Une découverte insolite (Deir 'Alla)
Au printemps de 1967, l’archéologue hollandais H.J. Franken fit une découverte inusitée sur le site de Deir Alla, dans la vallée du Jourdain, à mi-chemin entre le lac de Tibériade et la mer Morte. Dans les débris d’un bâtiment détruit par un tremblement de terre, de grands fragments de plâtres recouverts de textes écrits à l’encre noire et rouge avaient traversé les calamités et les intempéries des siècles.
Ils avaient probablement appartenu à quelque monument commémoratif (stèle); d’après le niveau de leur découverte et le caractère des lettres, il faut dater ces inscriptions à la fin du VIIe siècle ou au début du VIe siècle av. J.C. Le professeur J. Hoftijzer a publié un rapport sur ces fouilles [1] provoquant une nouvelle surprise : une partie de ces textes, du moins, rapporte un discours dans le style prophétique, attribué à un certain Balaam, fils de Beor!
Le Livre des Nombres a aussi conservé une tradition autour de Balaam, fils de Beor, que le roi de Moab veut utiliser pour arrêter la marche des armées israélites par une malédiction au nom de Yahvé (Nb 22,2–24,25). Balaam, qui paraît plus devin que prophète, reçoit son mandat divin au cours de la nuit, à l’occasion de sacrifices; il le transmet au matin : ce n’est pas une malédiction qu’il doit prononcer sur Israël, mais une bénédiction qui nous est conservée en quatre fragments. Israël est un peuple à part et innombrable (23,7-10); la puissance d’Israël vient d’un seul vrai Dieu, d’où aucun sortilège ne peut l’affecter (23,18-24); ses victoires le conduiront nécessairement en Terre Promise (24,3-9); un roi issu de Jacob vaincra Moab et Edom (24,15-19). Ce devin étranger, enfin, qui semble être d’origine araméenne (23,7), vit pour l’instant un peu au nord de Moab. Voilà, en gros, ce que la tradition biblique nous raconte sur son compte.
Les textes de Deir Alla sont aussi l’œuvre d’un Balaam, fils de Beor; comme ils sont rédigés en araméen, l’origine de l’auteur ne fait pas de doute : il s’agit des royaumes araméens de Syrie, bien qu’il exerce son activité en Transjordanie, comme le Balaam de la Bible. Rien dans ces textes ne laisse entendre qu’il ait eu quelque affinité avec la religion israélite : il paraît être aussi un devin (« voyant des dieux »), et cette fois, il est nettement polythéiste. Chose étrange, il reçoit aussi ses oracles au cours de la nuit, qu’il ne transmet que le matin. Comme ces oracles sont la volonté d’une déesse en colère qui veut détruire le pays par le feu, Balaam en est profondément troublé. Il pleure abondamment, ce qui l’amène à assister au conseil des dieux (un autre trait du prophète israélite : Is 6 et Jr 23,18), qui tâchent d’attendrir la déesse; au lieu de transmettre l’oracle de destruction, Balaam fait donc un pressant appel à la conversion! La malédiction que la déesse ordonne est donc changée en espoir de survie. Toutefois, il faut reconnaître que la malédiction était parfois inévitable puisqu’une liste d’oracles du genre, écrits à l’encre rouge, a pu être déchiffrée. Mais le contexte en est irrémédiablement perdu.
Voilà donc une découverte qui jette beaucoup de lumière sur un épisode quelque peu obscur de l’histoire d’Israël. Ce que nous pouvons conclure, c’est qu’une tradition autour d’un prophète araméen de Transjordanie a été assumée en partie par la foi israélite. Nous devrons donc ré-examiner, d’une manière plus serrée, les relations d’Israël avec ses voisins plus immédiats non seulement sur le plan socio-politique, mais aussi dans le processus de la formulation de sa vie religieuse.
Source : Parabole II/2, décembre 1979.
