Touchant le lieu de la naissance du Christ, il est dit que le prince devait sortir de Bethléem. Voici les paroles du prophète : Et toi, Bethléem, ville d'Ephrata, tu n'es pas trop petite pour tenir rang entre les communautés de Juda ; puisque c'est de toi que nous verrons sortir celui qui doit être prince en Israël, et qui a aussi une issue d'où il sort de tout temps dis l'éternité (Mich. V, 2). Cette prophétie ne saurait être appliquée à aucun de ces fanatiques ou de ces imposteurs qui, si nous en croyons le juif de Celse, disent qu'ils sont descendus du ciel; à moins qu'on ne fasse voir clairement qu'il soit né à Bethléem, ou si l'on veut, qu'il soit sorti de Bethléem pour être le chef du peuple. A l'égard de Jésus, que Bethléem soit le lieu de sa naissance, si quelqu'un en veut encore d'autres preuves après la prophétie de Michée et le rapport des évangélistes, il n'a qu'à considérer que conformément à l'histoire de l'Evangile, l'on montre encore aujourd'hui dans Bethléem la grotte où Jésus naquit, et dans la grotte, la crèche où il fut emmailloté (Luc, VII, 2). Et cette vérité est tellement reconnue sur les lieux que les ennemis mêmes du nom chrétien disent tous les jours : C'est ici la grotte où naquit ce Jésus qui est l'objet de l'admiration et de l'adoration des Chrétiens. Et je ne doute pas qu'avant la venue du Christ les sacrificateurs et les docteurs, voyant cette prophétie si claire et si formelle, n'enseignassent au peuple que le Christ devait naître à Bethléem, ni que la plupart des Juifs n'en eussent connaissance. De là vient que quand Hérode interrogea là-dessus les principaux sacrificateurs et les docteurs du peuple, il nous est dit qu'ils lui répondirent que le Christ devait naître à Bethléem ville de la tribu de Juda, d'où était David (Matth. II, 5) : et que dans l'Evangile selon S. Jean il nous est aussi rapporté que les Juifs disaient que le Christ devait naître à Bethléem, d'où était David (Jean, VII, 43).
Mais depuis sa venue, ceux qui n'ont rien oublié pour ôter de l'esprit des hommes que sa naissance ait été prédite par les prophètes de Dieu, ont banni cet enseignement du nombre de ceux qu'ils donnent leur peuple : se montrant par là dignes frères de ceux dont il nous est dit qu'ils gagnèrent les soldats qui, étant à la garde de son sépulcre, l'avaient vu ressusciter d'entre les morts, et qu'ils leur donnèrent cette instruction « Dites que ses disciples sont venus la nuit pendant que vous dormiez, et l'ont dérobé. Et si le gouverneur vient à le savoir, nous l'apaiserons et nous vous tirerons de peine (Matth. XXVIII, 13). Car, les préjugés et l'envie de contredire ont un étrange pouvoir pour faire qu'on résiste aux vérités les plus claires plutôt que d'abandonner des sentiments qui sont comme nés avec nous, et dont notre âme est pour ainsi dire toute pénétrée. Il est même beaucoup plus aisé de se défaire de toutes les autres habitudes, quelque enracinées qu'elles soient, que de renoncer à une opinion dont notre esprit est revenu : quoiqu’en général il n'y ait point d'habitudes qui ne nous donnent de la peine à vaincre. C'est ainsi que nous ne pouvons nous résoudre à quitter les pays ni les villes, les maisons ni les personnes auxquelles nous sommes accoutumés. Et c'est aussi pour cette raison que Jésus trouva la plupart des Juifs si obstinés à ne se rendre ni à l'évidence des prophéties qui parlaient de lui, ni à l'éclat des miracles qu'ils lui virent faire, ni à tout ce qui nous est dit des circonstances extraordinaires soit de sa vie, soit de sa mort.
Pour reconnaître, au reste, que c'est là une des faiblesses de la nature humaine, il ne faut que considérer avec combien de difficulté on arrache les sentiments les plus honteux de l'esprit de ceux qui y ont été nourris par leurs pères, ou qui les ont pris de la tradition de leur pays. Il est rare, par exemple, qu'un Egyptien, se laissant désabuser de la croyance dans laquelle il a été élevé, cesse de regarder quelques brutes comme des dieux, et d'avoir une telle répugnance pour la chair de certains animaux, qu'il mourra plutôt que d'en manger. Je me suis un peu étendu sur ce sujet à l'occasion de Bethléem et de son oracle ; et j'ai cru que cela était nécessaire pour répondre à ceux qui nous pourraient demander pourquoi, si les prophéties des Juifs désignent si clairement Jésus, les Juifs n'ont pas reçu sa doctrine lorsqu'il s'est présenté à eux, et pourquoi ils n'ont pas pris la bonne voie qu'il leur montrait. Pour nous, qui croyons en lui, que l'on ne nous reproche pas que ce soit par un aveuglement semblable, puisque notre foi trouve des défenseurs qui font voir qu'elle est appuyée sur des raisons très solides.
