La Bible de BARNABÉ
L'évangile apocryphe de Barnabé (XIV° - XVI° siècles)
CE QUE L'ÉGLISE DIT :J'ai longuement hésité avant d'ajouter Cet appendice. L'affaire de cet évangile, non seulement apocryphe mais surtout très tardif, est rocambolesque. Nous étions beaucoup à souhaiter qu'elle se termine d'elle-même et le mieux, semblait-il, était de se taire. Mais voici que depuis une dizaine d'années, ce faux évangile sert à une propagande anti-chrétienne, discrète mais fort nette : il est présenté à des chrétiens penchant vers l'islam et peu au courant de la question dans le but de les attirer. Il serait bon que tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont une responsabilité chrétienne sachent qu'il existe. Le jour où tout sera retombé dans l'oubli, cet appendice n'aura plus de raison d'être et pourra être supprimé.
En attendant, sa présence dans ce Cahier répond au fait que l'auteur de cet évangile a remanié un donné très ancien dans une ligne précise il a voulu fournir un évangile qui s'harmonise avec le Coran.
C'est au XVII° siècle qu'en Hollande, des humanistes de tendance déiste tombèrent sur le texte, écrit en italien, d'un évangile soi-disant rédigé par Barnabé sur l'ordre de Jésus. Barnabé est connu dans le Nouveau Testament comme un lévite originaire de Chypre et qui accompagna saint Paul pendant une partie de son apostolat. Ici il est présenté comme s'il avait été l'un des douze apôtres, depuis le tout début du ministère de Jésus. Il est dit avoir été le témoin de toute l'activité évangélique de Jésus Emmené partout par Jésus, il est dit dans ce texte avoir été avec lui chaque fois que, dans les Évangiles synoptiques, seuls les trois intimes, Pierre, Jacques et Jean, l'accompagnent. Et même chez les Judéo-chrétiens qui font de Barnabé un apôtre, celui-ci n'est agrégé aux onze qu'après la mort de Judas et à sa place.
La première réaction de ces humanistes du XVIII° siècle fut de se demander s'il ne s'agissait pas d'un évangile ancien qui aurait eu cours en Arabie à l'époque de Mohammad. Ils ne se prononcèrent pas, jugeant avec sagesse qu'un complément d'enquête serait nécessaire. Ce manuscrit fut finalement incorporé à la grande bibliothèque de Vienne où il se trouve actuellement.
En 1907 il fut publié avec une excellente étude critique et une traduction anglaise par Lonsdale et Laura Ragg (Oxford, Clarendon Press). Il était net qu'il s'agissait d'un texte rédigé entre le XIV° et le XVI° siècles, probablement dans l'Ouest du bassin méditerranéen. Le manuscrit italien était postérieur à 1575, date à laquelle commence la fabrication du papier sur lequel il est écrit, comme en fait foi son filigrane.
La critique interne montrait, pour le texte lui-même, un auteur ignorant la géographie de la Palestine, se servant des Évangiles d'après le Diatessaron de Tatien, les coupant selon ses vues théologiques à lui, y ajoutant de nombreux discours de spiritualité chrétienne occidentale médiévale (certains thèmes se datent clairement) et surtout, mise à part l'affirmation de base, remodelant le tout selon la vision musulmane de l'histoire religieuse du monde et celle de Jésus, y compris la substitution miraculeuse d'un sosie arrêté et crucifié à la place de Jésus qui lui est emmené au ciel, sain et sauf, par des anges. Dans son état actuel, le texte est une rédaction que l'on doit dater du XIV° au XVI° siècle, pas avant.
Traduit en arabe dès 1908, cet apocryphe a connu un très grand succès en terre d'islam. Il fut retraduit en d'autres langues musulmanes et périodiquement réédité. Même s'il est relativement peu lu, beaucoup en parlent comme de l'évangile le plus proche de celui que Dieu aurait communiqué du ciel à Jésus et qui serait perdu. Et les vies musulmanes de Jésus, même l'une d'elles écrite par un docteur d'université européenne, s'en inspirent.
