- La traduction de la Bible en anglais par William Tyndale, ou la réorganisation du pouvoir
Au début du xvi
e siècle, le roi Henri VIII est encore très proche du pape. En 1521, suite à l’écriture de l’
Assertio septem sacramentorum, en faveur des sacrements traditionnels, le pape Léon X le nomme même : défenseur de la foi
[1][1]J-P Morreau, L’Angleterre des Tudors, 1485-1603, Paris, 2000,…. Ainsi la politique linguistique de la papauté concernant la Bible est-elle intrinsèquement liée à celle de la Couronne d’Angleterre. Les clercs européens puisent leur interprétation dans un unique texte : la Vulgate, une Bible en latin traduite du grec, de l’hébreu et de l’araméen par saint Jérôme
[2][2]Saint Jérôme a traduit la Bible en latin au ive siècle après…. Le latin est la langue de l’Église, l’anglais, celle du peuple. En 1407, John Wycliffe est condamné pour hérésie pour avoir traduit et produit la première Bible en anglais en 1380.
2Un siècle plus tard, William Tyndale, théologien, érudit qui parle huit langues
[3][3]D. Daniell, William Tyndale, A biography, New Haven / Londres,…, évoque son projet de traduire la Bible en anglais dès les années 1520. Il essaie dans un premier temps d’avoir le consentement de la Couronne. En 1523, William Tyndale demande l’approbation à l’évêque de Londres, Cuthbert Tunstall, lequel refuse, prétextant un projet trop radical : d’une part, parce qu’après John Wycliffe, personne ne s’y est risqué en raison de l’interdiction ; et d’autre part, parce que la Bible est le texte gardé de l’Église, alors proche du roi. Traduire la Bible est alors encore vu comme un acte hérétique.
3William Tyndale n’abandonne toutefois pas son projet et s’exile pour traduire et publier sa version de la Bible en anglais. Le Nouveau Testament est imprimé par Peter Schoeffer en 1526 à Worms. Dans une lettre datée du 24 février 1527, Robert Ridley, chapelain de Cuthbert Tunstall, évoque le texte de William Tyndale en parlant d’un texte commun et vulgaire proche des hérétiques luthériens. Il y critique également les annotations des évangiles de Marc et Matthieu présents dans la première édition
[4][4]A. W Pollard, Records of the English Bible, Oxford, 1911…. Cette lettre fait référence aux commentaires et annotations de Tyndale qui apparaissent dans les fragments de Cologne
[5][5]William Tyndale avait dans un premier temps tenté de faire… expliquant l’interprétation qu’il faut avoir du texte. Ces annotations sont absentes de l’édition de Worms
[6][6]D. Daniell, « Introduction », dans The New Testament translated…. Suivent ensuite des versions révisées du Nouveau Testament publiées à Anvers
[7][7]William Tyndale se rend à Anvers, car nombreux sont les…, en 1534 et 1535, complétées d’un glossaire.
4 William Tyndale, en traduisant la Bible en langue vulgaire défie le pape et le roi qui lui ont interdit de le faire. Il ne s’agit pas pour lui d’une simple traduction, mais d’une interprétation autre que celle faite par l’Église de la Bible d’où l’importance qu’il attache à ce projet. En rendant le texte accessible à tous, William Tyndale veut prouver au peuple et au roi, que les Écritures ont été détournées par l’Église qui les interprèterait à son avantage. Le traducteur veut démontrer que la Bible n’octroie aucun pouvoir à l’Église. Selon lui, elle se serait attribué un pouvoir et un rôle qu’elle n’a pas. Il semblerait donc que la traduction de la Bible permette à William Tyndale de prouver que les pouvoirs en Europe occidentale ne sont pas distribués comme ils le devraient.
5 Le sens de la Bible en anglais par William Tyndale, ainsi que la raison de sa traduction ne peuvent se comprendre que dans l’ensemble de son œuvre. L’auteur n’a eu de cesse d’expliquer sa démarche et l’importance de posséder le texte sacré dans une langue que le peuple comprend. Ces traités, comme des annotations de sa traduction, permettent d’éclairer la raison de sa traduction, à savoir expliquer la hiérarchie des pouvoirs, selon lui faussée par la papauté. Les quelques traités cités ci-dessous, sont aussi une analyse de la Bible et de la vision de la politique et de la religion de William Tyndale. Ils sont la clé de lecture de la Bible qu’en fait l’auteur et le traducteur.
