mot porc dans la traduction. Nous fîmes entrer le nouveau mot, comme bien d'autres, dans leur langue, et ainsi nous élargîmes leur horizon.
    « Au commencement, ils ne comprenaient pas à quoi il pouvait servir de regarder à un papier couvert de signes, de raies noires. Ils nous demandaient souvent : « Est-ce que cela nous aidera à nous mettre de la nourriture dans la bouche ? » Leur objet unique semblait de se procurer de la nourriture. Aujourd'hui, plusieurs parmi eux savent dépenser de l'argent pour acheter les Évangiles ».

    26.6 - Résultats

    Au point de vue de la traduction elle-même, tout d'abord, le résultat obtenu a été admirable. Qu'on en juge par le trait suivant.
    « Un Zoulou, raconte un chrétien américain, me disait un jour : Les blancs sont bien privilégiés. Ils ont des chemins de fer, des télégraphes, des fusils qui se chargent par la culasse ; ils sont habiles, ils sont riches, ils sont bien habillés. Mais il y a un avantage qui leur manque et que nous avons, nous, c'est de posséder les Évangiles en zoulou. Je lui dis : « Notre traduction anglaise est magnifique. Après l'original, il n'y a rien de mieux ». Le Zoulou secoua la tête et répondit : « Elle ne peut valoir la nôtre ». Je ne pensai plus à cet entretien jusqu'au jour où un Malais me dit : « Le malais est la langue la plus éloquente du monde : Regardez notre traduction de la Bible ». Ceci me fit réfléchir. Mais ce n'est pas tout. Le chinois est un des plus affreux langages que l'on puisse imaginer. Je ne le parle pas, mais je donne ici l'opinion d'hommes qui le connaissent fort bien. Or, un chrétien chinois déplora un jour, en ma présence, la privation qui résulte pour les Européens du fait qu'ils n'ont pas accès à la Bible chinoise. Ceci m'éclaira encore davantage. Je suis arrivé à la conviction qu'une des choses qui font de l'Écriture un livre unique, c'est qu'elle peut supporter la traduction en une langue quelconque sans perdre de sa force ».
    Quant aux services rendus par les traducteurs de la Bible, ils défient toute évaluation.

    S'agit-il de l'action missionnaire directe exercée par la lecture de la Bible ? Voici un fait choisi au hasard parmi des centaines d'autres du même genre que l'on pourrait citer.

    Sur les flancs du plus haut volcan du monde. — Un pasteur de Mexico visitait dernièrement, dans une petite ville nichée sur les flancs du Popocatepelt, une église de fondation récente. Il vit là des chrétiens pleins d'enthousiasme, qui ont une école du dimanche, une société d'activité chrétienne, une société auxiliaire de dames, et présida à la réception de trente-deux nouveaux membres.
    Comment cette église avait-elle été fondée ? Un habitant de la ville, humble charbonnier, était entré en possession d'une Bible, il y a quelques années, l'avait emportée sur ces hauteurs, l'avait étudiée, puis lue à d'autres. Quelques-uns apprirent à lire pour pouvoir lire la Bible eux-mêmes. Bientôt il y eut là un cercle de croyants, et peu après une église organisée.

    Voici le témoignage d'un missionnaire wesleyen aux îles Fidji, M. Horsley, qui écrivait en 1866:
    « En avril 1865, j'eus à examiner vingt-huit jeunes gens, candidats au ministère. Tandis que je les écoutais l'un après l'autre, je fus frappé de voir combien de fois revenait cette affirmation que le seul moyen employé par le Saint-Esprit pour les convaincre de leur danger et pour les conduire à l'Agneau de Dieu, avait été la lecture du Nouveau Testament. Depuis lors, j'ai noté avec soin tous les cas de ce genre, et soit dans des conversations, soit dans des examens, soit par des documents écrits, j'ai pu me rendre compte que plus des deux tiers de nos deux cents catéchistes, prédicateurs laïques, maitres d'école, ont connu le danger où ils étaient et ont obtenu la paix par la seule lecture du Nouveau Testament, sans l'intervention d'aucun ministère humain. Ces hommes pouvant être considérés comme des spécimens de tout le groupe, on peut conclure que la majorité de nos membres (nous en avons actuellement 4.260, et 432 candidats) ont été amenés à la foi de la même manière.
    « Parmi le grand nombre de textes que l'Esprit de Dieu a appliqués aux consciences, celui qui a été mentionné le plus souvent comme ayant amené une âme à la repentante est celui-ci : Le salaire du péché, c'est la mort. Des âmes angoissées, par vingtaines, ont reçu la paix par le moyen de l'invitation du Sauveur : Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés… ».

