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Le péché originel
- Le péché originel. Approche paulinienne
Le rôle d’Adam
Sans être chaotique, la composition de Rm 5, 12-21 donne l’impression d’être embarrassée, car le v. 12 commence avec une comparative qui n’est pas suivie de sa principale : « de même que par un seul homme le péché entra dans le monde, et la mort s’est répandue sur tous les hommes, [manque le “de même”...] », et les v. 13-14 forment une anacoluthe, le v. 15 n’étant pas sémantiquement relié au v. 14. Malgré ces bizarreries, le lien entre les v. 12-14 et 15-19 ne manque pas de logique. Les v. 12-14 commencent en effet par décrire la situation qui nous vient d’Adam, et, à l’aide d’un parallèle strict et suivi entre Adam et le Christ, les v. 15-19 énoncent que, nonobstant cet état de fait, le don de Dieu en Jésus-Christ est infiniment supérieur aux effets du péché d’Adam. En outre, si l’on regarde d’un peu plus près les v. 12-14 et 15-19, un parallélisme se dessine entre ces deux unités. Le v. 12 est ainsi repris par les affirmations des v. 15-19, plusieurs expressions étant répétées presque telles quelles.
Un parallélisme dont la progression est nette et couvre les deux unités en leur entièreté.
De ce parallélisme on peut conclure que le passage revient avec insistance sur le rôle du seul Adam par lequel péché et mort entrèrent dans le monde. Ces données claires n’empêchent toutefois pas la phraséologie des v. 12-14 d’être difficile. Une explication – la plus brève possible – est requise, si l’on veut saisir la portée du passage.
Commençons donc avec les v. 13-14 qui sont une expolitio, c’est-à-dire une explication ou une explicitation du v. 12.
13 en effet, jusqu’à la Loi Écrit avec une majuscule, ce vocable désigne équivalemment la… (nomos) le péché était dans le monde, mais le péché n’est pas pris en compte quand (il n’y a) pas de loi,
14 mais la mort a régné d’Adam jusqu’à Moïse même sur ceux n’ayant pas péché de la transgression d’Adam, qui est type de celui qui devait venir.
Ce qu’une loi (mosaïque ou non) détermine, ce sont les transgressions ; or, pour qu’une transgression devienne péché, il faut la parole divine, car elle seule peut décréter ce qui est péché, en sorte qu’il soit reconnu comme tel et sanctionné. Et pour que le péché soit puni de mort, il faut une loi disant que telle sera la punition. S’il n’y a pas de loi interdisant la transgression et annonçant la punition de mort comme conséquence de cette transgression, le péché ne peut être connu comme tel et donc puni de mort. La difficulté soulevée par le verset est donc la suivante : comment ceux qui ont vécu entre Adam et Moïse, avant que la Loi soit promulguée et donc avant que le rapport entre faute et châtiment soit explicitement établi, ont-ils été frappés de mort par Dieu, alors qu’ils avaient péché sans savoir que leurs actes méritaient cette punition ?
Le verset revient ainsi sur un fait troublant : comment se fait-il, alors que les péchés commis ne pouvaient être imputés, et donc entraîner une sentence de mort, que tous les humains sont néanmoins morts ? Le v. 14, dernière phrase de l’expolitio « La mort régna depuis Adam jusqu’à Moïse aussi [ou “même”] sur…, insiste sur le fait que même les amis de Dieu, tels les patriarches Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, qui n’ont pas transgressé un interdit méritant la mort, ont néanmoins été, comme tous les autres humains, victimes des conséquences de la faute d’Adam. Si, pour Adam, Paul parle de transgression, pour les génération….
Autrement dit, si sans loi ou interdit le péché ne peut être transgression, imputé donc Paul parle évidemment de la loi divine, en sa promulgation…, et la sanction de mort prononcée, comment expliquer que, surtout s’ils étaient amis de Dieu, les humains ayant vécu avant la promulgation de cette Loi soient morts ? Cela vient, déclare l’apôtre en Rm 5, 14a de ce qu’ils se trouvaient déjà en une situation où la mort était le lot commun, à cause de la transgression même d’Adam. Car, depuis cette transgression, la mort est une sanction Cf. Gn 3, 17-19, interprété ainsi bien avant Paul et le…. Les difficultés de détail n’empêchent donc pas de saisir la pointe de l’incise : le règne de la mort précède les péchés des fils d’Adam, ou encore, c’est sur fond de (peine de) mort que tous après lui ont péché.
Le verset ne dit pas qu’avant l’apparition de la loi mosaïque…. Si Paul se croit obligé de mentionner la catégorie des hommes ayant vécu dans la période allant d’Adam à Moïse, c’est parce qu’il entend rappeler que tous les humains de toutes les générations ont été dramatiquement touchés par la transgression d’Adam. Mais la promulgation de la Loi n’a-t-elle pas eu précisément pour fonction de changer le cours des choses ? Les v. 20-21 répondront négativement.
Des v. 13-14 remontons au v. 12, dont ils sont une explicitation. La difficulté se trouve tout à la fin de ce verset que nous traduirons seulement après avoir examiné les diverses interprétations qui en sont généralement faites.
12 Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché entra dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort s’est répandue sur tous les hommes, eph’hôi J. A. Fitzmyer ayant fait une histoire exhaustive de… tous péchèrent.
La gamme des interprétations peut être divisée en deux :
- les commentateurs pour qui le eph’hôi… est une proposition relative, renvoyant à une personne, Adam (« en qui [tous péchèrent] », « à cause de qui », « à cause de celui par qui », « à la suite de qui »), ou à une situation (« au point que [tous péchèrent] », « à cause de quoi » ou « sur la base de quoi », « régime sur la base duquel [tous péchèrent] », ou « situation dans laquelle… ») Fitzmyer retient ce dernier sens comme le meilleur de cette… ;
- les autres, très nombreux aujourd’hui, pour qui la proposition est subordonnée, causale ou consécutive. Le sens causal a été perçu avec diverses nuances : « puisque », « parce que », « étant donné que » (eph’hôi équivaudrait ainsi à l’hébreu `al ken ou au grec dioti) Le `al ken peut aussi être interprété comme une conclusion :…, « étant remplie la condition que (tous péchèrent) ». Fitzmyer a suggéré de lire le passage comme une consécutive : « Voilà pourquoi, de même que le péché entra dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort, ainsi la mort s’est répandue sur tous les humains, avec pour résultat que tous péchèrent. »
Parmi toutes ces propositions de traduction du v. 12d, quatre ont eu ou ont encore la faveur des exégètes. Il suffira de les présenter et commenter brièvement, car c’est l’ensemble des données qui va en réalité permettre de choisir la plus adaptée au contexte, autrement dit, à l’expolitio des v. 13-14 :
… et ainsi la mort passa à tous les hommes,
- cet Adam en qui (ou « à cause de qui ») tous péchèrent [relative],
- situation dans laquelle (= sur la base de quoi) tous péchèrent [relative],
- étant donné que (ou « du fait que ») tous péchèrent [causale],
- avec pour résultat que tous péchèrent [consécutive].
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