Un évangile de Barnabé, dont le nom seul est connu, avait existé aux V°-VI° siècles comme en fait foi la condamnation portée par le décret dit de Gélase à cette époque. Mais il est impossible que, dans son état actuel, le texte italien représente cet original inconnu.
Que faut-il en penser ? Du côté musulman, malgré l'engouement général, quelques rares voix ont eu le courage d'aller à contre-courant et de dire pourquoi le texte était inacceptable aux yeux de la critique historique. Chez les Occidentaux, deux tendances sont apparues. La première, la plus répandue, accepte les conclusions de l'étude critique fournie par les éditeurs de 1907. Elle considère ce texte comme composé au XVI° siècle (peut-être au XIV° mais pas avant). L'hypothèse de recherche actuelle la plus séduisante y verrait un faux lancé dans un esprit de vengeance contre l'inquisition espagnole ou un moyen de défense de la foi des musulmans d'Espagne persécutés au XVI° siècle après la Reconquista. Les ou la seule référence que l'on ait de ce texte provient de milieux morisques et, en Espagne à cette époque, il a existé d'autres faux du même genre.
La seconde tendance, exprimée par L. Cirillo dans une thèse de doctorat (éditée après avoir été considérablement étoffée, à Paris chez Beauchesne en 1977), y verrait un noyau primitif judéo-chrétien très ancien auquel aurait été amalgamée, bien plus tard, une apologie de l'islam. Le tout aurait été remanié et réécrit au XVI° siècle.
De toutes façons, il ne peut s'agir d'un évangile sérieux, le noyau judéo-chrétien mis à part au cas où l'hypothèse de L. Cirillo encore bien fragile recevrait quelque confirmation plus solide.
Le texte comporte 222 chapitres. Les deux chapitres et demi que nous donnerons ici montrent Jésus revenant de faire le carême au mont Sinaï et trouvant la Palestine en effervescence. Pendant son absence, les trois autorités, Pilate, Hérode et le Grand Prêtre, se sont réunies avec trois armées de deux cent mille hommes chacune pour faire face au peuple sur le point de s'entre-tuer (chapitre 91). Parmi les juifs, les uns disent que Jésus est Dieu ou Fils de Dieu, les autres s'y opposent absolument. Tous décident de se réconcilier et d'attendre le retour de Jésus pour pouvoir l'interroger. Jésus arrive. Le Grand Prêtre veut se prosterner devant lui. Jésus l'arrête. Il demande au Grand Prêtre quelle est la foi juive. Le Grand Prêtre la lui explique Jésus adhère pub liquement, article par article, à tout ce qui est dit et rejette formellement ce que l'on affirme sur sa divinité C'est alors que le Grand Prêtre l'interroge et lui demande qui il est.
La réponse est importante. Jésus nie être le Messie et annonce Mohammad qui sera le Messie attendu. Ce point qui aurait dû frapper les musulmans est passé inaperçu aux yeux de la plupart d'entre eux, probablement parce qu'ils ne se rendent pas compte de la forme du mot. Le texte italien est net Jésus affirme ne pas être "il Messia". Et de son côté le Coran enseigne explicitement à propos de Jésus : "Son nom est le Messie, Jésus, fils de Marie" (Coran 3, 45). L'affirmation de base de ce faux évangile va donc directement contre le Coran. Ce point devrait être souligné dans les échanges avec les musulmans et cet argument est le plus fort qui puisse leur être proposé.
Il est inutile de faire remarquer tout ce que ce passage a de factice, y compris l'intervention du Sénat Romain. Jamais la question de la personne de Jésus ne s'est posée si crûment de son vivant. Par ailleurs le thème de la correspondance entre Pilate et le Sénat Romain est classique dans la littérature légendaire du moyen âge ; il a été exploité à maintes reprises. Le cas de Barnabé n'est pas le premier.
EXTRAITS :
CHAPITRE 96.
Après la prière, le pontife dit à haute voix : : "Arrête, Jésus, car pour la tranquillité de notre peuple, il nous manque de savoir qui tu es ". Jésus répondit : "Je suis Jésus, fils de Marie, de la race de David, homme mortel et craignant Dieu. Je m'emploie à ce que l'honneur et la gloire soient rendus à Dieu".