6 D’abord son œuvre majeure après la traduction de la Bible
[8][8]Ibid., p. 223-224. :
The Obedience of a Christian Man and how Christian Rulers Ought to Govern, a été publiée pour la première fois en 1526 à Anvers par Johannes Hoochstraten. Il y explique les devoirs du chrétien et y redéfinit les pouvoirs de chacun critiquant vivement la papauté. L’auteur s’appuie sur des passages de la Bible pour justifier et expliquer sa vision du pouvoir.
7The Practice of Prelates Compyled by the Faythfull and Godly Learned ManA short title catalogue of books printed in England, imprimé en 1530, l’ouvrage le plus polémique de William Tyndale est aussi essentiel pour comprendre sa démarche. Si l’ensemble de l’œuvre consiste en une analyse et une critique du divorce d’Henri VIII d’avec Catherine d’Aragon car contraire à la Bible, il y critique de nouveau le pape qu’il accuse de diviser la nation anglaise laquelle doit retrouver, selon l’auteur, sa place et sa suprématie. Tout comme dans le premier ouvrage cité, l’auteur s’appuie sur des passages de la Bible en anglais qui lui permettent de justifier son propos, et affirmer qui détient l’autorité.
8 L’ensemble de l’œuvre de William Tyndale, les textes de la Bible exceptés, est publié à Londres en 1573 par John Day
[9][9]John Day (1522-1584) est un imprimeur et vendeur protestant…. Les textes sont complétés par une préface et une biographie illustrée, tirées de l’ouvrage
Acts and Monuments de
John Foxe
[10][10]Acts and Monuments, communément appelé le livre des Martyrs,…. Les citations de William Tyndale ici utilisées sont extraites de cette compilation dont une copie se trouve à la Henry. E Huntington Library and Art Gallery
[11][11]The Whole Workes of W. Tyndall, John Frith, and Doct. Barnes,….
9 Plusieurs interrogations se posent à la lecture de l’œuvre de Tyndale pour tenter de comprendre sa démarche. Pourquoi décider de traduire la Bible au péril de sa vie ? Quel est le sens de cette traduction ? Est-ce l’acte de traduire ou la traduction elle-même qui est considérée comme hérétique ? Quel est le message de William Tyndale ? Défie-t-il vraiment l’autorité de l’Église et de Dieu en traduisant le Nouveau Testament ?
10 La lecture de l’œuvre de William Tyndale met en lumière plusieurs points importants soulignant que la traduction de la Bible est pour lui un réel enjeu de pouvoir. Plus qu’une traduction, son texte en langue vulgaire est un réel réquisitoire contre la papauté qui usurpe selon l’auteur un pouvoir qu’il ne détient pas. Il entend en fait réorganiser les pouvoirs comme il se doit et ainsi redonner l’autorité suprême à Dieu sur Terre et l’autorité du roi sur son royaume.
11 William Tyndale traduit la Bible en anglais, parce qu’il estime que la Vulgate est constituée d’erreurs et de mauvaises interprétations de saint Jérôme. Il est essentiel pour lui de revenir aux textes originels qui offrent bien plus de nuances que le texte en latin selon lui. Sa Bible en langue vulgaire est destinée au peuple et c’est pour cette raison « que les Écritures doivent être mises à la lumière
[12][12]William Tyndale explique pourquoi il a voulu traduire et… ».William Tyndale considère que les Anglais ne doivent pas se contenter d’écouter les clercs. La traduction de la Bible lui permet surtout de remettre l’Eglise en question. Dans
Obedience of a Christian man, comme dans
The Practice of Prelates, il dépeint l’Église et le pape comme une gigantesque imposture affectant l’Angleterre. William Tyndale fonde sa réflexion sur l’Ancien et le Nouveau Testament. Chaque argument contre le pape est accompagné d’une citation des Écritures en anglais. John Foxe dans sa biographie de l’auteur rapporte qu’au cours d’un dîner, William Tyndale, aurait affirmé : « Je défie le pape et toutes ses lois ; si Dieu m’épargne encore quelques années, je ferai en sorte que le garçon qui conduit la charrue en sache plus de la Bible que vous tous
[13][13]J. Foxe, The Life of William Tyndall, dans WWT, fol. Bi.. » Il veut prouver ainsi qu’il est plus en mesure d’enseigner les saintes Écritures que le pape dont on peut se passer.
