La place du sexe dans le Coran: "Deux codes moraux contradictoires"
Si la théologie musulmane évoque la sexualité, elle n'est jamais allée jusqu'à explorer le désir, rappelle l'anthropologue et essayiste Malek Chebel.
Quelle place le sexe tient-il dans le Coran et la tradition musulmane?
"J'ai aimé de votre monde: les femmes, les parfums et la prière", a dit le Prophète, illustrant ce qu'il y avait de plus humaniste et éclairé dans l'islam des origines. Le Coran et la tradition, néanmoins, n'abordent à aucun moment le sexe autrement que sous l'angle de la reproduction. Il évoque la question de la sexualité comme thème spécifique dans les sourates II (187, 222), IV (15-16, 21) et XV (68).
Les thèmes sont extrêmement variés, allant de la chasteté prémaritale à la débauche et à la froideur sexuelle, en passant par l'interdit de l'homosexualité ou de l'adultère. Mais il ne dit rien du désir ou de la satisfaction sexuelle. Les trois siècles de la théologie musulmane, c'est-à-dire les VIIIe, IXe et Xe siècles, n'ont rien fait d'autre que de graver dans le marbre la double attribution sexuelle de l'homme et de la femme, celle de deux êtres reproducteurs.
Que dit l'islam de l'avortement et de l'adultère?
Dans l'état actuel des dispositions acceptées par toutes les écoles théologiques, l'avortement est interdit dans le principe même, l'islam étant nataliste comme le judaïsme et le christianisme. Quant à l'adultère, il est stigmatisé à l'extrême. Celui de la femme est condamné sans retenue, l'usage extrémiste en Arabie saoudite ayant déteint sur la plupart des législations nationales. En revanche, l'homme échappe très régulièrement à la condamnation morale qui flétrit l'honneur de la femme.
LIRE AUSSI >> L'islam et le sexe
La pudeur est une notion essentielle dans le Coran. Comment s'est-elle conciliée avec la culture arabe du libertinage, que vous avez explorée dans vos livres?
Ces notions relèvent de plusieurs niveaux différents: le premier est préislamique. En ce temps-là, la pudeur et la chasteté de la jeune femme étaient des vertus essentielles, et constituaient son capital moral. Avec l'arrivée de l'islam, toutes ces questions ont été réévaluées à l'aune de nouveaux mécanismes matrimoniaux - c'est le deuxième niveau. Aujourd'hui, nous fonctionnons avec ces deux codes moraux en même temps. Ce qui provoque des contradictions flagrantes et parfois inextricables, comme c'est le cas en particulier avec la virginité de la jeune mariée.
Malek Chebel, ici à Paris en 2006.
AFP PHOTO FRED DUFOUR
NOTRE DOSSIER >> Islam de France
L'islam a-t-il parlé plus crûment du sexe que les autres monothéismes?
Non. Toutes les questions liées à la sexualité ont été surdéterminées par l'attitude et surtout la mentalité des premiers théologiens. En revanche, des intellectuels arabes et persans, souvent laïcs, ont effectivement évoqué sans fard ce thème, notamment dans Les Mille et Une Nuits ou dans d'autres contes ou récits poétiques mettant en scène l'amour courtois, voire le libertinage. On peut citer Al-Jahiz (Ephèbes et courtisanes), au VIIIe siècle, pour l'homosexualité; les écrits d'Ibn Fulayta, un haut fonctionnaire yéménite du XVe siècle; ou encore le cheikh Mohammed Nefzaoui et son Jardin parfumé, un manuel érotique rédigé, en 1547, pour stimuler la libido du grand vizir de Tunis. On se retrouve en fait face à deux corpus constitués, l'un théologico-moraliste et l'autre moderniste, concret et résolument émancipateur. Selon les périodes et les lieux, c'est l'un ou l'autre qui l'a emporté.
Est-ce encore le cas à l'époque actuelle?
Absolument. En Tunisie, lorsque le parti islamiste Ennahdha s'est imposé par les urnes aux élections législatives de 2011, l'une des premières tentations du mouvement a été de chercher à contrôler l'émancipation féminine. En Egypte, les Frères musulmans n'ont jamais cessé de vouloir contrôler et limiter l'expression du désir de la jeunesse. Et les cas de ce type sont légion. A mes yeux, il ne peut aujourd'hui y avoir de révolution politique ou philosophique ni de révolution sexuelle sans la remise en question de cette mentalité médiévale qui corsète la question du corps et l'empêche de s'épanouir pleinement.
LIRE AUSSI >> Malek Chebel: "Le voile intégral est une provocation!"
Le Coran évoque-t-il le plaisir partagé et la jouissance entre les partenaires?
Ces sujets n'ont jamais été abordés clairement dans le Coran, qui n'est pas, dans l'absolu, un livre d'amour, mais un livre de prescriptions. Il n'a pas à intervenir à ce niveau des relations intimes. Le plaisir mutuel est une construction idéologique et sociale contemporaine. C'est aux femmes d'aujourd'hui de revendiquer haut et fort la place et la considération qu'elles méritent.