Le pontife reprit : "Au livre de Moïse (note : Livre de Moïse : est-ce une allusion à Dt 18, 18), il est écrit que notre Dieu doit nous envoyer le Messie. Celui-ci viendra annoncer ce que Dieu veut, et il apportera au monde la miséricorde (p. 241) de Dieu. Je te supplie de nous dire la vérité : "Es-tu le Messie (il Messia di Dio) de Dieu que nous attendons ? " Jésus répondit : "Il est vrai que c'est ce que notre Dieu a promis, mais ce n'est pas moi, car il est fait avant moi et il viendra après moi (note : Jean-Baptiste, le précurseur a disparu ; ses paroles sont mises dans la bouche de Jésus devenant le précurseur de Mohammad)".
Le pontife reprit : : "De toute façon à cause de tes paroles et de tes prodiges, nous croyons que tu es prophète et saint (note : Cf. Lc 5, 34, parole d'un démon) de Dieu : aussi je te supplie au nom de toute la Judée et d'Israël, de nous dire, pour l'amour de Dieu, comment viendra le Messie ". Jésus répondit : " Vive Dieu en présence de qui se tient mon âme, je ne suis pas le Messie (il Messia) (note : Messie n'est plus qu'un titre d'honneur, glosé "envoyé" en note dans la traduction arabe.) qu'attendent toutes les tribus de la terre, comme Dieu l'a promis à notre père Abraham en disant :
"Dans ta semence, je bénirai toutes les tribus de la terre !" Mais quand Dieu m'enlèvera du monde, Satan suscitera de nouveau cette maudite sédition : il fera croire aux impies que je suis Dieu et fils de Dieu, et mes paroles et ma doctrine seront si contaminées qu'il restera à peine trente fidèles (note : D'après les traditions musulmanes, moins de cent chrétiens adhèrent à l'islam du vivant de Mohammad.). Alors Dieu aura pitié du monde et il enverra son messager (p. 242) pour lequel il a tout fait. Il viendra du Midi avec puissance et il détruira les idoles avec les idolâtres, car il enlèvera à Satan l'empire qu'il a sur les hommes. Il apportera avec lui la miséricorde de Dieu pour le salut de ceux qui le croiront. Bienheureux qui croira à ses paroles !"
CHAPITRE 97
Moi, qui suis indigne de délacer ses chaussures (note : Cf. Jn 1, 27 : toujours Jésus le précurseur), j'ai eu la grâce et la miséricorde de Dieu de le voir ! "Le pontife, le gouverneur et le roi répondirent alors : "Ne t'inquiète pas Jésus, saint de Dieu : ce conflit ne se produira plus de notre temps. Nous écrirons en effet au sacré sénat romain, et par décret impérial, personne ne t'appellera plus Dieu ou fils de Dieu". Jésus dit alors : " Vos paroles ne me consolent pas, car les ténèbres viendront d'où vous espérez la lumière (note : Pointe contre Rome). Ma consolation se trouve dans la venue du messager de Dieu (nontio di Dio) qui détruira toute idée fausse en ce qui me concerne (note : idée musulmane : Mohammad a rétabli le vrai message de Jésus corrompu par les chrétiens)".
"Sa foi (p. 243) se diffusera et s'emparera du monde entier, car c'est ce que Dieu a promis à Abraham, notre père. Ce qui me console, c'est que sa foi n'aura pas de fin, mais que Dieu la conservera intacte". Le pontife reprit : "D'autres prophètes viendront-ils après le messager de Dieu ?" Jésus répondit : "Après lui, il ne viendra pas de vrais prophètes envoyés par Dieu, mais il viendra une quantité de faux prophètes (note : Jésus dans nos évangiles met en garde contre les faux prophètes (Mt 7, 15-20). Le Coran n'attire pas l'attention sur ce point.), et cela me cause de la peine, car c'est Satan qui les suscitera par un juste jugement de Dieu et ils se couvriront du prétexte de mon évangile ". Hérode dit : "Comment est-ce par un juste jugement de Dieu que viendront de tels impies ? ".