S'il faut produire encore quelque prophétie, du nombre de celles qui me paraissent les plus formelles pour Jésus, j'en produirai une, écrite plusieurs centaines d'années avant sa naissance. C'est celle qui nous est rapportée par Moïse, lorsqu'il dit que Jacob, étant au lit de la mort, prophétisa à chacun de ses enfants quelle serait leur condition, et qu'entre les autres choses, il dit à Juda : Le prince ne cessera point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on no voie venir celui à qui il est réservé de l’être (Gen. XLIX, 10). Cette prophétie qui, dans la vérité, est beaucoup plus ancienne que Moïse, mais dont un incrédule peut soupçonner que Moïse soit l'auteur, doit donner à tous ceux qui la lisent un juste sujet d'admirer comment, y ayant douze tribus parmi les Juifs, Moïse a pu prédire que les rois que devaient gouverner tout le corps de la nation seraient de la tribu de Juda : comme en effet ils en ont été; à cause de quoi, le peuple entier a été nommé le peuple des Juifs, du nom de la tribu dominante. Ce qu'on y doit encore admirer, si l'on n'a pas l'esprit prévenu, c'est que Moïse, après avoir dit que les princes et les chefs du peuple seraient de la tribu de Juda, ait de plus marqué le terme de la durée de leur autorité, disant que le prince ne cesserait point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on ne vit venir celui à qui il était réservé de l'être; qui serait aussi l'attente des nations.
Car celui à qui l'empire était réservé, le Christ de Dieu, le prince que Dieu avait promis, est effectivement venu; et c'est lui seul, à l'exclusion de tous ceux qui ont été avant lui et de tous ceux mêmes je ne craindrai point de le dire, qui viendront après lui, qu'on peut véritablement appeler l’attente des nations, puisqu'il n'y a point de nation où il n'ait fait à Dieu des fidèles ; et que toutes les nations espèrent en son nom, selon qu'Isaïe l'avait prédit. Toutes les nations, avait-il dit, espéreront en son nom (Is., XLII, 4). C'est lui encore qui a publié la liberté aux captifs, qui étaient dans les liens de leurs péchés, comme le sont tous les hommes; et qui a dit à ceux qui étaient dans les ténèbres de l'ignorance, qu'ils vinssent a la lumière de la vérité. Ce qui avait aussi été prédit en ces termes : Je t'ai établi pour chef de mon alliance avec les nations, afin que tu répares la terre, et que tu possèdes l'héritage du désert ; que tu dises à ceux qui sont dans les chaînes, Sortez de prison ; et à ceux qui sont dans les ténèbres. Venez à la lumière (Is., XLIX, 8). Le grand nombre de ceux qui crurent en lui à sa venue, et qui reçurent sa doctrine avec docilité, par toutes les parties de la terre, fit encore voir l'accomplissement de la suite de cet oracle : Ils paîtront dans tous les chemins, et leurs pâturages seront le long de tous les sentiers (Is., XLIX, 9).
Mais puisque Celse, qui prétend ne rien ignorer de ce que nous enseignons, insulte à notre Sauveur sur sa passion, comme si le Père n'avait pas voulu le secourir, ou que lui-même n'eût pu se défendre ; il le faut faire souvenir que cette passion du Sauveur avait été prédite, et que la cause en avait été marquée; savoir, que ce serait une chose avantageuse aux hommes qu'il mourût pour eux, étant traité comme un criminel condamné au supplice. Il avait encore été prédit que les Gentils, à qui les prophètes ne s'étaient point adressés, ne laisseraient pas de le connaître, et qu'il se ferait voir aux hommes sous une forme qui leur paraîtrait méprisable. La prophétie est exprimée en ces termes : Sachez que mon serviteur sera rempli d'intelligence, de majesté et de gloire: qu'il sera extrêmement élevé. Tu seras un sujet d'étonnement à plusieurs par l'excès au mépris où ta beauté et ta gloire seront parmi les hommes. Mais aussi divers peuplée seront dans l'admiration à cause de lui, à cause, dis-je, de mon serviteur; et les rois se tiendront devant lui dans le silence, parce que ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront, et que ceux gui n'avaient point entendu parler de lui le connaîtront (Is., LII, 13, etc.). O Dieu ! qui a cru à notre prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé?
Nous avons publié qu'il est devant le Seigneur comme un enfant, comme une racine dans une terre aride ; il n'y a en lui aucun éclat ni aucune gloire. Nous l'avons vu, il n'avait au dehors ni beauté, mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d'aucun autre d'entre les hommes. C'est un homme tout noirci de coups, et qui sait ce que c'est que de souffrir, car il s'est vu réduit à n'oser lever les yeux; on lui a fait les plus grands outrages, on l'a traité avec le dernier mépris. C’est lui qui porte nos péchés et qui est dans les tourments à cause de nous. Nous n'avions de lui d'autre pensée, sinon qu'il était dans le travail, dans la peine et dans la souffrance ; mais c'était à cause de nos péchés qu.il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleurs. Le châtiment qui nous procure la paix est tombé sur lui, et c’est par sa blessure que nous avons été guéris. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes, et chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie; mais le Seigneur l'a donné pour porter la peine des péchés, sans qu'il ait jamais ouvert la bouche pour les maux qu'on lui a faits. Il a été mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger, et il s'est tenu dans le silence comme un agneau qui demeure muet devant celui qui le tond. Au plus fort de son abaissement l'arrêt de sa condamnation a été cassé. Mais qui pourra faire le récit, et suivre le fil de sa durée, puisque sa vie a été bannie de la terre, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple (Is., LIII, 1, etc.) ?
