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Le récit de la femme adultère en Jean 8 ne transmet rien de particulièrement insolite. Au contraire, il est l’un des textes les plus appréciés du Nouveau Testament. Mais, est-il authentique? Devrait-il se retrouver dans nos bibles?
Comparons les manuscrits!
Savez-vous d’où viennent les textes que vous lisez dans vos bibles? Il s’agit d’une traduction en français de textes grecs (Nouveau Testament) et hébreux (Ancien Testament). Mais d’où viennent les textes grecs et hébreux qui sont utilisés pour faire ces traductions?
Comme pour tous les écrits provenant de l’Antiquité, nous n’avons pas de manuscrits originaux. Dans le cas de l’Évangile selon Jean, le plus ancien manuscrit que nous en ayons date d’environs 125 apr. J.-C. La plupart des spécialistes s’entendent pour situer la phase finale de la rédaction de cet évangile vers 90 apr. J.-C. Après ce temps d’écriture, les manuscrits étaient recopiés à la main pour pouvoir être diffusés.
C’est pourquoi, aujourd’hui, nous n’avons pas la copie originale de Jean, mais plusieurs milliers de manuscrits en grec. Nous avons aussi des traductions en langue ancienne, comme le latin et le syriaque. Enfin, beaucoup de Pères de l’Église citent cet évangile dans leurs propres écrits. Or, il y a des divergences entre ces manuscrits.
Que faire lorsqu’on trouve plusieurs versions d’un même verset? Quel est le « bon » texte de l’Évangile selon Jean? Des experts consacrent leur vie à la comparaison et à l’évaluation des manuscrits. Ils visent à proposer la version la plus proche possible de l’original de chaque verset de la Bible.
Le cas de la femme adultère
Le récit de la femme adultère est absent des deux manuscrits du Nouveau Testament les plus importants, appelés codex Vaticanus et codex Sinaiticus. Ces manuscrits datent du milieu du IVe siècle.
Ils sont les plus anciens codex regroupant l’ensemble du Nouveau Testament tel qu’on le connaît. Comme pour le Vaticanus et le Sianiticus, la plupart des anciens manuscrits ne contiennent pas le récit de la femme adultère qui n’apparaît que dans certains manuscrits datant du Ve siècle et au-delà.
De plus, les manuscrits où apparaît ce récit le situent à divers endroits : au lieu de se trouver en Jean 8, certains le placent plus loin dans l’Évangile de Jean, au chapitre 21. D’autres le situent même à la fin du chapitre 24 de l’Évangile de Luc. Ce dernier choix n’est pas sans raison, puisqu’il est vrai que le style littéraire de ce récit est plus proche de celui de Luc que de celui de Jean.
Comment a été composé l’Évangile selon Jean?
Selon toute probabilité, le récit de la femme adultère a été ajouté à l’Évangile de Jean bien après sa composition originale. Il faut savoir que les évangélistes n’ont pas travaillé seuls. Ils ont colligé des témoignages oraux et écrits, transmis par les communautés auxquelles ils appartenaient.
L’Évangile selon Jean donne tout particulièrement des signes que plusieurs auteurs ont collaboré à sa rédaction.
Par exemple, on trouve deux conclusions très similaires (20,30-31 et 21,24-25) et le narrateur s’exprime parfois en « nous ». Les exégètes supposent qu’un disciple de Jésus, celui appelé le « disciple bien-aimé », est à la source de cet évangile. Avec le temps, la tradition a donné le nom de « Jean » à ce disciple.
L’Évangile selon Jean a donc été composé en majorité par un chrétien de deuxième génération qui n’a pas connu Jésus. D’autres personnes y ont aussi contribué, dont un rédacteur final qui aurait fait des modifications pour constituer le texte que nous avons aujourd’hui. Ces divers collaborateurs faisaient partie d’une même communauté qui a réalisé le chef d’œuvre littéraire et spirituelle qu’est l’Évangile selon Jean.
Les évangiles ne sont donc pas tombés du ciel, en claquant des doigts. Ils sont le fruit du travail d’hommes qui ont voulu transmettre leur foi. L’Église a reconnu que leurs textes étaient inspirés et inspirants.
La femme adultère, un récit biblique?
Bien que les manuscrits les plus fiables ne transmettent pas cette histoire, le récit de la femme adultère est néanmoins considéré comme étant canonique et inspiré.
Il s’agit certainement de l’un des derniers ajouts à l’Évangile de Jean. L’évangile transmet donc là un récit dont l’historicité ne va pas de soi, mais dans lequel les chrétiens voient un réel reflet de l’image de Jésus. Ce récit a fini par s’imposer et faire partie du canon [1] du Nouveau Testament, grâce à saint Jérôme qui l’a inclus dans sa traduction de la Bible appelée Vulgate, traduction jugée normative par l’Église catholique. Et tant mieux! Pour moi et bien d’autres lecteurs du Nouveau Testament, ce récit constitue l’une des plus belles pages de la Bible. Il nous montre que Jésus est prêt à contester la Loi, au risque de sa propre vie, pour sauver une femme sans défense.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/insolite/2018/insolite_20180625.html
"Le plus beau récit de la Bible ne devrait pas y être"
Jésus et la femme adultère. Guercino, c. 1621, Huile sur toile. Dulwich Picture Gallery, Londres.
