Jérusalem incendiée : le sort d’une ville royale
Nous connaissons tous le nom du roi de Babylone, Nabuchodonosor, qui mit fin à quatre siècles d’histoire royale à Jérusalem, en 587 avant J.-C. Le chroniqueur officiel de la dynastie davidique nous a transmis l’essentiel de cet événement tragique, sans omettre de nous en donner d’abord la raison explicative (2 R 24,18–25,21 = Jr 52,1-27). En effet nous pouvons lire que « Sédécias (dernier roi de Juda) fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avait fait Joiaqîm. Cela arriva à Jérusalem et à Juda à cause de la colère de Yahvé, tant qu’enfin il les rejeta de devant sa face ». Cette remarque-refrain est inscrite dans chacun des résumés des rois de Jérusalem, sauf pour Ezéchias et Josias, puisque tous ont été infidèles aux exigences de l’Alliance, si bien évoquées dans toute la prédication prophétique. Si Dieu est en colère, c’est que son peuple l’a renié! C’est donc par sa propre faute que Juda est marqué pour sa fin :
Il est normal que ces quelques lignes empruntées au chroniqueur du deuxième livre des Rois aient toujours été présentes à l’esprit de tous les fouilleurs de la ville de Jérusalem depuis un siècle déjà. Mais ce sont d’abord les travaux de K. Kenyon et R. de Vaux (1961-1967), et surtout ceux de N. Avigad et Y. Shiloh (1968 à aujourd’hui) qui les ont illustrées avec force.
Grâce à leurs découvertes précises, nous pouvons maintenant déterminer les limites de la ville au temps des Cananéens et de David (partie rayée du plan), ses extensions au temple de Salomon (ligne continue) et au temps des rois du VIIIe siècle (ligne brisée; la double ligne indique les limites de la vieille ville actuelle). Toutefois c’est la partie la plus ancienne de Jérusalem qui a été fouillée de façon presque exhaustive (« cité de David » du plan). Les résultats de ces travaux pourraient faire l’objet de plusieurs chroniques; nous ne retiendrons ici que les signes du passage désastreux de Nabuchodonosor.
Partout dans les aires fouillées de cette partie de la ville, nous rencontrons une couche de destruction violente, bien datée par la poterie nombreuse qui s’y trouve, soit le début du VIe siècle avant J.-C. Les pierres des murs de maisons et du rempart ont culbuté sur la pente accentuée de la colline; une épaisse couche de cendres recouvre la plupart des sols de maisons. Dans cette couche de cendres on y trouve souvent de grosses poutres de bois calciné, mélangées à des morceaux de plâtre et de roseaux : il s’agit évidemment des toits qui se sont effondrés dans les maisons. À certains endroits l’incendie a été si intense que les pierres des murs ont même éclaté par la force de la chaleur. Les auteurs de cette destruction ont laissé leur signature, en quelque sorte, puisque des pointes de flèches triangulaires (elles sont munies de trois bords tranchants) et à douille sont nombreuses dans ces débris : ce sont là les flèches typiques des babyloniens! Les flèches israélites, encore plus nombreuses, n’ont que deux bords tranchants. Il est par contre remarquable qu’aucun squelette n’a été découvert à date dans ces décombres : les judéens ont-ils eu le temps de fuir au moment de l’assaut final, ou les morts ont-ils tous été ensevelis après le désastre? Nous ne le saurons peut-être jamais!
Le quartier de la ville de David, juste derrière la source de Gihon, devait être habité par des gens importants de ces dernières années du royaume de Juda, si on en juge par quelques découvertes significatives dans trois maisons.
La maison d’Ahiel (ainsi nommée à cause d’une inscription trouvée dans les cendres) présente le plan typique de la maison israélite : une cour centrale ouverte entourée de trois salles fermées; elle avait un deuxième étage bien meublé car dans les débris atteignant deux à trois mètres d’épaisseur on y trouve un beau mobilier en bois et en métal, et de très nombreux outils de bronze. Un riche artisan devait donc l’habiter.