Il me souvient qu'en une dispute que j’eue un jour avec ceux qui portent le nom de sages parmi les Juifs, je me servis de ces prophéties. Le juif me disait que ces choses devaient s'entendre de toute la nation, qui ne fait qu'un corps, et, comme les Juifs ont été dispersés parmi diverses nations, il prétendait que le peuple ainsi répandu avait été frappé, afin d'amener par là plusieurs prosélytes à la connaissance de Dieu. C'est de la sorte qu'il expliquait ces paroles : Ta beauté sera en mépris parmi les hommes ; et celles-ci : Ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront; et celles-ci encore : C’est un homme tout noirci de coups. J'alléguai alors plusieurs raisons, pour faire voir à ceux contre qui je disputais, que c'était à tort qu'ils appliquaient à tout le peuple une prophétie qui se rapportait manifestement à une seule personne. Je leur demandais de qui étaient ces paroles : C’est lui qui porte nos péchés, et qui est dans les tourments à cause de nous; et ces autres : C'était à cause de nos péchés qu'il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleur; et de qui encore étaient celles-ci : C’est par sa blessure que nous avons été guéris; car ceux qui parlent ainsi dans ce passage sont évidemment tous ceux, soit d'entre les Juifs, soit d'entre les Gentils, qui étant travaillés de leurs péchés en ont été guéris par la passion du Sauveur.
C'est en la personne tant des uns que des autres que le prophète, éclairé par le Saint-Esprit, s'exprime dès lors comme nous voyons qu'il fait ; mais je ne leur alléguai rien qui, à mon avis, les pressât tant que ces dernières paroles : Il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple; car si c'est au peuple juif qu'il faut rapporter toute la prophétie, comme ils le prétendent, comment peut-on expliquer ce qui est dit, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités du peuple de Dieu, si l'on ne l'entend de quelque personne différente de ce peuple ? Et de quelle personne peut-on l'entendre, sinon de Jésus-Christ, parla blessure duquel nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, et qui savons qu'il a désarmé les principautés et les puissances qui nous tyrannisaient, et qu'il a publiquement triomphé d'elles sur la croix (Col., Il, 15)? Expliquer maintenant cette prophétie en détail, et n'y rien laisser sans examen, le dessein n'en serait pas de saison. Je m'y suis même beaucoup étendu, mais j'ai cru le devoir faire pour repousser les attaques du juif de Celse.
Au reste, ce qui trompe et Celse et son juif, et tous ceux qui ne croient pas en Jésus, c'est qu'ils ne savent pas que les prophètes nous parlent de deux venues du Christ. La première, où il devait paraître dans la bassesse et s'assujettir à toutes les infirmités des hommes; afin que vivant avec eux, il leur enseignât la voie qui conduit à Dieu, et ne laissât a qui que ce soit aucun lieu de s'excuser sur l'ignorance du jugement à venir. La seconde qui serait seule glorieuse et divine, sans aucun mélange des faiblesses humaines. Il serait trop long de rapporter les prophéties : il suffira, pour celle heure, d'alléguer celle du psaume 44, qui est un cantique pour le Bien-Aimé, comme porte le titre entre autres choses, et où notre Sauveur est expressément nommé Dieu. La grâce (Ps. XL1V ou XLV, 3, 7), dit le texte sacré, est répandue sur tes lèvres, à cause de quoi Dieu t’a béni pour jamais. Mets ton épée à ton côté, vaillant prince, pour rehausser ton éclat et ta beauté. Pousse tes desseins, fais-les réussir, et règne à cause de ta fidélité, de ta douceur et de ta justice : ta main t'ouvrira le chemin à de merveilleux exploits. Tes dards sont aigus, vaillant prince, ils feront tomber les peuples sous toi : et le cœur des ennemis du roi en sera percé. Prenez garde soigneusement à ce qui suit, où le nom de Dieu lui est donné : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement : le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité. Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité ; c'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile de joie, au-dessus de tes compagnons. Remarquez comme le prophète qui adressant la parole à Dieu, dit que son trône est ferme éternellement, et que le sceptre de son règne est un sceptre d'équité, ajoute ensuite que ce Dieu, à qui il s'adresse, a été oint par Dieu qui est son Dieu, et qu'il a été oint parce qu'il a aimé la justice, et qu'il a haï l'iniquité plus que l’ont fait ses compagnons. Il me souvient que citant un jour cet oracle à un de ces juifs qu’on nomme sages, je l'embarrassai extrêmement. Ne sachant qu'y répondre, il eut recours à une défaite, conforme aux principes de sa créance. Il me dit que c'était au grand Dieu que s'adressaient ces paroles : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement, le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité; et que celles-ci s'adressaient au Messie : Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité : pour cette cause Dieu, ton Dieu, t'a oint ; et ce qui suit.
Le juif de Celse objecte encore ceci à notre Sauveur : Si, comme vous dites, tous ceux qui naissent par les ordres de la Providence, sont enfants de Dieu, quel avantage avez-vous au-dessus des autres ? Nous répondons, qu'à la vérité tous ceux qui ne sont plus menés par la crainte, comme parle saint Paul, mais qui aiment la vertu à cause d'elle-même, sont enfants de Dieu. Mais qu'il y a bien de la différence et bien de la disproportion, entre ceux qui ne sont nommés enfants de Dieu, qu'à cause qu'ils aiment la vertu, et celui qui est comme la source et le principe de tout le bien qui est en eux. Voici le passage de saint Paul : Car vous n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vivre encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants de Dieu, par lequel nous crions Abba, c'est-à-dire mon Père (Rom., VIII, 15).
