La stèle de Mésha, roi de Moab
Découverte en 1868, la stèle de Mésha livre un témoignage indirect sur l’histoire de l’ancien Israël. Son inscription ne confirme aucun récit biblique mais il éclaire un conflit entre le royaume d’Israël et un état voisin, Moab.
La stèle a été découverte à Dhiban (l’antique Dibôn), en Jordanie, sur la rive orientale de la mer Morte. Elle se caractérise par sa forme cintrée et l’absence de représentation figurée, une exception parmi les stèles du Proche-Orient ancien. Le texte compte 34 lignes qui se lisent de droite à gauche, dans un alphabet semblable au phénicien ancien et qui annonce déjà l’écriture des inscriptions hébraïques du VIIIe siècle. Elle est rédigée en moabite, un dialecte très proche de l’hébreu biblique.
Plusieurs noms israélites
La stèle a rapidement retenu l’attention des épigraphistes (les spécialistes des inscriptions anciennes) à cause des noms propres qui y sont inscrits. En plus de la mention de Moab, on retrouve six fois le nom d’Israël et c’est la plus ancienne attestation en épigraphie ouest-sémitique. Le tétragramme YHWH apparaît (en rouge sur l'illustration) au début de la ligne 18. On retrouve également deux fois le nom du roi Omri (le seul roi d’Israël mentionné explicitement sur la stèle) et une fois celui de la tribu de Gad. La présence de tous ces noms propres en fait un document exceptionnel pour éclairer un volet de l’histoire d’Israël.
Les règnes d’Omri et d’Achab
Omri et son fils Achab ont régné sur Israël au IXe siècle avant notre ère. Il est probable que le début du règne de Kamoshyat (circa 885-855), roi de Moab mentionné au début de l’inscription, coïncide avec celui d’Omri. La Bible nous dit de ce dernier qu’il était le chef de l’armée (1 R 16,16) avant son accession au trône, mais elle ne parle pas de ses campagnes militaires. La stèle de Mésha comble cette lacune : Omri « opprima » Moab de nombreux jours (ligne 5) et il prit « possession » du pays de Mâdabâ (lignes 7-8).
Le nom d’Achab n’apparaît pas sur la stèle. Certains spécialistes pensent que cette omission est intentionnelle. Le nom d’Achab est évoqué quand on parle du fils d’Omri qui a maintenu la même politique d’oppression sur Moab (ligne 9). Le roi de Moab a sans doute voulu taire le nom d’Achab à cause du tribut qu’il dû payer au roi israélite (voir 2 R 3,4); la stèle voulait honorer le nom de Mésha, pas celui d’un ennemi!
Les règnes d’Ochozias et de Joram
Le court règne d’Ochozias (853-852) n’est pas suggéré par la stèle, ni même celui de Joram (852-841). Mais ils sont peut-être visés à la ligne 7 quand on mentionne de la maison (dynastie) d’Omri. C’est sous le règne de ces rois que Mésha cessa de verser un tribut à Israël (2 R 3,5). Et c’est sous le règne de Joram que la tradition biblique situe une campagne militaire (2 R 3,5-27) pour rétablir l’assujettissement de Moab.
Le texte de la stèle moabite appartient au genre des « inscriptions commémoratives » qui rappelle les hauts faits d’un souverain. Seuls les événements glorieux, les constructions monumentales et les grands travaux publics sont retenus. Il n’est donc pas étonnant qu’un épisode dramatique pour Moab comme la campagne militaire israélite n’ait pas été retenu.
Le règne de Jéhu
Comme les rois précédents, Jéhu (841-814) n’est pas mentionné sur la stèle. Mais les victoires militaires du roi moabite décrites succinctement sur la stèle ont été accomplies sous le règne de ce roi israélite. En 841, Jéhu dut se soumettre à la puissance assyrienne et n’arrivait plus à contrer les attaques araméennes (voir 2 R 10,32-33). Ce sont probablement ces événements qui sont évoqués quand on lit sur la stèle : « Et Israël fut ruiné à jamais » (ligne 7). Mésha profita du déclin du royaume d’Israël pour reprendre les territoires et les villes annexés par son ennemi. Il va même jusqu’à étendre son territoire en prenant une ville israélite comme Nébôh et en exterminant toute la population (ligne 11) pour annexer le territoire de manière permanente.