12 Selon William Tyndale, le pape vend ce que Dieu offre. Il le considère comme le vicaire du mal. C’est ce qu’il décrit dans un chapitre de
The Practice of Prelates au titre évocateur : « Comment le pape a reçu son royaume du mal et comment il le redistribue
[14][14]W. Tyndale, The Practice of Prelates Compyled by the Faythfull…. » Il y a un vrai enjeu de pouvoir à traduire la Bible et à la rendre accessible. Il s’agit pour William Tyndale de reconstruire la hiérarchie des pouvoirs et de redonner à Dieu l’autorité suprême, que le Pape s’est attribuée. L’autorité du pape n’a pour l’auteur aucun fondement crédible, puisque dans la Bible, il n’est nullement question d’un souverain pontife.
13 Dans
The Practice of Prelates, William Tyndale retrace l’histoire de la papauté pour en montrer les méfaits. Dans
Obedience of a Christian Man, il montre l’absurdité de la situation et de la hiérarchie au sein de l’Église. Le pape a pris selon lui, la place et le pouvoir du Christ qui ne lui reviennent pourtant pas. Il est inconcevable et incohérent que les évêques prêchent au nom du pape :
14
15 Les traités de William Tyndale sont aussi importants que la traduction de la Bible, car ils sont une explication de texte. Sa compréhension de la Bible ne permet pas l’existence d’une Église et, par conséquent, d’intermédiaire avec Dieu. William Tyndale interprète l’interdiction de traduire la Bible en langue vulgaire par le fait que l’Église veuille garder le peuple dans l’obscurité : ce dernier ne connaissant pas le latin, il ne peut comprendre le sens des Écritures qui expliquent pourtant la distribution des pouvoirs. Le pape à travers le clergé trompe le peuple qui lui voue une admiration et un respect injustifiés. William Tyndale en se plongeant dans les Écritures démontre que le pape détient un faux pouvoir puisqu’il n’est écrit nulle part selon lui qu’il doit y avoir d’intermédiaire avec Dieu. Il qualifie la papauté d’antéchrist de Rome
[16][16]Ibid., p. 115.William Tyndale consacre un chapitre aux faux…, ou encore de vicaire de Satan
[17][17]The Practice. Voir le chapitre sur la corruption de la Bible… qui s’est créé un royaume dans lequel il est roi. Or, il n’en est rien. La Bible existe avant l’Église, avant le pape selon William Tyndale. De fait, le pape n’a pas de raison d’être. C’est toute la théorie protestante que l’on retrouve dans la pensée de William Tyndale, pour qui la vérité se trouve dans la Bible. La vérité qu’il tire des Écritures est que personne, pas même le pape ne peut prétendre être un médiateur avec Dieu, car la foi est un don de Dieu. Or, si la vérité est dans la Bible, il est fondamental pour le théologien que le texte soit lu et compris de tous. Il justifie ainsi pleinement la traduction de la Bible
[18][18]R. S. Werell, The Theology of William Tyndale, Cambridge, 2006,….
16 Toutefois, même traduit en anglais, William Tyndale comprend que le texte n’est pas forcément accessible à tous. C’est pour cette raison qu’il complète sa traduction de préfaces et de traités afin d’expliquer sa compréhension de la Bible. Il se réfère ainsi à la seconde épître à Timothée dans laquelle Paul explique qu’il est important d’enseigner la Bible. L’auteur rajoute qu’il faut le faire différemment de la papauté, c’est-à-dire en restant au plus proche du texte, en ayant pour seul objectif de restaurer la parole de Dieu sans velléité de pouvoir. L’enseignement de la Bible est un devoir que tous peuvent remplir
[19][19]W. Tyndale, A Prologue by William Tyndall, shewyng the Use of…. Il établit également dans cette logique un glossaire dans lequel il donne des définitions, explique ses choix de traduction et les racines des mots
[20][20]W. Tyndale, A Table expoundyng certayne wordes in the first…. Il éclaire le lecteur sur sa démarche de traducteur et aussi sur la difficulté de l’acte de traduire. Cette liste de vocabulaire permet de rendre encore plus intelligible la Bible.
