Un mot de la Bible, le mot ‘hadès’ ...
HADÈS, séjour des morts, enfers
Voilà une belle empreinte grecque dans les textes bibliques !
Dans la Traduction Œcuménique de la Bible par exemple, juste un mot, mais immédiatement repérable et identifiable quand on le lit au détour d’une page :
———Hadès, tel quel.
Mais que vient faire dans la Bible l'un des dieux de la mythologie grecque ?
Un mot de la Bible,
le mot ‘hadès’ ...
par Dominique Hernandez
le mot ‘hadès’ ...
par Dominique Hernandez
Hadès est à la fois un nom propre et nom commun : Hadès désigne un dieu du panthéon grec et le séjour des morts sur lequel ce dieu domine. Ce séjour des morts est également appelés enfers, les enfers, ce qui renvoie simplement à sa localisation : sous la terre, de la racine latine “inferus” signifiant “qui se trouve en dessous”.
Faisons d’abord un détour par l’hadès du coté grec avant de nous tourner vers l’emploi biblique du terme.
• Hadès est fils de Chronos et de Réa.
Comme ses frères et sœurs, il est avalé par son père à sa naissance, puis délivré par Zeus que Réa avait préservé du sombre projet de Chronos.
Ensuite, Zeus, Poséïdon et Hadès se partagent l’univers en tirant au sort : Zeus devient maître du ciel, Poséïdon celui de la mer, et Hadès celui du monde souterrain, la terre étant un territoire commun.
Le nom d’Hadès est rarement prononcé, par crainte des mauvais augures. On l’appelle Pluton, le riche, et selon Sophocle, c’est parce que Hadès s’enrichit de nos pleurs et de nos gémissements.
Mais on l’appelle encore Euboulos, le bon conseiller, ou encore Pylarte (aux portes solidement closes), ce qui nous amène aux caractéristiques de son infernal domaine.
• Pour les grecs, le séjour des morts, l’hadès communique avec la surface de la terre en de rares endroits tels le cap Ténare près de Sparte ou le lac Averne en Campanie. Quelques vivants empruntent ces passages périlleux, comme Ulysse qui veut consulter l’ombre du devin Tirésias, ou bien Enée qui souhaite s’entretenir avec celle de son père, ou encore Orphée qui va chercher sa bien aimée Eurydice. Quant à Hercule, il en ramène Cerbère, le chien à trois têtes, gardien de l’entrée et de la sortie, mais Hercule ne tardera pas à le renvoyer aux enfers, en raison des trop importants dégâts causés par le monstre.
La géographie de l’hadès est détaillée en divers ouvrages pas toujours concordants. Il y coule cinq fleuves : le Styx, l’Achéron, le Léthé (fleuve de l’oubli), le Cocyte (fleuve des gémissements), et le Phlégéton (fleuve de feu).
Les morts, s’ils sont bien munis de l’obole nécessaire, empruntent la barque de Charon pour traverser le fleuve Styx, et ils sont présentés aux trois juges, Minos, Rhadamante et Eaque, qui décident de leur destination finale. La grande majorité rejoint la plaine des Asphodèles ; une petite minorité, les héros et les personnes particulièrement vertueuses, profitera des Champs Elysées, les îles des Bienheureux, tandis que les mauvaises ombres seront rejetées encore en dessous du séjour des morts, dans le Tartare là où Tantale, Sysiphe, les Danaïdes côtoient les Titans que gardent des géants aux cent bras.
Les morts sont appelés ‘ombres’. On peut voir au musée Rodin (à Paris) un groupe portant ce nom, “Les ombres” : Trois défunts debout, aux têtes inclinées à l’excès, comme désaxées du buste, et à la détente trop accentuée des épaules et des bras. Cette attitude désarticulée évoque parfaitement la faiblesse et l'état de diminution des résidents des enfers.
(ce groupe est précisément destiné
à surmonter “Les portes de l'enfer”,
une sculpture monumentale d'Auguste Rodin)
à surmonter “Les portes de l'enfer”,
une sculpture monumentale d'Auguste Rodin)
Absence de conscience, mais aussi absence de sang, les morts mènent une existence (est-ce bien le mot ?) morne et sans substance, cela pour l’éternité. Achille, dont Ulysse croise l’ombre au cours d’une des multiples aventures de l’Odyssée, dira au roi d’Ithaque:
“J’aimerais mieux
être sur terre domestique d’un paysan,
fut-il sans patrimoine et presque sans ressource,
que de régner ici parmi ces ombres consumées.”
• Le séjour des morts, que le monde grec appelle hadès, les hébreux le nomment SHéOL.
Il y a des traits communs entre l’hadès et le SHéOL. Les représentations de l’au-delà se rejoignent dans ces cultures antiques, d’abord par la localisation : c’est un monde sous la terre. Et puis dans l’hadès ou dans le SHéOL, le mort est l’ombre de ce qu’il était de son vivant ; rien qu’une ombre, et la plainte d’Achille pourrait être celle des trépassés au SHéOL. C'est un lieu où Dieu n’est pas, lieu d’oubli et d’obscurité où “l’aurore et la clarté sont nuits noires” crie Job aspirant à la mort. Le livre de la Sagesse, livre écrit en grec et appartenant au corpus appelé deutéro-canonique, relie à cette noirceur la nuit des ténèbres qui s’abattent pendant trois jours sur l’Egypte, la neuvième plaie d’Egypte (en Exode 10,21-23).