Un débat qui divise les historiens
L’histoire de l’ancien Israël est un sujet qui divise les historiens depuis plusieurs années. Certaines positions sont irréconciliables. Certains chercheurs prétendent qu’il est impossible de reconstituer l’histoire d’Israël en nous appuyant sur le texte biblique, notre source principale. Ils considèrent la Bible comme un texte au service d’une idéologie religieuse. Et ce jugement négatif sur le texte biblique s’étend aussi à des textes comme l’inscription de la stèle de Mésha car on y parle beaucoup de Kamosh, le dieu national moabite [1].
Les livres bibliques que nous avons pris l’habitude de qualifier d’historiques (Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois par exemple) ne sont pas des livres d’histoire au sens moderne du terme. Reconstituer l’histoire d’Israël à partir du texte biblique n’est pas une tâche facile quand on considère, par exemple, les réécritures successives qu’il a subies. Mais une source externe comme la stèle de Mésha est un document précieux pour éclairer l’histoire de Moab et celle de ses voisins à l’aube de l’extension de l’empire assyrien. L’inscription moabite est aussi intéressante parce que l’interprétation religieuse qu’elle propose des événements qui ont marqué le règne de Mésha est proche de la manière dont les auteurs bibliques ont compris leur propre histoire. De plus, la manière dont on décrit la relation qui lie Kamosh à son peuple ressemble beaucoup à ce que l’on retrouve dans la Bible entre Yahvé et son peuple.
Pour aller plus loin :
Découverte en 1868, la stèle de Mésha livre un témoignage indirect sur l’histoire de l’ancien Israël. Son inscription ne confirme aucun récit biblique mais il éclaire un conflit entre le royaume d’Israël et un état voisin, Moab.
La stèle a été découverte à Dhiban (l’antique Dibôn), en Jordanie, sur la rive orientale de la mer Morte. Elle se caractérise par sa forme cintrée et l’absence de représentation figurée, une exception parmi les stèles du Proche-Orient ancien. Le texte compte 34 lignes qui se lisent de droite à gauche, dans un alphabet semblable au phénicien ancien et qui annonce déjà l’écriture des inscriptions hébraïques du VIIIe siècle. Elle est rédigée en moabite, un dialecte très proche de l’hébreu biblique.
Plusieurs noms israélites
La stèle a rapidement retenu l’attention des épigraphistes (les spécialistes des inscriptions anciennes) à cause des noms propres qui y sont inscrits. En plus de la mention de Moab, on retrouve six fois le nom d’Israël et c’est la plus ancienne attestation en épigraphie ouest-sémitique. Le tétragramme YHWH apparaît (en rouge sur l'illustration) au début de la ligne 18. On retrouve également deux fois le nom du roi Omri (le seul roi d’Israël mentionné explicitement sur la stèle) et une fois celui de la tribu de Gad. La présence de tous ces noms propres en fait un document exceptionnel pour éclairer un volet de l’histoire d’Israël.
Les règnes d’Omri et d’Achab
Omri et son fils Achab ont régné sur Israël au IXe siècle avant notre ère. Il est probable que le début du règne de Kamoshyat (circa 885-855), roi de Moab mentionné au début de l’inscription, coïncide avec celui d’Omri. La Bible nous dit de ce dernier qu’il était le chef de l’armée (1 R 16,16) avant son accession au trône, mais elle ne parle pas de ses campagnes militaires. La stèle de Mésha comble cette lacune : Omri « opprima » Moab de nombreux jours (ligne 5) et il prit « possession » du pays de Mâdabâ (lignes 7-8).
Le nom d’Achab n’apparaît pas sur la stèle. Certains spécialistes pensent que cette omission est intentionnelle. Le nom d’Achab est évoqué quand on parle du fils d’Omri qui a maintenu la même politique d’oppression sur Moab (ligne 9). Le roi de Moab a sans doute voulu taire le nom d’Achab à cause du tribut qu’il dû payer au roi israélite (voir 2 R 3,4); la stèle voulait honorer le nom de Mésha, pas celui d’un ennemi!