Un peu plus au nord, une autre maison que l’on désigna par l’adjectif « brûlée » à cause des 5 cm de cendres sur son sol, renfermait aussi un riche mobilier de bois incrusté d’éléments décoratifs en os et en ivoire, une caractéristique des palais et des maisons riches (Ps 45,9; Am 3,15; 6,4).
À l’est de ces deux maisons, une autre, si détruite que son plan n’a pu être établi, a quand même causé une surprise aux fouilleurs : un lot de 51 bulles fut retiré des débris. On appelle « bulle » une petite pastille de glaise que l’on fixe sur les ficelles qui attachent un papyrus : c’est sur cette pastille que le sceau d’un officiel (scribe ou propriétaire) est appliqué pour authentifier le document. Le feu de l’incendie a complètement détruit les papyrus, mais a « cuit » à tout jamais la glaise des bulles, laissant voir clairement la trace des ficelles d’un côté, et l’inscription, de l’autre. Or un des sceaux porte le nom de « Gemaryahu fils de Shafan », qui pourrait bien être ce fonctionnaire devant qui Baruk lut le rouleau des oracles de Jérémie!(Jr 36,10). Chose certaine, cette maison devait être celle d’un scribe bien connu de Jérusalem au temps de cette catastrophe finale.
C’est au milieu de cet amoncellement de débris que les rescapés de 587 ont aménagé de pauvres logis qu’ils ont habités pendant les années de l’exil.
Siège et prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (détail) (Jérémie 52)
Enluminure sur parchemin (circa 975)
Beatus d'Urgell Ms 26 f° 209
Enluminure sur parchemin (circa 975)
Beatus d'Urgell Ms 26 f° 209
Nous connaissons tous le nom du roi de Babylone, Nabuchodonosor, qui mit fin à quatre siècles d’histoire royale à Jérusalem, en 587 avant J.-C. Le chroniqueur officiel de la dynastie davidique nous a transmis l’essentiel de cet événement tragique, sans omettre de nous en donner d’abord la raison explicative (2 R 24,18–25,21 = Jr 52,1-27). En effet nous pouvons lire que « Sédécias (dernier roi de Juda) fit ce qui déplaît à Yahvé, tout comme avait fait Joiaqîm. Cela arriva à Jérusalem et à Juda à cause de la colère de Yahvé, tant qu’enfin il les rejeta de devant sa face ». Cette remarque-refrain est inscrite dans chacun des résumés des rois de Jérusalem, sauf pour Ezéchias et Josias, puisque tous ont été infidèles aux exigences de l’Alliance, si bien évoquées dans toute la prédication prophétique. Si Dieu est en colère, c’est que son peuple l’a renié! C’est donc par sa propre faute que Juda est marqué pour sa fin :
« En la neuvième année de Sédécias, au dixième mois, le 10 du mois (= fin décembre 589), Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint attaquer Jérusalem avec toute son armée; il campa devant la ville et la cerna d’un retranchement. La ville fut assiégée jusqu’à la onzième année de Sédécias (= 587). Au quatrième mois (= juin-juillet), le 9 du mois… une brèche fut faite au rempart de la ville. Au cinquième mois (août-septembre), le 7 du mois, Nabuzardan, officier du roi de Babylone, fit son entrée à Jérusalem. Il incendia le Temple de Yahvé, le palais royal et toutes les maisons de Jérusalem. Les troupes babyloniennes… abattirent les remparts qui entouraient Jérusalem. » (2 R 25,1-10)
Plan de Jérusalem
Il est normal que ces quelques lignes empruntées au chroniqueur du deuxième livre des Rois aient toujours été présentes à l’esprit de tous les fouilleurs de la ville de Jérusalem depuis un siècle déjà. Mais ce sont d’abord les travaux de K. Kenyon et R. de Vaux (1961-1967), et surtout ceux de N. Avigad et Y. Shiloh (1968 à aujourd’hui) qui les ont illustrées avec force.
