Focus sur les Témoins de Jéhovah à l’occasion d’une conférence Mosaïk Cristal
16 avr. 2024
De nombreux curieux s’étaient rassemblés pour écouter l’ancien professeur d’histoire-géographie du lycée Jean de Pange, Bernard Blandre. Depuis son plus jeune âge, il s’intéresse aux mouvements religieux et il a passé beaucoup de temps à étudier les Témoins de Jéhovah. Réalisation : Guillaume DUMONTEIL
_________________________________________________________________________________________________________ Tout ce que vous avez dit en secret sera crié sur les toits en terrasse - Luc 13:3. C'est bien ce qui se passe avec internet depuis une bonne dizaine d'années
Je suis sorti d'une secte philosophique: une communauté fascinée par un individu au langage obscur...
En philosophie, comme partout, il y a des modes. Dans les années 60, à Paris, la star de la Sorbonne c’était Jacques Lacan. Tout le monde venait au séminaire de Lacan, c’était l’endroit où il fallait être. Bien sûr Lacan a des intuitions stimulantes, mais il avait surtout un statut de gourou et ce statut de gourou et d’escroc revendiqué est lié à son langage obscur. Car un langage obscur, c’est un moyen de pouvoir. Ne soyez pas jamais impressionnés par les phrases obscures, surtout quand elles viennent de philosophes. Exigez de la clarté. Voici le conseil de quelqu’un qui est tombé dans ces travers. Je vais être très honnête. Pendant mes études à la Sorbonne, mes camarades et moi, on se moquait de la génération Lacan. Mais avec le recul je dois avouer une chose : je suis tombé dans le même panneau.
1) Le cas Heidegger J’ai passé un an et demi à ne lire que du Heidegger du matin au soir, en essayant de donner un sens à tout ça, probablement comme le faisaient les élèves de Lacan. Le retour sur terre, ç’a été au moment de devoir enseigner. J’ai enseigné avec plaisir à des élèves Aristote, Descartes, Kant, même des trucs compliqués de la Première Critique... mais Heidegger, celui que j’avais le plus étudié, impossible. Pas parce que c’était trop dur. Mais parce que des élèves de 18 ans, contrairement à un public universitaire, demandent des justifications, des exemples, des arguments, des reformulations ils adhèrent pas à quelque chose juste parce que c’est Heidegger qui l’a dit. Or, dans tout Heidegger, vous trouverez pas un seul argument. C’est des déclarations mystérieuses, intimidantes, avec des concepts ultra flous, qui, je vous le garantis, signifient rarement deux fois la même chose. Heidegger c’est fascinant, mais ça ne convainc pas des gens qui ont le souci basique du concret, de la cohérence et de la vérité.
Et je vais aller plus loin: je pense, pour en avoir fait partie, que les disciples de Heidegger ont quelque chose de franchement sectaire : quand vous êtes là-dedans, vous acceptez d’abord de pas pouvoir communiquer vos pensées avec l’extérieur, parce que c’est soi-disant trop élevé, c’est trop au-delà de la conscience commune. En plus, vous acceptez l’autorité d’un maître qui a raison sur tout. Heidegger est d’une mégalomanie délirante, c’est l’élu. Il dit qu’il accomplit le destin de la philosophie et l’histoire de l’être, et tout ce qui vient avant lui est juste une préparation imparfaite à Heidegger. Enfin, si vous êtes dans la secte, vous finissez par rationaliser les écarts du maître, et même celui, quand même un petit peu embarrassant, d’avoir été ouvertement nazi. Une fois que vous avez accepté que votre philosophe préféré est nazi, vous pouvez accepter pas mal d’idées obscures.
2) Du bon et du mauvais jargon Qu’est-ce qu’un bon jargon? Il y a un critère très simple. Un bon jargon raccourcit le discours. Si je dis que “ E.”, j’utilise un langage incompréhensible pour la plupart des gens. Mais ce n’est pas un langage obscur. Pourquoi ? parce que chaque terme peut être expliqué en des termes plus simples. Au contraire, dans le mauvais jargon, on ne peut pas faire ça. Soit parce que les termes sont mal définis, soit parce que le jargon, plutôt que de raccourcir le discours, l’allonge.
3) Un doute Pour finir, j’aimerais vous faire part d’un doute. J’aime la clarté, j’aspire à cet idéal dans ce que fais, et je critique les philosophies en manquent à mon goût. Mais cette tendance dit peut-être quelque chose de moi. Peut-être que j’ai un désir de maîtrise excessif, peut-être que je suis devenu bouché à toute une dimension de la philosophie, le transcendant, l’indicible, ce qui est plus grand que notre raison. Se contenter d’énoncer clairement ce qu’on entend clairement, comme le demandait Montaigne, c’est peut-être devenir un peu fermé au mystère, à la poésie. Se couper d’une partie importante de notre existence. Probablement, en tout cas je n’ai rien à répondre à ceux qui me le reprocheraient. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis devenu trop allergique aux profonditudes d’une certaine philosophie, et que je trouve dans la nature, dans l’observable et le démontrable, assez de sujets d’émerveillement pour ne pas avoir besoin de chercher du côté de l’invisible et du mystérieux.
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