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Prière de Manassé
Qui est Manassé?Il est le fils du roi Ézéchias, qui décède alors qu'il avait seulement 12 ans, d'après 2 Rois 21, 1, et « il régna 55 ans sur Jérusalem ». Les érudits datent son règne de 687 à 642 avant l'ère moderne (selon W.F. Albright). Autant son Père a plu a Yahvé, autant Manassé lui déplaît en laissant entrer les dieux étrangers, leur construisant des autels, faisant passer son fils par le feu, pratiquant les incantations et la divination, installant des nécromants et des devins, répandant du sang innocent.
Quand l'auteur de 2 Chroniques 33, 1-20 reprend ce récit, il réécrit l'histoire : sans doute influencé par la longue vie de 55 ans de Manassé, donc une bénédiction selon la vision juive, sa vie se déroule maintenant en deux partie :
dans la première partie, on voit en action l'homme pécheur qui accomplit tout ce qui est abominable aux yeux de Yahvé, exactement la liste dont nous a parlé le livre des Rois; mais tout cela déclenche la colère de
Yahvé qui fait intervenir les généraux Assyriens pour capturer Manassé et l'emmener comme prisonnier à Babylone, ce qui amorce la 2e partie du récit : p
our apaiser Yahvé, Manassé s'humilie et se met à Le supplier, le reconnaissant comme le véritable Dieu, entraînant finalement son pardon, si bien qu'il se voit réintégré dans son royaume. Dans cette 2e partie, on retrouve un Manassé nouveau qui écarte de Jérusalem les divinités étrangères, rétablit l'autel de Yahvé, y offrit des sacrifices de communion et de louange et ordonna aux Judéens de servir Yahvé, Dieu d'Israël.Origine de la prièreCette prière provient probablement d'un Juif de Jérusalem, au 2e ou 1ier siècle av. l'ère moderne, qui, relisant 2 Ch 33, 13 («
Manassé pria Yahvé et Lui se laissa fléchir »), sentit le besoin de combler une lacune, i.e. le contenu de la Prière de Manassé. Les érudits ont beaucoup débattu de la langue originelle de la prière, beaucoup proposant qu'elle fut d'abord écrite en grec. En effet, le témoignage de plus ancien de cette prière provient de la Didascalie ou Didascalia Apostolorum, un écrit du 3e siècle prétendant être écrit par les Apôtres à l'occasion du concile de Jérusalem vers l'an 51 de notre ère; or, la version que nous possédons de la Didascalie est une traduction syriaque d'une version originale en Grec. De plus, la Constitution Apostolique, un écrit grec du 4e siècle, reprend largement la Didascalie, incluant la Prière de Manassé. Ainsi, était-il normal de penser que la prière avait été écrite d'abord en Grec.
Mais l'étude attentive de la prière a fait ressortir le même style sémitique qu'on retrouve dans des centaines de prières, d'hymnes et d'odes du judaïsme primitif. C'est ce qu'a observé quelqu'un comme J.H. Charlesworth qui note que cette prière partage avec les autres prières du judaïsme l'idée que Dieu est proche et qu'il écoute la voix de l'humble qui se repent. De plus, cette prière est une expansion du 2e livre des Chroniques, tout comme Bel et le Serpent, Suzanne et la prière d'Azarias, et le Chant des trois hommes dans la fournaise sont une expansion du livre de Daniel.
E. Nodet, dans un article publié dans la Revue Biblique, va encore plus loin : non seulement cette prière a été écrite originellement en Hébreu, mais elle a fait partie d'une version du 2e livre des Chroniques où elle y fut ajoutée, une version qu'a connu l'historien juif Flavius Josèphe.Ce dernier a coutume de faire référence à la version hébraïque de la bible, et dans ses Antiquités judaïques (10, 42-47) il fait référence à l'histoire de Manassé, et même s'il ne cite pas telle quelle la Prière de Manassé, selon son habitude de ne jamais citer telle quelle une prière, il reprend certaines de ses idées avec un certain nombre d'hébraïsmes.