Le juif ajoute : Qu'il y a une infinité de gens qui accuseront Jésus de témérité, et qui soutiendront que c'est à eux que se doivent rapporter toutes les prophéties qu'il s'applique. Je ne sais si Celse a entendu parler de ceux qui ont voulu faire dans le monde quelque chose d'approchant de ce que Jésus y a fait, et s'y faire appeler le Fils ou la vertu de Dieu. Mais comme en lui répondant nous n'avons que la vérité en vue, nous ne ferons point de difficulté de dire, qu'avant la naissance de Jésus, il parut parmi les Juifs un certain Theudas, qui prétendait être quelque chose de grand; mais qui ne fut pas plus tôt mort, que ceux qu'il avait séduits se dissipèrent (Act. V, 36). Quelque temps après, lorsque l’on fit le dénombrement du peuple, celui-là même, si je ne me trompe, pendant lequel naquit Jésus, il s'éleva un certain Galiléen, nommé Judas, qui attira à sa suite grand nombre de Juifs, par la sagesse qu'il affectait et par l'amour qu'on a pour la nouveauté (Act. V, 37) ; mais ayant aussi été puni comme il méritait, sa doctrine fut éteinte ou renfermée parmi quelque peu de personnes sans nom. Depuis Jésus, Dosithée de Samarie voulut tout de même faire croire aux Samaritains qu'il était le Messie prédit par Moïse, et il sembla le persuader à quelques-uns. Mais on peut fort justement appliquer ici la sage maxime de ce Gamaliel, dont il est parlé dans le livre des Actes des apôtres, pour faire voir que tous ces gens-là n'avaient rien de commua avec la promesse de Dieu, el qu'ils n'étaient ni ses enfants ni, sa vertu, au lieu que Jésus-Christ est véritablement son fils. Si cette entreprise et cette doctrine vient des hommes, disait-il, elle se détruira, comme en effet tous les desseins de ceux-là se sont évanouis arec eux; mais si elle vient de Dieu vous ne sauriez la détruire, et vous vous mettriez même en danger de combattre contre Dieu (Act. V, 38). Simon, magicien de Samarie, voulut pareillement se faire des sectateurs par ses arts magiques, et il y réussit pour un temps; mais à présent je crois qu'à peine trouverait-on dans le monde trente de ses disciples, encore en dis-je peut-être plus qu'il y en a, et ce petit nombre demeure caché aux environs de la Palestine, pendant que son nom n'est presque pas connu dans tout le reste de la terre, où il prétendait de le rendre célèbre à jamais. Car ceux qui le connaissent ne le connaissent que par l'histoire des Actes des apôtres (Act., VIII, 9). Ainsi, sans les chrétiens, on ne parlerait plus de lui, et l'expérience a bien fait voir qu'il n'y avait rien de divin en sa personne.
Après cela, le juif de Celse, au lieu des mages dont il est parlé dans l'Evangile, dit que des Chaldéens, à ce que prétend Jésus, vinrent, par un sentiment secret de sa naissance, pour l’adorer comme Dieu, qu'il n'était encore qu'un enfant : et qu'en ayant dit la nouvelle à Hérode le Tétrarque, il envoya massacrer tous les enfants de ce même âge, dans le dessein de faire périr Jésus avec eux, de peur que si on le laissait vivre, il ne s'emparât du royaume. Remarquez donc ici, d'abord, la méprise de notre homme, qui confond les mages avec les Chaldéens, ne prenant pas garde à la différence de leur profession, et qui falsifie ainsi le texte de l'Evangile. Je ne sais, au reste, d'où vient qu'il a passé sous silence la cause de ce sentiment secret des mages, et qu'il n'a pas dit que ce fut, comme il nous est rapporté, la vue de l'étoile qui leur apparut en Orient (Matth., II, 2). Voyons néanmoins ce qu'il y a à dire sur ce sujet. Je crois que l'étoile qui parut en Orient était d'une nouvelle espèce, et qu'elle n'avait rien de semblable à celles que nous voyons, soit dans le firmament, soit dans les orbes inférieurs : mais qu'elle était à peu près de même nature que les comètes, et les autres feux qui paraissent de temps en temps, tantôt sous la figure d'une poutre, tantôt sous celle d'un tonneau ; tantôt avec une longue chevelure, et tantôt sous d'autres formes, que les Grecs, marquent par les noms qu'ils jugent à propos de leur donner. Voici les preuves de mon opinion. On a observé que dans les grands événements et dans les changements les plus remarquables qui arrivent sur la terre, il paraît de ces sortes d'astres, qui présagent ou des révolutions d'empires, ou des guerres, ou d'autres tels accidents capables de causer du remuement dans le monde.