    Le chant des deux livres. — Un autre ancien missionnaire aux îles Fidji, M. Nettleton, raconte que visitant l'île de Kandavu, où régnait jadis le cannibalisme le plus féroce, et où il n'y avait des chrétiens déclarés que depuis un an, il y fut l'objet, de la part de quatre mille enfants, élèves de l'école du dimanche, d'une réception peu banale. Ces quatre mille enfants, rangés en ordre, l'accueillirent par un chant indigène, dit le chant des deux livres. À la main gauche ils tenaient une massue, et à la main droite un Nouveau Testament. Levant la massue, ils chantèrent, sur un ait, monotone, mais harmonieux, le premier couplet de leur chant :

    En dedans, en dehors, écrivez sur le livre des païens :
    Lamentation, deuil, malheur.
    La veuve est étranglée, abattue par la massue, cuite, mangée :
    Voilà toute notre chanson.
    Ni école, ni Bible pour l'enfant,
    Ni jour de culte et de repos.
    La guerre, la guerre cruelle, c'est toute notre musique,
    Et le sang des tués tout notre désir.

    Puis, laissant retomber la massue, ils élevèrent de l'autre main, le Nouveau Testament, et chantèrent le second couplet :

    Mais l'Évangile de paix a été entendu dans notre pays,
    Le passé a disparu avec toute sa nuit.
    Dans nos mains n'est plus la massue du sauvage,
    Mais la Bible, qui apporte la lumière.
    Nous chantons un nouveau chant, nous écrivons un nouveau livre,
    Nous sommes dans la joie et nous apportons nos offrandes.
    Paix et bienveillance ont rendu nos demeures heureuses,
    Voilà pourquoi les enfants chantent.

    Les cas où la Bible a précédé et préparé l'action des missionnaires ne se comptent pas. Son rôle pour édifier, pour consoler, pour former les chrétiens et les évangélistes indigènes est d'une importance capitale.
    Voici comment s'exprimait en 1903, devant une Conférence missionnaire, le Dr Haven , représentant d'une Société qui avait à ce moment quatre-vingt-sept ans d'expérience, la Société biblique américaine :
    « Quelle place les corps missionnaires doivent-ils faire à la traduction de la Bible ? Ce travail doit-il être considéré comme de première importance ? Les comités doivent-ils savoir permettre à leurs hommes les plus distingués de s'y adonner exclusivement pendant un temps ? Faut-il s'y livrer avec diligence et enthousiasme jusqu'à ce qu'il soit achevé ? Ou bien faut-il le laisser traîner indéfiniment et lui consacrer les seuls moments que l'on peut distraire de travaux urgents, tels que la construction de maisons missionnaires, la création d'écoles ou d'établissements de charité ? La Société biblique, répond le Dr Haven, est convaincue que, lorsque ceux qui dirigent les entreprises missionnaires vastes comme le monde savent reconnaître l'importance du travail de la traduction de la Bible, ils assurent dans l'oeuvre missionnaire une véritable économie d'effort. Elle croit que de toutes les forces qui concourent à l'établissement du royaume de Dieu, aucune n'est plus essentielle ni plus efficace qu'une bonne traduction de la Parole divine. Oui, elle va jusqu'à croire que la Bible, traduite dans la langue du pays, a plus de valeur pour une oeuvre missionnaire que des maisons d'éducation, des hôpitaux, des asiles, et même des édifices de culte. La Bible l'emporte en efficacité sur tous les éléments d'action missionnaire, l'âme même des missionnaires étant mise à part. Ses conquêtes ne se comptent pas. Comment rendre justice à sa puissance éducatrice, à sa puissance de consolation ? Oui, nous plaidons pour le ministère de la Bible, et nous vous demandons, à vous nos collaborateurs, d'avoir à coeur les intérêts du saint volume, de faire ce qui dépend de vous pour que, partout, les forces missionnaires de nos églises puissent, par les moyens les plus sages et avec le plus de rapidité possible, concourir à réaliser ce mot d'ordre : La Bible entière pour le monde entier ».