Pour plusieurs textes de l’Ancien Testament, aucun espoir n’est permis dans le SHéOL où l’on ne peut même plus prier Dieu ni compter sur sa fidélité : le SHéOL est un lieu sans Dieu, les ombres y sont tombées dans l’oubli ; entre le monde des morts et celui des vivants, la rupture est radicale.
D’autres textes affirment que Dieu est maître également au séjour des morts et qu’il décide de ceux qui y vont et de ceux qui en reviennent. C’est le cas d’un passage du livre de la Sagesse :
“Tu as pouvoir sur la vie et sur la mort, tu fais descendre aux portes de l’Hadès et tu en fais remonter ; l’homme, lui, peut tuer par méchanceté, mais il ne fait pas revenir le souffle qui est sorti et ne délivre pas l’âme qui a été recueillie.”
—(Sagesse 16,13 ; voir aussi 1,14.16 ; 2,1 ; 17,14)
Le pouvoir de Dieu sur le séjour des morts et finalement sur la mort est affirmé dans le Nouveau Testament par exemple dans le livre de l’Apocalypse, dès le début de la grande vision. Celui qui est le Premier et le Dernier et le Vivant déclare :
“je fus mort et voici, je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’hadès.”
——————————(Apocalypse 1,18 ; voir aussi 6,8)
Et à l’autre bout de l'Apocalypse, il est écrit que lors du jugement final :
“...la mort et l’hadès rendirent leurs morts et chacun fut jugé selon ses œuvres. Alors la mort et l’Hadès furent précipités dans l’étang de feu. L’étang de feu, voilà la seconde mort !”
——————————————(Apocalypse 20,13-14)
La mort de la mort en quelque sorte, la disparition complète du séjour des morts devenu obsolète, sans objet, sans effet. Car telle est la fonction de l’hadès : garder les morts jusqu’au jugement dernier. Il faut un lieu pour attendre. Le temps et l'espace sont liés pour les humains et il faut un lieu parce qu’il y a du temps qui passe, orienté vers le jugement des vivants et des morts par le Seigneur. Seulement, les visions de l’Apocalypse concernent-elles l’avenir, ou le présent ? La puissance de la mort est-elle à vaincre ou déjà vaincue par le Ressuscité?
Contrairement à l’hadès dans la culture grecque, le séjour des morts ne donne pas lieu à des représentations détaillées dans le Nouveau testament, au point qu’on peut penser que sa topographie et ses caractéristiques n’intéressent pas du tout les auteurs. A peine quelques images évoquent brièvement un hadès comme un lieu de tourments, avec des flammes, où l’on souffre de la soif et d’autres épreuves encore, tandis que les justes reposent paisiblement dans le sein d’Abraham. Mais l’intérêt de la parabole du riche et du pauvre Lazare (Luc 16) ne porte pas sur la description de l’hadès. Ou bien c’est juste un mot de Jésus dans l’évangile de Luc encore, pour promettre à un des deux brigands crucifiés avec lui de le retrouver au paradis. Une partie de l’hadès ? un autre lieu ? Le texte n’en dit pas plus, car là encore, il pointe vers bien plus important que la représentation de l’au-delà.
Ce qui importe à Luc et aux autres évangélistes, c’est bien plus le présent des lecteurs que les spéculations sur le séjour des morts. Car c’est dans le présent de la vie sur terre que se joue le jugement attendu avec le retour du Christ. La résurrection du Christ, l’événement de Pâques, et l’assurance de la résurrection des morts à la fin de l’histoire contribuent finalement beaucoup au désintérêt des questions sur le temps de la mort et le lieu des morts. La foi dans un Sauveur qui a vaincu la mort retire à celle-ci et au séjour des morts toute fascination et toute curiosité de la part des croyants. L’ultime de l’existence et le sens de la vie ne résident pas dans la mort. Alors les quelques allusions sur l'hadès, l'au-delà, sont au service d’autres problématiques concernant le présent de la foi telles les exhortations à la confiance, à la persévérance ou la valorisation de l’éthique. Si le mot hadès se rencontre seulement dans les évangiles selon Matthieu et Luc, les quatre évangiles, chacun à leur manière, portent leur éclairage sur “la vie maintenant”.
Quant à l’apôtre Paul, qui n’utilise jamais le terme, (mais comment ne pas évoquer Paul sur une telle question !), il fait preuve dans ses lettres d’une indifférence de plus en plus grande envers les représentations de l’au-delà, indifférence qui correspond au cœur de la Bonne Nouvelle qu’il annonce aux nations : le croyant est déjà sauvé par la foi ; dans la confiance, il est donc libéré de toute préoccupation sur l’après de la vie.
Alors loin des descriptions ou des évocations émouvantes d’Homère, de Sophocle et de quelques autres grands auteurs grecs, si l'on cherche à savoir ce qu'il y a dans l’hadès, à quoi ressemble le séjour des morts, ou bien de quoi les enfers sont pavés, nous ne le saurons pas en lisant les livres du Nouveau Testament. Parce que ce n'est pas ce qui est important pour les croyants, pour les vivants.
Dominique HERNANDEZ
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L'article qui précède est le texte de l'émission "Un mot de la Bible" sur Fréquence Protestante 100.7 FM du 4 mars 2006.
http://biblique.blogspirit.com/archive/2007/01/22/hades-l-enfer.html