J'ai même lu dans le Traité des comètes, composé par le stoïcien Chérémon, qu'il en a quelquefois paru à la veille de quelque événement favorable ; et il en rapporte des exemples. S'il est donc vrai qu'à l'établissement de quelque nouvelle monarchie, ou à l'occasion de quelque autre telle vicissitude des affaires humaines, on voit paraître des comètes ou quelque autre astre de même nature, faut-il s'étonner qu'il ait paru une nouvelle étoile à la naissance d'une personne qui devait causer un si grand changement parmi les hommes, et répandre sa doctrine non seulement parmi les Juifs et parmi les Grecs, mais au milieu même de plusieurs nations barbares? A l'égard des comètes, je puis bien dire qu'on n'a jamais vu qu'aucun oracle ait marqué qu'il en paraîtrait une certaine en tel temps, ou à l'établissement de tel empire : mais pour celle qui parut à la naissance de Jésus, Balaam l'avait prédite en ces termes, selon que Moïse nous le rapporte : Une étoile se lèvera de Jacob, et un homme sortira d'Israël (Nomb., XXIV, 17). S'il faut maintenant examiner ce qui nous, est dit touchant les mages et touchant l'apparition de cette étoile, j'en raisonnerai avec les Grecs sur un principe, et avec les Juifs sur un autre. Je dirai aux Grecs que les mages, qui ont commerce avec les démons, et qui s en servent pour faire ce qu'il leur plaît, selon que les règles de leur art le leur apprennent, ont le succès qu'ils désirent, pendant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons qu'ils évoquent, ou que les paroles qu'ils emploient pour les évoquer, n'empêche l'effet de leur conjuration. Mais si quelque puissance plus divine vient à se montrer, ou s'il arrive que quelques paroles plus fortes soient prononcées, alors les démons demeurent sans aucun pouvoir, et sont contraints de se cacher devant la lumière de la Divinité, dont ils ne peuvent soutenir l'éclat. Il est donc croyable que, puisqu'à la naissance de Jésus une grande troupe de l'armée céleste (comme S. Luc le raconte, et comme j'en suis persuadé) loua Dieu en disant, Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, et grâce aux hommes (Luc, II, 13), tout l'art et tout le pouvoir des démons en fut déconcerté, leurs prestiges rendus vains, et leurs forces détruites.
Ce qui ne fut pas seulement l'effet de la présence de ces anges que la naissance de Jésus avait fait descendre vers la terre ; mais qui doit aussi être attribué à l'âme de Jésus même, et à la Divinité qui était en lui. Les mages donc voulant faire leurs opérations accoutumées, et n'y pouvant réussir ni par leurs conjurations, ni par leurs autres sortilèges, en cherchèrent la cause, qu'ils jugèrent devoir être extraordinaire. Voyant aussi, au même temps, un signe divin dans le ciel, ils en voulurent examiner la signification ; et ayant sans doute les prophéties de Balaam, qui avait été fort expert en leur profession, ces mêmes prophéties, dis-je, que Moïse nous a laissées, ils y trouvèrent l’oracle de l'étoile, avec ces autres paroles : Je le lui ferai voir, mais non pas si tôt, j'en célèbre le bonheur, mais il n'est pas proche (Nomb., XXIV, 17). D'où ils conjecturèrent que cet homme, dont la naissance était prédite avec l'apparition de l'étoile, devait être venu au monde: et le jugeant dès lors plus puissant que les démons et que tous ces esprits qui avaient accoutumé de leur apparaître et de les servir, ils voulurent l'adorer. A ce dessein ils vinrent dans la Judée, tout persuadés qu'un grand roi y était né ; mais ne sachant pas quelle devait être la nature de son royaume, ni le lieu de sa naissance. Après qu'on leur eut appris où il devait naître, ils allèrent lui offrir les présents qu'ils avaient apportés, et qui paraissaient destinés pour un sujet composé, s'il faut ainsi parler, d'un Dieu et d'un homme mortel : savoir, de l'or, comme à un roi ; de la myrrhe, comme à une personne qui devait mourir; et de l'encens, comme à un Dieu (Matth., II, 11). Comme donc en la personne de ce Sauveur du genre humain, il y avait un Dieu maître des anges qui s'emploient pour le secours des hommes, la piété des mages, qui étaient venus adorer Jésus, fut récompensée par l'avertissement divin qu'un ange leur donna, de n'aller point trouver Hérode, mais de s'en retourner en leur pays par un autre chemin (Matth., II, 12).
Pour ce qui est des embûches par lesquelles Hérode voulut faire périr l'enfant, on ne doit pas s'en étonner, bien que le juif de Celse révoque en doute la vérité de l'histoire. La malice des hommes est si aveugle, que, comme si elle était plus forte que le destin, elle entreprend de le vaincre. C'est ce qui arriva à Hérode, qui persuadé que le roi des Juifs était né, se mit dans l'esprit un dessein tout opposé a cette persuasion : ne considérant pas, ou que c'était effectivement ce roi qui était né, et qu'ainsi il régnerait quoi qu'où pût faire, ou que celui qui était né ne règnerait point, et que par conséquent il ne fallait pas se mettre en peine d'avancer sa mort. Il entreprit donc de le faire mourir, formant par sa passion des pensées contradictoires, et suivant la suggestion du diable aveugle et malin, qui, dès le commencement, dressa lui-même des embûches à notre Sauveur, prévoyant qu'il serait un jour, comme il était déjà, quelque chose de grand et d'illustre. Mais un ange avertit Joseph de se retirer en Egypte avec l'enfant et sa mère (Matth., II, 13) : et l'ange ne fit en cela rien qui ne soit dans l'ordre, quoi que Celse en veuille dire. Cependant Hérode fit tuer tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans tout le pays d'alentour, espérant de faire périr avec eux le roi des Juifs qui était né (Matth., II, 16). Car il ne voyait pas celle puissance qui veille continuellement pour la défense de ceux qui sont dignes de sa protection et de ceux dont la conservation est importante pour le salut des hommes entre lesquels Jésus tient le premier rang, puisqu'il surpasse infiniment tous les autres en honneur et en dignité. Il devait être roi, non d'un royaume tel qu'Hérode se l'imaginait; mais tel qu'il était juste que Dieu le formât lui-même, pour celui qui, au lieu d'un bonheur de la nature des choses indifférentes, comme on parle, devait procurer à ses sujets une félicité parfaite, les gouvernant et les conduisant par des lois vraiment divines. C'est i quoi Jésus avait égard, lorsque niant qu'il fût roi au sens qu'on l'entend d'ordinaire, et montrant en même temps l'excellence de ton royaume, il disait : Si mon royaume était de ce monde, mes gens combattraient pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs : mais mon royaume n'est point de ce monde (Jean. XVIII, 36).