Au printemps de 1967, l’archéologue hollandais H.J. Franken fit une découverte inusitée sur le site de Deir Alla, dans la vallée du Jourdain, à mi-chemin entre le lac de Tibériade et la mer Morte. Dans les débris d’un bâtiment détruit par un tremblement de terre, de grands fragments de plâtres recouverts de textes écrits à l’encre noire et rouge avaient traversé les calamités et les intempéries des siècles.
Ils avaient probablement appartenu à quelque monument commémoratif (stèle); d’après le niveau de leur découverte et le caractère des lettres, il faut dater ces inscriptions à la fin du VIIe siècle ou au début du VIe siècle av. J.C. Le professeur J. Hoftijzer a publié un rapport sur ces fouilles [1] provoquant une nouvelle surprise : une partie de ces textes, du moins, rapporte un discours dans le style prophétique, attribué à un certain Balaam, fils de Beor!
Le Livre des Nombres a aussi conservé une tradition autour de Balaam, fils de Beor, que le roi de Moab veut utiliser pour arrêter la marche des armées israélites par une malédiction au nom de Yahvé (Nb 22,2–24,25). Balaam, qui paraît plus devin que prophète, reçoit son mandat divin au cours de la nuit, à l’occasion de sacrifices; il le transmet au matin : ce n’est pas une malédiction qu’il doit prononcer sur Israël, mais une bénédiction qui nous est conservée en quatre fragments. Israël est un peuple à part et innombrable (23,7-10); la puissance d’Israël vient d’un seul vrai Dieu, d’où aucun sortilège ne peut l’affecter (23,18-24); ses victoires le conduiront nécessairement en Terre Promise (24,3-9); un roi issu de Jacob vaincra Moab et Edom (24,15-19). Ce devin étranger, enfin, qui semble être d’origine araméenne (23,7), vit pour l’instant un peu au nord de Moab. Voilà, en gros, ce que la tradition biblique nous raconte sur son compte.
Les textes de Deir Alla sont aussi l’œuvre d’un Balaam, fils de Beor; comme ils sont rédigés en araméen, l’origine de l’auteur ne fait pas de doute : il s’agit des royaumes araméens de Syrie, bien qu’il exerce son activité en Transjordanie, comme le Balaam de la Bible. Rien dans ces textes ne laisse entendre qu’il ait eu quelque affinité avec la religion israélite : il paraît être aussi un devin (« voyant des dieux »), et cette fois, il est nettement polythéiste. Chose étrange, il reçoit aussi ses oracles au cours de la nuit, qu’il ne transmet que le matin. Comme ces oracles sont la volonté d’une déesse en colère qui veut détruire le pays par le feu, Balaam en est profondément troublé. Il pleure abondamment, ce qui l’amène à assister au conseil des dieux (un autre trait du prophète israélite : Is 6 et Jr 23,18), qui tâchent d’attendrir la déesse; au lieu de transmettre l’oracle de destruction, Balaam fait donc un pressant appel à la conversion! La malédiction que la déesse ordonne est donc changée en espoir de survie. Toutefois, il faut reconnaître que la malédiction était parfois inévitable puisqu’une liste d’oracles du genre, écrits à l’encre rouge, a pu être déchiffrée. Mais le contexte en est irrémédiablement perdu.
Voilà donc une découverte qui jette beaucoup de lumière sur un épisode quelque peu obscur de l’histoire d’Israël. Ce que nous pouvons conclure, c’est qu’une tradition autour d’un prophète araméen de Transjordanie a été assumée en partie par la foi israélite. Nous devrons donc ré-examiner, d’une manière plus serrée, les relations d’Israël avec ses voisins plus immédiats non seulement sur le plan socio-politique, mais aussi dans le processus de la formulation de sa vie religieuse.
[1] H.J. Franken, Aramaic texts from Deir Alla, Leiden, 1976.
Source : Parabole II/2, décembre 1979.