Yahvé n'était pas seul
L’orthodoxie d’Israël a toujours défendu l’existence d’un seul Dieu, qu’on appelait tout simplement El (Dieu), aux temps des Patriarches, mais qui s’est révélé à Moïse, plus tard, sous, le nom de Yahvé, nom qui s’est imposé pour le reste de l’histoire d’Israël (Ex 6,3). Toutefois, on sait que la foi populaire a très souvent introduit d’autres dieux à côté de Yahvé, excitant ainsi la colère des prophètes; ceux-ci réussissaient parfois à convaincre les rois d’instaurer les réformes nécessaires, mais sans de très longs lendemains. Ba’al a sans doute été le dieu le plus populaire après Yahvé; au IXe siècle, il semble même qu’il soit allé jusqu’à supplanter ce dernier (voir l’histoire d’Élie sur le Carmel : 1 R 18,20ss). Deux déesses sont aussi connues et vénérées : Astarté, qui joue un rôle important dans la recherche de la fertilité, et Ashérah, dont le nom est mentionné pas moins de quarante fois dans l’Ancien Testament.
La découverte des textes d’Ugarit, grande ville cananéenne du XIVe siècle avant J.-C., nous a admirablement éclairés sur ces diverses figures divines. On sait bien maintenant queBa’al était étroitement associé soit à la déesse Anat, soit à la déesse Astarté, pour vaincre les forces mauvaises (la sécheresse et la mer) qui menaçaient sans cesse la fertilité nécessaire à la survie des hommes. Les Israélites ont donc toujours été tentés de réintroduire chez eux ces antiques divinités, jamais complètement mortes! On sait aussi que le chef du panthéon cananéen s’appelait El et qu’avec l’assistance de la déesse Ashérah, il avait engendré les autres dieux, puis procédé à la création de tout l’univers. Comme Israël s’adressait aussi à son Dieu sous le nom de El, on comprend facilement que la déesse Ashérah ait pu être une constante tentation de vénération à côté de ce Dieu national.
Une découverte relativement récente dans un fortin israélite bâti au cours du VIIIe siècle avant J.-C., dans un coin reculé du nord de la péninsule du Sinaï, vient illustrer vivement cette tentation, pour la première fois. En effet, dans les salles d’entrée de ce fortin de Kuntillet Ajrud, on découvrit de gros fragments de jarres couverts de dessins nombreux et variés et souvent accompagnés d’inscriptions, dont la provenance ne fait aucun doute : la forme des lettres et la mention fréquente de « Yahvé » nous forcent à les attribuer à un groupe d’Israélites établis dans ce poste frontière de Juda, pour protéger le pays contre des incursions égyptiennes ou édomites.
Deux de ces inscriptions sur jarre sont des formules de bénédictions, aux noms de « Yahvé et son Ashérah »! D’autres inscriptions sur des fragments de plâtre ayant recouvert les murs des salles mentionnent aussi Ba’al et El avec le même Yahvé. Mais comment comprendre la première formule : « Yahvé et son Ashérah »?
Suite aux diverses mentions d’Ashérah dans l’Ancien Testament, nous devons voir en ce terme tantôt le nom personnel de la déesse (ainsi Jg 3,7; 1 R 15,13; 18,19; 2 R 21,7; etc.), tantôt un objet qui lui est intimement associé, qui n’est jamais décrit, mais que l’on imagine ressembler à un pieu équarri; en effet il est fait de bois (Jg 6,26), puis planté (Dt 16,21); il peut être brûlé (Dt 12,3), ou abattu (Dt 7,5). À la lumière de ces indications générales retenues par la tradition biblique, les inscriptions de Kuntillet Ajrud font donc l’objet de discussions assez vives à l’heure actuelle.
Une de ces inscriptions se lit au-dessus de trois figures claires. En premier lieu, deux d’entre elles représentent des figures mâles évidentes, dont les traits rappellent ceux du dieu égyptien Bes. À côté d’eux, on voit très bien une figure féminine assise sur un trône ou une chaise, et jouant de la lyre. Ne pourrait-on pas y voir justement une représentation de la déesse Ashérah? Ainsi nous aurions non seulement une première mention de celle-ci dans un texte israélite en dehors de la Bible mais nous aurions même sa représentation graphique.
On peut évoquer trois arguments pour identifier cette figure assise à Ashérah. Son costume (robe et « foulard ») ressemble beaucoup à celui des déesses de fertilité tel que connu sur les bas-reliefs d’Ugarit; il faut en dire autant de sa coiffure. Mais surtout le siège sur lequel elle est assise peut être facilement identifié à un trône à chérubins (sphinx) : on voit que ses pattes se terminent en pattes de lion, et que le dossier est recourbé vers l’extérieur tout comme celui de ces trônes à sphinx, puisqu’il est fait par la jonction des ailes de ces êtres mythiques. Or ces trônes ne sont utilisés que par les rois et les dieux; comme la présente figure est associée à deux représentations de dieux, on est donc invité à l’identifier à une déesse et par suite, à Ashérah, dont il est fait mention dans l’inscription qui la surplombe.
Que l’Ashérah de l’inscription soit comprise comme nom de la déesse ou comme son symbole (pieu sacré), il ne fait pas de doute que des Israélites du VIIIe siècle l’associaient sans gêne à Yahvé lui-même dans des formules voulant attirer sur eux leur bénédiction conjointe. Pouvait-on espérer trouver un jour une illustration aussi vivante du syncrétisme religieux si violemment condamné par la loi et les prophètes?