    Voici le témoignage pittoresque d'un païen. Un chef de la Côte d'Or disait à un missionnaire de la mission de Bâle, après que la Bible eut été traduite dans la langue de son peuple : « Maintenant, nous allons vous redouter. Avant, quand vous veniez avec la Bible dans une langue étrangère, nous n'avions pas peur de vous. Votre hache était bonne, mais le manche n'en était pas assez solide pour abattre nos arbres-fétiches. Mais maintenant vous vous êtes fait un manche avec le bois du pays, et nos arbres sacrés ne demeureront pas longtemps debout ».

    Mais l'oeuvre des traducteurs de la Bible et des Sociétés bibliques a aussi exercé une action indirecte, dont la portée est incalculable. Plus d'une fois, ceux qui ont donné la Bible à une nouvelle race d'hommes ont préparé l'unification de la langue dans les régions où se parlent plusieurs dialectes, soit en traduisant la Bible dans le dialecte prépondérant, ce qui élimine peu à peu les dialectes secondaires, soit en fondant ensemble des dialectes peu différents. Ainsi, il y a actuellement trois versions des Écritures en trois dialectes ibo. Mais on prépare une révision qui donnera une Bible unique à ce peuple. On n'y fera figurer, autant que possible, que des mots communs aux trois dialectes, et quand cela ne se pourra pas, on indiquera l'explication en marge. En unifiant la langue, l'oeuvre biblique rapproche les hommes que rien ne divise comme la diversité de langage, elle inaugure une ère d'union parmi ceux que séparent des haines séculaires. Action indirecte, mais, sans elle, combien l'action directe serait plus lente !

    C'est surtout l'influence de la Bible pour la rénovation d'une langue que nous voudrions mettre en relief.
    Les lignes suivantes de M. le missionnaire H. Dieterlen (*) laissent entrevoir ce que peut être l'influence de la Bible sur une langue.

    (*) Journal des Missions, juillet 1907.

    « La langue des Bassoutos — et sans doute celles de tous les autres peuples de la terre — sait s'adapter aux idées chrétiennes d'une manière étonnante. Pendant des siècles et des siècles, elle n'a eu à traiter que des sujets matériels, terre-à-terre, humains, et il semble qu'elle ne doive savoir exprimer que ceux-là, qu'elle ne possède de mots que pour ce genre de choses. Mais non ! Arrive le christianisme, avec un monde d'idées nouvelles. Et voici la langue païenne qui se christianise, se convertit, si on peut dire ainsi, et s'adapte à l'esprit nouveau, pour le servir. Il faut parler de l'élasticité des mots des langues humaines. Petits d'abord, étriqués, étroits, ils se gonflent au fur et à mesure que s'élargissent la pensée, le coeur et l'âme des hommes. L'esprit du ciel qui entre dans les âmes s'insinue aussi dans les mots, étend leur sens et les enrichit d'acceptions nouvelles et supérieures. Prenez, par exemple, le mot mohaou en sessouto, qui signifie la grâce. Primitivement, que pouvait-il signifier, sinon l'indulgence avec laquelle un homme peut traiter son semblable dans les plus petites affaires de la vie quotidienne ? Pourtant, il a passé dans le langage chrétien, il y est employé pour désigner la grâce de Dieu, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus sublime et de plus puissant. Je ne crois pas qu'il ait déjà acquis, dans l'esprit et l'usage des Bassoutos, toute l'ampleur qu'il comporte. Il a encore à s'élargir et à s'enrichir, et il le fera, à cause de son élasticité même, qui correspond à celle du coeur des Bassoutos. Mais que de progrès il a déjà faits, et quel bel avenir a cette langue, déjà intéressante en elle-même, mais dont le christianisme fait patiemment la plus noble éducation ».
    Voici quelques lignes d'un savant anglais, le Dr Barber.