Le récit de la femme adultère en Jean 8 ne transmet rien de particulièrement insolite. Au contraire, il est l’un des textes les plus appréciés du Nouveau Testament. Mais, est-il authentique? Devrait-il se retrouver dans nos bibles?
Comparons les manuscrits!
Savez-vous d’où viennent les textes que vous lisez dans vos bibles? Il s’agit d’une traduction en français de textes grecs (Nouveau Testament) et hébreux (Ancien Testament). Mais d’où viennent les textes grecs et hébreux qui sont utilisés pour faire ces traductions?
Comme pour tous les écrits provenant de l’Antiquité, nous n’avons pas de manuscrits originaux. Dans le cas de l’Évangile selon Jean, le plus ancien manuscrit que nous en ayons date d’environs 125 apr. J.-C. La plupart des spécialistes s’entendent pour situer la phase finale de la rédaction de cet évangile vers 90 apr. J.-C. Après ce temps d’écriture, les manuscrits étaient recopiés à la main pour pouvoir être diffusés.
C’est pourquoi, aujourd’hui, nous n’avons pas la copie originale de Jean, mais plusieurs milliers de manuscrits en grec. Nous avons aussi des traductions en langue ancienne, comme le latin et le syriaque. Enfin, beaucoup de Pères de l’Église citent cet évangile dans leurs propres écrits. Or, il y a des divergences entre ces manuscrits.
Que faire lorsqu’on trouve plusieurs versions d’un même verset? Quel est le « bon » texte de l’Évangile selon Jean? Des experts consacrent leur vie à la comparaison et à l’évaluation des manuscrits. Ils visent à proposer la version la plus proche possible de l’original de chaque verset de la Bible.
Le cas de la femme adultère
Le récit de la femme adultère est absent des deux manuscrits du Nouveau Testament les plus importants, appelés codex Vaticanus et codex Sinaiticus. Ces manuscrits datent du milieu du IVe siècle.
Ils sont les plus anciens codex regroupant l’ensemble du Nouveau Testament tel qu’on le connaît. Comme pour le Vaticanus et le Sianiticus, la plupart des anciens manuscrits ne contiennent pas le récit de la femme adultère qui n’apparaît que dans certains manuscrits datant du Ve siècle et au-delà.
De plus, les manuscrits où apparaît ce récit le situent à divers endroits : au lieu de se trouver en Jean 8, certains le placent plus loin dans l’Évangile de Jean, au chapitre 21. D’autres le situent même à la fin du chapitre 24 de l’Évangile de Luc. Ce dernier choix n’est pas sans raison, puisqu’il est vrai que le style littéraire de ce récit est plus proche de celui de Luc que de celui de Jean.
Comment a été composé l’Évangile selon Jean?
Selon toute probabilité, le récit de la femme adultère a été ajouté à l’Évangile de Jean bien après sa composition originale. Il faut savoir que les évangélistes n’ont pas travaillé seuls. Ils ont colligé des témoignages oraux et écrits, transmis par les communautés auxquelles ils appartenaient.
L’Évangile selon Jean donne tout particulièrement des signes que plusieurs auteurs ont collaboré à sa rédaction.
Par exemple, on trouve deux conclusions très similaires (20,30-31 et 21,24-25) et le narrateur s’exprime parfois en « nous ». Les exégètes supposent qu’un disciple de Jésus, celui appelé le « disciple bien-aimé », est à la source de cet évangile. Avec le temps, la tradition a donné le nom de « Jean » à ce disciple.
L’Évangile selon Jean a donc été composé en majorité par un chrétien de deuxième génération qui n’a pas connu Jésus. D’autres personnes y ont aussi contribué, dont un rédacteur final qui aurait fait des modifications pour constituer le texte que nous avons aujourd’hui. Ces divers collaborateurs faisaient partie d’une même communauté qui a réalisé le chef d’œuvre littéraire et spirituelle qu’est l’Évangile selon Jean.
Les évangiles ne sont donc pas tombés du ciel, en claquant des doigts. Ils sont le fruit du travail d’hommes qui ont voulu transmettre leur foi. L’Église a reconnu que leurs textes étaient inspirés et inspirants.
La femme adultère, un récit biblique?
Bien que les manuscrits les plus fiables ne transmettent pas cette histoire, le récit de la femme adultère est néanmoins considéré comme étant canonique et inspiré.
Il s’agit certainement de l’un des derniers ajouts à l’Évangile de Jean. L’évangile transmet donc là un récit dont l’historicité ne va pas de soi, mais dans lequel les chrétiens voient un réel reflet de l’image de Jésus. Ce récit a fini par s’imposer et faire partie du canon [1] du Nouveau Testament, grâce à saint Jérôme qui l’a inclus dans sa traduction de la Bible appelée Vulgate, traduction jugée normative par l’Église catholique. Et tant mieux! Pour moi et bien d’autres lecteurs du Nouveau Testament, ce récit constitue l’une des plus belles pages de la Bible. Il nous montre que Jésus est prêt à contester la Loi, au risque de sa propre vie, pour sauver une femme sans défense.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/insolite/2018/insolite_20180625.html