Israël s’installe
L’objet de la présente chronique porte directement sur un problème historique toujours débattu, soit celui de la conquête de Canaan par Israël, problème intimement lié à celui de la période subséquente connue sous le titre général de « Histoire de Juges ». Jusqu’à une date récente, les recherches archéologiques avaient été conduites sur les sites des villes anciennes; maintenant, on s’intéresse aussi à l’étude de la campagne, à ces régions autour des villes, pour essayer de définir le type de société qui l’animait. Les résultats sont étonnants et nous forcent à réviser notre conception de l’arrivée d’Israël en Canaan et de l’installation qui s’ensuivit. Un de ces sites de « campagne » illustrera ce contexte nouveau.
Non loin d’Aphek et sur la route directe vers Silo, dans les montagnes d’Ephraïm, des archéologues israéliens ont fouillé un de ces sites, connu sous le nom de Izbet Sartah. Il s’agit essentiellement d’un petit village ouvert, car nous n’avons aucun signe de rempart, caractéristique d’une ville. Des petites maisonnettes sont serrées les unes contre les autres, sur le pourtour d’une colline, pour une superficie d’environ un acre. Elles jouent ainsi un rôle de défense pour un bâtiment plus grand, mieux construit, se dressant seul au milieu de cet espace ainsi clos. Le plan de ce bâtiment est simple : une pièce au fond est précédée de trois autres; des piliers constituent les murs de division (voir le plan). Dans l’espace libre entre ce bâtiment et les maisonnettes du pourtour, nous pouvons compter un grand nombre de silos, aménagés directement sur le sol : une pierre est sise au fond et des pierres plus petites sont dressées autour en forme de murets. C’est dans un de ces silos qu’on découvrit les fragments d’une jarre inscrits d’un alphabet et qui fit l’objet d’une de ces chroniques.
L’histoire du site est assez brève. Trois niveaux d’occupation ont pu être bien identifiés : le plus ancien doit être daté du XIIe siècle avant J.-C.; le deuxième niveau, dont le plan est à peu près identique au précédent, occupe la première moitié du XIe siècle, et est suivi par une courte période d’abandon; le dernier niveau, qui n’est qu’une réoccupation du deuxième, doit être daté de la dernière moitié du XIe siècle; puis le site fut abandonné définitivement. D’autres villages semblables sont actuellement découverts et de plus en plus nombreux, depuis la région sud, autour de Beersabée, jusqu’en Galilée.
Mais qui sont les habitants de ces villages? Les archéologues et les historiens croient pouvoir les identifier aux premiers israélites, sur la base de deux arguments fondamentaux. En premier lieu, c’est le plan très répandu et bien respecté de la plupart des maisons qui attire le plus l’attention de ces savants. La division en trois et ordinairement quatre pièces de ces maisons, dont au moins un des murs de séparation est constitué de piliers, est la caractéristique des maisons israélites; ce plan est connu depuis longtemps et il est attesté dans toutes les villes israélites depuis la période de la monarchie. Nous sommes donc en présence, de toute évidence, de la préhistoire de cette architecture propre à Israël. De plus, un nouveau type de jarres fait son apparition dans ces villages; la quantité énorme de tessons laisse croire à un degré d’utilisation très élevé. Ce qui caractérise ce type de céramique, c’est que le corps de la jarre et son col ont été tournées séparément; à l’endroit de leur jonction, on ajoute comme un collier de glaise pour solidifier cette suture tout en ajoutant une sorte de décoration, d’où le nom donné à cette jarre : « collared-rim » (bord-collier). Ajoutons que la qualité de la pâte de cette céramique comme de la façon de la travailler révèlent un groupe qui n’est pas encore très familier avec ce type d’industrie. Pour ces raisons et d’autres d’importance moindre, on conclut donc que ces villages du XIIe au Xe siècles sont l’œuvre de gens en voie de sédentarisation, dont l’occupation est essentiellement agricole, et qui ont une certaine parenté entre eux. Sur la base du témoignage de l’Ancien Testament, ces nouveaux venus des campagnes de Canaan sont donc identifiés aux Israélites.
Du point de vue de l’historien, il nous faut nous représenter un type de conquête différent de celui que nous offre le livre de Josué, que les critiques littéraires nous forcent à attribuer à une tradition assez récente, soit celle du Deutéronome (VIIIe-VIIe siècle avant J.-C.). Ainsi, l’arrivée des Israélites n’est pas une invasion rapide de guerriers, mais l’infiltration lente et pacifique de semi-nomades qui s’installent dans les régions non encore habitées, pour s’adonner à quelques petits travaux d’agriculture. Ce n’est qu’après une assez longue période d’une telle présence, quand ces villages deviennent nombreux et plus puissants, que le conflit armé éclate avec les Cananéens des villes, pour ne se terminer qu’avec l’avènement de David.
Or c’est tout à fait là la façon dont le livre des Juges nous présente cette conquête, surtout le chapitre un, qui veut être une synthèse de la période qui a précédé celle des Juges : chaque groupe ou tribu s’installe pacifiquement dans le territoire qui lui est destiné, et il lui reviendra de le défendre, avec l’aide des voisins, au cours des siècles suivants. Ainsi l’archéologie est en voie de nous aider à résoudre ce vieux problème : comment concilier les présentations si différentes de la conquête dans Josué et en Juges 1. D’autres découvertes vont sans doute confirmer l’opinion émise ici tout en la précisant davantage.