Nodet ajoute au dossier la découverte à la geniza du Caire d'un fragment hébreu intitulé : Prière de Manassé, une variante de la version de la prière qu'on trouve en grec et en syriaque; même si beaucoup d'éléments des fragments trouvés sont une rétroversion du grec et du syriaque,
ils reflètent une tradition ancienne de la communauté juive. Enfin, on a trouvé dans la grotte 4 de Qumran (4 Q 381) les restes d'un recueil d'hymnes non canoniques qui inclut une Prière de Manassé : même si le vocabulaire est différent, le contenu est semblable. Que conclure? Les témoins hébraïques retrouvés à Qumran et au Caire sont très différents, sans dépendance directe. Il faut donc considérer au moins deux versions de la Prière de Manassé, et c'est bien ce que suggère 2 Ch 33,18-19, qui signale que la prière est conservée dans deux recueils distincts : elle figure avec les actes de Manassé dans les archives des rois d'Israël (cf. 2 R 21,17), mais sans la réponse de Dieu, et elle est aussi dans « les paroles de Hozaï » avec la réponse favorable de Dieu ainsi que le détail des fautes cultuelles.
La Prière de Manassé dans l'histoireComme nous l'avons mentionné, le premier témoignage vient de la version syriaque de la Discalie des Apôtres du 3e s., puis du texte grec de la Constitution apostolique du 4e s., et on le retrouve également dans le codex Alexandrinus (5e s.) et Turicensis (7e s.); ainsi, la prière est présente dans certaines versions de la Septante. Plusieurs Pères de l'Église comme Jean Chrysostome (349-407) (Commentaire sur l'Évangile de Matthieu) ou Cyrille d'Alexandrie (378-444) (Homélie 14 sur la mort et la parousie) mentionnent cette prière ou en citent des passages pour illustrer le thème de la conversion et de la possibilité du salut pour les pécheurs.
Jusqu'au 6e siècle au moins, la traduction latine de la Prière de Manassé a fait partie du corpus des hymnes bibliques utilisées dans certaines liturgies latines. Les manuscrits de la version parisienne de la Vulgate (version latine de Saint-Jérôme) du 13e siècle ainsi que les premières éditions imprimées de la Vulgate, dont la Bible de Mayence 1452, l'intègrent à la suite du chapitre 36 du second livre des Chroniques, parfois avec un titre, parfois sans distinction. Dans la Somme Théologique (III, 84, 5 et 10), Thomas d'Aquin (1225-1274) cite les versets 8 et 9 comme si la prière se trouvait à la fin du 2e livre des Chroniques.
La présence de cette prière dans la Bible de Luther (1534) parmi les « apocryphes » s'explique par l'admiration de Luther pour cette prière. Elle se trouve également dans la Bible d'Olivétan (1535, avec les apocryphes), dans la Bible de Genève (1546, à la fin de 2 Ch 33), et dans la King James (1611, avec les apocryphes). Du côté catholique, la version Sixto-Clémentine de la Vulgate, promulguée en 1592 en application des décrets du Concile de Trente, la place à la suite de tous les livres bibliques (en appendice), précisant que la Prière de Manassé ne fait pas partie du corpus des Écritures défini par le concile de Trente, mais qu'il convient d'en conserver la mémoire puisqu'elle est citée par certains Pères et se trouve dans certains manuscrits de la Bible.
De nos jours, dans la tradition monastique orthodoxe, la prière est lue chaque soir lors de l'office des grandes complies, pendant le carême. On la trouve encore aujourd'hui dans le livre de la Prière commune des Églises épiscopales américaines.
Références :
•James H. Charlesworth, Prayer of Manaseh, in The Old Testament Pseudepigrapha, v. 2, ed. James H. Charlesworth. Doubleday: Garden City, 1985, p. 525-537
•Stefan Munteanu, Prière de Manassé et Psaume 151 dans la nouvelle édition de la TOB (2010) in
https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200031.html •Étienne Nodet, Prières de Manassé (2 Ch 33,1*; TSK 1.144*; 4 Q 381), Revue Biblique, 117(2010), 345-360.
http://www.mystereetvie.com/Priere_Manasse.html