Les règnes d’Ochozias et de Joram
Le court règne d’Ochozias (853-852) n’est pas suggéré par la stèle, ni même celui de Joram (852-841). Mais ils sont peut-être visés à la ligne 7 quand on mentionne de la maison (dynastie) d’Omri. C’est sous le règne de ces rois que Mésha cessa de verser un tribut à Israël (2 R 3,5). Et c’est sous le règne de Joram que la tradition biblique situe une campagne militaire (2 R 3,5-27) pour rétablir l’assujettissement de Moab.
Le texte de la stèle moabite appartient au genre des « inscriptions commémoratives » qui rappelle les hauts faits d’un souverain. Seuls les événements glorieux, les constructions monumentales et les grands travaux publics sont retenus. Il n’est donc pas étonnant qu’un épisode dramatique pour Moab comme la campagne militaire israélite n’ait pas été retenu.
Le règne de Jéhu
Comme les rois précédents, Jéhu (841-814) n’est pas mentionné sur la stèle. Mais les victoires militaires du roi moabite décrites succinctement sur la stèle ont été accomplies sous le règne de ce roi israélite. En 841, Jéhu dut se soumettre à la puissance assyrienne et n’arrivait plus à contrer les attaques araméennes (voir 2 R 10,32-33). Ce sont probablement ces événements qui sont évoqués quand on lit sur la stèle : « Et Israël fut ruiné à jamais » (ligne 7). Mésha profita du déclin du royaume d’Israël pour reprendre les territoires et les villes annexés par son ennemi. Il va même jusqu’à étendre son territoire en prenant une ville israélite comme Nébôh et en exterminant toute la population (ligne 11) pour annexer le territoire de manière permanente.
Un débat qui divise les historiens
L’histoire de l’ancien Israël est un sujet qui divise les historiens depuis plusieurs années. Certaines positions sont irréconciliables. Certains chercheurs prétendent qu’il est impossible de reconstituer l’histoire d’Israël en nous appuyant sur le texte biblique, notre source principale. Ils considèrent la Bible comme un texte au service d’une idéologie religieuse. Et ce jugement négatif sur le texte biblique s’étend aussi à des textes comme l’inscription de la stèle de Mésha car on y parle beaucoup de Kamosh, le dieu national moabite [1].
Les livres bibliques que nous avons pris l’habitude de qualifier d’historiques (Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois par exemple) ne sont pas des livres d’histoire au sens moderne du terme. Reconstituer l’histoire d’Israël à partir du texte biblique n’est pas une tâche facile quand on considère, par exemple, les réécritures successives qu’il a subies. Mais une source externe comme la stèle de Mésha est un document précieux pour éclairer l’histoire de Moab et celle de ses voisins à l’aube de l’extension de l’empire assyrien. L’inscription moabite est aussi intéressante parce que l’interprétation religieuse qu’elle propose des événements qui ont marqué le règne de Mésha est proche de la manière dont les auteurs bibliques ont compris leur propre histoire. De plus, la manière dont on décrit la relation qui lie Kamosh à son peuple ressemble beaucoup à ce que l’on retrouve dans la Bible entre Yahvé et son peuple.
[1] Voir par exemple T.L. Thompson, The Bible in History : How Writers Create a Past, London, 1999.
Pour aller plus loin :
André Lemaire, « La stèle de Mésha et l’histoire de l’ancien Israël » dans : Daniele Garonne et autres, Storia e tradizioni di Israel. Scritti in onore di J. Alberto Soggin, Brescia, Paideia, 1991, pp. 143-169.
Estelle Villeneuve, « La stèle de Mésha. Parole d’un vassal rebelle d’Israël », Le Monde de la Bible 192 (2010) 50-51. [Article intéressant pour connaître l’histoire mouvementée de la découverte.]
Musée du Louvre,
[ltr]Traduction de l’inscription[/ltr]
(département des Antiquités orientales).