Grâce à leurs découvertes précises, nous pouvons maintenant déterminer les limites de la ville au temps des Cananéens et de David (partie rayée du plan), ses extensions au temple de Salomon (ligne continue) et au temps des rois du VIIIe siècle (ligne brisée; la double ligne indique les limites de la vieille ville actuelle). Toutefois c’est la partie la plus ancienne de Jérusalem qui a été fouillée de façon presque exhaustive (« cité de David » du plan). Les résultats de ces travaux pourraient faire l’objet de plusieurs chroniques; nous ne retiendrons ici que les signes du passage désastreux de Nabuchodonosor.
Partout dans les aires fouillées de cette partie de la ville, nous rencontrons une couche de destruction violente, bien datée par la poterie nombreuse qui s’y trouve, soit le début du VIe siècle avant J.-C. Les pierres des murs de maisons et du rempart ont culbuté sur la pente accentuée de la colline; une épaisse couche de cendres recouvre la plupart des sols de maisons. Dans cette couche de cendres on y trouve souvent de grosses poutres de bois calciné, mélangées à des morceaux de plâtre et de roseaux : il s’agit évidemment des toits qui se sont effondrés dans les maisons. À certains endroits l’incendie a été si intense que les pierres des murs ont même éclaté par la force de la chaleur. Les auteurs de cette destruction ont laissé leur signature, en quelque sorte, puisque des pointes de flèches triangulaires (elles sont munies de trois bords tranchants) et à douille sont nombreuses dans ces débris : ce sont là les flèches typiques des babyloniens! Les flèches israélites, encore plus nombreuses, n’ont que deux bords tranchants. Il est par contre remarquable qu’aucun squelette n’a été découvert à date dans ces décombres : les judéens ont-ils eu le temps de fuir au moment de l’assaut final, ou les morts ont-ils tous été ensevelis après le désastre? Nous ne le saurons peut-être jamais!
Le quartier de la ville de David, juste derrière la source de Gihon, devait être habité par des gens importants de ces dernières années du royaume de Juda, si on en juge par quelques découvertes significatives dans trois maisons.
Plan des fouilles de trois maisons typiques
La maison d’Ahiel (ainsi nommée à cause d’une inscription trouvée dans les cendres) présente le plan typique de la maison israélite : une cour centrale ouverte entourée de trois salles fermées; elle avait un deuxième étage bien meublé car dans les débris atteignant deux à trois mètres d’épaisseur on y trouve un beau mobilier en bois et en métal, et de très nombreux outils de bronze. Un riche artisan devait donc l’habiter.
Un peu plus au nord, une autre maison que l’on désigna par l’adjectif « brûlée » à cause des 5 cm de cendres sur son sol, renfermait aussi un riche mobilier de bois incrusté d’éléments décoratifs en os et en ivoire, une caractéristique des palais et des maisons riches (Ps 45,9; Am 3,15; 6,4).
À l’est de ces deux maisons, une autre, si détruite que son plan n’a pu être établi, a quand même causé une surprise aux fouilleurs : un lot de 51 bulles fut retiré des débris. On appelle « bulle » une petite pastille de glaise que l’on fixe sur les ficelles qui attachent un papyrus : c’est sur cette pastille que le sceau d’un officiel (scribe ou propriétaire) est appliqué pour authentifier le document. Le feu de l’incendie a complètement détruit les papyrus, mais a « cuit » à tout jamais la glaise des bulles, laissant voir clairement la trace des ficelles d’un côté, et l’inscription, de l’autre. Or un des sceaux porte le nom de « Gemaryahu fils de Shafan », qui pourrait bien être ce fonctionnaire devant qui Baruk lut le rouleau des oracles de Jérémie!(Jr 36,10). Chose certaine, cette maison devait être celle d’un scribe bien connu de Jérusalem au temps de cette catastrophe finale.
C’est au milieu de cet amoncellement de débris que les rescapés de 587 ont aménagé de pauvres logis qu’ils ont habités pendant les années de l’exil.