Qui était le père de Mahomet
L’ascendance de Mahomet est un secret bien gardé par les oulémas, car, en réalité, beaucoup d’incertitudes planent sur l’identité de son père biologique, prétendument ‘Abdullah bin ‘Abd al-Mouttalib. Cette problématique n’est pas sans conséquences, puisque si Mahomet a délibérément menti sur ses origines en revendiquant son appartenance à la noblesse alors qu’il n’était que le fils d’un roturier, son ministère prophétique n’était-il pas une imposture totale ? Les théologiens musulmans ne conçoivent pas qu’un serviteur de Dieu puisse être issu de la fornication, à l’instar de Jephté, dans la Bible, né d’une union illégitime (Juges 11.1-2) et dont la vie ne fut pas exempte de tout reproche, bien qu’il fût un vaillant héros.
On a donc attribué au Prophète de l’islam une lignée non souillée par le péché afin de dissimuler au mieux la « tare » de Mahomet, « j’ai écrit pour le Prophète cinq cents mères, rapporte le père d’Hichâm bin Mohammed al-Kalbi, et je n’ai pas trouvé parmi elles de fornicatrice, et rien de ce qui se pratiquait pendant la période préislamique ».
La prétendue conception du Prophète
‘Abd al-Mouttalib faisait partie du clan des Bani Hâchim, il eut onze fils, et parmi eux, ‘Abdullah. Un beau jour, il décida de marier son jeune fils à une notable d’un autre clan répondant au nom d’Amina, fille de Wahb, descendant direct d’Abd Manâf, tout comme Hâchim, le père d’Abd al-Mouttalib. En chemin, ‘Abdullah rencontra près de la Maison sacrée une femme d’une beauté exquise qui lui fit des avances, et qui était même prête à payer une centaine de chameaux en échange d’une relation sexuelle avec lui, mais il la repoussa gentiment :
Puis ‘Abd al-Muttalib partit, prenant en mission son fils ‘Abd Allah. On prétend qu’ils passèrent par une femme de Banû ‘Asad b. ‘Abd al-‘Uzzah bin Qusayy bin Kilâb b. Murrah b. Ka’b b. Lu’ayy b.Ghâlib b. Fihr. Elle est la sœur de Waraqah b. Nawfal b. ‘Asad b. ‘Abd al-‘Uzzah. Elle était auprès de la Ka’bah. Elle dit, quand elle regarda son visage : « où vas-tu, Ô ‘Abd Allah ? » Il dit : « avec mon père ». Elle dit : « couche avec moi maintenant, et tu auras autant de chameaux que ceux qui ont été égorgés en sacrifice pour toi ». Il répondit : « je suis avec mon père ; je ne peux pas lui désobéir, ni le quitter ».
‘Abdullah poursuivit son chemin avec son père jusqu’à atteindre leur destination, le clan de Wahb. Arrivé sur place, ‘Abd al-Mouttalib en profita pour demander la main d’Hâla bint Wouhayb, la cousine d’Amina. Les deux couples se marièrent alors « dans la même assemblée ». ‘Abdullah consomma le mariage le jour même et ‘Amina tomba enceinte de l’Envoyé de Dieu. Tout de suite après, le fils d’Abd al-Mouttalib partit retrouver la femme qui l’avait abordé près de la Ka’ba en vue de commettre l’adultère avec elle. Le physique probablement disgracieux d’Amina n’avait pas su retenir l’attention de notre jeune étalon :
On prétend que ‘Abd Allah coucha avec ‘Âminah tout de suite après son mariage avec elle et elle conçut l’Envoyé d’Allah, puis il sortit de chez elle, et alla à la femme qui s’était offerte à lui auparavant. Il lui dit : « pourquoi tu ne m’offres pas aujourd’hui ce que tu m’as offert hier ? » Elle répondit : « la lumière qui était avec toi hier t’a quitté ; c’est pourquoi je n’ai plus besoin de toi aujourd’hui ».
La lumière, qui est censée représenter l’arrivée du Messager de Dieu, serait passée d’Abdullah à ‘Amina après la consommation du mariage.
La mort d’Abdullah
On dit que le mari d’Amina a succombé à une maladie à son retour de Gaza, on affirme également qu’il trouva la mort à Médine lorsque son père l’y envoya afin de se ravitailler en dattes.