17 Tous les traités de William Tyndale lui permettent d’expliquer qu’en plus d’usurper des pouvoirs et de corrompre les Écritures, le pape encourage la désobéissance au roi en lui refusant toute souveraineté
[21][21]R. S Werell, The Theology of William Tyndale, op. cit., p. 160.. Traduire la Bible lui permet de démontrer l’imposture du pouvoir du pape et donc de rétablir la hiérarchie en redonnant au roi ses pouvoirs. En rendant le texte accessible à tous, William Tyndale veut démontrer la mauvaise lecture du texte faite par l’Église et le pape. L’anglais permet pour l’auteur de rendre la vérité et de redonner au roi son autorité que le pape bafoue.
18 En lisant et en traduisant la Bible, William Tyndale tire la conclusion qu’il n’y a pas plus haute autorité que celle de Dieu, lequel redistribue les pouvoirs et notamment au roi dans son royaume, qui a alors l’autorité suprême reçue de Dieu. « Dieu a donné des lois à toutes les nations, et dans tous les pays, il a mis des rois, des gouverneurs […]
[22][22]Obedience, p. 109.. » Mais Dieu n’a en revanche donné aucun pouvoir au pape, aux évêques, aux moines ou encore aux frères, peut-on lire dans
Obedience. Comprendre les Écritures, c’est ainsi comprendre la structure hiérarchique de la société avec à sa tête le roi. Il propose une hiérarchie séculaire allant des rois aux pères, maîtres dans leur
household, une conception de l’ordre social reprise par William Harrison et Thomas Smith
[23][23]La société anglaise hiérarchisée avec Dieu à sa tête, et le roi…. Par cette réorganisation du pouvoir, William Tyndale, en proposant un nouveau modèle de société, démantèle la structure hiérarchique médiévale
[24][24]D. M Appelbaum, « Biblical nationalism and the…. Chacun doit alors respecter l’autorité des plus hauts pouvoirs, à savoir l’autorité royale. Les rois sont là pour gouverner leurs sujets qui lui doivent obéissance.
[25][25]Obedience, p. 111.. Le pape se substitue donc à l’autorité de Dieu et à celle du roi. Traduire la Bible permet ainsi à la nation de retrouver une place forte qui dépend du roi et non plus du pape. William Tyndale prône une rupture avec l’Église catholique qui nuit à la nation anglaise en voulant la dominer.
19 L’auteur, bien qu’allant contre la décision du roi en traduisant la Bible et en publiant ses traités, ne lui est donc pas opposé. Il se réfère à l’Exode pour faire respecter l’ordre établi et en conclue que résister au roi, c’est résister à Dieu. William Tyndale rappelle également les devoirs des rois, à savoir faire régner l’ordre et la justice. Le roi doit être craint, d’où l’importance qu’il possède de larges pouvoirs. En revanche, les rois ne doivent pas se combattre et encore moins défendre la fausse autorité du pape selon William Tyndale. Redonner les pouvoirs au roi, c’est aussi redonner aux Anglais un rôle dans leur nation. Les hommes sont assez sages pour savoir comment agir. Et quoi qu’il en soit, personne n’est exempté de l’autorité du Christ à la fin, ni le pape, ni les évêques, ni les moines, ni les frères, ni le roi
[26][26]Ibid., p. 122-143.. Selon John Foxe, « Personne n’a restauré la réputation du Royaume d’Angleterre, comme l’a fait William Tyndale
[27][27]J. Foxe, « Preface », dans The Life of William Tyndall,…. »
20 On peut d’ailleurs voir la suprématie de la nation anglaise au travers du choix spécifique de traduction. William Tyndale ne traduit pas littéralement le texte grec, il l’interprète également. Naomi Tadmore explique comment les termes en hébreu d’ami et d’amitié ont été traduits par l’auteur par les mots « voisin » et « voisinage ». L’expression « aime tes amis » devient « aime tes voisins » dans la version anglaise
[28][28]N. TadmoreThe Social universe of the English Bible. Scripture,…. On peut alors comprendre la phrase comme « aime un autre anglais », et même un possible ennemi, mais quelqu’un de la même nation, alors que dans le texte originel, il n’y a pas cette idée de proximité. William Tyndale en filigrane explique que la nation, un peuple uni avec à sa tête un roi puissant, doit retrouver sa place, et par conséquent ne plus être dominée par Rome. Suivant cette logique, William Tyndale décide de traduire le mot grec
ekklesia, (communément traduit par le terme Église) par le terme
Congregation critiquant de fait la légitimité de l’Église. C’est cette traduction qui est notamment à l’origine de la querelle de vocabulaire entre Thomas More et William Tyndale qui se répondent par traités interposés. Thomas More, dans son
Dialogue Concerning Heresies [29][29]Thomas More, à la demande de Cuthbert Tunstall, publie en 1529…, ne critique pas tant le fait que William Tyndale ait traduit la Bible, mais plutôt le choix des mots qui, selon lui, altère le sens de la Bible. Il considère qu’il n’existe qu’une Église, alors qu’il existe toutes sortes de congrégations. De fait, selon lui, William Tyndale, en usant du mot congrégation, désacralise l’Église et se rend coupable d’hérésie
[30][30]The Thought and Culture of the Anthology of Tudor Prose.…. Au contraire, pour William Tyndale, l’Église n’a pas lieu d’être car c’est une usurpation. Le conflit de vocabulaire est aussi un conflit théologique.