Jésus répondit : "Il est juste que celui qui ne veut pas croire à la vérité pour son salut, croie au mensonge pour sa damnation : aussi je vous le dis, le monde a toujours méprisé les vrais prophètes et aimé les faux, comme on peut le voir au temps de Michée et de Jérémie. Car chacun aime son semblable".
Le pontife dit alors : "Comment s'appellera le Messie ? Et (p. 244) quel signe prouvera sa venue ?". Jésus répondit : "Le nom du Messie est Admirable (note : "Ahmad" cf. Coran 6 1, 6), car Dieu lui-même le lui donna quand il eut créé son âme et qu'il l'eut placé dans une splendeur céleste. Il dit : "Attends, Muhammad par amour pour toi je veux créer le paradis, le monde et une grande multitude de créatures dont je te fais présent (note : Idée de Mohammad, le premier de toutes les créatures, commune et mystique musulmane.). Aussi celui qui te bénira sera béni et celui qui te maudira sera maudit ! Quand je t'enverrai dans le monde, je t'enverrai comme mon messager de salut. Ta parole sera si vraie que le ciel et la terre passeront mais que ta foi ne manquera jamais !" Muhammad est son nom béni". Alors les gens élevèrent la voix et dirent :
"O Dieu, envoie-nous ton messager ! O Muhammad, viens vite pour le salut du monde !"
CHAPITRE 98
Après ces paroles, la foule s'en alla ainsi que (p. 245) le pontife, le gouverneur et Hérode, en faisant de grands discours sur Jésus et sa doctrine. Le pontife pria le gouverneur d'écrire tout cela à Rome, au sénat. Ce que fit le gouverneur. Aussi le sénat, pour complaire à Israël, décréta que sous peine de perdre la vie, personne n'appellerait plus Jésus de Nazareth prophète des juifs, ni Dieu, ni fils de Dieu. Ce décret fut placé dans le temple en lettres de cuivre. [...].
L'évangile apocryphe de Barnabé (XIV° - XVI° siècles)
CE QUE L'ÉGLISE DIT :J'ai longuement hésité avant d'ajouter Cet appendice. L'affaire de cet évangile, non seulement apocryphe mais surtout très tardif, est rocambolesque. Nous étions beaucoup à souhaiter qu'elle se termine d'elle-même et le mieux, semblait-il, était de se taire. Mais voici que depuis une dizaine d'années, ce faux évangile sert à une propagande anti-chrétienne, discrète mais fort nette : il est présenté à des chrétiens penchant vers l'islam et peu au courant de la question dans le but de les attirer. Il serait bon que tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont une responsabilité chrétienne sachent qu'il existe. Le jour où tout sera retombé dans l'oubli, cet appendice n'aura plus de raison d'être et pourra être supprimé.
En attendant, sa présence dans ce Cahier répond au fait que l'auteur de cet évangile a remanié un donné très ancien dans une ligne précise il a voulu fournir un évangile qui s'harmonise avec le Coran.
C'est au XVII° siècle qu'en Hollande, des humanistes de tendance déiste tombèrent sur le texte, écrit en italien, d'un évangile soi-disant rédigé par Barnabé sur l'ordre de Jésus. Barnabé est connu dans le Nouveau Testament comme un lévite originaire de Chypre et qui accompagna saint Paul pendant une partie de son apostolat. Ici il est présenté comme s'il avait été l'un des douze apôtres, depuis le tout début du ministère de Jésus. Il est dit avoir été le témoin de toute l'activité évangélique de Jésus Emmené partout par Jésus, il est dit dans ce texte avoir été avec lui chaque fois que, dans les Évangiles synoptiques, seuls les trois intimes, Pierre, Jacques et Jean, l'accompagnent. Et même chez les Judéo-chrétiens qui font de Barnabé un apôtre, celui-ci n'est agrégé aux onze qu'après la mort de Judas et à sa place.