Celse ne parlerait pas comme il fait, s'il avait considéré cela. Si Hérode a eu peur, dit-il, que venant en âge de régner vous ne régnassiez en sa place, pourquoi, y étant venu, ne régnez-vous pas ? Il fait beau voir le fils de Dieu faire le coureur et le vagabond, se cachant honteusement comme un criminel que l'on poursuit, et ne sachant presque où donner de la tête. Mais il n'y a point de honte à user de prudence pour éviter les périls ; et si Jésus ne les a pas affrontés, ce n'est pas qu'il craignit la mort; c'est qu'étant venu au monde dans la vue de s'y rendre utile, il voulait y demeurer, pour cela, jusqu'à ce que le temps fût arrivé, ou il fallait que, puisqu'il avait pris la nature humaine, il mourût aussi comme un homme, pour le bien et pour l'avantage des hommes. C'est ce que reconnaîtront aisément ceux qui savent que Jésus n'est mort que pour le salut du genre humain; comme je l'ai montré ci-dessus, autant que j'en ai été capable.
Celse fait voir ensuite, qu'il ne sait pas même le nombre des apôtres : s'étant accompagné, dit-il, de dix ou onze scélérats, de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, il se mit avec eux à courir le monde, quêtant sa vie comme un misérable et comme un infâme. Examinons pourtant avec soin ce qu'il en dit; et ne laissons pas cet article sans réponse. Il semble que Celse n'ait jamais lu l'histoire de l'évangile ; car pour peu qu'on ait de connaissance, on sait que les apôtres, que Jésus choisit, étaient au nombre de douze (Matth. X, 1); et qu'entre ces douze il n'y avait que Matthieu de publicain (Marc, III, 14; et Luc, VI, 13). Par les mariniers, qu'il renferme dans son expression générale, il peut entendre Jacques et Jean (Matth.. X, 3), puisque pour suivre Jésus ils quittèrent leur barque, et Zébédée leur père (Marc, I, 20). Car pour les deux frères Pierre et André (Matth.. IV, 18), qui se servaient de leurs filets comme d'un moyen de se nourrir, on ne doit pas les compter entre les mariniers, mais entre les pécheurs (Marc, II, 14), qui est aussi le nom que l'Ecriture leur donne. Si l'on veut encore mettre Lévi le publicain au nombre de ceux qui suivaient Jésus, à la bonne heure : mais du moins n'était-il pas du nombre de ses apôtres; si ce n'est que l'on veuille suivre quelques exemplaires de l'évangile selon saint Marc (Marc, III, 18). Pour ce qui est d'autres, nous ne savons pas quelle était la profession à laquelle ils vaguaient leur vie avant que de s'attacher à Jésus. Mais nous pouvons bien dire que qui considérera d'un esprit tranquille et sincère quels étaient les apôtres de Jésus, sera contraint d'avouer que le succès avec lequel ils prêchaient le christianisme et soumettaient es hommes à la parole de Dieu ne pouvait être que l'effet d'une vertu divine. Ce n'était ni par la force de leur éloquence, ni par la netteté de leur méthode, ni par les autres artifices de la rhétorique ni de la dialectique, qu'on apprend dans les écoles des Grecs, qu'ils se rendaient maîtres de l'esprit de leurs auditeurs. Si Jésus avait choisi pour prédicateurs de sa doctrine des personnes qui eussent eu dans le monde une grande réputation de sagesse, et dont les pensées et les discours eussent été capables de plaire au peuple, on aurait eu raison, à mon avis, de soupçonner sa conduite d'être conforme à celle de ces philosophes, qui ont voulu être fondateurs de quelque secte.