    « Le wenli (langue littéraire de la Chine) est une langue littéraire, concise, pittoresque, un magnifique instrument pour la pensée, qu'un Tacite aurait pu envier. Le mandarin en diffère autant que le parler de la campagne diffère du style de nos journaux. Il y a cent ans, personne n'aurait songé à écrire en mandarin autre chose que des contes grossiers ou des ballades aux airs bruyants. Quand les missionnaires vinrent, ils traduisirent d'abord la Bible en wenli, à l'intention des savants. Aussi les premiers prédicateurs durent traduire et paraphraser la Bible pour leurs auditeurs. Forcément, les missionnaires furent amenés à imiter les Wiclef et les Luther, à traduire pour le peuple. Ainsi l'on fit des versions en mandarin, pour que les humbles pussent être mis directement en contact avec la vérité. Les lettrés, à cette seule idée qu'il pût valoir la peine de lire quoi que ce fût dans une langue « qui n'avait pas de goût dans la bouche », exhalaient un mépris sans limite. Mais peu à peu la langue parlée devint consciente de sa dignité. Autour de la Bible se produisit une littérature chrétienne considérable, ce fut une vraie renaissance, et maintenant, dans ce siècle de changements, les ouvrages en mandarin sont nombreux. Ainsi, l'histoire se répète, et la langue du foyer et du marché, baptisée dans son enfance littéraire par les eaux de l'Évangile, entre dans un âge mûr plein de vigueur et de dignité.
    « Ainsi, au sein même d'une civilisation et d'une culture antiques, l'avènement de la Parole de Dieu, c'est la vie dans la sphère de l'esprit. Et le temps manquerait pour parler de tant de nations barbares, sans littérature, sans histoire intellectuelle, pour lesquelles, dans notre propre siècle, le missionnaire a inventé un alphabet, auxquelles il a enseigné à lire et à écrire, et auxquelles il a donné comme base de toute leur littérature, comme fondement de toute leur pensée, ces paroles de Dieu qui furent sa vie à lui et celle de sa nation. C'est la Bible qui a fait surgir toute la vie intellectuelle qui est maintenant née dans les archipels du Pacifique, sur les hauts plateaux de l'Ouganda, dans les Kraals des Zoulous, dans les neiges du Kamtschatka. Ce n'est pas l'amour de la littérature qui aurait jamais fait envoyer des missionnaires aux iles Fidji, ou aux wigwams des Indiens ! »
    Le missionnaire Richards, dont on lisait plus haut quelques lignes sur l'impossibilité de trouver en sheetswa des termes convenables pour rendre les mots de Père et de ciel, ajoutait ce qui suit au récit de ces expériences décourageantes.

    « On nous demandera : Si, en traduisant, vous aboutissez à un tel échec, comment la vérité qu'expriment les mots pénétrera-t-elle jamais dans l'esprit de l'indigène ? Nous répondons : Aussitôt que l'indigène commence à prier, à entrer en relation avec le Père, le Père envoie son Esprit, et cet Esprit l'éclaire et accomplit ce qu'aucun être humain ne peut accomplir. Des vingtaines de fois, nous avons vu des indigènes, dont, après qu'ils avaient passé par la conversion, le regard s'éclairait, dont toute l'attitude, comme toute la vie, se transformait. Le Saint-Esprit les avait illuminés intérieurement et leur avait fait comprendre le sens des mots ».
    Ainsi, comme l'a écrit M. le pasteur Babut : « les Saintes Écritures, en s'appropriant un nouvel idiome, l'enrichissent et l'ennoblissent. C'est comme une alchimie spirituelle où le plomb se change en or ».
    On conçoit aisément que la Bible ne transforme pas ainsi la langue d'un peuple sans transformer son âme, surtout lorsqu'elle est le premier, et pendant plus ou moins longtemps le seul livre de ce peuple. La Bible devient la source et la norme de la littérature, le moule de la pensée. En purifiant la langue de ses termes violents, orduriers, en versant de l'infini, du divin, dans ce qu'elle laisse subsister et dans ce qu'elle transfigure de son vocabulaire, elle facilite, mieux que cela, elle commence la transformation du peuple lui-même. Un peuple dont la Bible a régénéré la langue, est déjà, en une mesure, un peuple régénéré.
    Enfin, qu'on songe à ce que gagne un peuple, dans l'ordre purement humain, par le seul fait que sa langue devient une langue écrite. La Bible, en donnant à un peuple l'alphabet créé pour elle, lui ouvre les portes de la civilisation comme elle lui ouvre le chemin du royaume des cieux (*).

