De la stèle d’Héliodore à la révolte des Maccabées
La découverte d’une stèle en Jordanie éclaire un passage du second livre des Maccabées et autorise une nouvelle explication de l’origine de la révolte des fils de Matthatias. La stèle mentionne deux personnages, le roi Séleucos IV (187-175 avant notre ère) et son ministre Héliodore, qui sont des acteurs importants d’un récit miraculeux du second livre des Maccabées (2 M 3,1-4,6). L’inscription royale mentionne également un haut dignitaire, Olympiodore, dont la nomination pourrait avoir été mal perçue par l’élite juive. Mais attardons-nous d’abord à l’histoire : celle de la découverte et du cadre historique qui nous permet de mieux comprendre la portée de l’inscription.
Plusieurs découvertes
La Judée à l’époque hellénistique
À l’époque des Maccabées, la Syrie et la Palestine sont sous la domination de puissances grecques. En 200 avant notre ère, le conquérant syro-hellénistique Antiochos III, prédécesseur de Séleucos IV, a pris la région à l’Égypte hellénisée [1]. Il a favorisé le peuple juif sur un plan juridique et fiscal car celui-ci l’avait appuyé lors de cette campagne. Séleucos IV a d’abord suivi cette politique. Mais à la suite d’une défaite militaire contre les Romains, le roi doit s’engager à leur verser un lourd tribut [2]. Cet engagement est probablement la cause d’une importante réforme fiscale qui aura des répercussions non seulement en Judée, mais dans toute la région.
La stèle reconstituée livre un texte de Séleucos IV que l’on peut dater de 178 avant l’ère chrétienne, soit onze ans avant la révolte des Maccabées. Le souverain y donne des instructions à Héliodore concernant la nomination d’un personnage inconnu du texte biblique, Olympiodore, dont les fonctions sont mal définies. Le texte biblique n’a pas retenu le nom de ce dignitaire, mais celui d’Héliodore, un ministre du roi qui était en fonction près de Jérusalem.
Le trésor du temple
Profitant d’un conflit entre le Grand-Prêtre Onias et un certain Simon, administrateur du temple (2 M 3,4), Héliodore est chargé, selon le texte biblique, de piller les richesses du sanctuaire (2 M 3,7-8). Une intervention divine l’empêche toutefois d’arriver à ses fins et le récit se termine avec la conversion du ministre (2 M 3,35-40). Nous verrons plus loin comment comprendre cette finale surprenante du récit.
La principale inscription de la stèle de Maresha est une lettre de Séleucos IV à son ministre Héliodore. Le roi annonce la nomination d’un administrateur, Olympiodore, dont la fonction n’est pas détaillée. En comparant l’inscription avec d’autres textes semblables promulgués par Antiochos III, les historiens comprennent que le dignitaire est nommé ministre des finances. Le roi lui confie également le contrôle des sanctuaires de la province de Coele-Syrie et Phénicie, qui comprend Jérusalem. Olympiodore se voit donc confier la charge d’aligner la gestion des sanctuaires de la région sur ceux du reste de l’empire séleucide et d’organiser une importante levée de fonds dans tous les sanctuaires de la province. Cette intervention ne vise pas le seul temple de Jérusalem, comme le laisse entendre le texte biblique, mais elle contribue à une détérioration rapide des relations entre le peuple juif et son suzerain.
Un ministère des cultes
La fonction d’Olympiodore n’était pas limitée à imposer des prélèvements fiscaux dans les sanctuaires. En analysant le vocabulaire de l’inscription royale, Dov Gera remarque l’utilisation de termes que l’on retrouve dans des décrets relatifs à des nominations sacerdotales. Il en déduit que les fonctions d’Olympiodore pourraient avoir compris la grande prêtrise. Marie-Françoise Baslez, spécialiste du judaïsme hellénistique, va dans le même sens : « Cette inscription témoigne de la mise en place d’une sorte de ministère royal des cultes, avec par conséquent l’entrée du clergé de Jérusalem dans une hiérarchie sacerdotale païenne. Ceci était théologiquement inconcevable pour le judaïsme monothéiste et ne pouvait que mener à la crise. » [3] À la lumière de cette interprétation, la suite des événements devient prévisible. L’instauration du culte de Zeus olympien dans le temple de Jérusalem est une conséquence directe de la réforme religieuse mise en place par Séleucos IV. Et cet événement sera perçu par les autorités juives comme une provocation qui conduira à la révolte des Maccabées en 167 avant notre ère.