‘Abdullah bin ‘Abd al-Muttalib est parti avec une caravane commerciale des Qoraych qui allait en direction de la Syrie, vers Gaza. Quand ils eurent terminé leur commerce, ils sont repartis en passant par Médine qui était sur le chemin du retour. ‘Abdullah bin ‘Abd al-Muttalib est ce jour-là tombé malade, il a dit : « je vais rester derrière avec mes oncles de Bani ‘Adi bin an-Najjâr ». Il y est donc resté pendant un mois et il souffrait. Ses compagnons ont poursuivi et sont arrivés à la Mecque. ‘Abd al-Mouttalib a demandé des nouvelles d’Abdullah et ils lui ont dit : « nous l’avons laissé derrière avec ses oncles de Bani ‘Abi bin an-Najjâr, car il était malade ». ‘Abd al-Mouttalib a envoyé son fils ainé al-Hârith qui l’a trouvé mort et enterré dans la maisonnette d’an-Nâbigha, un homme de Bani ‘Adi an-Najjâr. La maisonnette est un petit bâtiment qui se trouve à votre gauche quand vous entrez dans l’habitation. Ses oncles l’ont informé de sa maladie, de son séjour, et de son traitement, et qu’ils l’ont enterré. Il est retourné voir son père et lui a rapporté cela. ‘Abd al-Mouttalib l’a pleuré. Ses frères et ses sœurs étaient aussi très affligés. Le Messager de Dieu était toujours dans le ventre de sa mère au moment de sa mort. ‘Abdullah avait vingt-cinq ans.
Cette version est la plus correcte d’après les historiens. Certains prétendent que le Prophète était âgé de sept ou vingt-huit mois à ce moment-là, mais « la première version est la plus sûre, écrit Ibn S’ad (m. 845), il est décédé quand le Messager de Dieu était dans le ventre de sa mère »6. Suite au décès de son époux, ‘Amina est allée vivre chez ‘Abd al-Mouttalib.
La naissance de Mahomet
Il serait né vers 570, un lundi, le 2, le 10, ou le 12 du mois de rabi’ al-awwal durant « l’année de l’éléphant », en référence à la tentative d’invasion de La Mecque par Abraha, roi du Yémen. Dieu a envoyé contre l’armée d’Abraha des centaines d’oiseaux qui eurent pour tâche de lapider les soldats ainsi que l’éléphant du roi, nommé Mahmoud, de manière à éviter la destruction de la Ka’ba.
La sourate 105 intitulée sourat al-fîl fut révélée en rapport avec cette légende. Jalâl ad-Dîn al-Mahalli (m. 1459) en fit le commentaire : « Dieu a détruit chacun d’eux avec une pierre qui lui est propre, où son nom y est inscrit, plus grande qu’une lentille mais plus petite qu’un pois chiche, capable de transpercer un œuf, un homme, ou un éléphant, et de se loger dans le sol. Ceci eut lieu dans l’année de la naissance du Prophète ». Cette histoire à dormir debout fut conçue dans le but de trouver un sens à la sourate 105 dont nous ignorons toujours à quel évènement elle fait allusion. Le fait qu’elle soit inspirée de faits réels lui donnait à l’époque une certaine crédibilité.
L’histoire de l’Arabie du Sud, maintenant mieux connue, ne s’accorde pas complètement avec la présentation de la tradition musulmane. Certes, la région était bien sous domination éthiopienne depuis que le négus l’avait envahi vers 525 à l’instigation des Byzantins pour venir au secours des communautés chrétiennes locales que persécutait un souverain yéménite converti au judaïsme. Le deuxième représentant du pouvoir abyssin au Yémen, Abraha, se rendit indépendant de son souverain et repris la titulature traditionnelle des souverains himyarites. C’est ce qui ressort des inscriptions qu’il a laissées et qui permettent de situer son règne vers le milieu du VIe siècle : le texte dans lequel Abraha commémore les réparations qu’il a fait exécuter sur la digue de Ma’rib porte ainsi la date de 549. En 553, dans une autre inscription, il raconte une expédition qu’il a envoyée vers l’Arabie centrale et vers le nord de la péninsule. Mais son activité semble cesser vers cette époque et il paraît douteux qu’il ait pu entreprendre vers 570 contre La Mecque une entreprise de ce genre. Son fils, Yaksûm, qui lui a succédé, règne brièvement, et dans les années 570 les Persans qui ont été appelés par un prince yéménite chassent les Éthiopiens et occupent l’Arabie du Sud. La chronologie des évènements, telle que l’ont établie les historiens du Yémen préislamique, ne permet donc pas de maintenir l’interprétation des commentateurs musulmans traditionnels.