    (*) Voir fragment La Bible au Lessouto, point 25.10 du texte global = point 1.6 d de la partie 6, La Bible hors d’Europe.

    Si l'on songe que, sur les quatre cent cinquante langues dans lesquelles la Bible a été traduite pour la première fois depuis le commencement du dix-neuvième siècle, il y en a un grand nombre (entre cent et deux cents) qui n'existaient alors qu'à l'état oral, et qui sont devenues des langues écrites, puis imprimées, par les soins des traducteurs de la Bible, il saute aux yeux que ce que la race humaine doit, soit au point de vue religieux, soit au point de vue philanthropique, à la Bible et à ses traducteurs, tient de l'infini.
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    Message  Arlitto Sam 14 Nov 2020 - 14:59

    27 - Influence de l’Ancien Testament sur la langue française

    Qui donc se doute de tout ce que la langue française doit à la Bible, et particulièrement à l'Ancien Testament ? Nous parlons tous plus ou moins hébreu. C'est ce qu'a démontré dans un gros et savant ouvrage (*) un professeur du lycée Hoche, à Versailles, M. Trénel.

    (*) L'Ancien Testament et la langue française au moyen âge, chez Léopold Cerf.

    Il nous montre, dès le troisième siècle, la Bible contribuant largement à la création même de notre langue (*). Dans cette langue, en partie créée par la Bible, l'élément biblique n'a pas cessé, pendant des siècles, de s'infiltrer toujours davantage, soit par les diverses traductions de la Bible qui se suivent à jet continu, soit par l'éloquence chrétienne. « Des origines à la fin du quinzième siècle, c'est un lent apport de mots qui s'acclimatent plus ou moins rapidement, d'expressions qui s'introduisent sous l'inspiration du mysticisme ou de la piété. Puis, au moment où il semble que l'action de la Bible arrive à son terme et s'épuise, éclipsée par la renaissance des lettres grecques et latines, elle trouve dans la Réforme un regain de vie, et la voilà remise en honneur par toute la pléiade des écrivains protestants, dont l'oeuvre est si profondément empreinte de l'esprit et du style de l'Ancien Testament. Dans cette crise religieuse, l'Écriture se fraie un passage, pénètre dans la langue usuelle et s'y mêle. Jamais sans doute son triomphe ne fut plus grand. Pour un temps elle menace de s'installer victorieusement dans le vocabulaire… La langue allait emprunter une parure nouvelle aux beautés de l'Ancien Testament ».

    (*) Voir points 4.1 et 4.2 du texte global et de la partie 1 « Jusqu’au 16° siècle »

    M. Trénel consacre plus de 650 pages in-8 à faire le bilan de ce que, pendant le moyen âge seulement, notre langue a reçu de l'Ancien Testament. Il montre, toujours avec abondance de citations, que l'Ancien Testament a fourni à notre langue 272 mots (sans compter les noms propres) et 768 expressions, dont 133 proviennent des psaumes. « Depuis le quinzième siècle, pas de déchet appréciable, quatre ou cinq mots en tout ». Et il y a plus. « L'Ancien Testament s'unit à la langue d'un lien plus étroit encore par le tribut qu'il lui apporte de ses formes de pensées nouvelles : tournures poétiques, images, comparaisons, sentences, et aussi de ses souvenirs historiques, ou même de quelques-unes de ses constructions grammaticales. La langue hésitera parfois devant certaines audaces de langage des prophètes. Mais qu'importe ; malgré ces timidités légitimes, une source nouvelle de poésie a surgi, qui ne tarira pas ». On nous saura gré de donner quelques exemples de cette véritable invasion littéraire (qui apparaîtrait autrement considérable, si on ne s'arrêtait pas au seizième siècle, et si on étudiait aussi l'influence du Nouveau Testament sur la langue).