La première réaction de ces humanistes du XVIII° siècle fut de se demander s'il ne s'agissait pas d'un évangile ancien qui aurait eu cours en Arabie à l'époque de Mohammad. Ils ne se prononcèrent pas, jugeant avec sagesse qu'un complément d'enquête serait nécessaire. Ce manuscrit fut finalement incorporé à la grande bibliothèque de Vienne où il se trouve actuellement.
En 1907 il fut publié avec une excellente étude critique et une traduction anglaise par Lonsdale et Laura Ragg (Oxford, Clarendon Press). Il était net qu'il s'agissait d'un texte rédigé entre le XIV° et le XVI° siècles, probablement dans l'Ouest du bassin méditerranéen. Le manuscrit italien était postérieur à 1575, date à laquelle commence la fabrication du papier sur lequel il est écrit, comme en fait foi son filigrane.
La critique interne montrait, pour le texte lui-même, un auteur ignorant la géographie de la Palestine, se servant des Évangiles d'après le Diatessaron de Tatien, les coupant selon ses vues théologiques à lui, y ajoutant de nombreux discours de spiritualité chrétienne occidentale médiévale (certains thèmes se datent clairement) et surtout, mise à part l'affirmation de base, remodelant le tout selon la vision musulmane de l'histoire religieuse du monde et celle de Jésus, y compris la substitution miraculeuse d'un sosie arrêté et crucifié à la place de Jésus qui lui est emmené au ciel, sain et sauf, par des anges. Dans son état actuel, le texte est une rédaction que l'on doit dater du XIV° au XVI° siècle, pas avant.
Traduit en arabe dès 1908, cet apocryphe a connu un très grand succès en terre d'islam. Il fut retraduit en d'autres langues musulmanes et périodiquement réédité. Même s'il est relativement peu lu, beaucoup en parlent comme de l'évangile le plus proche de celui que Dieu aurait communiqué du ciel à Jésus et qui serait perdu. Et les vies musulmanes de Jésus, même l'une d'elles écrite par un docteur d'université européenne, s'en inspirent.
Un évangile de Barnabé, dont le nom seul est connu, avait existé aux V°-VI° siècles comme en fait foi la condamnation portée par le décret dit de Gélase à cette époque. Mais il est impossible que, dans son état actuel, le texte italien représente cet original inconnu.
Que faut-il en penser ? Du côté musulman, malgré l'engouement général, quelques rares voix ont eu le courage d'aller à contre-courant et de dire pourquoi le texte était inacceptable aux yeux de la critique historique. Chez les Occidentaux, deux tendances sont apparues. La première, la plus répandue, accepte les conclusions de l'étude critique fournie par les éditeurs de 1907. Elle considère ce texte comme composé au XVI° siècle (peut-être au XIV° mais pas avant). L'hypothèse de recherche actuelle la plus séduisante y verrait un faux lancé dans un esprit de vengeance contre l'inquisition espagnole ou un moyen de défense de la foi des musulmans d'Espagne persécutés au XVI° siècle après la Reconquista. Les ou la seule référence que l'on ait de ce texte provient de milieux morisques et, en Espagne à cette époque, il a existé d'autres faux du même genre.
La seconde tendance, exprimée par L. Cirillo dans une thèse de doctorat (éditée après avoir été considérablement étoffée, à Paris chez Beauchesne en 1977), y verrait un noyau primitif judéo-chrétien très ancien auquel aurait été amalgamée, bien plus tard, une apologie de l'islam. Le tout aurait été remanié et réécrit au XVI° siècle.
De toutes façons, il ne peut s'agir d'un évangile sérieux, le noyau judéo-chrétien mis à part au cas où l'hypothèse de L. Cirillo encore bien fragile recevrait quelque confirmation plus solide.