Ainsi sa doctrine n'aurait plus eu ce caractère de divinité qu'il lui attribuait; étant alors soutenue par tout ce que l'art d'arranger les mots et de chatouiller l'oreille a de plus propre, à persuader : et la foi qu'on y aurait ajoutée, comme celle que les philosophes du monde ont pour leurs dogmes, aurait été fondée sur la sagesse des hommes, et non sur la puissance de Dieu. Mais quand on voit des publicains et des pécheurs, qui n'avaient pas la moindre teinture des lettres (car c’est ainsi que l'évangile nous les décrit, et qu'ils se représentent eux-mêmes : et Celse ne fait pas difficulté de recevoir leur témoignage sur ce point) : quand on les voit, dis-je, disputer hardiment contre les Juifs, de la foi que l'on doit à Jésus; et porter même, avec succès, leur prédication au milieu des autres peuples; peut-on s'empêcher de demander d'où leur venait cette vertu de gagner l'esprit? Car elle n'était pas de même nature, que celle qu'on voit ordinairement dans les autres. Et n'est-on pas forcé de la regarder comme un effet de cette promesse : Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d'hommes (Matth. IV, 19) ; de laquelle Jésus faisait voit l'accomplissement dans ses apôtres avec une puissance divine? C'est à cette occasion que saint Paul disait, comme nous l'avons rapporté ci-dessus : Je n'ai pas employé, en vous parlant et en vous prêchant, les discours dont la sagesse humaine se sert pour persuader, mais la démonstration de l’esprit et de la puissance : afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (I Cor. II, 4 et 5). Car comme en parlent les prophètes, qui prédisaient dès leur temps, la prédication de l'Evangile : Le Seigneur a donné la parole aux messagers des bonnes nouvelles, qui les publient avec une grande force. C'est le roi des armées : il conduit celles de son bien-aimé (Ps. LXVII ou LXVIII, 12). Afin que celle autre prophétie fût aussi vérifiée : Sa parole court avec vitesse (Ps. CXLVII, 4, ou 15). Nous voyons en effet que la prédication des apôtres de Jésus s'est répandue par toute la terre, et que le bruit de leur voix est parvenu jusqu'au bout du monde (Ps. XVIII, ou XIX, 5). Aussi les auditeurs de cette doctrine sont-ils eux-mêmes remplis de la vertu qui en accompagne la prédication ; d'une vertu qu'ils font paraître et dans les dispositions de leur âme, et dans toutes les actions de leur vie, et dans la constance avec laquelle ils soutiennent la vérité jusqu'à la mort. Mais il y en a quelques-uns qui, quelque attachement qu'ils témoignent pour la parole de Dieu, et quelque profession qu'ils fassent de croire en Dieu par Jésus-Christ, sont pourtant tout vides de cette vertu divine et n'en ont jamais senti l'impression dans leur cœur. J'ai déjà allégué ce que disait notre Sauveur dans l'Evangile; mais il y a lieu de le répéter ici, pour faire voir comment il avait divinement prévu quelle devait être la prédication de sa doctrine ; et pour montrer encore combien est puissante la divine vertu de cette parole, qui sans l'aide des docteurs persuade invinciblement ceux qui croient. ; moisson est grande, disait-il, mais il y a peu d'ouvriers ; priez donc le Seigneur de la moisson, qu'il envoie des ouvriers en sa moisson (Matth. IX, 37).
Mais puisque Celse parle des apôtres comme de scélérats, disant que Jésus s'accompagna de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, nous lui répondons à cela, qu'on dirait que pour trouver quelque prétexte de décrier notre profession, il ajoute foi, quand il lui plaît, aux écrits des évangélistes ; mais qu'il rejette aussi, quand il veut, l'autorité de ces mêmes livres, pour n'être pas obligé de recevoir le témoignage qu'ils rendent à la divinité de ce qu'ils enseignent. Au lieu que, voyant avec quelle sincérité nos auteurs rapportent les choses qui leur sont les moins avantageuses, cette considération devait l'obliger à les croire sur le reste, et à prendre pour divin ce qu'ils nous représentent comme tel. Nous lisons dans l'épître catholique de Barnabé (et c'est de là, peut-être, que Celse a pris ce qu'il nous dit des apôtres, lorsqu'il les traite de scélérats, et de gens perdus) : Que Jésus choisit pour ses apôtres des hommes injustes au delà de toute injustice. Et dans l'Evangile selon saint Luc, Pierre disait à Jésus : Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un pécheur (Luc, V, 8). Paul qui dans la suite, fut aussi l'un des apôtres de Jésus, disait tout de même, écrivant à Timothée : C'est une vérité certaine que Jésus-Christ Dieu est venu au monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (I Tim. I, 15). Et je ne sais comment Celse a oublié, ou a négligé de dire quelque chose de ce Paul, qui après Jésus est celui qui a fondé les églises chrétiennes. Il a vu apparentent que ce n était pas un sujet favorable pour sa cause; et qu'il aurait à rendre raison comment cet homme, après avoir persécuté l'Eglise de Dieu (Act. XIX, 1), et fait une cruelle guerre aux fidèles, jusqu'à vouloir faire traîner au supplice les disciples de Jésus, comment, dis-je, il a pu tellement changer (Rom. XV, 19), qu'il ait porté et établi l'évangile de Jésus-Christ, depuis Jérusalem jusqu'en Illyrie, prenant à tâche, lorsqu'il le prêchait, de ne point bâtir sur le fondement d'autrui, mais de choisir les lieux où l'évangile de Dieu n'avait en aucune manière été encore annoncé au nom de Jésus-Christ. Faut-il donc s'étonner, que Jésus voulant montrer à tout les hommes, combien sont puissants les remèdes qu'il leur offre pour la guérison de leurs âmes, ait pris des scélérats et des gens perdus, et les ait fait devenir des exemples de toutes sortes de vertus à ceux qui embrassaient son évangile par leur ministère?
