L’athéologie
Comment vivre sans Dieu ?
Laurent Testot
Quand certains défendent aujourd'hui qu'une société ne peut se passer de religion, des philosophes prennent la plume pour se faire les avocats d'un projet athée. Un projet qui mobiliserait laïcité, morale et spiritualité… et écarterait Dieu
Athée est un terme étymologiquement négatif. Il vient du grec, et se divise en a- (sans) et theos (dieu).
Un athée est donc un sans-dieu. Un type qui se prive de transcendance divine et de tout ce qui est censé aller avec, compassion, spiritualité… Pour peu que l’on accorde crédit à l’hypothèse qui fait de la religion la source de la morale, du vivre-ensemble. Cette perspective acquiert aujourd’hui un certain relief médiatique avec la vulgate répétée d’un retour mondial du religieux, avec l’engagement public d’hommes politiques occidentaux (1), avec enfin une tentation croissante de calquer une explication monocausale sur les multiples conflits du moment, recourant pour ce faire à la seule grille des oppositions religieuses. Julia Kristeva parle ainsi de notre époque comme de « sombres temps où la certitude nihiliste des uns croise l’exaltation fondamentaliste des autres (2) ». Doit-on pour autant penser que le monde se résume à un conflit permanent entre groupes religieux, qui ne reconnaîtraient comme ennemis communs qu’une poignée d’athées nihilistes ?
Vitupérant cette lecture manichéenne de l’actualité, deux philosophes français ont pris la plume, se revendiquant d’une thèse qui, en d’autres temps, aurait frôlé l’hérésie : on peut être athée et tolérant, la foi n’est pas l’essence même du vivre-ensemble, les religions n’ont pas le monopole de la morale. Bref, le xxie siècle sera laïque ou ne sera pas. L’Esprit de l’athéismed’André Comte-Sponville (3) et le Traité d’athéologie de Michel Onfray (4) ont connu un beau succès d’édition. Que trouve-t-on dans ces deux essais ?
Une sagesse pour notre temps
Appelons le premier avocat de l’athéisme à la barre : A. Comte-Sponville, né en 1952. Son ambition affichée est de renouer avec l’idéal ancien de sagesse, tout en assumant les défis de la modernité tels qu’on les voit apparaître chez Friedrich Nietzsche, Karl Marx et Sigmund Freud.
Cela implique d’élaborer une métaphysique matérialiste, une éthique humaniste et une spiritualité sans Dieu, l’addition de ces trois prémisses aboutissant à construire « une sagesse pour notre temps ». Bref, un programme d’envergure, qui ne vise rien de moins qu’à faire de l’athéisme une valeur d’avenir. Pour A. Comte-Sponville, un athée peut bien évidemment faire siennes les valeurs judéo-chrétiennes (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas convoiter l’épouse du voisin…). La morale n’est pas un monopole du religieux. Certains disent que l’on ne peut se conduire correctement que si l’on croit que Dieu compte les écarts et les sanctionne post mortem. Rien de plus faux, s’insurge notre philosophe. Croire en Dieu n’a jamais empêché un fanatique de transgresser des valeurs supérieures. L’histoire nous montre avec constance que le meurtre au nom de Dieu est un phénomène universel. Ce qui fait la morale, c’est un choix conscient. Et l’humaniste, libéré du regard de Dieu, peut décider en conscience d’être moral.
Second avocat : Michel Onfray, médiatiquement consacré, répétitivement dénoncé aussi pour son réquisitoire sans concession contre tout ce qui porte soutane, kippa ou voile. Bah, qu’importe ! L’auteur signe un pamphlet, le genre s’accompagne obligatoirement d’effets de manche outranciers. Le texte figurant en quatrième de couverture de son ouvrage résume à lui seul l’intention du livre : « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine des corps, des désirs, des pulsions. En lieu et place de tout cela, judaïsme, christianisme et islam défendent : la loi et la croyance, l’obéissance et la soumission, le goût de la mort et la passion de l’au-delà, l’ange asexué et la chasteté, la virginité et la fidélité monogamique, l’épouse et la mère, l’âme et l’esprit. Autant dire la vie crucifiée et le néant célébré. » Rien de moins.