Le texte comporte 222 chapitres. Les deux chapitres et demi que nous donnerons ici montrent Jésus revenant de faire le carême au mont Sinaï et trouvant la Palestine en effervescence. Pendant son absence, les trois autorités, Pilate, Hérode et le Grand Prêtre, se sont réunies avec trois armées de deux cent mille hommes chacune pour faire face au peuple sur le point de s'entre-tuer (chapitre 91). Parmi les juifs, les uns disent que Jésus est Dieu ou Fils de Dieu, les autres s'y opposent absolument. Tous décident de se réconcilier et d'attendre le retour de Jésus pour pouvoir l'interroger. Jésus arrive. Le Grand Prêtre veut se prosterner devant lui. Jésus l'arrête. Il demande au Grand Prêtre quelle est la foi juive. Le Grand Prêtre la lui explique Jésus adhère pub liquement, article par article, à tout ce qui est dit et rejette formellement ce que l'on affirme sur sa divinité C'est alors que le Grand Prêtre l'interroge et lui demande qui il est.
La réponse est importante. Jésus nie être le Messie et annonce Mohammad qui sera le Messie attendu. Ce point qui aurait dû frapper les musulmans est passé inaperçu aux yeux de la plupart d'entre eux, probablement parce qu'ils ne se rendent pas compte de la forme du mot. Le texte italien est net Jésus affirme ne pas être "il Messia". Et de son côté le Coran enseigne explicitement à propos de Jésus : "Son nom est le Messie, Jésus, fils de Marie" (Coran 3, 45). L'affirmation de base de ce faux évangile va donc directement contre le Coran. Ce point devrait être souligné dans les échanges avec les musulmans et cet argument est le plus fort qui puisse leur être proposé.
Il est inutile de faire remarquer tout ce que ce passage a de factice, y compris l'intervention du Sénat Romain. Jamais la question de la personne de Jésus ne s'est posée si crûment de son vivant. Par ailleurs le thème de la correspondance entre Pilate et le Sénat Romain est classique dans la littérature légendaire du moyen âge ; il a été exploité à maintes reprises. Le cas de Barnabé n'est pas le premier.
EXTRAITS :
CHAPITRE 96.
Après la prière, le pontife dit à haute voix : : "Arrête, Jésus, car pour la tranquillité de notre peuple, il nous manque de savoir qui tu es ". Jésus répondit : "Je suis Jésus, fils de Marie, de la race de David, homme mortel et craignant Dieu. Je m'emploie à ce que l'honneur et la gloire soient rendus à Dieu".
Le pontife reprit : "Au livre de Moïse (note : Livre de Moïse : est-ce une allusion à Dt 18, 18), il est écrit que notre Dieu doit nous envoyer le Messie. Celui-ci viendra annoncer ce que Dieu veut, et il apportera au monde la miséricorde (p. 241) de Dieu. Je te supplie de nous dire la vérité : "Es-tu le Messie (il Messia di Dio) de Dieu que nous attendons ? " Jésus répondit : "Il est vrai que c'est ce que notre Dieu a promis, mais ce n'est pas moi, car il est fait avant moi et il viendra après moi (note : Jean-Baptiste, le précurseur a disparu ; ses paroles sont mises dans la bouche de Jésus devenant le précurseur de Mohammad)".
Le pontife reprit : : "De toute façon à cause de tes paroles et de tes prodiges, nous croyons que tu es prophète et saint (note : Cf. Lc 5, 34, parole d'un démon) de Dieu : aussi je te supplie au nom de toute la Judée et d'Israël, de nous dire, pour l'amour de Dieu, comment viendra le Messie ". Jésus répondit : " Vive Dieu en présence de qui se tient mon âme, je ne suis pas le Messie (il Messia) (note : Messie n'est plus qu'un titre d'honneur, glosé "envoyé" en note dans la traduction arabe.) qu'attendent toutes les tribus de la terre, comme Dieu l'a promis à notre père Abraham en disant :
"Dans ta semence, je bénirai toutes les tribus de la terre !" Mais quand Dieu m'enlèvera du monde, Satan suscitera de nouveau cette maudite sédition : il fera croire aux impies que je suis Dieu et fils de Dieu, et mes paroles et ma doctrine seront si contaminées qu'il restera à peine trente fidèles (note : D'après les traditions musulmanes, moins de cent chrétiens adhèrent à l'islam du vivant de Mohammad.). Alors Dieu aura pitié du monde et il enverra son messager (p. 242) pour lequel il a tout fait. Il viendra du Midi avec puissance et il détruira les idoles avec les idolâtres, car il enlèvera à Satan l'empire qu'il a sur les hommes. Il apportera avec lui la miséricorde de Dieu pour le salut de ceux qui le croiront. Bienheureux qui croira à ses paroles !"