D’après la tradition, Abraha aurait lancé une attaque contre La Mecque au milieu du mois de mouharram, cinquante jours avant que le Messager de Dieu ne vienne au monde.
Au moment de l’accouchement, le vagin d’Amina fit temporairement office de centrale nucléaire en éclairant une vaste étendue grâce à la lumière transmise par ‘Abdullah : « quand j’ai accouché de lui, dit-elle, une lumière est sortie de moi qui a illuminé les palais de Syrie. Il était propre quand je lui ai donné naissance. J’ai accouché de lui comme l’agneau qui nait sans impureté. Il est tombé sur le sol et il s’est assis par terre avec ses mains ».
‘Amina s’occupa de son fils pendant six ans, puis elle rendit l’âme. Deux ans plus tard, ce fut au tour d’Abd al-Mouttalib de rejoindre ses ancêtres, c’est alors l’oncle du Prophète, Abou Tâlib, qui prit en charge le jeune orphelin.
Problème de chronologie
Hamza est issu de l’union entre ‘Abd al-Mouttalib et Hâla bint Wouhayb, il était l’oncle paternel de Mahomet et son frère de lait. Par conséquent, il devrait logiquement avoir le même âge que le Prophète ou être plus jeune que lui, étant donné qu’Abd al-Mouttalib et ‘Abdullah se sont mariés le même jour et que Mahomet fut conçu juste après les festivités. Or, ce n’est pas le cas. Hamza était plus âgé que le Prophète, alors comment cela est-il possible ? Ibn Hajar al-‘Asqalâni (m. 1448) pense qu’Hamza « est né deux ans avant le Prophète. Et on dit : quatre ans. Il s’est converti durant la deuxième année de la mission »10. L’oncle de Mahomet fut tué durant la bataille de Ohod en l’an 3 de l’hégire, et d’après Ibn Sa’d, « il avait ce jour-là cinquante-neuf ans et il était âgé de quatre ans de plus que le Messager de Dieu »11. Si l’Envoyé de Dieu est né en 570, alors il avait cinquante-cinq ans lorsqu’Hamza mourut, ce qui fait une différence d’âge de quatre ans entre les deux comparses. Cependant, en se basant sur plusieurs traditions relatives à l’allaitement, les oulémas penchent pour un écart de deux ans. Ibn Sayyid an-Nâs (m. 1333), auteur renommé pour sa biographie du Prophète, a abordé ce sujet dans son livre ‘Ouyoun al-‘Athar :
Az-Zoubayr a mentionné qu’Hamza est plus âgé que le Prophète de quatre ans. Abou ‘Omar a rapporté quelque chose de semblable de lui et il a dit : « ceci n’est pas vrai en ce qui me concerne, car dans le hadith de Thâbit, Hamza et ‘Abdullah bin ‘Abd al-‘Asad ont été allaités par Thawayba avec le Messager de Dieu, toutefois, leur allaitement s’est fait en deux temps ». Je dis : le plus correct est ce que nous avons rapporté d’Ibn Ishâq par la voie d’al-Bakkâ’i, il est plus âgé que le Messager de Dieu de deux ans. Et Dieu sait mieux.12
À vrai dire, il semblerait qu’Amina ait eu au moins deux enfants à en juger par le hadith d’Ishâq bin ‘Abdullah : « la mère du Prophète a dit : j’ai porté des enfants et je n’ai pas eu de grossesse plus lourde que lui »13. On peut supposer que l’enfant à qui elle a donné naissance en 570 est mort-né ou décédé en bas-âge, car le taux de mortalité infantile était à cette époque très élevé, c’est pourquoi son court passage sur Terre ne marqua pas les mémoires d’hommes, si bien que « Mohammed bin ‘Omar al-‘Aslami a dit : c’est quelque chose qui n’est pas connu de nous ni des gens de science, car ni ‘Amina bint Wouhayb, ni ‘Abdullah bin ‘Abd al-Mouttalib n’ont eu d’enfant à part le Messager de Dieu »14. ‘Amina aurait accouché quelques années plus tard de Mahomet, né hors mariage, vers 573. Il est possible que les premiers traditionnalistes aient pu profiter du vide laissé par le demi-frère du Prophète pour décaler sa naissance de quelques années en arrière, et purifier ainsi sa lignée du péché de fornication. Par ailleurs, Mohammed ibn Jarir at-Tabari (m. 923) rapporte que certains disent que le Prophète nous a quittés à l’âge de soixante ans15, contrairement à d’autres qui prétendent qu’il a disparu à soixante-trois ans, or, il est admis que Mahomet est mort en 632.