Si l'on voulait que des personnes, qui se sont corrigées de leurs vices, fussent encore responsables des désordres de leur vie passée, il faudrait faire le procès à Phédon, dans le temps même qu'il vivait en philosophe ; puisque l'histoire nous apprend que Socrate le retira d'un lieu infâme, pour lui faire embrasser l'étude de la sagesse. Il faudrait, encore, reprocher à la philosophie les débauches de Polémon, successeur de Xénocrate : au lieu qu'il faut avouer, qu'à cet égard même, elle mérite des louanges, d'avoir eu assez de force, en la bouche de deux de ses sectateurs, pour persuader des esprits si mal disposés et pour les porter au bien, malgré la profonde impression que le vice avait faite en eux. Dans les écoles des Grecs, au reste, nous ne voyons qu'un Phédon et un Polémon et quelque autre encore, tout au plus, qui aient renoncé à la débauche pour suivre la philosophie : mais dans l'école de Jésus, outre ces douze premiers, de qui nous venons de parler, nous en voyons toujours, depuis, un beaucoup plus grand nombre, qui étant devenus une troupe de personnes sages et vertueuses, parlent ainsi de leur condition passée : Nous étions aussi nous-mêmes autre fois, insensés, désobéissants, égarés du chemin de la vérité, asservis à une infinité de passions et de voluptés, menant une vie toute pleine de malignité et d'envie, dignes d'être haïs et nous haïssant les uns les autres : Mais depuis que la bonté de Dieu notre sauveur et son amour pour les hommes a paru dans le monde, nous sommes devenus tels que nous sommes maintenant, ayant été lavés pour renaître et renouvelés par l'esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion (Tit., III, 3). Car comme dit le prophète, dans le livre des psaumes ; Dieu a envoyé sa parole et les a guéris ; il les a tirés de la corruption où ils étaient (Ps. CVI ou CVII, 20). Je pourrais encore ajouter à ce que je viens de dire, que Chrysippe, dans son art de guérir les passions, voulant essayer de vaincre celles qui troublent notre repos, les combat par les différents principes de chaque secte ; sans se mettre en peine quels principes sont les plus conformes à la vérité, pourvu qu'il réussisse dans son dessein. Si l'on veut, dit-il, que la volupté soit le souverain bien, il faut combattre les passions par ce principe : Si l'on veut qu'il y ait trois genres de biens, il faut, en le supposant, tâcher de bannir le désordre de nos âmes. Mais les accusateurs du christianisme ne voient-ils pas combien de passions sont calmées, combien de vices sont corrigés et combien d'esprits féroces sont adoucis, à l'occasion de celle doctrine ? Certainement, elle devrait être pour eux un sujet d'admiration et de reconnaissance, par la considération des divers avantages qu'elle procure et du grand nombre de ceux qui profitent de la nouvelle méthode dont elle se sert pour la correction de nos mœurs. S'ils ne veulent pas reconnaître qu'elle est véritable, du moins faudrait-il qu'ils demeurassent d'accord de l'utilité que tout le genre humain en retire.
Jésus, qui ne roulait pas que ses disciples fussent des factieux ni des téméraires, leur faisait cette leçon : Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre, et si la persécution continue dans celle-ci, fuyez encore ailleurs (Matth., X, 23) Et pour leur servir de modèle, il joignit à ce précepte, l'exemple d'une vie égale et ennemie du trouble; ne s'exposant pas imprudemment aux dangers, mais prenant soin de les éviter, lorsque le temps et la raison le lui permettaient. Celse prend de là occasion de calomnier encore Jésus, qu'il accuse, par la bouche de son juif, d'avoir couru le monde avec ses disciples. Mais sur cette accusation, dont il charge Jésus et ses disciples, nous lui dirons qu'on peut trouver un fait tout semblable dans l'histoire d'Aristote, qui se voyant près d'être condamné comme impie, à cause de quelques-uns de ses dogmes, qui, au jugement des Athéniens, sentaient le libertinage, sortit d'Athènes et transporta ses exercices à Chalcis; disant à ses amis, pour raison de sa retraite : Quittons Athènes, de peur que nous ne donnions lieu aux Athéniens de se rendre coupables d'un crime pareil à celui qu'ils ont déjà commis en la personne de Socrate, et de commettre une nouvelle impiété contre la philosophie. Celse ajoute que Jésus, courant le monde avec ses disciples, quêtait sa vie, comme un misérable et comme un infâme (Luc, VIII, 3). Mais qu'il nous dise qui lui a donné sujet d'en parler ainsi. L'Evangile nous apprend bien que quelques femmes qui avaient été guéries de leurs maladies et du nombre desquelles était Susanne, fournissaient, de leurs biens à ses disciples ce qui leur était nécessaire pour vivre. Mais qui, d'entre les philosophes et d'entre ceux qui donnaient leur temps à instruire les personnes de leur connaissance, n'a pas reçu d'elles ce dont il pouvait avoir besoin? Est-ce que quand ceux-ci l'ont fait, ils n'ont rien fait que de bienséant et d'honnête : mais quand les disciples de Jésus font la même chose, ils méritent d'être traités de misérables et d'infâmes ?
Le juif continuant à jouer son personnage, dit encore à Jésus : Pourquoi fallut-il que, pour vous sauver de l’épée, on vous emportât en Egypte peu de temps après votre naissance ? Un Dieu devait-il craindre la mort? Un ange vint du ciel, vous ordonner, à vous et aux vôtres, de prendre la fuite, de peur qu'étant surpris, vous ne périssiez. Mais le grand Dieu ne pouvait-il pas garantir son propre fils dans le lieu même, lui qui avait déjà envoyé deux anges pour l'amour de vous? Celse s'imagine que nous croyons, non qu'il y avait quelque chose de divin dans le corps et dans l'âme de Jésus, mais que son corps même était à peu près semblable à ceux qu'Homère attribue à ses divinités fabuleuses. C'est ce qui donne lieu à la raillerie qu'il fait du sang que Jésus versa sur la croix, dont il dit, Que n'était pas une liqueur pareille à celle