L’objet de la présente chronique porte directement sur un problème historique toujours débattu, soit celui de la conquête de Canaan par Israël, problème intimement lié à celui de la période subséquente connue sous le titre général de « Histoire de Juges ». Jusqu’à une date récente, les recherches archéologiques avaient été conduites sur les sites des villes anciennes; maintenant, on s’intéresse aussi à l’étude de la campagne, à ces régions autour des villes, pour essayer de définir le type de société qui l’animait. Les résultats sont étonnants et nous forcent à réviser notre conception de l’arrivée d’Israël en Canaan et de l’installation qui s’ensuivit. Un de ces sites de « campagne » illustrera ce contexte nouveau.
Plan du bâtiment central d’Izbet Sartah,
un village israélite des XIIe-XIe siècle avant notre ère.
un village israélite des XIIe-XIe siècle avant notre ère.
Non loin d’Aphek et sur la route directe vers Silo, dans les montagnes d’Ephraïm, des archéologues israéliens ont fouillé un de ces sites, connu sous le nom de Izbet Sartah. Il s’agit essentiellement d’un petit village ouvert, car nous n’avons aucun signe de rempart, caractéristique d’une ville. Des petites maisonnettes sont serrées les unes contre les autres, sur le pourtour d’une colline, pour une superficie d’environ un acre. Elles jouent ainsi un rôle de défense pour un bâtiment plus grand, mieux construit, se dressant seul au milieu de cet espace ainsi clos. Le plan de ce bâtiment est simple : une pièce au fond est précédée de trois autres; des piliers constituent les murs de division (voir le plan). Dans l’espace libre entre ce bâtiment et les maisonnettes du pourtour, nous pouvons compter un grand nombre de silos, aménagés directement sur le sol : une pierre est sise au fond et des pierres plus petites sont dressées autour en forme de murets. C’est dans un de ces silos qu’on découvrit les fragments d’une jarre inscrits d’un alphabet et qui fit l’objet d’une de ces chroniques.
L’histoire du site est assez brève. Trois niveaux d’occupation ont pu être bien identifiés : le plus ancien doit être daté du XIIe siècle avant J.-C.; le deuxième niveau, dont le plan est à peu près identique au précédent, occupe la première moitié du XIe siècle, et est suivi par une courte période d’abandon; le dernier niveau, qui n’est qu’une réoccupation du deuxième, doit être daté de la dernière moitié du XIe siècle; puis le site fut abandonné définitivement. D’autres villages semblables sont actuellement découverts et de plus en plus nombreux, depuis la région sud, autour de Beersabée, jusqu’en Galilée.
Mais qui sont les habitants de ces villages? Les archéologues et les historiens croient pouvoir les identifier aux premiers israélites, sur la base de deux arguments fondamentaux. En premier lieu, c’est le plan très répandu et bien respecté de la plupart des maisons qui attire le plus l’attention de ces savants. La division en trois et ordinairement quatre pièces de ces maisons, dont au moins un des murs de séparation est constitué de piliers, est la caractéristique des maisons israélites; ce plan est connu depuis longtemps et il est attesté dans toutes les villes israélites depuis la période de la monarchie. Nous sommes donc en présence, de toute évidence, de la préhistoire de cette architecture propre à Israël. De plus, un nouveau type de jarres fait son apparition dans ces villages; la quantité énorme de tessons laisse croire à un degré d’utilisation très élevé. Ce qui caractérise ce type de céramique, c’est que le corps de la jarre et son col ont été tournées séparément; à l’endroit de leur jonction, on ajoute comme un collier de glaise pour solidifier cette suture tout en ajoutant une sorte de décoration, d’où le nom donné à cette jarre : « collared-rim » (bord-collier). Ajoutons que la qualité de la pâte de cette céramique comme de la façon de la travailler révèlent un groupe qui n’est pas encore très familier avec ce type d’industrie. Pour ces raisons et d’autres d’importance moindre, on conclut donc que ces villages du XIIe au Xe siècles sont l’œuvre de gens en voie de sédentarisation, dont l’occupation est essentiellement agricole, et qui ont une certaine parenté entre eux. Sur la base du témoignage de l’Ancien Testament, ces nouveaux venus des campagnes de Canaan sont donc identifiés aux Israélites.
Du point de vue de l’historien, il nous faut nous représenter un type de conquête différent de celui que nous offre le livre de Josué, que les critiques littéraires nous forcent à attribuer à une tradition assez récente, soit celle du Deutéronome (VIIIe-VIIe siècle avant J.-C.). Ainsi, l’arrivée des Israélites n’est pas une invasion rapide de guerriers, mais l’infiltration lente et pacifique de semi-nomades qui s’installent dans les régions non encore habitées, pour s’adonner à quelques petits travaux d’agriculture. Ce n’est qu’après une assez longue période d’une telle présence, quand ces villages deviennent nombreux et plus puissants, que le conflit armé éclate avec les Cananéens des villes, pour ne se terminer qu’avec l’avènement de David.
Or c’est tout à fait là la façon dont le livre des Juges nous présente cette conquête, surtout le chapitre un, qui veut être une synthèse de la période qui a précédé celle des Juges : chaque groupe ou tribu s’installe pacifiquement dans le territoire qui lui est destiné, et il lui reviendra de le défendre, avec l’aide des voisins, au cours des siècles suivants. Ainsi l’archéologie est en voie de nous aider à résoudre ce vieux problème : comment concilier les présentations si différentes de la conquête dans Josué et en Juges 1. D’autres découvertes vont sans doute confirmer l’opinion émise ici tout en la précisant davantage.