Si la nomination d’Olympiodore a conduit à cette crise, pourquoi le texte biblique n’a-t-il pas retenu son nom? Et pourquoi la figure d’Héliodore est-elle présentée de manière aussi positive? Ici encore, les historiens nous viennent en aide. Le règne de Séleucos IV s’est terminé abruptement : il a été assassiné par Héliodore vers 176 ou 175 alors qu’il revenait de sa mission de Jérusalem. Pour les auteurs bibliques, il est donc considéré comme un héros, peut-être même comme un martyr car il sera tué à son tour par le frère du roi qui montera sur le trône sous le nom d’Antiochos IV Épiphane. Ce nouveau souverain séleucide poursuivra la politique de son frère et il profanera à nouveau le Temple en 167 en instaurant le culte d’une divinité païenne. Cette nouvelle provocation sera accompagnée de persécutions auxquelles les Juifs répondront par un soulèvement populaire amorcé par les frères Maccabée. Cette révolte aboutira, pendant une courte période, à l’indépendance de la Judée et à l’instauration de la monarchie juive des Asmonéens.
La découverte d’une stèle en Jordanie éclaire un passage du second livre des Maccabées et autorise une nouvelle explication de l’origine de la révolte des fils de Matthatias. La stèle mentionne deux personnages, le roi Séleucos IV (187-175 avant notre ère) et son ministre Héliodore, qui sont des acteurs importants d’un récit miraculeux du second livre des Maccabées (2 M 3,1-4,6). L’inscription royale mentionne également un haut dignitaire, Olympiodore, dont la nomination pourrait avoir été mal perçue par l’élite juive. Mais attardons-nous d’abord à l’histoire : celle de la découverte et du cadre historique qui nous permet de mieux comprendre la portée de l’inscription.
Plusieurs découvertes
Le haut de la stèle et deux fragments trouvés à Tel Maresha
photo Peter Lenny, Musée d'Israël (Jérusalem)
photo Peter Lenny, Musée d'Israël (Jérusalem)
La partie principale (le haut) de la stèle fut achetée par des collectionneurs sur le marché des antiquités et offerte au musée d’Israël en 2007. Les années précédentes, trois fragments couverts d’inscriptions grecques ont été trouvés par des amateurs dans le cadre du programme « Creusez pendant une journée » organisé par l’Institut des séminaires d’archéologie à Tel Maresha. Mais il fallut attendre jusqu’à l’automne 2008 avant que Dov Gera, qui travaillait à la traduction de ces fragments, comprenne qu’ils appartennaient au bas de la stèle que le musée d’Israël avait exposée en mai 2007.
La Judée à l’époque hellénistique
À l’époque des Maccabées, la Syrie et la Palestine sont sous la domination de puissances grecques. En 200 avant notre ère, le conquérant syro-hellénistique Antiochos III, prédécesseur de Séleucos IV, a pris la région à l’Égypte hellénisée [1]. Il a favorisé le peuple juif sur un plan juridique et fiscal car celui-ci l’avait appuyé lors de cette campagne. Séleucos IV a d’abord suivi cette politique. Mais à la suite d’une défaite militaire contre les Romains, le roi doit s’engager à leur verser un lourd tribut [2]. Cet engagement est probablement la cause d’une importante réforme fiscale qui aura des répercussions non seulement en Judée, mais dans toute la région.
La stèle reconstituée livre un texte de Séleucos IV que l’on peut dater de 178 avant l’ère chrétienne, soit onze ans avant la révolte des Maccabées. Le souverain y donne des instructions à Héliodore concernant la nomination d’un personnage inconnu du texte biblique, Olympiodore, dont les fonctions sont mal définies. Le texte biblique n’a pas retenu le nom de ce dignitaire, mais celui d’Héliodore, un ministre du roi qui était en fonction près de Jérusalem.