    27.1 - Mots
    Voici d'abord pour les mots (importés de l'hébreu lui-même, ou de la traduction grecque des Septante ou de la Vulgate). Comme ces mots grecs ou latins ont perdu, en passant dans les traductions, leur sens classique pour prendre un sens biblique, ils comptent à juste titre comme mots bibliques.
    1) IMPORTÉS DE L'HÉBREU : Amen, chérubin, séraphin, Eden, jubilé, pâque, sabbat, samedi (sambati diem), tohu-bohu, aloès ; myrrhe, nard, saphir, etc.
    2) IMPORTÉS DES SEPTANTE : Cataracte, église, paradis, patriarche, prophète, scandale, genèse, exode, etc.
    3) IMPORTÉS DE LA VULGATE : Abomination, adorer, angulaire, arche, bénir, confondre, consommer, convertir, déluge, émissaire, engendrer, esprit, exalter, exterminer, face, iniquité, jeûner, lapider, maudire, opprobre, péché, etc.

    4) MOTS FRANÇAIS AUXQUELS LEUR EMPLOI POUR LA TRADUCTION DE LA BIBLE A AJOUTÉ LE SENS PROPREMENT BIBLIQUE
    Achoppement, alliance, brebis, calice, cendre, chair, dormir, fléau, joug, pain, pasteur, récolter, moissonner, semer, vanité, voile, etc.

    27.2 - Expressions
    Expressions empruntées à l'Ancien Testament.
    1) EXPRESSIONS CONTENANT LE MOT DIEU : Dieu des armées, Dieu de vérité, Dieu de vengeance, Dieu vivant, Dieu frappe et il guérit, le fléau de Dieu, craindre Dieu, croire en Dieu, espérer en Dieu, Dieu soit avec vous, Dieu vous garde, Dieu m'est témoin, etc.
    2) TERMES ET EXPRESSIONS LITURGIQUES : Observer la loi, transgresser la loi, faire la pâque, etc.
    3) INSTITUTIONS POLITIQUFS : Les anciens, le conseil des anciens, etc.
    4) EXPRESSIONS TIRÉES DE LA VIE PASTORALE : Brebis perdue, rosée du ciel, la graisse de la terre, le fruit des entrailles, sous le ciel, etc.
    5) FORME CONCRÈTE D'IDÉES ABSTRAITES : La terre des vivants, effacer le nom de, l'ombre de la mort, les portes de la mort, descendre dans la tombe, dormir son sommeil, dormir du sommeil éternel, né d'une femme, n'être que poussière, tirer quelqu'un de la poussière, de la boue, la bonne, la mauvaise voie, la voie des hommes, porter sa faute, bouc émissaire, son sang est sur lui, porter l'opprobre, être couvert de confusion, effacer l'opprobre, rassasier d'opprobres, boire le calice jusqu'à la lie, abreuver de larmes, de fiel, d'amertume, la veuve et l'orphelin, mes entrailles s'émeuvent, se boucher les oreilles, joug de fer, briser le joug, briser ses fers, tirer d'esclavage, sang innocent, courber le genou, garder sa langue, ouvrir les yeux à, etc.
    6) LANGUE POÉTIQUE : Enfants des hommes, enfant de sa vieillesse, maison d'Israël, cité sainte, la vie éternelle, sommeil éternel, pierre angulaire, le lys des vallées, ciel d'airain, cieux fermés, le sentier de la vie, pain de larmes, pain de douleur, jour de vengeance, tous les jours de la vie, terre de misère, vallée de larmes, lit de douleur, coeur de pierre, parler au coeur de, disperser à tous les vents, prendre le ciel à témoin, réduire en poudre.
    7) EXPRESSIONS PROVERBIALES : C'est la chair de ma chair, ne faire qu'une chair, le fruit défendu, vivre autant que Mathusalem, c'est notre Benjamin, adorer le veau d'or, oeil pour oeil, dent pour dent, avoir deux poids et deux mesures, ainsi soit-il, fort comme Samson, aussi sage que Salomon, se prendre à son propre piège, aimez qui vous aime, qui donne au pauvre prête à Dieu, chaque chose a son temps, etc.
    8) COMPARAISONS BIBLIQUES : Plus blanc que neige, s'évanouir comme une fumée, sécher comme l'herbe, fondre comme cire, etc.
    9) FAITS HISTORIQUES, ALLUSIONS : Arbre de vie, paradis terrestre, la colombe de l'arche, la tour de Babel, l'échelle de Jacob, les plaies d'Égypte, le bouc émissaire, etc.

