Scène de sacrifice d'enfants?
J’imagine que tous les lecteurs de la présente chronique d’archéologie auront été au moins quelques fois heurtés par cette pratique religieuse, soit le sacrifice de jeunes enfants! Nos propres sensibilités religieuses écartent avec horreur l’idée même qu’une telle pratique ait pu exister. Si on discute beaucoup sur l’étendue de son offrande ou encore sur la nature de tel ou tel rituel pouvant comporter le sacrifice d’un enfant, il reste assuré que le phénomène a existé, et cela même en Israël, bien qu’il ait été prohibé.
Nous avons aussitôt en mémoire le sacrifice d’Isaac (Gn 22); les commentateurs s’attardent beaucoup plus au drame psychologique et à l’épreuve de foi du sacrificateur qu’à l’histoire et à l’intention d’un tel sacrifice, qu’Abraham se croit obligé d’offrir, sans doute pour se conformer à une coutume de son monde environnant. Dieu accepte l’offrande jusqu’à un certain point, puisque la victime humaine est remplacée par une victime animale. On se souvient peut-être de la loi du code de l’alliance qui stipule qu’on doit donner au Seigneur son premier-né (Ex 22,28-29); une autre loi vient préciser que ce don (sacrifice?) peut être suspendu par le rachat de ce premier-né par l’offrande d’un animal (Ex 13,11-15; 34,19-20). Ces deux lois sont étudiées, en général, dans le contexte du sacrifice des premiers-nés, pratique qui prend ainsi une forme de substitution. L’intention première des rites, sacrifice et rachat, est une action de grâces à la divinité qui a assuré la fécondité de la famille et du troupeau.
Dans le cas d’une extrême nécessité où la survivance nationale est sérieusement mise en péril, un roi pouvait sacrifier son fils, croyant pouvoir ainsi écarter le grave danger qui le menace. Au IXe siècle, le roi de Moab, Mésha, offre en sacrifice son premier-né sur le rempart de sa ville assiégée par les troupes des rois de Juda et d’Israël, qui mettent fin au siège pour une raison que le texte ne nous permet pas de bien comprendre (2 R 3,24-27). Devons-nous interpréter le sacrifice de la fille de Jephté dans ce même contexte, puisque ce dernier défend sa tribu contre les attaques ammonites (Jg 11,29-40)? Chose certaine, au moins deux rois de Juda ont eu recours à ce rite extrême quand les troupes ennemies étaient sur le point de s’emparer du pays, soit Achaz (2 R 16,3) et Manassé (2 R 21,6).
Récemment notre attention a été dirigée sur des monuments égyptiens qui pourraient bien représenter un tel sacrifice. La scène ferait l’objet d’un motif reconnu une dizaine de fois sur des bas-reliefs datant tous de Ramsès II (1301-1234) et de Ramsès III (1197-1165), et qui illustrent des sièges de ville en Canaan établis par ces deux pharaons. Si nous respectons l’ensemble des scènes représentant l’histoire de la conquête des villes, celle que nous reproduisons ici veut illustrer l’assaut final, donc suggérer l’extrême détresse de ses habitants. En effet, ces derniers ont cessé de défendre leur ville et les soldats égyptiens sont déjà en train d’en démolir les remparts. Sur une des tours de ces remparts, on peut voir les derniers survivants, hommes et femmes, dans des attitudes qui n’ont rien de guerrier : les hommes se tiennent debout, les mains levées vers le ciel, et les femmes se tiennent agenouillées entre les hommes. Ce geste doit sans doute être interprété comme un geste cultuel ou religieux, car devant le groupe on voit un homme qui tient dans sa main gauche un brasero, dont la forme rappelle celle des petits autels à encens dans les temples, dont on a trouvé plusieurs exemplaires en Syrie-Palestine; il lève la main droite en signe d’offrande. Tous ces détails nous invitent fortement à interpréter la scène dans un contexte cultuel.
Surtout on aura remarqué le geste de deux autres hommes, un a chaque extrémité du groupe, qui pourrait bien représenter un sacrifice d’enfants, tel qu’évoqué par les textes bibliques cités plus haut. Ces hommes suspendent chacun un enfant dans le vide, par dessus les remparts; l’enfant de droite est peut-être déjà mort, si on en juge d’après son aspect flasque et mou. Comme il est difficile de penser qu’on veut représenter ici une tentative de fuite, car ils se tueraient au pied du rempart, ou encore la livraison d’esclaves, car ce sont des adultes qui sont ainsi capturés, il reste l’hypothèse très vraisemblable que nous sommes devant une scène de sacrifices d’enfants par « précipitation » d’un lieu élevé : les gestes des autres personnages et le témoignage des textes de l’Ancien Testament l’appuient sérieusement.