21 Pourtant, c’est bien le choix du vocabulaire, le choix de l’anglais et la structure des phrases qui font que William Tyndale redonne à l’Angleterre sa langue nationale. Toute son œuvre est en anglais, à une époque où le latin demeure la langue de la culture. Un anglais clair et moderne pour le xvi
e siècle, car son but est que tous les Anglais puissent lire la Bible. On retrouve également cette idée chez Martin Luther qui a lui modernisé la langue allemande. Dans les années 1520, l’anglais et l’orthographe ne sont pas encore unifiés. La langue est encore un mélange de normand, d’anglo-saxon et de termes latins. L’anglais n’est pas une langue noble, et l’idée que la littérature puisse être en langue vulgaire est impensable
[31][31]D. Daniell, « Introduction », art. cité, p. vi.. Il n’y a pas encore d’anglais standard, et l’usage de dialectes est courant
[32][32]V. Salmon, Language and Society in Early Modern England.…. Sans modèle pour traduire, Tyndale veut rendre le texte intelligible avec un vocabulaire simple que les Anglais sans notions de latin puissent comprendre. Il fait des phrases courtes avec sujet-verbe-complément, alors très rares en ce début de siècle. Le choix de l’hébreu et du grec, comme langues de départ, est réfléchi car selon William Tyndale, le grec et l’hébreu offrent mille fois plus de possibilités que le latin ne le permet avec l’anglais. En effet, selon lui, il est plus compliqué de trouver des termes équivalents en latin, alors que le grec et l’hébreu peuvent être traduits mot pour mot en anglais
[33][33]Obedience, p. 102.. Le grec est pour l’auteur plus proche de l’anglais que ne l’est le latin. William Tyndale opte pour un vrai choix linguistique. Pour lui, l’anglais est non seulement la langue adéquate pour véhiculer le sens des Écritures, mais c’est en plus une langue supérieure au latin. Il entend ainsi réussir là où Wycliffe, en reprenant la structure directe du latin avec le verbe à la fin, a échoué. En modernisant l’anglais, l’humaniste entend donner à l’Angleterre une langue forte d’où le fait qu’il soit désormais souvent considéré comme le père de la « prose anglaise »
[34][34]P. Jones, « The miracle of “and” », The Spectator, Londres, 8…. William Tyndale allège en effet la langue en utilisant des verbes, en supprimant les participes et en ajoutant la conjonction
and [35][35]Ibid., si bien que la syntaxe de l’anglais devient accessible et compréhensible de tous.
22Dès le 24 mai 1530, Tyndale est banni comme hérétique à cause de sa traduction. Le 22 juin 1530, le roi Henri VIII interdit l’utilisation de toute traduction des écritures de Tyndale. Il est pendu et brûlé le 6 octobre 1536. La proclamation royale bannit toutes les traductions de la Bible et du Pentateuque de Tyndale. Pourtant, ce sont bien les arguments décrits dans
Obedience et dans
The Practice of Prelates que le roi Henri VIII reprend lors de la Réforme pour se séparer de l’Église. Avec sa traduction de la Bible, texte repris à 80 % selon une étude de David Daniell dans le texte de la
Great Bible de 1611 de Jacques I
er, William Tyndale a été un précurseur de l’Église anglicane et a redonné à la nation la place qu’il voulait qu’elle ait avec un vocabulaire fort. L’érudit a passé ainsi la fin de sa vie à défendre sa traduction et ses idées en contestant le pouvoir de l’Église pour rétablir la hiérarchie des pouvoirs telle que décrite dans la Bible.