L’orthodoxie d’Israël a toujours défendu l’existence d’un seul Dieu, qu’on appelait tout simplement El (Dieu), aux temps des Patriarches, mais qui s’est révélé à Moïse, plus tard, sous, le nom de Yahvé, nom qui s’est imposé pour le reste de l’histoire d’Israël (Ex 6,3). Toutefois, on sait que la foi populaire a très souvent introduit d’autres dieux à côté de Yahvé, excitant ainsi la colère des prophètes; ceux-ci réussissaient parfois à convaincre les rois d’instaurer les réformes nécessaires, mais sans de très longs lendemains. Ba’al a sans doute été le dieu le plus populaire après Yahvé; au IXe siècle, il semble même qu’il soit allé jusqu’à supplanter ce dernier (voir l’histoire d’Élie sur le Carmel : 1 R 18,20ss). Deux déesses sont aussi connues et vénérées : Astarté, qui joue un rôle important dans la recherche de la fertilité, et Ashérah, dont le nom est mentionné pas moins de quarante fois dans l’Ancien Testament.
La découverte des textes d’Ugarit, grande ville cananéenne du XIVe siècle avant J.-C., nous a admirablement éclairés sur ces diverses figures divines. On sait bien maintenant queBa’al était étroitement associé soit à la déesse Anat, soit à la déesse Astarté, pour vaincre les forces mauvaises (la sécheresse et la mer) qui menaçaient sans cesse la fertilité nécessaire à la survie des hommes. Les Israélites ont donc toujours été tentés de réintroduire chez eux ces antiques divinités, jamais complètement mortes! On sait aussi que le chef du panthéon cananéen s’appelait El et qu’avec l’assistance de la déesse Ashérah, il avait engendré les autres dieux, puis procédé à la création de tout l’univers. Comme Israël s’adressait aussi à son Dieu sous le nom de El, on comprend facilement que la déesse Ashérah ait pu être une constante tentation de vénération à côté de ce Dieu national.
Une découverte relativement récente dans un fortin israélite bâti au cours du VIIIe siècle avant J.-C., dans un coin reculé du nord de la péninsule du Sinaï, vient illustrer vivement cette tentation, pour la première fois. En effet, dans les salles d’entrée de ce fortin de Kuntillet Ajrud, on découvrit de gros fragments de jarres couverts de dessins nombreux et variés et souvent accompagnés d’inscriptions, dont la provenance ne fait aucun doute : la forme des lettres et la mention fréquente de « Yahvé » nous forcent à les attribuer à un groupe d’Israélites établis dans ce poste frontière de Juda, pour protéger le pays contre des incursions égyptiennes ou édomites.
Deux de ces inscriptions sur jarre sont des formules de bénédictions, aux noms de « Yahvé et son Ashérah »! D’autres inscriptions sur des fragments de plâtre ayant recouvert les murs des salles mentionnent aussi Ba’al et El avec le même Yahvé. Mais comment comprendre la première formule : « Yahvé et son Ashérah »?
Suite aux diverses mentions d’Ashérah dans l’Ancien Testament, nous devons voir en ce terme tantôt le nom personnel de la déesse (ainsi Jg 3,7; 1 R 15,13; 18,19; 2 R 21,7; etc.), tantôt un objet qui lui est intimement associé, qui n’est jamais décrit, mais que l’on imagine ressembler à un pieu équarri; en effet il est fait de bois (Jg 6,26), puis planté (Dt 16,21); il peut être brûlé (Dt 12,3), ou abattu (Dt 7,5). À la lumière de ces indications générales retenues par la tradition biblique, les inscriptions de Kuntillet Ajrud font donc l’objet de discussions assez vives à l’heure actuelle.
Illustrations de la jarre A
Kuntillet Ajrud, Israël
Début du VIIIe siècle avant notre ère.
Kuntillet Ajrud, Israël
Début du VIIIe siècle avant notre ère.
Une de ces inscriptions se lit au-dessus de trois figures claires. En premier lieu, deux d’entre elles représentent des figures mâles évidentes, dont les traits rappellent ceux du dieu égyptien Bes. À côté d’eux, on voit très bien une figure féminine assise sur un trône ou une chaise, et jouant de la lyre. Ne pourrait-on pas y voir justement une représentation de la déesse Ashérah? Ainsi nous aurions non seulement une première mention de celle-ci dans un texte israélite en dehors de la Bible mais nous aurions même sa représentation graphique.
On peut évoquer trois arguments pour identifier cette figure assise à Ashérah. Son costume (robe et « foulard ») ressemble beaucoup à celui des déesses de fertilité tel que connu sur les bas-reliefs d’Ugarit; il faut en dire autant de sa coiffure. Mais surtout le siège sur lequel elle est assise peut être facilement identifié à un trône à chérubins (sphinx) : on voit que ses pattes se terminent en pattes de lion, et que le dossier est recourbé vers l’extérieur tout comme celui de ces trônes à sphinx, puisqu’il est fait par la jonction des ailes de ces êtres mythiques. Or ces trônes ne sont utilisés que par les rois et les dieux; comme la présente figure est associée à deux représentations de dieux, on est donc invité à l’identifier à une déesse et par suite, à Ashérah, dont il est fait mention dans l’inscription qui la surplombe.
Que l’Ashérah de l’inscription soit comprise comme nom de la déesse ou comme son symbole (pieu sacré), il ne fait pas de doute que des Israélites du VIIIe siècle l’associaient sans gêne à Yahvé lui-même dans des formules voulant attirer sur eux leur bénédiction conjointe. Pouvait-on espérer trouver un jour une illustration aussi vivante du syncrétisme religieux si violemment condamné par la loi et les prophètes?