    27.3 - Tournures hébraïques
    Enfin, les tournures hébraïques :
    1) DEUX SUBSTANTIFS DÉPENDANT L'UN DE L'AUTRE, DONT LE SECOND FAIT FONCTION D'ADJECTIF : Trône de gloire, parole de vérité, souffle de vie, vent de tempête, homme de sang, esprit de vie (ces tournures devenues si françaises sont une traduction littérale de l'hébreu).
    OU QUI RÉUNISSENT L'ABSTRAIT ET LE CONCRET : Source de vie, esprit de sagesse, coupe de douleur, etc.
    OU QUI, L'UN RÉPÉTANT L'AUTRE, EXPRIMENT L'IDÉE DU SUPERLATIF ABSOLU : Le Roi des rois, cieux des cieux, siècles des siècles, etc.
    2) PARTICULARITÉS DE SYNTAXE QUI ONT FAIT VIOLENCE À LA SYNTAXE DU GREC OU DU LATIN : Faire miséricorde, faire le bien, faire le mal, rendre le mal pour le bien, trouver grâce, être en opprobre, en bénédiction, dans l'amertume de mon âme, au nom de Dieu, de siècle en siècle, etc (*).

    (*) Il nous parait intéressant de reproduire ici un passage de l'étude de M. Ed. Reuss sur le français des Bibles du moyen âge :
    « Une idée m'a surtout frappé pendant cette étude, c'est celle du triste appauvrissement de la langue française actuelle, comparée à ce qu'elle était il y a cinq siècles. Un nombre prodigieux de mots oubliés et perdus, une allure libre et dégagée de la phrase changée en une syntaxe étroite et rigoureuse, voilà en deux mots à quoi revient la différence des deux époques, et la nôtre, en fait d'avantages réels, n'a guère à faire valoir que la fermeté de son orthographe, et les caprices de sa règle des participes.
    « Pour donner une idée de cet appauvrissement de la langue, voici une série de mots tirés du seul chapitre 14 des Juges que je prends au hasard : noncer (nunciare) ; je queisse (quaererem) ; achoison (occasio) ; ree (favus) ; ee (apis) ; je seur, je soloie (soleo, solebam) ; vallet (juvenis) ; devinaille (énigme) ; souldre (solvere) ; sydoine (chemise), cote (tunique) ; oir (audire) ; blandir (blandire) ; ardre (ardere) ; espondre (exponere) ; courroucié (molestus) ; arer (arare) ». — Revue de Théologie, IV, janvier 1852.

    Il nous semble que cette nomenclature n'a pour un chrétien rien de sec ni de banal. Que d'autres en tirent les conclusions qu'ils voudront. Pour nous, voici la nôtre : Si Dieu n'était pas notre créateur et notre Roi, si la Bible ne nous apportait pas son message, si elle n'était pas parfaitement humaine et par conséquent vraiment divine, verrait-on ce livre façonner et pétrir ainsi les langues des hommes, faire éclater la grammaire, détruire la syntaxe de langues séculaires, les pénétrer, s'y infiltrer, les refaire à son image, aider à la création de langues nouvelles, au point qu'aujourd'hui, en France, au vingtième siècle, personne ne peut ouvrir la bouche sans parler plus ou moins la langue de la Bible ? Quand nous employons, par exemple, des locutions aussi courantes que faire le bien, faire le mal, rendre le bien pour le mal, sous le ciel, c'est la langue de Moïse, c'est la langue des psaumes, c'est la langue des prophètes hébreux que nous parlons. Et que l'on songe que ce qui est vrai pour le français l'est bien davantage pour l'anglais et pour l'allemand, et davantage encore pour tant de langues dont la traduction de la Bible a été le premier livre écrit et la première littérature. Pour nous, nous ne pouvons autrement que voir dans ce règne littéraire de la Bible une des preuves et une des formes de la royauté de Jésus Christ. Déjà, dans un sens, toute langue le confesse.

      La date/heure actuelle est Jeu 21 Nov 2024 - 14:21