Notes
- [1]
J-P Morreau, L’Angleterre des Tudors, 1485-1603, Paris, 2000, p. 51.
- [2]
Saint Jérôme a traduit la Bible en latin au ive siècle après une requête du pape Damase. Cf. C. R. Thompson, The Bible in English 1525-1611, Washington, 1958, p. 2.
- [3]
D. Daniell, William Tyndale, A biography, New Haven / Londres, 1994.
- [4]
A. W Pollard, Records of the English Bible, Oxford, 1911 p. 122-123.
- [5]
William Tyndale avait dans un premier temps tenté de faire publier sa traduction de la Bible en anglais à Cologne par Peter Quentell dans un format in quarto. Mais le projet découvert, la publication est interrompue. C’est ce que l’on appelle les fragments de Cologne. Cette version inachevée est composée d’un prologue et de l’évangile selon Matthieu jusqu’au chapitre 22 et comporte de nombreuses notes que l’on ne retrouve pas dans la version du Nouveau testament de 1526. Voir R. S. Werell, The Roots of William Tyndale’s theology, Cambridge, 2013, p. 50.
- [6]
D. Daniell, « Introduction », dans The New Testament translated by William Tyndale, W. R Cooper éd., Londres, 2000 p. xi.
- [7]
William Tyndale se rend à Anvers, car nombreux sont les imprimeurs qui ne prêtent pas attention ni à la langue ni à la nature des textes. De plus des intermédiaires allemands et néerlandais installés à Londres permettent de faciliter la tâche des auteurs en s’occupant de l’acheminement du texte de l’Angleterre vers les imprimeurs. Voir D. Daniell, William Tyndale…, op. cit., p. 117.
- [8]
Ibid., p. 223-224.
- [9]
John Day (1522-1584) est un imprimeur et vendeur protestant connu pour avoir imprimé l’œuvre majeure de John Foxe sur les martyrs. A. Pettegree, « Day, John (1521/2–1584) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, 2004.
- [10]
Acts and Monuments, communément appelé le livre des Martyrs, retrace la persécution des protestants du ier siècle jusqu’au début du xvie siècle. Imprimé pour la première fois par John Day en 1563, l’ouvrage dans la mouvance de la politique religieuse de la reine connait un fort succès si bien qu’il est imprimé huit fois entre 1563 et 1589.
- [11]
The Whole Workes of W. Tyndall, John Frith, and Doct. Barnes, three worthy martyrs and principall teachers of this Churche of England collected and compilled in one tome togither, beyng before sacattered and now print here exhibited to the Church.To the prayse of God, and profite of all good Christian readers comprend toute l’œuvre de William Tyndale, John Frith et Robert Barnes. Les trois auteurs sont décrits comme des martyrs par John Foxe qui a participé cette compilation avec le concours de l’imprimeur John Day. Il s’agit d’un ouvrage imprimé en 1573, même s’il est indiqué que la première partie concernant William Tyndale a été achevée en 1572. Cette première partie comporte 510 pages. Les pages ne sont indiquées en chiffres arabes que pour la reproduction des textes de William Tyndale qui comporte 478 pages. Mais il existe une double pagination. L’ensemble de la compilation est paginée en feuillets avec des lettres et des chiffres romains. Ainsi par exemple, les quatre premiers feuillets sont indiqués de la sorte de Ai à Aiiii, les quatre suivants de Bi à Biiii et ainsi de suite. La partie nous concernant se termine par un indexe au feuillet Ggii. Pour des raisons pratiques les feuillets ne seront indiqués que lorsque les pages ne le sont pas. Dans cette même optique, tous les textes de William Tyndale cités seront tirés de cette compilation pour laquelle l’abréviation WWT sera utilisée. Les titres des traités en revanche seront précisés.