J’imagine que tous les lecteurs de la présente chronique d’archéologie auront été au moins quelques fois heurtés par cette pratique religieuse, soit le sacrifice de jeunes enfants! Nos propres sensibilités religieuses écartent avec horreur l’idée même qu’une telle pratique ait pu exister. Si on discute beaucoup sur l’étendue de son offrande ou encore sur la nature de tel ou tel rituel pouvant comporter le sacrifice d’un enfant, il reste assuré que le phénomène a existé, et cela même en Israël, bien qu’il ait été prohibé.
Ramsès II attaque Ascalon, d’après un bas-relief du temple de Louxor (Égypte).
Nous avons aussitôt en mémoire le sacrifice d’Isaac (Gn 22); les commentateurs s’attardent beaucoup plus au drame psychologique et à l’épreuve de foi du sacrificateur qu’à l’histoire et à l’intention d’un tel sacrifice, qu’Abraham se croit obligé d’offrir, sans doute pour se conformer à une coutume de son monde environnant. Dieu accepte l’offrande jusqu’à un certain point, puisque la victime humaine est remplacée par une victime animale. On se souvient peut-être de la loi du code de l’alliance qui stipule qu’on doit donner au Seigneur son premier-né (Ex 22,28-29); une autre loi vient préciser que ce don (sacrifice?) peut être suspendu par le rachat de ce premier-né par l’offrande d’un animal (Ex 13,11-15; 34,19-20). Ces deux lois sont étudiées, en général, dans le contexte du sacrifice des premiers-nés, pratique qui prend ainsi une forme de substitution. L’intention première des rites, sacrifice et rachat, est une action de grâces à la divinité qui a assuré la fécondité de la famille et du troupeau.
Dans le cas d’une extrême nécessité où la survivance nationale est sérieusement mise en péril, un roi pouvait sacrifier son fils, croyant pouvoir ainsi écarter le grave danger qui le menace. Au IXe siècle, le roi de Moab, Mésha, offre en sacrifice son premier-né sur le rempart de sa ville assiégée par les troupes des rois de Juda et d’Israël, qui mettent fin au siège pour une raison que le texte ne nous permet pas de bien comprendre (2 R 3,24-27). Devons-nous interpréter le sacrifice de la fille de Jephté dans ce même contexte, puisque ce dernier défend sa tribu contre les attaques ammonites (Jg 11,29-40)? Chose certaine, au moins deux rois de Juda ont eu recours à ce rite extrême quand les troupes ennemies étaient sur le point de s’emparer du pays, soit Achaz (2 R 16,3) et Manassé (2 R 21,6).
Récemment notre attention a été dirigée sur des monuments égyptiens qui pourraient bien représenter un tel sacrifice. La scène ferait l’objet d’un motif reconnu une dizaine de fois sur des bas-reliefs datant tous de Ramsès II (1301-1234) et de Ramsès III (1197-1165), et qui illustrent des sièges de ville en Canaan établis par ces deux pharaons. Si nous respectons l’ensemble des scènes représentant l’histoire de la conquête des villes, celle que nous reproduisons ici veut illustrer l’assaut final, donc suggérer l’extrême détresse de ses habitants. En effet, ces derniers ont cessé de défendre leur ville et les soldats égyptiens sont déjà en train d’en démolir les remparts. Sur une des tours de ces remparts, on peut voir les derniers survivants, hommes et femmes, dans des attitudes qui n’ont rien de guerrier : les hommes se tiennent debout, les mains levées vers le ciel, et les femmes se tiennent agenouillées entre les hommes. Ce geste doit sans doute être interprété comme un geste cultuel ou religieux, car devant le groupe on voit un homme qui tient dans sa main gauche un brasero, dont la forme rappelle celle des petits autels à encens dans les temples, dont on a trouvé plusieurs exemplaires en Syrie-Palestine; il lève la main droite en signe d’offrande. Tous ces détails nous invitent fortement à interpréter la scène dans un contexte cultuel.
Surtout on aura remarqué le geste de deux autres hommes, un a chaque extrémité du groupe, qui pourrait bien représenter un sacrifice d’enfants, tel qu’évoqué par les textes bibliques cités plus haut. Ces hommes suspendent chacun un enfant dans le vide, par dessus les remparts; l’enfant de droite est peut-être déjà mort, si on en juge d’après son aspect flasque et mou. Comme il est difficile de penser qu’on veut représenter ici une tentative de fuite, car ils se tueraient au pied du rempart, ou encore la livraison d’esclaves, car ce sont des adultes qui sont ainsi capturés, il reste l’hypothèse très vraisemblable que nous sommes devant une scène de sacrifices d’enfants par « précipitation » d’un lieu élevé : les gestes des autres personnages et le témoignage des textes de l’Ancien Testament l’appuient sérieusement.