CHAPITRE 97
Moi, qui suis indigne de délacer ses chaussures (note : Cf. Jn 1, 27 : toujours Jésus le précurseur), j'ai eu la grâce et la miséricorde de Dieu de le voir ! "Le pontife, le gouverneur et le roi répondirent alors : "Ne t'inquiète pas Jésus, saint de Dieu : ce conflit ne se produira plus de notre temps. Nous écrirons en effet au sacré sénat romain, et par décret impérial, personne ne t'appellera plus Dieu ou fils de Dieu". Jésus dit alors : " Vos paroles ne me consolent pas, car les ténèbres viendront d'où vous espérez la lumière (note : Pointe contre Rome). Ma consolation se trouve dans la venue du messager de Dieu (nontio di Dio) qui détruira toute idée fausse en ce qui me concerne (note : idée musulmane : Mohammad a rétabli le vrai message de Jésus corrompu par les chrétiens)".
"Sa foi (p. 243) se diffusera et s'emparera du monde entier, car c'est ce que Dieu a promis à Abraham, notre père. Ce qui me console, c'est que sa foi n'aura pas de fin, mais que Dieu la conservera intacte". Le pontife reprit : "D'autres prophètes viendront-ils après le messager de Dieu ?" Jésus répondit : "Après lui, il ne viendra pas de vrais prophètes envoyés par Dieu, mais il viendra une quantité de faux prophètes (note : Jésus dans nos évangiles met en garde contre les faux prophètes (Mt 7, 15-20). Le Coran n'attire pas l'attention sur ce point.), et cela me cause de la peine, car c'est Satan qui les suscitera par un juste jugement de Dieu et ils se couvriront du prétexte de mon évangile ". Hérode dit : "Comment est-ce par un juste jugement de Dieu que viendront de tels impies ? ".
Jésus répondit : "Il est juste que celui qui ne veut pas croire à la vérité pour son salut, croie au mensonge pour sa damnation : aussi je vous le dis, le monde a toujours méprisé les vrais prophètes et aimé les faux, comme on peut le voir au temps de Michée et de Jérémie. Car chacun aime son semblable".
Le pontife dit alors : "Comment s'appellera le Messie ? Et (p. 244) quel signe prouvera sa venue ?". Jésus répondit : "Le nom du Messie est Admirable (note : "Ahmad" cf. Coran 6 1, 6), car Dieu lui-même le lui donna quand il eut créé son âme et qu'il l'eut placé dans une splendeur céleste. Il dit : "Attends, Muhammad par amour pour toi je veux créer le paradis, le monde et une grande multitude de créatures dont je te fais présent (note : Idée de Mohammad, le premier de toutes les créatures, commune et mystique musulmane.). Aussi celui qui te bénira sera béni et celui qui te maudira sera maudit ! Quand je t'enverrai dans le monde, je t'enverrai comme mon messager de salut. Ta parole sera si vraie que le ciel et la terre passeront mais que ta foi ne manquera jamais !" Muhammad est son nom béni". Alors les gens élevèrent la voix et dirent :
"O Dieu, envoie-nous ton messager ! O Muhammad, viens vite pour le salut du monde !"
CHAPITRE 98
Après ces paroles, la foule s'en alla ainsi que (p. 245) le pontife, le gouverneur et Hérode, en faisant de grands discours sur Jésus et sa doctrine. Le pontife pria le gouverneur d'écrire tout cela à Rome, au sénat. Ce que fit le gouverneur. Aussi le sénat, pour complaire à Israël, décréta que sous peine de perdre la vie, personne n'appellerait plus Jésus de Nazareth prophète des juifs, ni Dieu, ni fils de Dieu. Ce décret fut placé dans le temple en lettres de cuivre. [...].