Malek Chebel, dernier ouvrage paru: Désir et beauté en islam (CNRS éd.).
+ Plus d'actualité sur : L'Express du 23 mars 2016: l'islam et le sexe
Si la théologie musulmane évoque la sexualité, elle n'est jamais allée jusqu'à explorer le désir, rappelle l'anthropologue et essayiste Malek Chebel.
Quelle place le sexe tient-il dans le Coran et la tradition musulmane?
"J'ai aimé de votre monde: les femmes, les parfums et la prière", a dit le Prophète, illustrant ce qu'il y avait de plus humaniste et éclairé dans l'islam des origines. Le Coran et la tradition, néanmoins, n'abordent à aucun moment le sexe autrement que sous l'angle de la reproduction. Il évoque la question de la sexualité comme thème spécifique dans les sourates II (187, 222), IV (15-16, 21) et XV (68).
Les thèmes sont extrêmement variés, allant de la chasteté prémaritale à la débauche et à la froideur sexuelle, en passant par l'interdit de l'homosexualité ou de l'adultère. Mais il ne dit rien du désir ou de la satisfaction sexuelle. Les trois siècles de la théologie musulmane, c'est-à-dire les VIIIe, IXe et Xe siècles, n'ont rien fait d'autre que de graver dans le marbre la double attribution sexuelle de l'homme et de la femme, celle de deux êtres reproducteurs.
Que dit l'islam de l'avortement et de l'adultère?
Dans l'état actuel des dispositions acceptées par toutes les écoles théologiques, l'avortement est interdit dans le principe même, l'islam étant nataliste comme le judaïsme et le christianisme. Quant à l'adultère, il est stigmatisé à l'extrême. Celui de la femme est condamné sans retenue, l'usage extrémiste en Arabie saoudite ayant déteint sur la plupart des législations nationales. En revanche, l'homme échappe très régulièrement à la condamnation morale qui flétrit l'honneur de la femme.
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La pudeur est une notion essentielle dans le Coran. Comment s'est-elle conciliée avec la culture arabe du libertinage, que vous avez explorée dans vos livres?
Ces notions relèvent de plusieurs niveaux différents: le premier est préislamique. En ce temps-là, la pudeur et la chasteté de la jeune femme étaient des vertus essentielles, et constituaient son capital moral. Avec l'arrivée de l'islam, toutes ces questions ont été réévaluées à l'aune de nouveaux mécanismes matrimoniaux - c'est le deuxième niveau. Aujourd'hui, nous fonctionnons avec ces deux codes moraux en même temps. Ce qui provoque des contradictions flagrantes et parfois inextricables, comme c'est le cas en particulier avec la virginité de la jeune mariée.
Malek Chebel, ici à Paris en 2006.
AFP PHOTO FRED DUFOUR
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L'islam a-t-il parlé plus crûment du sexe que les autres monothéismes?
Non. Toutes les questions liées à la sexualité ont été surdéterminées par l'attitude et surtout la mentalité des premiers théologiens. En revanche, des intellectuels arabes et persans, souvent laïcs, ont effectivement évoqué sans fard ce thème, notamment dans Les Mille et Une Nuits ou dans d'autres contes ou récits poétiques mettant en scène l'amour courtois, voire le libertinage. On peut citer Al-Jahiz (Ephèbes et courtisanes), au VIIIe siècle, pour l'homosexualité; les écrits d'Ibn Fulayta, un haut fonctionnaire yéménite du XVe siècle; ou encore le cheikh Mohammed Nefzaoui et son Jardin parfumé, un manuel érotique rédigé, en 1547, pour stimuler la libido du grand vizir de Tunis. On se retrouve en fait face à deux corpus constitués, l'un théologico-moraliste et l'autre moderniste, concret et résolument émancipateur. Selon les périodes et les lieux, c'est l'un ou l'autre qui l'a emporté.
Est-ce encore le cas à l'époque actuelle?
Absolument. En Tunisie, lorsque le parti islamiste Ennahdha s'est imposé par les urnes aux élections législatives de 2011, l'une des premières tentations du mouvement a été de chercher à contrôler l'émancipation féminine. En Egypte, les Frères musulmans n'ont jamais cessé de vouloir contrôler et limiter l'expression du désir de la jeunesse. Et les cas de ce type sont légion. A mes yeux, il ne peut aujourd'hui y avoir de révolution politique ou philosophique ni de révolution sexuelle sans la remise en question de cette mentalité médiévale qui corsète la question du corps et l'empêche de s'épanouir pleinement.
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Le Coran évoque-t-il le plaisir partagé et la jouissance entre les partenaires?
Ces sujets n'ont jamais été abordés clairement dans le Coran, qui n'est pas, dans l'absolu, un livre d'amour, mais un livre de prescriptions. Il n'a pas à intervenir à ce niveau des relations intimes. Le plaisir mutuel est une construction idéologique et sociale contemporaine. C'est aux femmes d'aujourd'hui de revendiquer haut et fort la place et la considération qu'elles méritent.
Malek Chebel, dernier ouvrage paru: Désir et beauté en islam (CNRS éd.).
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