Le texte qui se trouve à la Henry. E Huntington Library and Art Gallery a été entièrement numérisé et est disponible sur la plateforme Early English Books online sous réserve de droits. Il s’agit d’une base de données donnant accès au contenu de 100 000 ouvrages imprimés au Royaume-Uni et en Amérique du Nord entre 1473, date de la première publication en Angleterre par l’imprimeur William Caxton, et 1700. Les ouvrages répertoriés pour la période concernée sont tirés du catalogue réalisé par Alfred William Pollard et Gilbert Richard Redgrave : A short title catalogue of books printed in England, Scotland, and Ireland and of English books printed abroad, 1475-1640, Londres, 1926.
- [12]
William Tyndale explique pourquoi il a voulu traduire et réinterpréter la Bible en anglais dans une préface du 17 janvier 1530, soit cinq ans après la publication de sa première traduction du Nouveau Testament. Cf. W. Tyyndall, The Preface of Master William Tyndall that he made before the five books of Moses, called Genesis (désormais Preface), dans WWT, p. 1-3.
- [13]
J. Foxe, The Life of William Tyndall, dans WWT, fol. Bi.
- [14]
W. Tyndale, The Practice of Prelates Compyled by the Faythfull and Godly Learned Man (désormais The Practice), dans WWT, p. 347.
- [15]
W. Tyndale, Obedience of a Christian Man and how Christian Rulers Ought to Govern (désormais Obedience), dans WWT, p. 122.
- [16]
Ibid., p. 115.William Tyndale consacre un chapitre aux faux pouvoirs du pape.
- [17]
The Practice. Voir le chapitre sur la corruption de la Bible par le pape p. 354 à 360.
- [18]
R. S. Werell, The Theology of William Tyndale, Cambridge, 2006, p. 33-34.
- [19]
W. Tyndale, A Prologue by William Tyndall, shewyng the Use of the Scripture, whiche he wrote before the five bookes of Moses, dans WWT, p. 3 à 5
- [20]
W. Tyndale, A Table expoundyng certayne wordes in the first booke of Moses called Genesis, dans WWT, p. 5.
- [21]
R. S Werell, The Theology of William Tyndale, op. cit., p. 160.
- [22]
Obedience, p. 109.
- [23]
La société anglaise hiérarchisée avec Dieu à sa tête, et le roi à la tête du pays est décrite par plusieurs auteurs contemporains comme William Harrisson qui publie une description de l’Angleterre dans les chroniques de Raphael Holinshed, un ouvrage collectif retraçant l’histoire des îles britanniques. Ces chroniques sont imprimées en 1577 et rencontrent un grand succès, au point que William Shakespeare s’en est inspiré pour écrire certaines de ses pièces. De même, Thomas Smith, dans De republica Anglorum imprimé en 1583 par Henrie Midleton décrit cette société hiérarchisée. Un exemplaire de ces deux ouvrages se trouve à la Henry E. Huntington Library and Art Gallery.
- [24]
D. M Appelbaum, « Biblical nationalism and the sixteenth-century states », dans National Identities, 15-4 (2013), p. 317-332 et p. 327.
- [25]
Obedience, p. 111.
- [26]
Ibid., p. 122-143.
- [27]
J. Foxe, « Preface », dans The Life of William Tyndall, op. cit., fol. A iii.
- [28]
N. TadmoreThe Social universe of the English Bible. Scripture, Society, and Culture in Early Modern England, Cambridge, 2010, p. 24-26
- [29]
Thomas More, à la demande de Cuthbert Tunstall, publie en 1529 un réquisitoire très virulent de William Tyndale et de sa traduction de la Bible qu’il considère être une hérésie. Le traducteur y répond ce qui donne lieu à une autre œuvre essentielle de William Tyndale puisqu’il justifie sa position dans Answer to More qu’il publie à Anvers en 1531.
- [30]
The Thought and Culture of the Anthology of Tudor Prose. 1481-1555, E. M. Nugent éd., Cambridge, vol. 2, 1969, p. 438.
- [31]
D. Daniell, « Introduction », art. cité, p. vi.
- [32]
V. Salmon, Language and Society in Early Modern England. Selected Essays : 1981-1994, Amsterdam, 1996, p. 90.
- [33]
Obedience, p. 102.
- [34]
P. Jones, « The miracle of “and” », The Spectator, Londres, 8 janvier 2000.
- [35]
Ibid.
https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2017-1-page-325.htm