Le trésor du temple
Raffaello Sanzio , Héliodore chassé du temple (détail de la partie droite)
fresque, 1511, palais du Vatican
fresque, 1511, palais du Vatican
Profitant d’un conflit entre le Grand-Prêtre Onias et un certain Simon, administrateur du temple (2 M 3,4), Héliodore est chargé, selon le texte biblique, de piller les richesses du sanctuaire (2 M 3,7-8). Une intervention divine l’empêche toutefois d’arriver à ses fins et le récit se termine avec la conversion du ministre (2 M 3,35-40). Nous verrons plus loin comment comprendre cette finale surprenante du récit.
La principale inscription de la stèle de Maresha est une lettre de Séleucos IV à son ministre Héliodore. Le roi annonce la nomination d’un administrateur, Olympiodore, dont la fonction n’est pas détaillée. En comparant l’inscription avec d’autres textes semblables promulgués par Antiochos III, les historiens comprennent que le dignitaire est nommé ministre des finances. Le roi lui confie également le contrôle des sanctuaires de la province de Coele-Syrie et Phénicie, qui comprend Jérusalem. Olympiodore se voit donc confier la charge d’aligner la gestion des sanctuaires de la région sur ceux du reste de l’empire séleucide et d’organiser une importante levée de fonds dans tous les sanctuaires de la province. Cette intervention ne vise pas le seul temple de Jérusalem, comme le laisse entendre le texte biblique, mais elle contribue à une détérioration rapide des relations entre le peuple juif et son suzerain.
Un ministère des cultes
La fonction d’Olympiodore n’était pas limitée à imposer des prélèvements fiscaux dans les sanctuaires. En analysant le vocabulaire de l’inscription royale, Dov Gera remarque l’utilisation de termes que l’on retrouve dans des décrets relatifs à des nominations sacerdotales. Il en déduit que les fonctions d’Olympiodore pourraient avoir compris la grande prêtrise. Marie-Françoise Baslez, spécialiste du judaïsme hellénistique, va dans le même sens : « Cette inscription témoigne de la mise en place d’une sorte de ministère royal des cultes, avec par conséquent l’entrée du clergé de Jérusalem dans une hiérarchie sacerdotale païenne. Ceci était théologiquement inconcevable pour le judaïsme monothéiste et ne pouvait que mener à la crise. » [3] À la lumière de cette interprétation, la suite des événements devient prévisible. L’instauration du culte de Zeus olympien dans le temple de Jérusalem est une conséquence directe de la réforme religieuse mise en place par Séleucos IV. Et cet événement sera perçu par les autorités juives comme une provocation qui conduira à la révolte des Maccabées en 167 avant notre ère.
Si la nomination d’Olympiodore a conduit à cette crise, pourquoi le texte biblique n’a-t-il pas retenu son nom? Et pourquoi la figure d’Héliodore est-elle présentée de manière aussi positive? Ici encore, les historiens nous viennent en aide. Le règne de Séleucos IV s’est terminé abruptement : il a été assassiné par Héliodore vers 176 ou 175 alors qu’il revenait de sa mission de Jérusalem. Pour les auteurs bibliques, il est donc considéré comme un héros, peut-être même comme un martyr car il sera tué à son tour par le frère du roi qui montera sur le trône sous le nom d’Antiochos IV Épiphane. Ce nouveau souverain séleucide poursuivra la politique de son frère et il profanera à nouveau le Temple en 167 en instaurant le culte d’une divinité païenne. Cette nouvelle provocation sera accompagnée de persécutions auxquelles les Juifs répondront par un soulèvement populaire amorcé par les frères Maccabée. Cette révolte aboutira, pendant une courte période, à l’indépendance de la Judée et à l’instauration de la monarchie juive des Asmonéens.
[1] La bataille décisive de cette campagne militaire a eu lieu en 200 près de Paneion (Banias) et opposait Ptolémée V à Antiochus III. Il s’agit de la Cinquième guerre syrienne (202-198 avant notre ère).
[2] En 189 avant notre ère, Séleucos IV perdait la bataille de Magnésie du Sipyle en Asie Mineure.
[3] Citation tirée de Estelle Villeneuve, « La véritable origine de la révolte des Maccabées? », Le Monde de la Bible 191 (2010) p. 42.